Transcription
Transcription : Unité des résultats et de la livraison : leçons pour le Canada, avec Sir Michael Barber
Matthew Mendelsohn
Sous-Secrétaire du Cabinet (Résultats et livraison)
Bureau du Conseil privé
Sir Michael Barber, je vous remercie de votre présence et vous souhaite la bienvenue à Ottawa. Vous avez mis sur pied la toute première unité chargée des résultats et de la livraison sous l'administration de Tony Blair. Pouvez-vous décrire ce qui vous a motivé et poussé à adopter cette approche et indiquer en quoi elle est différente des approches antérieures des administrations britanniques?
Sir Michael Barber
Pédagogue britannique
Conseiller principal en matière d'éducation de la société Pearson et associé directeur chez Delivery Associates
L'administration Blair a mis sur pied l'unité initiale au début de son second mandat, principalement après que le premier ministre et différentes personnes qui avaient travaillé avec lui ont observé que, durant leur premier mandat, ils avaient promis bien des choses et prononcé d'excellents discours et, dans l'ensemble, l'économie avait connu une croissance. Les gens aimaient bien le ton de Tony Blair et la direction qu'il donnait au pays. Toutefois, pendant la campagne électorale de 2001, les citoyens lui disaient essentiellement ceci : « Oui, nous aimons les discours et apprécions la croissance économique, mais vous promettez sans cesse que les services de santé vont s'améliorer et rien n'a changé. » Ainsi, il était temps pour lui d'adopter un programme de réforme des politiques nationales pour le second mandat et de vraiment tenir ses promesses; il ne devait pas uniquement édicter des lois et rédiger des livres blancs, mais devait plutôt changer la vie quotidienne des citoyens, qu'il s'agisse d'un enfant qui va à l'école ou d'un patient qui fait appel à un service de santé, de mettre un terme à la criminalité dans les rues ou d'assurer la qualité au transport en commun. Il fallait donc agir correctement et nous assurer de tenir nos promesses, afin que les citoyens constatent, voient, remarquent la différence et qu'ils puissent en bénéficier.
Lorsque vous avez mis sur pied la première unité, quelles sont les principales difficultés que vous avez connues avec la fonction publique?
Selon moi, il y a eu deux ou trois difficultés qu'il a fallu surmonter au début. La première difficulté avait trait aux politiciens, qui avaient compris qu'ils devaient changer, mais qui avaient besoin d'autre chose pour vraiment changer leur façon de réagir aux crises devant les médias. Il fallait qu'ils établissent des routines, qu'ils apprennent les notions de base, qu'ils connaissent l'agenda du premier ministre pour programmer les bilans périodiques tout au long de l'année. Il s'agissait certes d'une première série de difficultés.
On a remarqué quelques difficultés au sein de la fonction publique. Notamment, la plupart des ministères n'étaient pas emballés à l'idée d'avoir une nouvelle unité au centre du gouvernement. Ils pensaient, ces nouvelles unités ne durent pas longtemps; elles sont souvent agaçantes et entraînent généralement beaucoup de formalités administratives... Nous verrons ce qui se passera. Au départ, la difficulté avait trait à l'établissement de bonnes relations avec les ministres qui... Nous disions : « Nous vous aiderons à régler vos problèmes. Nous ne sommes pas les espions de Tony. Nous voulons vous aider à mener à bien le travail que le Cabinet a accepté. » Lorsque de hauts fonctionnaires nous disaient : « Qui êtes-vous? Pourquoi devrions-nous vous écouter? » Nous leur répondions : « Nous formerons une petite équipe. Nous ferons en sorte que le premier ministre se concentre sur ce programme pour qu'il ne change pas d'idée. Nous vous aiderons aussi à régler vos problèmes et, une fois que vous les aurez réglés, nous vous attribuerons le mérite. » Nous avons donc établi ces relations clés et avons cherché le moyen de les rendre efficaces, de façon à ce qu'ils comprennent qu'il y a un avantage mutuel. Ensuite, je crois que la mise en place des systèmes de données était essentielle. Le premier ministre ne remarquerait pas ce travail, mais il s'agissait d'un travail fondamentalement important. Il fallait que les 43 services de police en Angleterre utilisent une méthode semblable pour répertorier les crimes et en faire rapport chaque mois. Il a fallu environ un an pour réaliser ce travail de base. Selon moi, il s'agit des principaux défis : le changement des méthodes de travail des politiciens, l'établissement de relations avec la fonction publique et la mise en place des systèmes de données.
Qu'en est-il de l'intégration du processus d'élaboration de politiques et de leur mise en oeuvre car, nous pensons parfois qu'il s'agit de deux étapes distinctes? Comment vous y êtes-vous pris? Avez-vous eu des problèmes?
Ça a été difficile et il a fallu y travailler. Pour réussir, il a fallu, avec le temps, mettre en place le système de données et de contrôles périodiques (que nous appelons bilans); tous les deux mois, Tony Blair rencontrait, par exemple, le secrétaire d'État à la santé ou le secrétaire d'État à l'éducation et vérifiait les progrès réalisés en lien avec les 250 objectifs fixés. Ces réunions d'examen sont en fait devenues des réunions d'élaboration de politiques et des réunions de mise en oeuvre. On élabore un plan qu'on estime adéquat; on commence à le mettre en oeuvre, à examiner ce qui se passe. On fait le bilan et vous constatez que ceci fonctionne, mais que cela ne fonctionne pas trop bien, ou que ça fonctionne ici, mais pas ailleurs. On apporte donc des modifications et on peaufine la politique. Ce que l'on reproche au gouvernement britannique lorsqu'il échoue, (et je cite un politicologue) c'est qu'il y a un manque de délibération. Je crois que nous avons mis en place une solide délibération, un débat éclairé par des faits, entre le premier ministre, le ministre et leurs conseillers. Puis, on prend une décision. Ainsi, la politique a été continuellement peaufinée. Nous avons commis une erreur lors de la mise en place de la première unité, une erreur qui, selon moi, peut être évitée ici et ailleurs. En effet, il n'est pas nécessaire d'élaborer un plan d'obtention de résultats parfait au début. Il faut simplement qu'il soit suffisamment bon pour pouvoir débuter et, une fois que les méthodes sont en place, les plans peuvent être examinés, peaufinés et améliorés en cours de route et ceci comprend l'élaboration et la mise en oeuvre des politiques.
Qu'en est-il des données et des indicateurs? Est-il important de se doter d'indicateurs dès le début, ou risquerait-on d'exécuter un processus pour constater qu'on ne peut pas mesurer les objectifs fixés ou faire rapport sur ceux-ci?
Je crois que vous devez faire de votre mieux en commençant, mais il se peut que vous constatiez que les systèmes de données dont vous disposez ne sont pas adéquats et vous devrez alors les mettre au point au fil du temps. En ce qui a trait aux objectifs fixés, je crois que les changements climatiques seraient un bon exemple pour le Canada ou d'autres pays. Vous fixez un objectif pour les émissions en 2030. C'est donc un objectif à long terme. Comment saurez-vous, en 2018 ou 2019, si vous vous rapprochez de cet objectif? Il peut ne pas s'agir uniquement de la mesure des émissions totales. Vous devrez peut-être surveiller d'autres choses que vous avez mises en place. Par exemple, j'ai travaillé avec de grands systèmes dans des universités publiques aux États Unis. Ces universités tentaient d'améliorer le taux d'obtention de diplôme en six ans. Dans le cas d'un étudiant qui en est au premier semestre de la première année, qu'est-ce qui pourrait nous indiquer s'il est en bonne voie pour obtenir son diplôme en six ans? Nous avons constaté que si un étudiant se rend à la bibliothèque, qu'il apprend à s'en servir et qu'il commence à la fréquenter dès le premier mois, il s'agit d'une bonne indication qu'il est sur la bonne voie et qu'il n'abandonnera pas l'université. Dans le cas contraire, il y a un risque qu'il abandonne. Vous pouvez donc faire quelque chose pour l'éviter. Je crois que si vous avez un objectif à long terme, si vous déterminez quels sont les principaux indicateurs et quelles sont les situations que vous pouvez influencer à court terme, vous serez mieux à même de réussir. Voici un autre exemple du Pendjab, au Pakistan. Nous tentons de diminuer la mortalité infantile. Nous connaissons un facteur lié à la mortalité infantile à long terme, soit la présence ou non d'une sage-femme qualifiée lorsqu'une mère accouche. Voilà une situation que nous pouvons influencer. Nous réalisons des progrès. Ainsi, nous ne savons pas encore ce qui se produira au chapitre de la mortalité infantile, mais nous sommes sans doute sur la bonne voie pour réduire son incidence. À mon avis, il est important de réfléchir aux systèmes de données en fonction de l'objectif principal, mais également d'après les indicateurs clés qui révèlent si vous êtes sur la bonne voie. Et c'est seulement grâce à ces indicateurs que vous pouvez peaufiner la politique.
Le Royaume-Uni dispose d'un régime politique différent du régime canadien. Ici, nous avons un régime fédéral en vertu duquel les provinces et les territoires disposent de nombreux pouvoirs. Parfois, le gouvernement fédéral a peu de latitude sur le plan des politiques pour certains éléments que nous souhaitons influencer. Selon vous, de quelle façon une approche en matière d'obtention de résultats fonctionne-t-elle dans un régime fédéral comme celui que nous avons au Canada?
La première chose que je dirais pour répondre à cette question, qui est de toute évidence fondamentale pour l'histoire du Canada et la relation actuelle entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux... Je dirais tout d'abord que la méthode d'obtention de résultats sera vraiment efficace, car elle permet d'expliciter l'ensemble du processus. Si vous avez un programme sur les changements climatiques ou sur l'infrastructure, en fixant des objectifs, en élaborant le plan d'obtention de résultats, vous précisez ce que vous tentez d'accomplir et donc vous indiquez en quoi vous êtes tributaires des provinces ou des municipalités pour l'exécuter. Ainsi, vous préciserez le problème ou le défi. C'est le premier point.
Le second point a trait au fait que la Grande-Bretagne (ou à tout le moins l'Angleterre) possède un système plus unitaire que le système canadien. En fait, vous devez réfléchir, même dans un système unitaire, à la façon dont vous amènerez tous les intervenants, à tous les niveaux, qu'il s'agisse des enseignants, des directeurs d'école, des conseils scolaires, des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral (les administrations municipales, les provinces et le gouvernement fédéral), à collaborer au changement de l'infrastructure, du transport, du logement, etc. Ainsi, l'approche en matière d'obtention de résultats aidera à apporter des précisions, mais, en fin de compte, tout dépend de la qualité du dialogue entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. Plus important encore, c'est l'appel lancé par le gouvernement fédéral aux citoyens canadiens et la mesure dans laquelle les citoyens disent ceci aux gouvernements fédéral et provinciaux : « Oui, c'est ce que nous voulons faire et nous souhaitons que cela se produise. Nous voulons que les Autochtones disposent de meilleures chances et voulons corriger cette lacune. Nous voulons un transport en commun de meilleure qualité dans les grandes villes. Nous voulons que cela se fasse dès que possible. » Ainsi, nous vous demandons de régler ces problèmes et de ne pas en venir à une impasse, comme ce fut souvent le cas au Canada, entre les provinces et le gouvernement fédéral. Je pense donc qu'il y a deux aspects à retenir : la qualité de la relation entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux, ainsi que la relation entre le gouvernement fédéral et la population canadienne, et si, en fait, elle exige vraiment que le programme pour lequel le gouvernement a été élu se concrétise. Si c'est le cas, les gouvernements provinciaux le sauront, et les négociations auront de meilleures chances de réussir.
Merci beaucoup, Sir Michael!
Merci!