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Dans l'intérêt public : ma vie dans la fonction publique (TRN5-J02)

Description

Cette publication de Richard Dicerni (1949-2023) réunit des souvenirs, des leçons apprises et des réflexions sur les défis qu'ont surmontés des cadres supérieurs dans les secteurs public et privé au Canada.

Publié : 17 mars 2025
Type : Outil de travail
Séries : Série Analyses et réflexions

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Dans l'intérêt public : ma vie dans la fonction publique

Dans l'intérêt du public : ma vie dans la fonction publique réunit des souvenirs, des leçons apprises et des réflexions sur les défis qu'ont surmontés des cadres supérieurs dans les secteurs public et privé au Canada.

Ancien sous-ministre d'Industrie Canada, ancien chef de la direction par intérim d'Ontario Power Generation et membre de l'Ordre du Canada nommé en 2017, Richard Dicerni (1949-2023) laisse des écrits sur ses réalisations professionnelles et propose un regard unique sur les préoccupations contemporaines auxquelles doivent faire face les hauts fonctionnaires (parties prenantes fragmentées, croissance de l'appareil gouvernemental, montée des médias sociaux, scepticisme de la population, perte de confiance et fragilité croissante). Il suggère des façons stratégiques d'interagir avec les autres, de communiquer de manière intentionnelle et de bâtir la confiance en donnant de bons conseils, en faisant preuve de transparence, en respectant les responsabilités des autres et en résolvant les problèmes en collaboration.

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Dans l'intérêt public : ma vie dans la fonction publique (version web)

Avant-propos de Taki Sarantakis

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Le présent mémoire fait partie de la série Analyses et réflexions de l'École de la fonction publique du Canada. Cette série permet aux apprenants de porter un nouveau regard sur les enjeux modernes grâce à des analyses et à des réflexions sur des événements, des politiques et des décisions qui ont servi de références au cours du dernier siècle.

La carrière de Richard Dicerni s'est déroulée à une époque de transformation au sein du gouvernement, où; l'interaction entre l'innovation et la conservation du statu quo a contribué à façonner une approche modernisée de la gouvernance et des politiques publiques. Ses mémoires ne sont pas seulement une chronique de ses jalons professionnels, mais elles consistent également en une invitation à réfléchir aux valeurs qui sous-tendent la fonction publique : l'intégrité, la responsabilisation, l'intendance, le respect et l'excellence.

Les réflexions de Richard font ressortir non seulement les subtilités de la prise de décision et de l'administration publique, mais elles révèlent aussi l'impact profond de la collaboration et du leadership éthique. En témoignant de ses expériences et des leçons qu'il a apprises, Richard nous invite à faire nos propres prises de conscience au fil de notre lecture, à y puiser de l'inspiration et à reconnaître le rôle décisif que jouent les fonctionnaires dans l'édification de notre société et le maintien de la confiance du public.

À une époque où; la confiance et l'authenticité sont plus importantes que jamais, ce livre est la preuve de son profond sens du dévouement et du service, et constitue un hommage digne d'un fier fonctionnaire.

Taki Sarantakis
Président, École de la fonction publique du Canada

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Avant-propos de Carole Swan

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L'extraordinaire carrière de cinq décennies de Richard Dicerni s'est déroulée au sein des gouvernements fédéral et provinciaux, dans les établissements d'enseignement et dans le secteur privé. Au cours de sa carrière, il a travaillé en étroite collaboration avec 25 ministres et une dizaine de ministres d'État, et directement avec les premiers ministres conservateurs, libéraux et néo-démocrates. Il mettait en pratique ce qu'il prêchait : il disait souvent, avec le sourire, que les fonctionnaires devaient être des « monogames en série » avec le parti au pouvoir. Et il l'était bel et bien, toujours en train d'établir des relations solides et de confiance avec les ministres et les premiers ministres de toutes les allégeances.

Richard est né et a grandi à Lachine, au Québec. Il était un fier francophone issu d'humbles racines. Sa scolarité formelle s'est déroulée en français et en latin, et il a appris l'anglais en participant à des matchs de baseball de rue. Il était parfaitement bilingue, si bien que la plupart pensaient que sa langue maternelle était l'anglais. Richard a commencé sa carrière en tant que membre du personnel politique du ministre libéral Robert Andras dans le gouvernement de Pierre Trudeau. Il s'est joint à la fonction publique au début des années 1970 et est devenu directeur des communications à la Commission d'assurance-chômage et le reste, comme on dit, appartient à l'histoire, histoire que vous lirez dans ces pages.

Vous ne lirez pas seulement l'histoire de ses nombreux emplois stimulants et intéressants. Richard a distillé ses nombreuses expériences en « leçons » qui, selon lui, seraient intéressantes et, espérait-il, utiles à d'autres cadres de la fonction publique.

Richard était à l'avant-garde de nombreuses politiques publiques importantes. Brillant stratège, il a servi les gouvernements fédéral et provinciaux de toutes les variétés politiques et a été à la tête d'une société d'État et d'une association de médias. Farouche défenseur du Canada, il a joué un rôle essentiel dans le cadre de la stratégie du gouvernement fédéral lors du référendum de 1980 sur l'avenir du Québec au Canada. Il était également particulièrement fier de son travail sur l'élaboration de la première stratégie nationale de lutte contre le sida. En tant que chef de la direction par intérim d'Ontario Power Generation, il a dirigé la société pendant une période complexe. À titre de sous-ministre d'Industrie Canada, il a joué un rôle essentiel au chapitre des politiques dans les domaines en plein essor des télécommunications, des sciences et de la technologie.

Richard a pris sa retraite de la fonction publique fédérale en 2012, mais il n'excellait pas vraiment dans ce domaine. En 2014, il a donc accepté l'invitation du premier ministre Jim Prentice à agir à titre de sous-ministre du Conseil exécutif de l'Alberta et de chef de la fonction publique dans cette province. Il a continué d'occuper ce poste à la demande de Rachel Notley lorsqu'elle est devenue première ministre en 2015. Richard est resté en Alberta jusqu'en 2016, année durant laquelle il a pris sa retraite de nouveau et est retourné à Ottawa.

Mais, bien sûr, Richard n'a jamais vraiment pris sa retraite. De retour à Ottawa, il a assumé un certain nombre de rôles et de responsabilités : premier président du Conseil consultatif de gestion de la GRC, président du Comité de modernisation de la Commission de l'énergie de l'Ontario, puis président de la Commission de l'énergie de l'Ontario, président de deux comités de vérification ministériels fédéraux, conseiller pour le développement d'un service ferroviaire voyageur rapide entre Québec et Toronto et il a continué d'établir des liens avec l'Alberta en tant que membre du conseil d'administration des Services de santé de l'Alberta.

Richard croyait passionnément à la gestion des talents et a fourni des possibilités de perfectionnement et de formation pour ses subordonnés tout au long de sa carrière. Il a contribué à la conception d'un cours pour les sous-ministres adjoints à l'Ivey Business School pendant près d'une décennie et l'a enseigné. De 2016 à 2020, il a été directeur académique du programme des sociétés d'État à l'Institut des administrateurs de sociétés.

Richard a été nommé membre de l'Ordre du Canada en 2017 et reconnu en 2018 par le Forum des politiques publiques qui lui a remis un prix d'honneur.

La porte de Richard a toujours été ouverte aux fonctionnaires de tous les échelons. Il a été le mentor de nombreux hauts fonctionnaires, y compris des collègues sous-ministres, qui ont régulièrement fait appel à sa sagesse. De nombreux sous-ministres et sous-ministres adjoints sont venus chez nous pour prendre un café et discuter avec Richard. Tous sont repartis avec les précieux conseils d'un brillant stratège. Deux des conseils les plus mémorables de Richard aux sous-ministres sont inclus en appendice de ce livre. La première est une lettre à un nouveau sous-ministre contenant les meilleurs conseils de Richard sur la façon d'être réellement un sous‑ministre. La seconde est une lettre à un sous-ministre qui prend sa retraite, le conseil reflétant ici les leçons de vie de Richard.

Richard était vraiment l'exemple même du fonctionnaire accompli. Il a offert des conseils audacieux à titre de spécialiste de la résolution de problèmes non partisan. Il connaissait le pays comme peu d'autres le connaissaient; il le connaissait par ses deux solitudes classiques et dans les deux langues officielles. Il le connaissait du point de vue fédéral et provincial (Ontario et Alberta). Il a servi tous les partis avec la même intégrité et la même prévenance, et croyait fermement à la nécessité d'une fonction publique forte et non partisane. C'était un fonctionnaire remarquable, un mentor généreux et un ami attentionné. Il était aussi intrépide, espiègle, fort intelligent et curieux. Il a toujours été motivé par l'intérêt public.

Richard a commencé à écrire ce livre au début de 2023. Malgré d'importants problèmes de santé, il a continué d'écrire jusqu'à la fin de sa vie plus tard cette année-là. Hélas, Richard n'a pas été en mesure de terminer la révision de son manuscrit, de sorte que la tâche est revenue à ses anciens collègues Paul Boothe, qui a joué un grand rôle dans l'achèvement de ce manuscrit, et Michael Keenan, ainsi qu'à moi. Pour sa part, Taki Sarantakis, président de l'École de la fonction publique du Canada, a permis la concrétisation de ce livre, conformément à la promesse qu'il avait faite à Richard.

Beaucoup de gens m'ont dit que Richard a changé leur vie, en les mettant au défi, en les soutenant, en leur donnant des possibilités de se perfectionner. Richard demandait souvent : « Comment saurez-vous quand vous aurez réussi? À quoi ressemble la réussite? » Pour un fonctionnaire, cette mesure doit avoir fait une différence dans la vie des personnes qu'il a mises au défi et encadrées, dans la vie des Canadiens pour qui il a tant travaillé dans l'intérêt public. Richard Dicerni a assurément été un agent de changement.

Carole Swan


Introduction

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Richard Dicerni
Richard Dicerni
(1949-2023)

Ce livre parle de ma vie dans la fonction publique. C'est en partie des mémoires, en partie des leçons apprises et en partie des discussions sur les réalisations qui m'ont rendu fier d'être fonctionnaire. En me lançant dans cette entreprise, j'ai été encouragé par mon épouse, Carole Swan, ainsi que par plusieurs anciens collègues qui m'ont fait remarquer que je pourrais avoir une perspective unique sur la gestion, ayant occupé des postes de direction dans les services publics fédéraux et provinciaux, les sociétés d'État et le secteur privé.

Je voulais aussi laisser à mes enfants, Suzanne et Patrick, et à mes petits-enfants, un héritage de ce que j'ai accompli dans ma vie professionnelle, qui, à certains égards, a été reconnue par l'honneur d'être nommé membre de l'Ordre du Canada en 2017.

Dans les dix-sept premiers chapitres, j'examine les emplois que j'ai occupés au cours de ma carrière et je propose des idées que j'ai recueillies au fil des ans, souvent avec le recul, qui s'appliquent à de nombreuses situations auxquelles les cadres du gouvernement et des sociétés d'État sont confrontés chaque jour.

Dans le dernier chapitre, j'ai défini les nouveaux défis auxquels les hauts fonctionnaires d'aujourd'hui doivent faire face dans un environnement beaucoup plus complexe que celui auquel j'ai dû faire face au cours de ma carrière. Il y a de nombreuses raisons à cela, y compris les médias sociaux, les intervenants de plus en plus atomisés, la croissance importante du nombre de membres du personnel dans les cabinets ministériels et de leur rôle, et la dérive délibérée, bien que parfois accidentelle, vers l'autonomisation des organismes centraux. De plus, les fonctionnaires font maintenant face à un public plus sceptique que jamais; la confiance dans les institutions est en déclin et de plus en plus fragile.

Les problèmes pernicieux — problèmes qui ne peuvent pas être résolus, mais seulement gérés — abondent, y compris la réconciliation à l'échelle nationale et régionale avec les communautés autochtones, les changements climatiques, les problèmes de retard en matière de productivité et de compétitivité par rapport aux États-Unis, pour n'en nommer que quelques-uns. Ces défis sont plus graves que jamais. Ce qui a changé, c'est que l'environnement dans lequel les cadres du secteur public doivent faire leur travail est beaucoup plus fracturé et polarisé qu'auparavant.

Enfin, j'offre des suggestions sur la façon de relever certains de ces défis. Je crois qu'il y a du mérite à adopter une approche de retour à l'essentiel en ce qui concerne l'administration publique, une approche qui comprend l'accent mis sur la réalisation des choses, la mobilisation stratégique des intervenants, la communication intentionnelle et la garantie que des mesures, des résultats et des jalons font partie de toute politique et de tout programme.

La confiance est un ingrédient fondamental nécessaire au fonctionnement du système. La confiance est une monnaie qui ne peut pas être achetée ou transférée. Elle doit être gagnée tous les jours, toutes les semaines, tous les mois. Elle se gagne en donnant de bons conseils, en faisant preuve de transparence, en respectant les responsabilités de chacun et en résolvant les problèmes en coopération. Sans confiance et respect mutuels, c'est un parcours du combattant pour tout le monde.

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Chapitre 1 : Cabinet de M. Andras, 1969-1973

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Je suis né à Lachine, en banlieue de Montréal, en 1949. Toute mon éducation s'est déroulée en français. J'ai obtenu mon diplôme de premier cycle au Collège Sainte-Marie, l'un des trois établissements de premier cycle dirigés par les Jésuites (les autres étaient Brébeuf et Loyola). Mes années universitaires ont coïncidé avec plusieurs initiatives sociétales clés du gouvernement du Québec, y compris la création d'un ministère de l'Éducation, qui allait arracher le contrôle de l'éducation à l'Église catholique, Hydro-Québec, qui serait détenue et gérée par des Québécois et le Régime des rentes du Québec, distinct du régime fédéral.

À l'automne 1969, je suis allé à Ottawa pour étudier le droit à l'Université d'Ottawa. Après quelques mois, je me suis rendu compte que je voulais faire autre chose. Comme j'avais signé un bail, j'ai dû trouver un emploi, et après plusieurs entrevues infructueuses pour des emplois très différents, j'ai décroché un poste d'assistant de recherche dans le cabinet de l'honorable Robert Andras, ministre sans portefeuille, responsable de ce qui s'appelait alors la Société centrale d'hypothèques et de logement (maintenant la Société canadienne d'hypothèques et de logement, SCHL).

À l'époque, les bureaux ministériels étaient petits : un adjoint de direction, un responsable des communications, quelques adjoints et un ou deux chercheurs. J'aidais Carol Mahood, qui était l'adjointe législative. J'ai commencé le 1er décembre 1969, et le destin est intervenu presque immédiatement. Carol avait pris congé tout le mois de janvier pour des vacances bien méritées. Le dernier jour de janvier, elle a envoyé un télégramme informant le ministre qu'elle était tombée amoureuse et qu'elle ne revenait pas. Dan Coates, l'adjoint exécutif du ministre, m'a suggéré d'assumer le poste de Carol. J'ai donc été promu au rôle de nouvel adjoint législatif, en me concentrant principalement sur le Parlement, la période des questions, le caucus du gouvernement et le Québec.

J'ai continué à travailler pour M. Andras pendant les trois années et demie suivantes. En 1972, il est passé à la Consommation et aux Affaires commerciales, puis à l'Emploi et à l'Immigration. Ce mandat plutôt long (le mandat moyen d'un fonctionnaire dans un cabinet de ministre était alors d'environ deux ans) est attribuable à deux facteurs. J'avais prévu de partir au début de l'été 1972, après des élections printanières prévues, car j'avais été accepté pour un programme d'études supérieures à la London School of Economics à partir de l'automne. Mais les élections ont été reportées du printemps à l'automne, et par loyauté envers le ministre, j'ai senti que je ne pouvais pas partir. Au lieu de cela, je resterais jusqu'à l'élection et partirais après quelques mois. Le deuxième facteur a été le résultat de l'élection : 109 pour les libéraux, 107 pour les progressistes-conservateurs, 31 pour les néo-démocrates et 18 pour le Crédit social. Cette promesse d'un Parlement instable a rendu difficile, voire impossible, pour un ministre de recruter de nouveaux employés : les temps étaient trop incertains pour que les gens veuillent déménager à Ottawa. Alors, je suis resté.

Être adjoint ministériel est le poste idéal pour apprendre. Le travail nous place dans une perspective à partir de laquelle on peut voir comment les grandes organisations fonctionnent, comment le processus de prise de décision se déroule et comment les priorités sont établies. Tout au long de ma carrière de haut fonctionnaire, à Ottawa, à Queen's Park et en Alberta, j'ai toujours cherché à recruter dans la fonction publique les meilleurs et les plus brillants adjoints qui travaillaient dans le cabinet d'un ministre, que le ministre soit libéral, progressiste-conservateur ou néo-démocrate. Mon raisonnement était que les anciens adjoints ministériels ont toujours apporté un sentiment d'urgence à faire avancer les choses. Ils ont facilement saisi la perspective horizontale : ils peuvent saisir l'incidence qu'une proposition donnée aurait à tous les niveaux. Les grandes bureaucraties vivent souvent dans des silos bien intentionnés ou des compartiments séparés. Que ce soit en tant que sous-ministre adjoint ou en tant que sous-ministre, j'ai toujours été sensible à l'approche par « réflexion de groupe », où; tout le monde est d'accord les uns avec les autres dans le confort de son silo. Le fait d'avoir d'anciens membres du personnel politique m'a toujours aidé à avoir une vue d'ensemble de la situation stratégique.

Les hauts fonctionnaires en action

Puisque le cabinet de M. Andras était relativement petit, j'ai eu de nombreuses occasions comme adjoint au ministre d'en apprendre davantage sur d'autres aspects de la vie gouvernementale, en particulier de voir les sous-ministres et les sous-ministres adjoints en action. Au cours de mon mandat, j'ai pu en observer plusieurs et en tirer des leçons : Gordon Osbaldeston, qui est devenu greffier du Conseil privé, Jack Manion, qui est devenu secrétaire du Conseil du Trésor, Allan Gotlieb, qui est devenu sous‑ministre des Affaires étrangères et Roger Tassé, qui est devenu sous-ministre de la Justice. Ces hauts fonctionnaires d'expérience avaient une bonne compréhension de l'intérêt public et de la nécessité de respecter leur couloir d'activités, c'est-à-dire leur responsabilité à l'égard de leurs propres régions. J'ai aussi vu les liens qu'ils entretenaient avec les ministres et les adjoints dans les cabinets ministériels.

Les leçons que j'ai apprises n'ont pas toutes été agréables. Quelques semaines après mon entrée en fonction à titre de sous-ministre de l'Emploi et de l'Immigration en avril 1973, Allan Gotlieb m'a invité à luncher au Château Laurier. J'ai supposé qu'il voulait en savoir davantage sur le ministre et le ministère, car je travaillais activement à un large éventail de dossiers. Mon hypothèse était erronée. À la fin d'un repas très agréable, mais rapide, M. Gotlieb m'a informé que c'était la dernière fois que lui et moi communiquerions directement. En aucun cas, je ne devrais lui écrire ou chercher à communiquer avec lui. À partir de ce moment-là, je ne traiterais qu'avec son adjoint exécutif. Il a également décrit une série d'autres mesures concernant notre relation future. Il a senti que je n'étais pas très heureux de cet effondrement de mon « pouvoir », alors il a rapidement noté que « tout ce que je viens de dire, Bob est totalement d'accord avec moi. Nous en avons discuté lorsque Bob et Fran [Mme Andras] sont venus souper hier soir ». Les jeux étaient faits. Le pendule du pouvoir avait basculé trop loin en direction du cabinet du ministre. Il fallait maintenant corriger le tir.

J'ai appris d'autres leçons au sujet de la fonction publique. M. Andras avait fait valoir de façon convaincante à Michael Pitfield, alors sous-secrétaire au Bureau du Conseil privé (BCP), que le gouvernement devait se ressaisir dans les affaires urbaines, d'autant plus qu'à l'époque (1970), 75 % des Canadiens étaient des citadins. Le ministre avait fait valoir que le gouvernement, par l'intermédiaire du ministère des Transports (aéroports et gares), des Travaux publics (grands édifices fédéraux), de la SCHL (programmes de rénovation urbaine) et d'autres organismes, avait une forte incidence importante sur les villes. Il fallait donc établir un ministère d'orientation qui n'aurait pas de responsabilités en matière d'exécution des programmes, mais qui coordonnerait plutôt les mesures fédérales.

Ailleurs à Ottawa, le secteur des sciences et de la technologie vivait lui aussi des circonstances semblables et subissait les conséquences horribles d'activités non coordonnées, ce qui renforçait la nécessité d'une nouvelle approche. Par conséquent, dans le discours du Trône du 8 octobre 1970, deux nouveaux ministères d'État ont été annoncés. Ainsi, en juin 1971, le Parlement approuvait la création d'un ministère d'État pour les Affaires urbaines. Le ministre et son cabinet ont été très stimulés par la bénédiction officielle qu'Ottawa donnait à leur désir de prendre des décisions plus rationnelles sur la politique urbaine. On espérait grandement que les futures décisions stratégiques touchant les villes feraient l'objet de discussions à l'échelon fédéral, puis, au besoin, lors de réunions au sommet regroupant des représentants du gouvernement fédéral, du gouvernement provincial et de la ville concernés. Les gouvernements provinciaux, cependant, étaient un peu moins enthousiastes à l'égard de cette nouvelle entité fédérale.

Pour mettre en œuvre « le meilleur des mondes », le ministre et son personnel étaient d'avis que le sous-ministre du nouveau ministère d'État devait venir de l'extérieur du groupe actuel de fonctionnaires d'Ottawa. La vision et l'imagination étaient les attributs clés que le nouveau sous‑ministre devait avoir. En revanche, le greffier du Conseil privé, Gordon Osbaldeston, faisait valoir que les responsabilités de coordination interne nécessiteraient un cadre chevronné qui connaissait bien les rouages d'Ottawa. Malgré la recommandation polie, mais ferme, du greffier de ne pas recruter un candidat ou une candidate de l'extérieur, le point de vue de M. Andras a prévalu. Le nouveau sous-ministre nommé était un universitaire énergique qui partageait la vision de M. Andras. Un élément clé de son travail serait d'« éduquer » ses collègues sous-ministres en les sensibilisant à l'importance inhérente d'une politique urbaine robuste et cohérente.

Son approche n'était pas guidée par des années d'expérience comme sous-ministre, comme c'était le cas des sous-ministres chevronnés de Transports Canada et de Travaux publics. De plus, les sous-ministres ont commencé à envoyer des remplaçants aux réunions de coordination régulières, puis à remplacer les remplaçants, ce qui n'a - hélas - pas eu d'effet concret sur son approche de l'exécution de son mandat. Les visionnaires profitent rarement des idées recueillies par l'intermédiaire de connexions latérales. Il aura fallu huit ans avant que la bureaucratie ne déclare la victoire et que le ministère soit aboli. Tout au long de cette période, les gouvernements provinciaux, qui ont une autorité constitutionnelle sur les villes, villages et municipalités, ont fait preuve d'un manque d'intérêt singulier à s'engager avec leur homologue fédéral de la planification et n'ont pas critiqué sa disparition.

Quand j'y repense, je tire deux leçons de ces incidents. La première est l'importance de la gestion des talents. De très bons cadres peuvent créer de très mauvais organigrammes, et les programmes flous fonctionnent dans l'intérêt public. De même, les moins bons cadres gâcheront la meilleure politique et le meilleur organigramme. Le recrutement du candidat préféré de M. Andras en tant que sous-ministre a sapé l'objectif d'une politique urbaine intégrée. La deuxième leçon est que les réalités fondamentales ne doivent pas être perçues et traitées comme des faits gênants. Les gouvernements provinciaux n'étaient pas enclins à renoncer à leur responsabilité constitutionnelle à l'égard des municipalités. La prise de décisions dans chaque ordre de gouvernement est complexe et souvent litigieuse. Le rêve de voir les trois ordres de gouvernement prendre une décision mutuellement acceptable dans un délai raisonnable est un noble rêve. Ce n'est tout simplement pas réaliste, ni faisable.

Traiter avec les sociétés d'État

Au départ, M. Andras était ministre sans portefeuille : il n'avait pas de ministère. Il était toutefois responsable de la surveillance de la SCHL. Comme le personnel de M. Andras n'était pas en mesure de traiter avec les fonctionnaires du ministère comme tels, il est facile de comprendre pourquoi nous avons traité les fonctionnaires de la SCHL de la même façon. Le fait que le président et le premier vice-président de la SCHL relevaient d'un conseil d'administration n'était pas, aux yeux du cabinet du ministre, une raison impérieuse de ne pas se rapporter à eux en tant que hauts fonctionnaires du ministère.

Avec le recul, le président de la SCHL de l'époque, Herb Hignett, et le premier vice‑président, Jean Lupien, ont fait preuve d'une patience et d'une réceptivité extraordinaires dans leurs rapports avec le cabinet du ministre. Ils faisaient de leur mieux pour gérer tout cela à l'intérieur d'un cadre de responsabilisation indépendant que mes collègues du cabinet du ministre et moi ne connaissions pas. Ce n'est que plus tard, lorsque je suis devenu chef de la direction d'une société d'État et que j'ai eu à traiter fréquemment avec le cabinet du ministre, que j'ai compris que les sociétés d'État sont établies sans lien de dépendance pour une bonne raison. La leçon à tirer ici est que chaque joueur devrait toujours chercher à respecter son rôle fondamental.

Traiter avec les parlementaires

Être politicien exige une attention de tous les instants. J'ai énormément de respect pour toutes les personnes qui veulent occuper cette fonction. Le grand public n'est pas conscient du nombre d'anniversaires des membres de la famille ou des amis que les politiciens manquent parce que le devoir les appelle. Il ne comprend pas non plus toujours que les politiciens ont des familles et des enfants qui entendent inlassablement les médias dire que leurs parents sont incompétents, stupides, paresseux ou qu'ils manquent d'intégrité. Le grand public n'accepte pas non plus toujours le fait que la plupart des politiciens travaillent dur et qu'ils essaient de faire la bonne chose selon leur boussole politique et morale. C'est un fardeau que tous les politiciens doivent porter.

En tant qu'adjoint de ministre, j'ai eu l'occasion de rencontrer de nombreux députés d'arrière-ban et de travailler avec eux. En général, les échanges étaient polis et professionnels. Le député insistait sur l'importance de reconnaître la perspicacité de son dossier et demandait à ce qu'il soit dûment pris en compte.. Cela s'appliquait à la fois aux questions d'élaboration de politiques et de mise en œuvre des programmes. Toutefois, certains membres du caucus avaient des approches moins conventionnelles. L'un d'eux, après un souper de Noël, m'a demandé de retourner avec lui à sa voiture. Il a ouvert le coffre et a mentionné avec désinvolture que la caisse de douze bouteilles de whisky Canadian Club était un cadeau de Noël pour moi. Mon regard de perplexité totale, soutenu par mon babillage dans un langage incohérent, l'a peut-être averti que je n'étais pas à l'aise avec son présent. Nous nous sommes quittés en bons termes. C'était peut-être ainsi que l'on faisait les affaires dans certains milieux.

Traiter avec les porte-paroles de l'opposition

En tant que ministre responsable du Logement, M. Andras avait deux porte-paroles officiels : Lincoln Alexander, pour le Parti conservateur, et John Gilbert, pour le NPD. Lorsque le président de la Chambre leur donnait la parole à la période des questions, j'avais immédiatement des palpitations… Ai-je informé le ministre de façon appropriée? Ai-je oublié quelque chose? Ces moments d'anxiété ne m'ont cependant pas empêché d'établir un rapport solide et cordial avec les deux. Le ministre s'en est réjoui et m'a encouragé à maintenir ces relations. Bien qu'ils aient été des concurrents politiques, ils n'étaient pas des ennemis à traiter avec une politique de la terre brûlée. Dans le même ordre d'idées, je me suis lié d'amitié avec Murray Cooligan, qui était adjoint exécutif du chef de l'opposition officielle, Robert Stanfield.

C'était une autre époque, où; la compétition au Parlement n'était pas un sport sanglant. Le maintien de relations appropriées avec les représentants de l'opposition est une pratique que j'ai poursuivie dans divers autres emplois, notamment en tant que sous-ministre de l'Industrie à Ottawa et sous-ministre du Conseil exécutif en Alberta. Ces types de liens informels ont toujours contribué à améliorer la qualité des discussions et à réduire le potentiel de critiques amères.

Les gouvernements minoritaires ont tendance à se concentrer davantage sur le court terme parce que, si aujourd'hui n'est pas bien géré, il n'y aura peut-être pas de lendemain. Les gouvernements minoritaires fragiles ont tendance à mettre l'accent sur la prise des décisions et la relation entre le corps politique et la fonction publique. Gordon Osbaldeston a dit un jour au ministre Andras que les intérêts du ministre et ceux de son ministère correspondaient dans 90 % des cas. Dans un gouvernement minoritaire, ce pourcentage est plus faible, et tout le monde doit tenir compte de cette réalité lorsqu'il prend des décisions.

Traiter avec la circonscription

Les ministres du Cabinet sont des députés élus pour représenter une circonscription; peu de personnes deviennent ministres si elles ne sont pas députées. La circonscription de M. Andras se trouvait à Thunder Bay, en Ontario. En 1972, comme il était très engagé dans la campagne électorale nationale et qu'il passait très peu de temps à Ottawa, on a décidé que la meilleure façon de l'aider était d'être à sa disposition à Thunder Bay. Cela m'a permis de traiter avec lui dans les dossiers ministériels lorsqu'il était là-bas et m'a donné l'occasion de mieux comprendre qui était le ministre, qui étaient ses amis et pourquoi il s'était lancé en politique (en 1965). J'ai aussi découvert que, comme moi, lui aussi était né à Lachine. Un ministre m'a dit un jour : « N'oubliez jamais, chaque ministre vient de quelque part », une remarque destinée à me faire comprendre qu'un ministre a des opinions, des valeurs, des croyances qui sont façonnées à bien des égards par la circonscription qu'il représente, par les amis qu'il a et par les expériences qu'il a vécues avant de se lancer en politique. Ceux-ci créent un cadre dans lequel les conseils qu'il reçoit des fonctionnaires sont intégrés. Cela explique en partie pourquoi un ministre du même parti peut adopter une approche quelque peu différente de celle de son prédécesseur dans le même dossier, avec le même groupe de fonctionnaires. Il ne faut jamais perdre de vue les racines de la circonscription d'un ministre dans la formulation des conseils.

Traiter avec les médias

L'une de mes premières leçons a été de comprendre le fonctionnement des médias. À l'été 1970, j'aidais le ministre dans plusieurs réunions d'affaires à Winnipeg. Parce que c'était l'année du centenaire du Manitoba, le ministre avait été invité à se joindre à d'autres dignitaires et à des particuliers pour une croisière en pédalo sur la rivière Assiniboine. Au bout d'un moment, j'ai repéré un journaliste du Globe and Mail que j'avais rencontré brièvement à Ottawa. C'était un bel après-midi chaud et ensoleillé. Nous avons discuté du gouvernement, des objectifs du nouveau ministère des Affaires urbaines, de la météo, etc. Dans l'ensemble, ce fut un après-midi très agréable passé avec un journaliste intelligent et sympathique.

Le lendemain matin, mon cœur s'est arrêté de battre quelques secondes lorsque j'ai commencé à lire l'essentiel de notre discussion dans l'article qui faisait la une du journal. Heureusement, je n'ai pas été identifié par mon nom, mais cité comme haut fonctionnaire du gouvernement. J'avais oublié - ou je ne le savais peut-être alors pas -, la règle d'or qui consiste à définir les conditions entourant une discussion avec les médias : est-ce que c'est une discussion confidentielle, officielle ou juste à des fins de contexte? Cet après-midi-là, je venais d'être soumis à un cours intensif sur les relations avec les médias. L'adjointe exécutive du ministre m'a bien averti et m'a suggéré de demander conseil à l'avenir à notre responsable des communications, qui était un ancien journaliste du Toronto Star. L'adjointe exécutive a ajouté : « En soi, il n'y a pas de mal à parler aux médias. Sachez simplement ce que vous faites, pourquoi vous le faites et quel est le résultat attendu. »

Chapitre 1 : Leçons

J'ai quitté mon poste auprès de M. Andras à l'été 1973. Pendant trois ans et neuf mois au cabinet du ministre, j'ai beaucoup appris, j'ai fait œuvre utile et j'ai bu à la fontaine de l'humilité à quelques reprises. Avec le temps, j'ai appris à apprécier les intervenants suivants :

  • Les médias : Ils ont un travail à faire. Lorsqu'on parle avec les médias, il est important que les règles soient clairement établies dès le départ et qu'il y ait de la clarté quant au résultat souhaité.
  • Les hauts fonctionnaires : Ils veulent aider leur ministre à réussir; certains sont plus créatifs et réceptifs que d'autres, mais le manque de compétence perçue ne doit jamais être confondu avec la déloyauté; le respect et la confiance entre les hauts fonctionnaires et le personnel ministériel sont indispensables.
  • Les sociétés d'État : Elles sont créées pour fonctionner sans lien de dépendance avec le gouvernement dans un but précis, et bien que des circonstances spéciales puissent justifier un rôle plus militant pour le ministre ou l'actionnaire, cela ne devrait être que temporaire; il est important de respecter les principes fondamentaux de la reddition de comptes.
  • La gestion des talents : Puisqu'un candidat sous-optimal peut saper de nombreuses initiatives politiques valables, une solide gestion des talents est essentielle à une mise en œuvre réussie.
  • Les parlementaires : La grande majorité des députés cherchent à renforcer l'intérêt public; les conseillers ministériels doivent donc avoir des relations constructives et professionnelles avec les parlementaires de tous les côtés de la Chambre.

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Chapitre 2 : Commission d'assurance-chômage, 1973-1975

23.80%

À l'été 1973, j'ai été nommé directeur des communications de la Commission d'assurance‑chômage (la Commission). Au fil du temps, mes responsabilités se sont élargies pour inclure le Secrétariat de la Commission et la Direction des langues officielles. En 1975, j'ai été promu au poste de directeur de la planification et de l'évaluation, région du Québec.

Directeur des communications

Au cours de l'hiver et du printemps 1973, le président de la Commission, Guy Cousineau, et moi avons développé de bonnes relations de travail. Nous nous sommes fait confiance. À un moment donné, il m'a demandé si j'avais pensé quitter le cabinet du ministre et me joindre à la fonction publique. Plus précisément, serais-je intéressé par le poste de directeur des communications à la Commission? J'étais naturellement ravi qu'il ait reconnu mes nombreux talents. Cette hypothèse a été quelque peu remise en cause lorsqu'il a mentionné qu'il avait offert l'emploi à huit autres personnes qui l'avaient refusé. J'étais plutôt le candidat du bas de la pile, car il n'avait plus d'autres solutions. Malgré les circonstances, j'ai accepté avec enthousiasme.

La Commission était dans un état plutôt lamentable. Au cours de la campagne électorale de 1972, un certain nombre de bénéficiaires de la Commission en Alberta avaient formé une « équipe de ski de la Commission d'assurance-chômage ». Ce n'était pas le type d'activité à laquelle la Commission voulait s'associer. L'existence de l'équipe de ski de la Commission a confirmé qu'il y avait un problème d'abus. S'il y avait des gens qui obtenaient de l'assurance-chômage alors qu'ils n'y avaient pas droit, il y en avait aussi beaucoup qui avaient légitimement besoin de prestations d'assurance-chômage, mais qui, en raison de défaillances du système, ne les obtenaient pas. Pour corriger cette injustice, la Commission a établi un processus de paiement parallèle qui fonctionnerait manuellement par opposition aux chèques générés par ordinateur.

Le seul problème était qu'il n'y avait pas de capacité réelle de concilier les systèmes manuels et informatisés. Les systèmes parallèles ont entraîné des milliers de trop-payés. Les trop-payés, à leur tour, ont mené à la création au sein de la Commission d'une nouvelle division du Contrôle des prestations ayant pour mandat de recouvrer les trop-payés. Malheureusement, ce système présentait également des lacunes qui ont parfois amené les agents de contrôle des prestations à tenter de récupérer les sommes qui avaient été payées correctement. Dans l'ensemble, ces problèmes ont fait l'objet de reportages horribles et constants dans les médias. Il n'est pas étonnant que huit personnes aient refusé le poste de directeur des communications à l'époque.

Fiabilité des rapports

Pour mieux comprendre les défis auxquels l'organisation était confrontée, j'ai visité les bureaux locaux de la Commission à Belleville, Kingston et Peterborough. Les trois directeurs de district ont travaillé pour la Commission pendant la majeure partie de leur carrière. Au bureau de Kingston, nous avons discuté du rapport hebdomadaire qui décrivait le nombre de demandes traitées et le nombre de demandes en attente de traitement. Le rapport comparait le rendement au cours d'une semaine donnée à celui de la semaine précédente. Dans l'ensemble, la situation semblait sous contrôle jusqu'à ce que le gestionnaire retire de son tiroir une pile d'une dizaine de demandes. Un autre tiroir a donné un volume semblable de demandes non traitées. Tous les gestionnaires avaient pris sur eux de statuer sur un certain nombre de demandes parce que le personnel était dépassé par le volume. Apparemment, cette sous-déclaration était assez courante, comme le confirmeraient les visites ultérieures au bureau. Ces demandes allaient être réintégrées à un moment donné dans le système. De cette façon, les fonctionnaires prenaient des mesures pour s'acquitter de leurs obligations envers les Canadiens sans emploi.

Le gestionnaire a ensuite donné une petite leçon d'histoire pour expliquer comment cela s'était produit. En 1971, sur la recommandation du ministre Bryce Mackasey, le gouvernement avait adopté la réforme la plus complète de la Loi sur l'assurance-chômage de son histoire. Compte tenu de la prévision d'une augmentation du taux de chômage en 1972, le gouvernement a insisté pour mettre en œuvre les changements rapidement, avant les élections. Malheureusement, la formation pour le nouveau programme, pour les formulaires de traitement des demandes et pour les systèmes informatiques, n'était pas tout à fait prête lorsque la nouvelle loi est entrée en vigueur. De plus, la Commission n'avait pas suffisamment d'employés pour faire face à la hausse importante du nombre de prestataires en raison de l'augmentation du taux de chômage et de l'augmentation du nombre de prestataires maintenant admissibles à la suite des modifications législatives apportées.

Il faudrait dix-huit mois pour se remettre du tsunami de demandes. Tout au long de cette période, nous avons souffert du manque de fiabilité des rapports de gestion.

Principes de base des ressources humaines

Dans l'une de mes premières mesures en tant que gestionnaire, je suis arrivé à la conclusion que mon groupe de 25 personnes pourrait tirer les bienfaits d'une réorganisation. J'ai informé le président, Guy Cousineau, qui pensait que c'était logique, mais qui m'a suggéré d'en parler à Gerry Nielsen, qui était directeur général des ressources humaines (RH). Gerry a également vu le bien-fondé des changements, mais a pensé que je devrais en discuter avec le directeur de la classification. Le directeur a fait quelques suggestions, mais m'a dirigé vers l'agent de classification. Après avoir présenté ma réorganisation réfléchie à trois cadres, j'avais bon espoir de pouvoir conclure l'affaire avec l'agent de classification. Il a écouté attentivement mon discours, a pris de nombreuses notes et s'est engagé à me recontacter dans les jours suivants. Quelques jours plus tard, il m'a envoyé une critique détaillée de mon plan, lequel a été complètement vidé de sa substance. Je venais de recevoir une leçon sur le système Hay de classification des emplois et le pouvoir des grands-prêtres de la classification. J'ai reçu en même temps une bonne leçon d'humilité – en plus de perdre la face devant mon équipe –, mais cela m'a été très utile lorsque j'ai entrepris des changements organisationnels plus tard dans ma carrière.

Je me souviens de quelques points après cet épisode. Le premier était la nécessité d'une justification claire et facilement compréhensible pour le changement organisationnel; c'est‑à‑dire, pourquoi cela serait-il mieux ainsi? Le deuxième était que les gouvernements opèrent dans de grands espaces bureaucratiques et ont besoin de règles pour fonctionner. Les règles régissant les RH, telles que la classification, en font partie.

Secrétaire général

En 1974, j'ai été promu au poste de secrétaire général. La Commission de l'assurance-chômage était une organisation tripartite avec un commissaire représentant les intérêts des travailleurs, un autre commissaire représentant les intérêts des entreprises et le président représentant l'intérêt public. En tant que secrétaire général, j'ai appuyé le travail de la Commission et, au fil du temps, je suis devenu une sorte de secrétaire général du président. Cela m'a donné un point de vue très spécial pour contribuer aux décisions stratégiques prises à la Commission.

L'autre aspect remarquable du fait d'être le secrétaire général, c'est que mon nom apparaissait sur tous les chèques de la Commission à côté de celui du président. Mes oncles et cousins de Montréal, qui ont été bénéficiaires, ont été profondément impressionnés et n'ont pas encaissé tous leurs chèques. Ils voulaient les montrer à leurs amis. J'avais rendu ma famille fière.

Mon nouveau portefeuille comprenait la responsabilité de la Direction des langues officielles. Chaque ministère avait une telle direction, dont le mandat était de déterminer le profil linguistique de tous les emplois, de faciliter la formation linguistique et de superviser la mise en œuvre de la nouvelle Loi sur les langues officielles.

Un mot sur le contexte. La mise en œuvre de la Loi sur les langues officielles dans la fonction publique fédérale a été l'une des initiatives de changement de culture les plus réussies jamais tentées. Trois personnes ont assuré un leadership stratégique dans le cadre de cet effort : Gordon Robertson, greffier du Conseil privé, Gordon Osbaldeston, secrétaire du Conseil du Trésor et Edgar Gallant, président de la Commission de la fonction publique. Dans les années 1960, la fonction publique fédérale était essentiellement une organisation anglophone. Cela était particulièrement vrai pour la haute fonction publique. Les francophones ont toujours été désavantagés.

Robertson passa de la parole aux actes en quittant temporairement son poste de greffier du Conseil privé pour se rendre à Québec avec sa famille afin d'apprendre le français. Au fil du temps, la fonction publique est devenue de plus en plus bilingue. Cette évolution a ouvert la voie au recrutement de cadres comme de Montigny Marchand, qui avait été secrétaire général de l'Université de Montréal et est devenu sous-ministre des Affaires étrangères, et Gaëtan Lussier, qui a quitté son poste de sous-ministre de l'Agriculture au gouvernement du Québec pour devenir sous-ministre fédéral de l'Agriculture.

Les hauts dirigeants de la bureaucratie fédérale dans les années 1970 ont pris de nombreuses initiatives et de nombreux risques pour atteindre le résultat souhaité d'avoir une fonction publique fédérale qui reflète la dualité linguistique du pays. On parle beaucoup ces jours-ci de l'exigence d'un changement de culture des organisations et de l'énorme quantité de temps qui sera nécessaire pour réaliser la transformation. Il n'est pas nécessaire que ce soit le cas. Il suffit de regarder le travail accompli dans les années 1970 pour transformer la fonction publique fédérale. Cela n'a pas pris une génération.

Le bureau régional de Montréal

Au printemps 1975, Guy Cousineau m'a parlé d'une expérience régionale. Il a précisément mentionné un nouvel emploi qui était en cours d'établissement dans les cinq bureaux régionaux. Il s'agirait d'une promotion au sein du groupe de la haute direction. Après quelques jours de cogitation, j'ai accepté son offre de devenir directeur de la planification et de l'évaluation pour la région du Québec. Guy était ravi et a mentionné que la prochaine étape serait une rencontre/entrevue avec Bert Wisking. Dans les années 1970, les nominations aux postes de direction étaient faites par la Commission de la fonction publique sur la base des conseils de M. Wisking, qui était directeur général du personnel-cadre. Compte tenu de mon cheminement de carrière inhabituel, M. Wisking avait dit à Guy qu'il serait heureux d'avoir l'occasion de me connaître avant de présenter sa recommandation à la Commission de la fonction publique. On m'a dit que M. Wisking avait trois options : il pouvait recommander une nomination, ne pas la recommander ou attendre avant de prendre sa décision s'il ne se sentait pas prêt.

Cette nouvelle étape a été une source d'anxiété non négligeable.

En fin de compte, M. Wisking a retenu la première option : recommander ma nomination. À ce moment-là, je n'étais pas particulièrement heureux de devoir faire approuver ma nomination par M. Wisking, mais j'ai vu plus tard le mérite d'avoir été accueilli par le gardien de l'accès lors de mon entrée dans les rangs de la direction. Par ailleurs, dans les emplois ultérieurs, j'ai cherché à institutionnaliser une variante du rôle de Bert Wisking. Dans les années 1970, Bert Wisking était un conseiller fiable et digne de confiance des sous-ministres, qui avait toujours la responsabilité ultime de l'embauche de cadres supérieurs.

J'ai commencé mon nouvel emploi à Montréal comme directeur de la planification et de l'évaluation en juin 1975. J'ai décidé de faire la navette entre Ottawa et Montréal plutôt que de déménager là-bas.

Le mandat et les responsabilités de mon nouvel emploi étaient un peu flous. Dans le cadre d'un changement organisationnel plus vaste, les cinq régions de la Commission avaient maintenant un directeur de la planification et de l'évaluation. Il y a eu beaucoup de consultations avec les quatre autres administrateurs en vue de clarifier notre mandat. Cela allait être un défi constant.

À court terme, cependant, le directeur régional voulait que je me concentre sur un problème immédiat dans notre salle informatique. La Commission était une grosse machine à libeller des chèques qui dépendait beaucoup de gros ordinateurs centraux pour « cracher » les chèques. Notre personnel de la salle informatique avait informé la direction qu'à un certain moment, dans un avenir proche, elle cesserait de travailler avec les ordinateurs, car les manuels informatiques étaient tous écrits en anglais. Le personnel soutenait qu'ils devraient être disponibles en français. Compte tenu des répercussions nationales possibles, j'ai communiqué avec Jean-Jacques Noreau, qui était sous-secrétaire du Conseil du Trésor responsable des langues officielles.

Quelques jours plus tard, un nouveau « problème » a fait surface. Les membres du personnel disaient qu'ils ne pouvaient pas allumer ou éteindre les ordinateurs ou les lumières parce que les interrupteurs étaient tous en anglais. Il est important de noter que ces événements se déroulaient dans le contexte d'un intense débat de société sur la langue et la culture françaises. L'Assemblée nationale venait d'adopter le projet de loi no 22, loi visant à faire du français la seule langue officielle au Québec. Il s'agissait de la première loi sur la langue, et ce ne serait pas la dernière. Le projet de loi était extrêmement controversé, certains soutenant qu'il n'allait pas assez loin, tandis que d'autres soutenaient qu'il allait trop loin. Notre personnel, même s'il ne manifestait aucune affiliation politique, n'était pas à l'abri de ces débats.

L'objectif important de notre côté était de poursuivre le dialogue, puisque la salle informatique était le cœur battant du bureau régional. Nous avons mis en place des discussions formelles avec le syndicat et certains canaux informels. Comme il s'agissait d'un problème national touchant de nombreux ministères, nous avons proposé d'acheminer la question à l'échelon supérieur du Secrétariat du Conseil du Trésor. Notre syndicat a appuyé cette approche et a accepté de suspendre les pratiques qui ont eu une incidence négative sur les activités. En 1977, après de longues négociations, le gouvernement fédéral a annoncé une nouvelle politique qui comprenait une prime au bilinguisme de 800 $pour les titulaires de postes désignés bilingues. Le personnel a alors officiellement récupéré la capacité de lire les interrupteurs. Le processus d'envoi de chèques aux Canadiens sans emploi n'a pas été touché au cours de ces discussions.

J'ai trouvé les réunions avec les 26 directeurs de nos bureaux de district très intéressantes. C'était révélateur d'obtenir leur point de vue sur l'utilité des conseils du bureau principal et sur la façon dont ils voyaient leur rôle dans la communauté. Aussi stimulant que cela ait pu l'être, cela venait souligner la réalité selon laquelle je n'étais plus à l'administration centrale. Si je voulais faire quelque chose qui nécessitait une bénédiction de l'administration centrale, je devais convaincre mon supérieur, le directeur général Pierre Gadbois, qui à son tour devrait convaincre son supérieur, le sous-ministre adjoint des Opérations régionales. Selon la proposition, il serait ensuite transmis au sous-ministre adjoint approprié. C'était quelque peu frustrant et débilitant.

Être à Ottawa me manquait pour des raisons personnelles et professionnelles, et j'ai quitté le poste de la Commission au printemps de 1976.

Chapitre 2 : Leçons

En repensant à l'époque où; j'étais à la Commission d'assurance-chômage, j'ai acquis un certain nombre de connaissances.

  • L'importance de la production de rapports fiables : Les rapports hebdomadaires sur l'arriéré étaient imparfaits et ne tenaient pas compte de la réalité opérationnelle. Dans les grandes organisations décentralisées, l'intégrité des mises à jour opérationnelles doit être validée de temps à autre.
  • Changement de culture : Le gouvernement fédéral a connu un changement culturel de taille lorsque la Loi sur les langues officielles a été promulguée et mise en œuvre. Un changement culturel peut se produire s'il y a à la fois une volonté politique et un engagement de la fonction publique pour y parvenir.
  • Bureaux locaux : Les grandes organisations ayant de nombreuses couches dans l'organigramme courent le risque de voir la réalité dans la perspective de leur bureau principal. Les gestionnaires de district de l'Ontario et du Québec ont fourni des renseignements utiles sur l'application de la loi, les bénéficiaires et l'utilité inégale des lignes directrices de l'administration centrale.
  • Gestion des talents : Bert Wisking a joué un rôle essentiel dans la gestion des talents des cadres supérieurs de la fonction publique fédérale. Au fil du temps, à mesure que le nombre augmentait, cette responsabilité a été, naturellement, déléguée aux sous‑ministres. Il est toutefois utile de réfléchir au concept de gardien dans les ministères pour les personnes qui se joignent à des postes de direction et celles qui sont promues au poste de sous-ministre adjoint.
  • Leadership : Guy Cousineau, qui était président de la Commission, avait été nommé en 1972 alors que la crise commençait à sévir. Il a travaillé sans relâche pour améliorer le rendement de l'organisation. Ces améliorations constantes, mais lentes, ont progressivement transformé l'organisation. Mon travail en tant que directeur des communications s'en est trouvé quelque peu facilité, car les bonnes nouvelles ont commencé à couler à flots. De plus, nous avons pu éviter de marquer contre notre camp. Par exemple, le directeur de la Direction du contrôle des prestations a proposé que ses agents portent des armes à feu. Il a fait valoir que le crime organisé était impliqué dans les abus dans les opérations d'assurance-chômage et que ses hommes avaient besoin d'armes à feu pour se protéger contre ces gars vraiment méchants. Guy m'a envoyé une copie de la note. Il était fortement enclin à rejeter cette demande, mais voulait un deuxième avis. J'ai appuyé son point de vue et j'ai dit qu'il ne serait pas sage que nos agents de l'assurance-chômage portent et utilisent éventuellement des armes à feu. La demande a été rejetée. Un cauchemar de communication venait d'être évité.

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Chapitre 3 : Loto Canada, 1976-1977

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J'étais, comme d'habitude, à Ottawa pour la fin de semaine. Je me promenais dans le marché By quand je suis tombé sur Guy Cousineau. Guy voulait parler, alors nous nous sommes assis pour prendre un café. Il venait de perdre une guerre de territoire avec un autre sous-ministre, Allan Gotlieb. Le Bureau du Conseil privé avait décidé qu'il était justifié de fusionner le ministère de la Main-d'œuvre et de l'Immigration avec la Commission de l'assurance-chômage. Il y avait beaucoup à dire sur une telle fusion. Il était très logique de mieux servir les clients en ayant un bureau intégré pour fournir tous les services dont un chômeur aurait besoin. Les deux organisations avaient d'énormes opérations décentralisées ainsi que d'importantes opérations de l'administration centrale qui pouvaient être regroupées. Les deux organisations avaient également fondamentalement la même clientèle. La nouvelle organisation fournirait des services de counseling d'emploi, de formation et de soutien du revenu pendant que les personnes cherchaient un emploi ou étaient formées pour un emploi.

L'inconvénient pour les fonctionnaires était qu'il y aurait des redondances à tous les niveaux, comme deux sous-ministres, deux sous-ministres adjoints de politique, deux sous‑ministres adjoints des ressources humaines, deux dirigeants principaux des finances, etc. Contrairement aux besoins en personnel de l'Arche de Noé, un seul de chacun était nécessaire. La première personne à partir était le sous‑ministre de trop. M. Gotlieb était un adjoint plus chevronné, et il a eu l'aval pour être le premier sous-ministre du nouveau ministère. Guy Cousineau a été nommé le premier président de Loto Canada, une société d'État créée pour prendre la relève de la Loterie olympique du Canada, qui cessera d'exister après les Jeux olympiques de Montréal en 1976.

Sur place, Guy m'a offert un emploi et la possibilité d'aider à lancer la nouvelle organisation. Je deviendrais l'employé numéro 001. Guy était un peu vague, cependant, au sujet de mes responsabilités précises. D'un point de vue professionnel, il n'était pas évident dans une ville qui appréciait les compétences politiques et stratégiques de comprendre dans quelle mesure l'expérience dans la vente de billets de loterie améliorerait mon potentiel de carrière; de plus, ma connaissance de l'industrie se limitait beaucoup à l'achat d'un billet de loterie olympique à 10 $pour chaque tirage. Mais le travail avait deux avantages majeurs. D'abord, il était situé à Ottawa. En effet, j'en avais assez du trajet hebdomadaire à partir de Lachine et de rester avec mes adorables parents dans la même pièce que j'avais quand j'allais à l'école primaire et secondaire ainsi qu'à l'université. J'avais 27 ans et je voulais retrouver une certaine autonomie. Deuxièmement, j'éviterais la tourmente qui se produit toujours lorsque de grandes bureaucraties sont intégrées. J'ai accepté l'offre de Guy sur-le-champ.

Mise en place de l'organisation

Ma première tâche a été d'élaborer un plan de transition pour l'organisation de la Loterie olympique du Canada, qui avait été mise sur pied pour aider à financer les coûteux Jeux olympiques de Montréal. La Loterie olympique a été l'un des instruments établis pour générer des revenus; l'époque des contrats de télévision très lucratifs ne faisait pas encore partie de la culture olympique. La loterie a été un succès au-delà de toute attente et a généré d'énormes profits. Malheureusement, même ces énormes profits n'ont pas suffi à compenser le dépassement des dépenses budgétaires olympiques.

Le modèle d'affaires était d'une simplicité frappante : il n'y avait qu'un seul produit, un billet de loterie à 10 $. Le prix en argent comprenait un premier prix de 1 million de dollars. Le billet gagnant a été sélectionné à la fin d'une émission de variétés télévisée un dimanche soir. Les cotes d'écoute de l'émission étaient spectaculaires. Le plan de vente était également assez simple : les ventes ont été divisées en deux principaux flux. Le premier flux passait par les banques. Toutes les banques à charte ont été autorisées à vendre le billet de 10 $; leur part des revenus était de 20 % : un dollar pour la gestion de la fonction de vente en gros et un autre dollar pour la gestion de la fonction de vente au détail, c'est-à-dire la vente.

En parallèle, il y avait aussi un volet des petites entreprises. Les grossistes étaient responsables de l'établissement d'un réseau de vente au détail pour vendre des billets dans des districts géographiques particuliers. Le réseau était diversifié et se composait de dépanneurs, de pharmacies, etc. La répartition financière était la même : un dollar pour le vendeur en gros et un dollar pour le vendeur au détail. Il n'y avait pas de limite au nombre de districts qu'un grossiste pouvait avoir. Quelques grossistes ont fait beaucoup d'argent en vendant des billets de loterie.

Après quelques semaines, le président de Loto Canada, M. Cousineau, a pris des décisions organisationnelles et structurelles. Le personnel de la Loterie olympique qui voulait se joindre à Loto Canada pourrait le faire à sa rémunération actuelle et rester à Montréal. Il s'agissait d'une question quelque peu litigieuse, car le niveau de rémunération était un peu supérieur à la fourchette des sociétés d'État et comprenait un montant complémentaire pour compenser leur emploi limité dans le temps. Ce ne serait pas le cas de Loto Canada, mais Loto Canada avait besoin de sa mémoire institutionnelle pour assurer la continuité et le succès. La décision difficile a été prise de maintenir les droits acquis pour tous les contrats de travail existants. L'autre solution, le recrutement de personnes à Ottawa ayant de l'expérience dans la loterie, n'a mené nulle part.

D'autre part, il n'y aurait pas de droits acquis pour les distributeurs existants. Bien que les limites géographiques soient restées plus ou moins les mêmes, tout le monde devrait présenter une demande en suivant un processus transparent, documenter sa compétence financière, déposer un cautionnement et convaincre le comité de trois personnes (dont je faisais partie) de leur dignité. Cette décision a provoqué un tollé majeur. L'ancien directeur général de la Loterie olympique, qui avait personnellement recruté de nombreux distributeurs, pensait que nous étions fous et que nous mettrions toute l'entreprise en danger. Les distributeurs existants qui s'attendaient à la fin de leur accord lucratif étaient également en désaccord véhément et ont fait pression sur les élus pour qu'ils annulent ce qu'ils considéraient comme un processus trop bureaucratique. Le ministre de l'Industrie, qui était responsable de Loto Canada, a totalement appuyé la nouvelle société. C'était ma première rencontre avec l'honorable Jean Chrétien et son adjoint de confiance, Eddie Goldenberg. Ils attachaient une grande importance à la gestion de ces processus avec les plus hauts degrés d'intégrité et de transparence.

Responsabilités

Mes responsabilités en tant que premier vice-président comprenaient la sélection de la maison de production qui mettrait sur pied l'émission de télévision, assurer la liaison avec le gouvernement sur toutes les questions d'intérêt, y compris le montant des recettes nettes que le gouvernement voulait, participer au comité d'entrevue pour les distributeurs et agir en tant que porte-parole des médias, ce qui comprenait les émissions de ligne ouverte à la radio. J'ai participé à une émission. Cela m'a terrifié.

Le reste de l'été et de l'automne a été axé sur la construction de l'organisation, l'obtention de billets de loterie imprimés et distribués en toute sécurité à la grandeur du pays, et l'inquiétude au sujet de l'émission de télévision. Comme Loto Canada était une société d'État fédérale, l'émission devait être bilingue aussi bien en ce qui concerne les présentateurs que le divertissement. Heureusement, la société de production que nous avions embauchée, Champlain Productions de Montréal, était très sensible à cette question. Ils ont rapidement inscrit Ginette Reno pour être l'interprète spéciale et Jacques Fauteux pour coanimer avec Joyce Davidson.

Le premier tirage a eu lieu le 5 décembre 1976 au Hamilton Arts Centre. C'était le seul endroit que nous pouvions obtenir avec un si court préavis qui pouvait accueillir une maison de production télévisuelle et un grand public en direct. Nous avons vendu tous les billets de loterie disponibles avant le 1er décembre. Ça commençait bien.

Le 5 décembre, j'étais dans le camion de production, assis entre le producteur et le réalisateur. Vers 21 h 20, le réalisateur a commencé à parler vivement aux deux coanimateurs. Leur répartie en ondes était divertissante, mais elle grugeait de précieuses secondes qui n'étaient pas prévues dans le scénario. Le producteur a souligné avec perspicacité que, mis à part le sport, très peu d'émissions étaient en direct. L'émission de loterie était l'une de ces rares exceptions. Il a également expliqué que les émissions en direct avaient toujours du mal à terminer à temps. Il était maintenant 21 h 30 et le ton du réalisateur devenait de plus en plus inquiet. Nous étions en retard. Le producteur a expliqué l'importance de récupérer ce temps parce que l'accord avec le réseau était d'une heure et, à 22 h, le réseau cesserait de diffuser à Hamilton Place. Je commençais à comprendre l'angoisse du réalisateur. S'il ne récupérait pas le temps perdu, les seules personnes qui assisteraient au tirage au sort du billet de 1 million de dollars étaient le public à Hamilton. Le reste du Canada le manquerait. Et ma carrière florissante dans le monde du spectacle allait prendre fin.

J'ai dit au producteur qu'avec les trente minutes restantes, il pourrait sûrement trouver le temps. Mon voisin de banquette a calmement expliqué que nous n'avions vraiment pas 30 minutes parce que la plupart du temps était déjà attribué : quatre minutes de publicités, onze minutes pour des pièces musicales, y compris le segment de Ginette Reno. Heureusement, le réalisateur et le producteur savaient ce qu'ils faisaient et ils ont trouvé les secondes manquantes, permettant ainsi à tout le Canada de voir le tirage d'un million de dollars. Le réalisateur m'a expliqué lors de la réception d'après spectacle qu'il avait fermement parlé aux coanimateurs dans leurs écouteurs. Il a expliqué qu'ils ne seraient pas là pour la prochaine émission et qu'il trouverait de nouveaux coanimateurs si l'émission ne se terminait pas à temps.

La deuxième émission a eu lieu en février 1977 à Regina. Cette fois, tout a roulé rondement et il n'y a pas eu de drame. Tous les billets ont de nouveau été vendus. L'équipe de production télévisuelle s'était également améliorée. Ce devait être ma dernière émission. J'ai quitté Loto Canada au début du printemps 1977.

Chapitre 3 : Leçons

En repensant à cette année chez Loto Canada, quelques leçons ressortent. J'ai pu voir, de près et personnellement, ce qui se passe lorsque l'intérêt privé répond à l'intérêt public. Les premiers grossistes de la Loterie olympique étaient convaincus qu'ils avaient quelque chose qui ressemblait presque à des droits de propriété de leurs districts depuis qu'ils avaient établi le réseau de vente au détail. Le fait qu'ils aient sécurisé ces territoires sans aucune forme de processus public transparent n'était pas, à leur avis, un argument convaincant. Ni d'ailleurs l'argument selon lequel les billets se vendaient essentiellement d'eux-mêmes, la demande dépassant toujours l'offre. Il n'y avait aucun risque de perdre de l'argent. Guy Cousineau tenait bon, cependant, et prenait le risque d'affronter les « intimidateurs ». Le risque n'était pas négligeable, puisque Loto Canada dépendait des grossistes pour transporter les deux tiers du produit; les banques s'occupaient de l'autre tiers. En fin de compte, de nombreux grossistes existants ont été interviewés et sélectionnés, mais certains ne l'ont pas été et ont été remplacés. Guy était d'avis que l'intérêt public était précieux et qu'il ne devait pas être sacrifié pour des gains d'efficience potentiels.

Une autre leçon tirée de mon séjour à Loto Canada était l'utilité de travailler au respect des échéances et d'obtenir des résultats mesurables. De telles circonstances ne se produisent pas fréquemment pour les fonctionnaires. Avec Loto Canada, l'atteinte ou non des résultats était évidente pour tous. Les mesures sont importantes.

La troisième leçon portait sur le développement organisationnel. Ce n'est pas une science, mais un art. Guy a dû équilibrer les anomalies de rémunération avec les exigences opérationnelles lors de la définition de la stratégie d'emploi entourant la migration du personnel de la Loterie olympique à Loto Canada. C'était un travail de compromis.

J'ai informé Guy en hiver que j'avais été approché pour entreprendre un « travail d'unité ». Il m'a fortement encouragé à l'accepter.

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Chapitre 4 : Centre d'information sur l'unité canadienne, 1977-1980

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En avril 1977, j'ai été nommé directeur général des communications du Centre d'information sur l'unité canadienne (CIUC). Je suis resté au CIUC jusqu'en juin 1980, un mois après le référendum au Québec.

Les débuts

À la suite de l'élection du Parti québécois (PQ) le 15 novembre 1976, le gouvernement fédéral avait nommé un nouveau sous-secrétaire à la coordination des politiques au Bureau des relations fédérales-provinciales (BRFP) : Paul Tellier. Paul était un fonctionnaire jeune, mais expérimenté. Son mandat consistait à élaborer une stratégie pour le gouvernement fédéral par rapport au référendum promis par le PQ et à assurer la coordination des politiques dans les années précédant le référendum. Il recruta six conseillers pour l'aider. Cinq des six devaient élaborer et superviser des politiques; le sixième, Pierre Lefebvre, avait un double mandat : être conseiller en politiques et créer un atelier de communication. Pierre m'a embauché pour établir et développer la fonction de communication.

Le défi initial consistait à renforcer rapidement les capacités; il n'y avait pas de temps à perdre. Toutefois, les personnes qui étaient disponibles à court préavis n'étaient pas nécessairement les meilleures. Je me suis donné trois à quatre mois pour élaborer l'organigramme et faire la dotation en personnel. Pendant ce temps, j'ai interviewé des dizaines de recrues potentielles et modifié l'organigramme pour l'harmoniser un peu plus avec les candidats que je voulais recruter. L'organigramme final s'est soldé par un mélange optimal de conception et de personnes précises que je voulais embaucher.

Je me suis retrouvé avec quatre directeurs : Terry Kelleher à la tête des relations avec les médias et du contenu éditorial, Richard Berger à la tête des politiques et de l'analyse, Diana Monnet pour la recherche, et Jacques Robichaud pour les expositions itinérantes et le contenu audiovisuel. J'étais content d'avoir attendu pour trouver les bonnes personnes. C'était une superbe équipe, et j'ai travaillé en étroite collaboration avec elle pendant les 36 mois suivants. Lorsqu'il a été doté en personnel, l'ensemble du groupe comprenait une trentaine de personnes. L'année suivante, un autre directeur, André Contant, un directeur de la publicité très respecté de Montréal, s'est ajouté : ce dernier était à la tête de la publicité.

1977 : Les premiers produits

Au cours de la première année, l'accent a été mis sur l'élaboration de produits sur trois grands thèmes ou objectifs de communication : améliorer les connaissances et l'appréciation du Canada, expliquer le concept et les avantages du fédéralisme et décrire les activités et les programmes du gouvernement fédéral. Nous nous sommes tenus à l'écart de tout ce qui était explicitement associé au référendum. Nous avons dû consolider la base.

Nous avons élaboré un certain nombre de produits clés, dont 20 brochures faciles à lire qui portaient sur les caractéristiques du fédéralisme et les comparaisons avec d'autres régimes fédéraux dans les domaines de la péréquation et du partage des pouvoirs. D'autres brochures ont mis en évidence les programmes et les activités du gouvernement fédéral dans chacune des 10 régions administratives du Québec, à l'exception de Montréal et de Québec, pour lesquelles des campagnes distinctes ont été lancées. Nous avons par la suite développé des expositions itinérantes pour les régions rurales du Québec montrant les contributions du gouvernement fédéral aux communautés locales. En nous appuyant sur ce contenu, nous avons également élaboré des trousses pour les personnes qui voulaient prendre la parole en faveur du Canada. Les brochures expliquaient également les programmes du gouvernement fédéral destinés à différents segments de l'économie, comme l'agriculture, les petites entreprises et les arts, ainsi qu'aux personnes, notamment les personnes âgées et les jeunes.

Pour favoriser les bons sentiments à l'égard du Canada, nous avons augmenté le marché québécois de la campagne publicitaire de Tourisme Canada, laquelle encourageait la population canadienne à visiter tous les principaux lieux d'intérêt au Canada. Nous avons également produit une nouvelle vidéo plus patriotique pour accompagner le chant du « Ô Canada ». La vidéo a été utilisée lors d'événements sportifs majeurs et par les réseaux à la fin de leur journée de télédiffusion.

Nous avons également commencé à renforcer notre capacité de recherche. Nous avons suivi et catalogué par thèmes toutes les déclarations en faveur de l'indépendance faites par les leaders bien en vue du mouvement séparatiste. Nous avons également amélioré notre analyse des résultats du sondage, ce qui a été utile pour façonner le contenu de nos divers produits de communication.

1978 : Montée en puissance

Au cours de la nouvelle année, nous avons fait passer nos efforts de communication au niveau supérieur.

Nous avons déterminé les 20 principaux arguments qui étaient avancés en faveur de l'indépendance, et nous avons rédigé des réfutations de fond et des réponses à tous. Après quelques modifications fondées sur les résultats des groupes de discussion, nous avons distribué le produit final aux groupes faisant la promotion de l'unité, aux députés et à d'autres conférenciers fédéralistes.

Nous avons également lancé un club de lecture. Le CIUC a acheté une publicité pendant quatre semaines consécutives sur la dernière page du magazine de fin de semaine qui était distribuée par tous les journaux du Québec. Le modèle s'inspirait du club de lecture « Book of the month ». Au lieu d'envoyer des livres, nous envoyions les brochures que nous avions créées en 1977. Cette initiative a été lancée pour deux raisons. Premièrement, les recherches ont montré que les électeurs fédéralistes se sentaient mal informés de la cause qu'ils défendaient. Les diverses brochures ont contribué à combler cette lacune. Les gens n'avaient qu'à remplir le formulaire de demande pour recevoir les brochures. Deuxièmement, nous devions élaborer une liste de diffusion pour atteindre les électeurs silencieux qui allaient voter « Non », en commençant par notre liste de membres du club de lecture. Jumelé à une liste de diffusion du groupe sur l'unité Québec-Canada, cela nous a permis de rejoindre plus de 250 000 résidences au Québec.

Nous avons également conclu que nous devions commencer à faire de la publicité et avons lancé une demande de propositions auprès de diverses agences de publicité établies à Montréal. Malheureusement, aucun organisme n'a répondu, craignant d'être si étroitement associé aux efforts de communication du gouvernement fédéral avant le référendum et une réaction négative potentielle du gouvernement provincial. Une agence nous a suggéré de créer notre propre agence. Après quelques discussions, nous avons adopté cette approche, prudemment. Il était important que les partis d'opposition, en particulier les progressistes‑conservateurs, soient à l'aise avec l'initiative. Afin d'aborder cette question délicate, j'ai demandé à une de mes amies, Pierrette Lucas, qui connaissait assez bien Brian Mulroney, d'organiser une rencontre avec M. Mulroney à Montréal.

Au cours d'un dîner au Ritz Carleton, j'ai donné un aperçu de nos activités en cours et du problème de l'agence de publicité. J'avais en tête une très, très petite agence : un président, un vice-président, une personne aux finances et un généraliste. Le travail précis serait confié en sous-traitance à divers fournisseurs de confiance. Pour m'assurer que l'agence ne créait pas de problème pour qui que ce soit, j'ai dit que j'aimerais recevoir des suggestions pour le poste de vice-président. M. Mulroney a pleinement appuyé l'idée et m'a dit qu'il me mettrait en contact avec Rodrigue Pageau, un conservateur québécois bien connu et respecté. Dans les mois qui ont suivi, j'ai interviewé plusieurs candidats pour le poste de présidence de notre agence. Le choix s'est arrêté sur Les Communicateurs Unis et Monique Vallerand. Quelques semaines plus tard, après avoir passé un certain temps à convaincre le personnel du Conseil du Trésor qu'il était acceptable d'attribuer un contrat de publicité à cette nouvelle firme, le CIUC a signé son premier contrat avec Les Communicateurs Unis. Monique Vallerand a interviewé des candidats pour le poste de vice-président et a doté l'agence en personnel. Afin d'améliorer notre capacité publicitaire, André Contant a été détaché au CIUC de Loto Canada. Dans l'ensemble, il s'agissait d'une façon de faire peu orthodoxe, mais étant donné le manque de solutions de rechange et le sentiment d'urgence, c'était la bonne décision.

Les initiatives publicitaires étaient modestes au départ. Les cartes de toutes les villes du Québec ont été reproduites avec des repères pour désigner les bureaux du gouvernement fédéral. Le titre de la publicité était : « Le gouvernement fédéral à votre service ». L'objectif était de montrer visuellement la présence importante et tangible du gouvernement fédéral dans diverses collectivités. La publicité a été placée dans les stations de métro de Montréal et dans tous les grands centres commerciaux de la province.

En 1978, nous avons lancé une campagne radiophonique pour réfuter les principales critiques formulées par les séparatistes. L'approche adoptée a été une publicité discrète : deux Québécois discutaient de certains problèmes et de la contribution du gouvernement fédéral à la résolution de ces problèmes.

L'agence de publicité a également élaboré et proposé une campagne plus persuasive. Après réflexion, nous avons convenu qu'il serait inapproprié que ce soit le gouvernement fédéral qui la gère. Une autre solution discutée était d'offrir du contenu créatif à la Fondation Pro Canada, et au printemps 1978, une présentation a été faite au conseil d'administration de la Fondation, qui comprenait Claude Castonguay (Banque Laurentienne), Antoine Turmel (Provigo) et Jean de Grandpré (Bell), tous des directeurs généraux de grandes entreprises québécoises. Après quelques délibérations, ils ont donné leur accord de principe. Les Communicateurs Unis avaient maintenant deux clients. La Fondation Pro Canada a ensuite organisé plusieurs campagnes, avec le super slogan Le Canada, j'y suis, j'y reste.

En 1978, nous avons entrepris de nouvelles initiatives de sensibilisation. Certaines étaient prévues. Par exemple, nous avons établi des liens avec les divers groupes d'unité qui avaient vu le jour dans toute la province et avec des universitaires clés comme Maurice Pinard, qui ont donné des informations précieuses sur les résultats des sondages et les groupes cibles.

Certaines initiatives étaient fortuites. Par exemple, lors d'une de mes visites hebdomadaires à Montréal, j'ai assisté à un discours de la Chambre de commerce de Montréal prononcé par l'ancien premier ministre Robert Bourassa. Quelques semaines plus tard, j'ai assisté à un séminaire que M. Bourassa donnait à l'Université de Montréal. Le mois suivant, j'ai participé à une table ronde à l'Université Harvard sur le référendum à venir; M. Bourassa était également présent. Le lendemain, durant le trajet Boston-Montréal, j'étais assis à côté de M. Bourassa. Je me suis présenté et j'ai décrit ce que je faisais pour gagner ma vie. J'ai dit que, selon toute vraisemblance, nous étions les deux seules personnes à avoir assisté à son discours à la Chambre de commerce, à son séminaire de l'Université de Montréal et à la table ronde de l'école Kennedy. Cela a rapidement attiré son attention. Il a dit des choses très positives sur Paul Tellier et le travail qu'il faisait. Il a ensuite ajouté qu'il aimerait en faire plus, mais qu'il avait peu de latitude, parce qu'il n'avait pas de chercheurs pour l'aider. Si je pouvais apporter de l'aide, a-t-il dit, il serait heureux d'affronter Jacques Parizeau, le ministre péquiste des Finances, dans une série de débats qui auraient lieu à différents endroits dans la province. J'ai rapidement offert de faciliter l'aide requise par l'intermédiaire de Luc Bastien, qui était connu de Bourassa. Luc avait été l'adjoint exécutif de Raymond Garneau lorsqu'il était ministre des Finances dans le gouvernement Bourassa et était maintenant un employé du CIUC établi à Québec. Cette liaison aérienne a été le début d'une merveilleuse relation qui a duré bien après le référendum.

Au cours de l'année 1978, il devenait évident que le gouvernement du Québec utilisait indirectement les programmes publicitaires gouvernementaux pour renforcer l'appui à la campagne OUI. Par exemple, le gouvernement avait lancé une campagne pour encourager les gens à porter leur ceinture de sécurité dans les voitures. Le slogan était On s'attache au Québec, un beau jeu de mots.

L'année 1978 était aussi l'année où; le message a été amélioré qualitativement. La recherche a indiqué que nous devrions mettre l'accent sur deux thèmes en particulier. Le premier était la langue et la culture, car la protection de la langue et de la culture françaises était une préoccupation majeure pour tous les Québécois francophones. Les messages ont donc commencé à se concentrer sur les déclarations faites par divers ministres du gouvernement péquiste selon lesquelles, avec l'adoption de la loi 101, la langue et la culture françaises seraient protégées et sauvegardées. Ces types d'énoncés permettaient de se poser la question suivante : si la langue et la culture françaises sont protégées dans un cadre canadien, pourquoi courir tous les risques et subir les inconvénients économiques potentiels de la séparation?

Le deuxième thème était la signification d'un vote en faveur du OUI. Selon les recherches, jusqu'à 20 % de la population croyait que, si le Québec quittait la fédération, les Québécois enverraient toujours des députés au Parlement fédéral, que les Québécois pourraient toujours avoir un passeport canadien et que le Québec pourrait toujours utiliser la monnaie canadienne. C'était un exemple parfait d'avoir le beurre et l'argent du beurre. Les sondages indiquaient également que l'appui à l'indépendance totale était de l'ordre de 20 %. Il était important de faire comprendre qu'une victoire du OUI aurait des conséquences.

Les stratèges du côté du OUI lisaient les mêmes sondages. Des rumeurs circulaient comme quoi ils s'engageraient à tenir un deuxième référendum après les négociations. Tous les rêves étaient possibles dans les négociations de nation à nation après le référendum. Les messages ont été peaufinés. La séparation d'avec le Canada était l'article 1 de la plateforme du Parti québécois. C'était l'objectif. Des visuels, des articles, des brochures ont été produits pour faire comprendre que la séparation d'avec le Canada était l'objectif ultime : tout le reste était une étape temporaire. Les séparatistes essayaient de ralentir leur chemin vers l'indépendance. Il était nécessaire de présenter les conséquences de la séparation aussi clairement et sobrement que possible.

L'élection de 1976 a pratiquement établi un record canadien : le nombre de sièges de PQ est passé de 6 à 71 sur un total de 120. Ce revirement spectaculaire s'est reproduit une quarantaine d'années plus tard lorsque Rachel Notley est passée de 4 à 54 sièges sur 87 en Alberta. Ces deux changements politiques sismiques avaient une similitude : le gouvernement sortant avait des difficultés sur le plan de la compétence et de l'intégrité, ce qui a alimenté un désir de changement. La principale différence était que le PQ proposait également de se pencher sur un nouveau cadre constitutionnel non défini. Il n'a pas présenté l'indépendance comme étant l'article 1 de sa plateforme. Il a plutôt proposé une approche graduelle en vérifiant, au moyen de référendums, ce que souhaitait la population québécoise. Ils savaient que les Québécois n'accepteraient jamais un vote direct sur l'indépendance. En conséquence, ils ont lancé un chemin sinueux. Certaines personnes du mouvement indépendantiste, comme Pierre Bourgault, chef du Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), et Jacques Parizeau, étaient séparatistes et fiers de le dire. Mais les « pragmatiques » comme Claude Morin, ancien sous-ministre qui était rendu ministre des Affaires intergouvernementales, savaient qu'ils n'avaient pas le nombre pour gagner un référendum sur l'indépendance. Les pragmatiques l'ont emporté. Cela a mené à la question référendaire la plus longue et la plus complexe jamais posée aux électeurs. Sur une question aussi fondamentale, je pensais que le PQ devait à la population du Québec une question plus claire, plus simple et plus définitive. Ils ont choisi de ne pas proposer une telle formulation.

1979 : Appuyer sur le bouton pause

Il allait y avoir des élections fédérales en 1979, alors, par excès de prudence, les efforts de publicité ont été repoussés. Après l'élection, que le Parti progressiste-conservateur a remportée, le nouveau ministre était Bill Jarvis, un député du Sud de l'Ontario. Il s'est montré naturellement très prudent sur les questions relatives au référendum à venir. Malheureusement pour le gouvernement, seulement deux députés progressistes-conservateurs ont été élus au Québec; le Parti libéral y avait 67 sièges.

Compte tenu de cette réalité, le gouvernement a commandé un sondage d'opinion publique exhaustif à Decima Research pour l'aider à élaborer une stratégie appropriée. Le président de Decima était Allan Gregg, l'un des sondeurs/conseillers stratégiques les plus astucieux que j'ai jamais rencontrés. Les résultats de son sondage ont été disponibles au début de décembre. Nous commencions à planifier les séances d'information sur les résultats du sondage lorsque le gouvernement est tombé le 14 décembre. Les ministres, les conseillers et Allan lui‑même devaient porter leur attention sur les prochaines élections du 18 février. Allan, qui était le sondeur du parti progressiste-conservateur, n'avait pas été chargé de faire du travail sur le terrain par le parti depuis les élections de mai, alors il a dû monter son équipe très rapidement pendant les vacances de Noël.

Fait intéressant, les résultats du sondage d'Allan Gregg sur le référendum étaient très proches des résultats réels du 20 mai.

1980 : Le dernier tour

Le 18 février 1980, Pierre Elliott Trudeau remporte un autre gouvernement majoritaire. Au Québec, les libéraux remportent 74 des 75 sièges. Cela est venu compliquer la vie de Claude Ryan, qui était chef du parti libéral du Québec et chef du Comité du NON, tel que défini par la législation provinciale.

Jean Chrétien a été nommé ministre de la Justice et responsable ministériel pour le référendum à venir. Il ne restait plus beaucoup de jours avant le référendum : des rumeurs prévoyaient que la date serait dans la seconde quinzaine de mai.

Après une série de brèves séances d'information, le cabinet de Chrétien a organisé une rencontre avec Claude Ryan à Montréal. Eddie Goldenberg, son adjoint de confiance, et moi‑même avons accompagné le ministre à la réunion. Pierre Pettigrew, Yvan Allaire et Pierre Bibeau accompagnaient M. Ryan. Messieurs Chrétien et Ryan étaient deux politiciens fiers et intelligents qui avaient atteint ce point culminant de leur carrière par des voies différentes. Chrétien était député depuis 1963 et s'était battu à sept élections générales. Ryan, qui avait eu une carrière phénoménale comme rédacteur en chef du Devoir, avait remporté une élection partielle. Ce fait n'a pas empêché Ryan de s'affirmer lors de la réunion comme le chef des forces du NON. À un moment donné de la réunion, Chrétien m'a désigné comme la personne-ressource pour les associés de Ryan en ce qui concerne les documents d'information et les résultats des sondages. Ce dernier point était d'un grand intérêt pour l'équipe du NON puisque Ryan avait déclaré que le comité du NON ne dépenserait pas d'argent pour des sondages et des études. Après la rencontre, je suis resté et j'ai transmis les différents documents de communication à Allaire et Bibeau. J'ai laissé derrière moi les résultats de nos plus récents sondages, qui indiquaient un résultat serré. Nous avons également discuté du calendrier et du contenu des futurs travaux sur le terrain des sondages avant le référendum, maintenant prévu pour le 20 mai. Au cours des dix semaines suivantes, nous nous sommes réunis régulièrement pour comparer nos notes sur les thèmes et les résultats des sondages. Le premier ministre était beaucoup plus aimé et respecté par les Québécois que l'était M. Ryan, une donnée simple qu'il fallut communiquer avec délicatesse.

De retour à Ottawa, j'ai participé à des réunions stratégiques qui traitaient du niveau et du type d'interventions que le premier ministre ferait. Nous recommandions quatre interventions ainsi qu'un discours de clôture à l'aréna Paul Sauvé à Montréal le 14 mai.

De mon côté, je travaillais sur un dernier nouveau projet. J'avais proposé aux ministres Chrétien et Lalonde que les députés fédéraux du Québec utilisent leur privilège de franchise postale pour envoyer la même brochure à toutes les résidences et tous les appartements du Québec à la veille du début officiel de la campagne référendaire. Les tests effectués auprès de groupes de discussion montraient que cette brochure de huit pages, composée de texte et d'illustrations, avait été bien accueillie. Elle présentait un récit convaincant qui donnait aux Québécois de solides raisons de voter pour le Canada et de rejeter les aventures que la séparation apporterait. Jean Chrétien s'est entretenu avec Roch La Salle, le seul député conservateur du Québec qui, en tant que fédéraliste convaincu, a également accepté d'envoyer la brochure. Près de 2,1 millions de brochures ont été envoyées aux ménages québécois par l'intermédiaire de leurs députés récemment élus la semaine précédant le lancement de la campagne référendaire.

Comme prévu, le premier ministre a prononcé quatre discours. Le premier a eu lieu le 15 avril à la Chambre des communes, où; il a détruit la raison d'être intellectuelle de la question référendaire de 114 mots : « Pourquoi avez-vous peur de poser une simple question à laquelle répondre par oui ou par non? » Il a ensuite prononcé un discours à Montréal le 2 mai et un autre à Québec le 12 mai. Dans son dernier discours, le 14 mai, il a parlé avec passion de son nom Trudeau, mais aussi d'Elliott, le nom de sa mère. Il a parlé avec fierté d'avoir une mère qui avait un nom anglais. Il a rappelé à son auditoire que de nombreux ministres péquistes avaient des noms anglophones, des ministres comme Louis O'Neill, Robert Burns et Pierre Marc Johnson, mais qui étaient aussi québécois que Marois et Landry. Il a fait éclater la bulle que le PQ avait fait flotter au-dessus de certaines personnes sous prétexte qu'elles étaient plus Québécoises que d'autres. Il a ensuite décrit sa fierté d'être un Québécois et un Canadien.

Pour la plupart des Québécois, y compris moi-même, le référendum s'est vécu sur un plan assez personnel. Je croyais fermement au Canada. Nous avions traversé les années 1960 et 1970, une période de turbulences politiques marquées par la violence, les explosifs dans les boîtes aux lettres, un discours infâme et inapproprié du président français Charles de Gaulle, l'enlèvement politique de James Cross, consul britannique à Montréal, et l'enlèvement et le meurtre de Pierre Laporte, un ministre provincial, le départ de René Lévesque des libéraux du Québec pour créer le Mouvement Souveraineté-Association et le lancement du RIN séparatiste radical de Pierre Bourgault.

La fin des années 1960 et 1970 a aussi été marquée, et ce n'est pas une coïncidence, par le lancement de la carrière de mon père à la Dominion Bridge. Il est passé de directeur adjoint du personnel à l'usine de Lachine à vice-président des relations de travail pour l'Ontario, le Québec et les provinces de l'Atlantique, relevant du directeur général. Mon père parlait français, anglais et italien. Lorsqu'il a pris en charge la négociation collective, c'était la première fois que les négociations avec le syndicat se déroulaient en français. En quelques années, il est devenu la personne francophone occupant le rang le plus élevé de l'entreprise. Comme c'était le cas dans de nombreuses entreprises de différents secteurs, peu de francophones occupaient des postes de cadres supérieurs, mais la Révolution tranquille avait créé une nouvelle prise de conscience dans les entreprises sur la nécessité d'uniformiser les règles du jeu. Mon père a bénéficié de cette évolution sociétale, comme beaucoup d'autres cadres francophones. En même temps, la politique québécoise traversait une période de bouleversements, et même si je ne me sentais pas aussi lésé que beaucoup d'autres Québécois de ma génération, il était évident que les francophones avaient vécu des iniquités et des injustices pendant longtemps, et que le changement était nécessaire.

Un deuxième facteur a influencé mes réflexions. Après avoir obtenu mon diplôme en 1969, j'ai fait mon premier voyage en Europe. Sur mon sac, j'avais un grand drapeau canadien, qui était respecté dans toute l'Europe. Armé de mon laissez-passer Eurail, j'ai visité huit pays en un mois. Partout, le drapeau canadien était une carte de visite bienvenue. Cela donnait un grand sentiment de fierté d'être Canadien.

La troisième influence sur moi a été Pierre Elliott Trudeau, notamment à travers ses livres, ses discours et ses articles réfléchis. Il incarnait ce que cela signifiait d'être à la fois un fier Canadien et un fier Québécois. Il a parlé de l'importance de ne pas réduire son espace, mais de le développer.

Le 20 mai, le ministre Chrétien m'a invité à me joindre à lui, ainsi qu'à sa famille et à son personnel, à l'hôtel Bonaventure, à Montréal, pour assister aux résultats du référendum. Les premiers résultats ont été affligeants. Mais après ce qui semblait être une période interminable - qui en réalité dura seulement trente minutes -, le NON a pris la tête et y est resté. C'était évidemment une bonne nouvelle, mais c'était aussi surprenant puisque nos derniers sondages avaient indiqué une course beaucoup plus serrée. Il semble que les électeurs ayant voté NON ont hésité à montrer leurs couleurs publiquement dans les sondages. Le résultat final a été 59,6 % pour le NON et 40,4 % pour le OUI. Une pluralité de francophones avait voté NON. Le camp du NON a remporté 107 des 122 circonscriptions. Le taux de participation a été de 85,6 % des électeurs potentiels.

Le référendum étant terminé, en juillet, je suis parti pour Cambridge, dans le Massachusetts, où; à l'automne je commencerais un programme de maîtrise en administration publique à la Kennedy School of Government de Harvard. Je me suis senti chanceux d'avoir eu l'occasion, à un âge relativement jeune, de participer à un événement marquant de la vie politique du Canada. C'était aussi un travail unique dans la fonction publique parce que j'avais des données concrètes pour mesurer le résultat.

Chapitre 4 : Leçons

Quelques leçons se dégagent de ces expériences passées. L'une d'entre elles était l'appréciation du rôle des cadres supérieurs. La campagne référendaire de 1980 avait été ma première véritable exposition à l'importance de la gestion des talents et, en cela, Paul Tellier était quelqu'un d'extraordinaire. Avocat de formation, il avait travaillé comme haut fonctionnaire au Bureau du Conseil des ministres du Québec au début des années 1970, avait occupé plusieurs postes de haut niveau au niveau fédéral et était un fédéraliste francophone convaincu qui avait la confiance du premier ministre Trudeau et de Gordon Robertson, greffier du Conseil privé. Il était intelligent, travaillant et stratégique, et a été un mentor formidable pour moi.

Une autre leçon était la différence entre l'influence et le contrôle. Paul Tellier avait beaucoup d'influence, mais n'avait pas explicitement le contrôle. Il aurait pu présenter un organigramme à plusieurs niveaux. Au lieu de cela, il a choisi un modèle horizontal. Cela lui a permis de se concentrer plus facilement sur les priorités.

Une troisième leçon a été de découvrir la forte affection patriotique des Québécois pour le Canada, son histoire et ses réalisations. Le résultat du référendum a d'abord et avant tout été un vote pour le Canada.

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Chapitre 5 : Harvard, 1980-1981

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Les cours à la Kennedy School of Government ont commencé directement après la fête du Travail. Les étudiants avaient deux semaines pour terminer leur sélection de cours. Après beaucoup de magasinage, j'ai choisi cinq cours pour mon premier semestre, même si seulement quatre étaient requis pour le diplôme; je voulais m'imprégner d'autant de sagesse, de perspicacité et de connaissances que possible.

La Kennedy School avait un accord avec les autres écoles supérieures de Harvard et les autres universités de la région de Cambridge qui permettait aux étudiants de suivre des cours dans d'autres endroits et de les faire reconnaître aux fins du diplôme. Ma dernière sélection de cours a été : La présidence, avec le professeur Richard Neustadt, Gestion du secteur public, avec le professeur Mike Dukakis, ancien gouverneur du Massachusetts et futur candidat à la présidence, et Relations d'affaires gouvernementales, avec les professeurs Roger Porter et Dick Darman. Tous ces cours étaient offerts à la Kennedy School. J'ai également suivi un cours à la Harvard Business School sur les relations entre les entreprises et le gouvernement, et un autre au MIT sur la conception organisationnelle.

Cette saison d'automne de 1980 à Cambridge a été stupéfiante. Je ressentais une forte émotion chaque fois que je traversais le Harvard Yard et ses arbres multicolores ou le pont pour aller à la bibliothèque Baker ou à l'école de commerce. Il était difficile de ne pas se sentir spécial compte tenu des gens et de l'environnement.

L'année 1980 était une année d'élection présidentielle. En octobre, en coopération avec la chaîne PBS, la Kennedy School avait organisé une émission de télévision appelée The Advocates, un événement qui comprenait des débats entre les représentants des trois candidats à la présidence : le président Jimmy Carter, le gouverneur Ronald Reagan de Californie et le membre du Congrès John Anderson de l'Illinois, qui se présentait en tant qu'indépendant.

Les débats hebdomadaires, qui avaient lieu dans le grand atrium de la Kennedy School, portaient sur la politique intérieure, étrangère et économique. Certains des représentants du gouverneur Reagan, tels que Cap Weinberger et Ed Meese, allaient ensuite occuper des postes ministériels sous le président Reagan. Après les débats, les étudiants qui s'étaient portés volontaires pour soutenir l'événement étaient invités à se joindre aux participants lors d'une réception. C'était une occasion unique de parler avec les secrétaires du cabinet de l'administration Carter actuelle et leurs successeurs possibles dans une future administration Reagan.

L'autre activité électorale intéressante à la Kennedy School a été l'autopsie de l'élection à la fin de novembre, lorsque les principaux acteurs des trois campagnes ont été amenés à discuter de leurs phases clés : les primaires, les conventions, les débats et les campagnes réelles. Par exemple, les sondeurs des trois campagnes ont discuté des résultats de leur enquête continue et des ajustements stratégiques qu'ils ont apportés à leurs récits respectifs. Des discussions semblables ont eu lieu entre les conseillers en publicité. Les étudiants qui se sont portés volontaires pour soutenir les activités de la fin de semaine ont eu le privilège de s'asseoir dans les rangées arrière pendant que les stratèges de la campagne discutaient de ce qui fonctionnait et de ce qui ne fonctionnait pas. Dans l'ensemble, cela a donné un aperçu unique des campagnes électorales présidentielles. La Kennedy School a ensuite consigné les délibérations rétrospectives de la fin de semaine dans un livre.

L'automne 1980 a également été remarquable pour une autre raison. Le professeur Dick Darman avait laissé une note dans mon pigeonnier d'étudiant disant qu'il voulait que je le voie dans son bureau pour savoir comment je profitais de mon temps à Harvard. Il s'intéressait à moi parce que j'étais très engagé dans ses discussions en classe et que j'offrais une perspective unique. La plupart des élèves de la classe ne connaissaient pas bien le modèle de la bureaucratie permanente et le régime parlementaire. Alors que je m'asseyais, il m'a immédiatement mis à l'aise en déclarant que « Harvard est fier d'avoir une politique d'admission très rigoureuse. C'est très, très difficile de partir d'ici sans diplôme. » Il s'est ensuite renseigné sur mes cours, notant que j'avais des cernes profonds sous les yeux. Rapidement, il a voulu me faire comprendre que je suivais un cours de trop. Il a dit que je me privais de la possibilité d'avoir l'expérience globale de Harvard : les séminaires spéciaux, les conférenciers invités, la ville de Boston, la proximité de Cape Cod. De toute évidence, étant à court d'énergie, j'ai suivi ses conseils et j'ai abandonné le cours du MIT, réduisant ma charge à quatre cours au semestre suivant. Le professeur Darman avait fait de son mieux pour s'assurer que l'un de ses étudiants profite pleinement d'une année à Harvard. C'est une attention que je n'ai jamais oubliée et que j'ai cherché à reproduire à différents moments dans ma carrière.

Mon deuxième semestre à la Kennedy School s'est avéré bien plus agréable. Je m'étais habitué au rythme de travail et j'avais plus de temps libre à passer avec d'autres étudiants canadiens, dont Kathy O'Hara, qui reste une bonne amie, Richard Paton, un partenaire de golf, et Stephen Handleman, un excellent journaliste pour le Toronto Star. Comme Dick Darman l'avait prédit, j'ai obtenu mon diplôme en mai 1981 et j'ai reçu mon diplôme par une belle journée de printemps à l'occasion de la collation des grades.

Chapter 5: Lessons

J'ai de bons souvenirs de mon année à Harvard. En plus d'obtenir la désignation de diplômé de Harvard, cette année m'a permis de saisir toute l'importance de la formation et de l'apprentissage continus pour les cadres. Il y a de nombreux avantages à offrir aux cadres la possibilité de faire le point et de recharger leurs batteries intellectuelles à différents moments de leur carrière.

C'est la première fois que j'étais exposé à l'enseignement d'études de cas. Ces cas m'ont permis de bien saisir les défis auxquels sont confrontés les cadres dans le secteur public. Plusieurs années après l'obtention de mon diplôme, la registraire adjointe du Harvard College m'a contacté et m'a demandé si j'étais prêt à interviewer des diplômés du secondaire qui avaient demandé à être admis au Collège. Je l'ai fait pendant deux ans. Chaque année, on me donnait une liste de quinze élèves du secondaire qui avaient tous d'excellents résultats scolaires avec des moyennes de l'ordre de 90 %. Il s'agissait de jeunes gens très intelligents. Pendant la première année, après que Harvard a fait sa sélection à la suite du dépôt de mon rapport sur les quinze étudiants, j'ai demandé à la registraire adjointe sur quelles bases les décisions avaient été prises. Elle a expliqué que, de leur point de vue, les notes élevées dans les 90 % étaient le critère de base. Ensuite, le principal facteur était ce que le candidat avait accompli d'autre. Ainsi, un candidat avec une moyenne de 93 % qui avait été membre de l'équipe nationale de kayak a été sélectionné plutôt qu'un autre avec une moyenne de 97 %; une championne de gymnastique l'a emporté même si ses notes étaient un peu plus faibles, tout comme une candidate qui avait travaillé pour obtenir une reconnaissance nationale en tant que pianiste. La registraire adjointe a souligné que les candidats sélectionnés avaient, en plus de leur excellence scolaire, atteint l'excellence dans une autre discipline et que pour se distinguer dans les deux domaines, ils avaient dû bien gérer leur temps. J'ai appris que l'excellence était multidimensionnelle et non linéaire.

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Chapitre 6 : Secrétariat d'État, 1981-1989

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À la fin de l'automne 1980, je suis tombé sur Paul Tellier et Huguette Labelle, sa sous-ministre adjointe principale au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien à l'aéroport de Montréal. Eux allaient à Iqaluit et moi, je retournais à Boston. Quelques mois plus tard, Huguette était nommée sous‑secrétaire d'État pour le Canada. Lorsque j'ai commencé à chercher un emploi au printemps 1981, je l'ai contactée. Après quelques conversations, elle m'a invité à me joindre à son ministère à titre de directeur général (DG) des politiques, où; je relèverais du sous-ministre adjoint principal et du DG des Communications, lesquels relevaient d'elle. Je suis resté au ministère jusqu'en 1989. Au cours de cette période, j'ai travaillé pour sept différents secrétaires d'État et six ministres d'État, et j'ai occupé divers postes : sous-ministre adjoint des Affaires ministérielles (1983-1985), sous-ministre adjoint de la Citoyenneté (1985-1989) et sous-ministre adjoint par intérim des Opérations régionales (1986-1988). J'ai relevé de trois sous-ministres : Huguette Labelle, Bob Rabinovitch et Jean Fournier. Tous ces emplois m'ont permis d'acquérir de l'expérience de travail direct avec les ministres et leurs cabinets, en plus de l'expérience dans la gestion des talents et des relations avec les intervenants.

Sous-ministre adjoint, Affaires ministérielles

J'ai occupé le poste nouvellement créé de sous-ministre adjoint des Affaires ministérielles pendant deux ans. Il n'y a pas grand-chose à souligner au sujet de cette période, à une exception près. Une partie du mandat du sous-ministre adjoint était l'unité responsable du cérémonial d'État, qui coordonnait tout le côté canadien des visites royales. Deux ont eu lieu pendant que j'occupais ce poste. En 1983, le prince Charles et la princesse Diana ont visité le Canada, suivis en 1984 par la reine Elizabeth II et le prince Philip. Le rôle du sous-ministre adjoint des Affaires ministérielles dans le cadre de ces visites était très modeste, voire insignifiant. Le Palais savait ce qu'il voulait faire et comment le faire; ma contribution à titre de sous-ministre adjoint n'a pas été sollicitée. J'ai toutefois eu l'occasion de souper sur le yacht royal Britannia, d'être présent à diverses cérémonies officielles, d'admirer la minutie nécessaire à la planification des visites royales et de sentir l'enthousiasme que ces visites ont généré au Canada.

Sous-ministre adjoint à la Citoyenneté

En 1985, le nouveau sous-ministre, Bob Rabinovitch, m'a fait passer des Affaires ministérielles à la Direction générale de la citoyenneté.

La Citoyenneté comportait deux grands secteurs de programme. L'un d'entre eux était axé sur le processus de citoyenneté. Chaque année, des milliers d'immigrants reçus présentaient une demande pour devenir citoyens canadiens. Dans la plupart des cas, l'obtention de la citoyenneté canadienne avait lieu lors d'une cérémonie publique présidée par un juge de la citoyenneté. L'autre secteur de programme était axé sur l'inclusion des personnes considérées comme incapables de participer pleinement et équitablement à la société canadienne. Les groupes représentant les peuples autochtones, les femmes et les personnes handicapées, entre autres, étaient soutenus par du financement de base et du financement de projet. À certains égards, cet ensemble de programmes a été un précurseur de nombreuses initiatives qui, au cours des décennies suivantes, ont cherché à favoriser l'inclusion et la diversité.

J'ai rencontré Rick Hansen pour la première fois au siège social canadien de McDonalds à Toronto. George Cohon, chef de la direction canadien de McDonalds, qui avait été l'un des premiers partisans de Rick dans le cadre de sa tournée à travers le monde, organisait une réception pour célébrer la fin de la tournée de Rick. Au cours des mois suivants, Sue Potter, du secrétariat d'État, et moi-même avons travaillé en étroite collaboration avec Rick et son équipe pour élaborer un programme visant à réduire les obstacles à l'accessibilité pour les personnes en situation de handicap dans des domaines comme le transport, les loisirs et le logement, en particulier à l'échelon municipal. Le programme était assez simple : chaque année, lors de l'assemblée annuelle de la Fédération canadienne des maires et des municipalités, les municipalités qui avaient apporté les plus grandes améliorations en matière d'accessibilité étaient reconnues à l'échelle nationale et recevaient une plaque, et les maires étaient photographiés avec Rick Hansen. La décision était rendue par un tiers. Le gouvernement fédéral a fourni les fonds pour administrer le programme, un montant très faible comparativement aux dépenses en immobilisations engagées par les municipalités de tout le pays. Rick a été en mesure de tirer parti de sa réputation bien méritée de Canadien courageux et engagé pour améliorer considérablement la vie de nombreuses personnes en situation de handicap. Les améliorations n'ont pas toujours nécessité un énorme chèque du gouvernement fédéral.

Le financement de base et de projet, cependant, avait ses limites dans les efforts visant à soutenir l'égalité. L'autre outil important était le Programme de contestation judiciaire, mis en place en 1978 lorsque le gouvernement fédéral a commencé à fournir une aide financière pour les causes judiciaires impliquant les communautés de langue officielle en situation minoritaire. Ce qui a été particulièrement satisfaisant pour moi, c'est quand j'ai obtenu l'accord du ministre de la Justice, John Crosbie, en 1985, d'élargir le programme pour y inclure, en plus des langues officielles, les cas découlant de l'article sur le droit à l'égalité (article 15) de la Charte. Le soutien financier fourni aux personnes et aux groupes a grandement permis de définir ce que l'article 15 signifiait réellement. Afin d'éviter d'éventuels conflits d'intérêts, le programme a été administré par un tiers indépendant.

Un autre moment important et satisfaisant de ma carrière a été l'occasion de travailler avec David Crombie et, plus tard, Lucien Bouchard, qui a succédé à David comme secrétaire d'État en 1987.

David était d'une grande intégrité et très engagé, et il a eu beaucoup de difficulté à s'adapter aux façons de faire d'Ottawa. Sa gouvernance et son expérience politique ont été façonnées par son mandat de maire de Toronto, où; les décisions étaient prises en toute transparence lors des réunions du conseil municipal. Le gouvernement de cabinet, avec ses comités, ses organismes centraux et ses délibérations secrètes, était quelque peu étranger à sa nature. Cela dit, lorsqu'il s'est accroché à un projet comme la nouvelle campagne Imagine de Martin O'Connell pour soutenir la philanthropie, ou à une politique du gouvernement fédéral sur l'alphabétisation, il a été implacable et stratégique. Il croyait en la cause de l'alphabétisation et a rassemblé toutes les ressources à sa disposition pour atteindre le résultat souhaité. À la fin de son mandat de secrétaire d'État, il avait convaincu ses collègues de créer un fonds unique de cinq millions de dollars pour des projets d'alphabétisation. Une tête de pont avait été établie.

Lucien Bouchard a repris le dossier là où; David Crombie l'avait laissé. Il est devenu le champion de la cause de l'alphabétisation malgré l'empiétement potentiel dans les champs de compétence provinciaux. Bouchard était un collègue et un ami du premier ministre Mulroney. Il n'a pas hésité à utiliser cette relation pour poursuivre ses objectifs ministériels. En quelques mois à peine, il a obtenu l'approbation du Cabinet pour un programme permanent de 25 millions de dollars par année, et il a travaillé avec L. Ian MacDonald au cabinet du premier ministre pour que le premier ministre annonce le programme le 8 septembre 1988, à l'occasion de la Journée mondiale de l'alphabétisation.

Peu de temps après, j'ai convaincu William Ardell, chef de la direction de Southam (journaux et librairies), de devenir président de la Fondation ABC Canada, un organisme sans but lucratif qui encouragerait la lecture et l'alphabétisation. Avec une partie des fonds du programme d'alphabétisation, le secrétaire d'État a fourni des fonds de démarrage initiaux pour la Fondation; au cours des années suivantes, la Fondation a été financée par le secteur privé.

Ces initiatives m'ont amené à participer à une table ronde sur l'alphabétisation dans le bâtiment du bureau exécutif à Washington, D.C. J'avais été invité à parler du programme du Canada. Le gouverneur de l'Arkansas, Bill Clinton, était également invité, car il avait fait des progrès remarquables dans l'amélioration des résultats scolaires de la population de son État. Le gouverneur Clinton et moi avons eu plusieurs conversations au cours de la journée. À l'époque, j'étais légèrement perplexe quant à la raison pour laquelle il passait autant de temps avec moi. Un collègue de l'ambassade a expliqué plus tard qu'il avait peut-être été impressionné par mon titre de sous-secrétaire d'État adjoint, un poste un peu plus important aux États-Unis qu'au Canada.

Gestion des talents

J'ai appris à la dure l'importance du recrutement. J'ai recruté un nouveau directeur pour un programme en me fiant à des recommandations qu'on m'avait formulées. Six mois plus tard, je savais que j'avais fait une terrible erreur et que je devais passer à l'action. J'ai eu quelques discussions difficiles sur le rendement, ce qui n'a malheureusement pas aidé. La personne avait une foule de connaissances, lesquelles masquaient une absence totale de jugement. Les connaissances peuvent s'acquérir, se développer ou être empruntées, mais pas le jugement. Comme membre de la direction, vous l'avez ou vous ne l'avez pas. La personne s'est vue proposer un certain nombre d'options qui avaient toutes une caractéristique commune : quitter l'emploi dans trois mois ou un aller direct vers un autre emploi. Les erreurs de recrutement de personnel ne sont pas comme le vin. Elles ne se bonifient pas avec le temps.

Dans un autre cas, j'ai eu affaire à un cadre très talentueux, mais qui, sans que je le sache, avait un problème d'alcool. L'affaire a fait surface lorsqu'il m'a remplacé lors d'une allocution. Il s'est présenté, très ivre, et a fait des remarques inappropriées tout au long de la soirée. Je lui ai demandé de me rencontrer au bureau le samedi suivant. Bien sûr, il avait des remords. J'ai dit très peu de choses et je l'ai laissé parler. Je voulais qu'il s'entende décrire ses actions. J'ai pris quelques notes. J'ai conclu en lui demandant d'aller chez les organisateurs de l'événement et de s'excuser personnellement, de m'indiquer par écrit les mesures qu'il prendrait pour lutter contre son problème de dépendance et de me rencontrer une fois par mois pour discuter de la situation. Je ne lui ai pas fait la leçon et je ne l'ai pas puni. J'ai choisi de travailler avec lui parce que cela valait la peine de prendre un risque pour lui. Je n'ai pas été déçu. Quelques années plus tard, il est devenu un excellent directeur à la tête d'un programme clé.

J'ai également appris l'importance d'avoir une équipe, plutôt que de simples collaborateurs individuels forts. Pour renforcer l'importance que revêtait l'équipe, nous avons organisé des séances de réflexion annuelles à l'occasion desquelles nous invitions des conférenciers, dont un Canadien qui avait escaladé le mont Everest et qui a parlé de l'importance du travail d'équipe dans cette réalisation. Parmi les autres conférenciers, il y a eu Robert Normand, qui avait été ministre de la Justice au Québec en 1977 et qui parlait de responsabilité et d'intégrité dans la gestion d'une situation très délicate. Le premier ministre nouvellement élu, René Lévesque, avait eu un malheureux accident de voiture à 4 h du matin après une soirée, accident qui a entraîné la mort d'un sans-abri. Normand a dû surveiller la façon dont la police et les procureurs de la Couronne ont géré l'incident et bien réfléchir à l'intérêt public. Un autre conférencier était Paul Tellier, alors sous-ministre de l'Énergie et des Ressources naturelles, qui a parlé des transitions. Il avait récemment orchestré des changements dans le Programme énergétique national pour le nouveau gouvernement Mulroney.

Collaboration avec les ministres et les ministres d'État

Mon mandat de huit ans au Secrétariat d'État m'a offert de nombreuses occasions de travailler directement avec les ministres, les ministres d'État et les cabinets ministériels, en plus d'améliorer mes compétences en matière de gestion.

Les progressistes-conservateurs de Brian Mulroney avaient remporté l'élection de 1984, et le nouveau gouvernement fut assermenté le 17 septembre. Le lendemain, la nouvelle secrétaire d'État a communiqué avec Huguette Labelle pour lui dire que son premier breffage ministériel aurait lieu le 20 septembre à Kitchener. Malheureusement, cela entrait en conflit avec un autre événement important auquel Huguette avait été invitée à assister avec sa mère : il s'agissait de la messe du pape Jean-Paul II sur la Colline du Parlement. Après avoir omis de changer la date de la séance d'information, elle est passée au plan B et m'a envoyé à Kitchener pour breffer le nouveau ministre au sujet de son ministère.

La séance d'information se déroulait plutôt bien jusqu'à ce qu'une proche du ministre se joigne à la discussion. J'ai senti que les choses allaient dégénérer quand elle a commencé à m'interroger sur mon travail. « Vous n'êtes qu'un sous-secrétaire adjoint. Le ministère n'aurait-il pas pu envoyer un vrai secrétaire? » Il y avait certainement là un air de « vous n'avez pas traité les libéraux de cette façon ». Ma vaillante tentative d'expliquer la nomenclature du gouvernement a été légèrement satisfaisante. J'ai réussi à me sortir de la séance d'information et les prochaines étapes clés ont été définies. J'ai pris congé et je suis retourné à Ottawa, meurtri, mais encore en un morceau.

Quelques jours plus tard, un samedi soir, nous étions en train de souper à la maison lorsque je reçus un appel de la personne proche du ministre. Elle me disait que le ministre et elle voulaient que je prenne les dispositions nécessaires pour qu'un avion du ministère des Transports les emmène de Kitchener à Halifax. Elle a souligné qu'elle espérait que le nolisage d'un avion relevait de ma sphère de compétence en tant que sous-secrétaire adjoint. Je suis entré en action, j'ai parlé au répartiteur du ministère des Transports et j'ai nolisé l'avion du gouvernement pour qu'il les emmène à Halifax. Tout heureux de mon exploit, je l'ai rappelée pour lui annoncer la bonne nouvelle. Malheureusement, elle n'était pas contente. Elle a insisté pour avoir un avion à réaction, comme ce qu'avaient utilisé les libéraux. Après un autre appel téléphonique passé au ministère des Transports, le répartiteur m'a patiemment expliqué que la piste de Kitchener n'était pas assez longue pour un avion à réaction. Pendant que j'améliorais mes compétences en planification de vol, mes invités, eux, avaient dîné et passaient au dessert.

Malheureusement, les renseignements que je leur ai fournis sur les exigences relatives aux pistes pour les avions à réaction (j'avais obtenu du ministère des Transports la longueur exacte requise!) n'ont pas été admis comme étant valides parce que des ministres libéraux avaient été vus utilisant des avions à réaction du gouvernement à ce même aéroport. Après une autre heure, nous avons convenu d'un plan selon lequel nous allions utiliser un autre aéroport doté d'une piste plus longue. Une fois la question du transport réglée, la discussion est passée à l'hébergement à l'hôtel à Halifax. Je dois admettre avoir eu particulièrement plus de succès en tant que sous-secrétaire adjoint pour l'hébergement que pour le transport.

Mis à part la brève période où; M. Clark était en fonction, de mai 1979 à février 1980, c'était ma première exposition à une transition gouvernementale. J'ai appris (et ce ne serait pas la dernière fois) que lorsque les ministres découvrent les modalités du pouvoir et la répartition générale des responsabilités, les fonctionnaires doivent résoudre les questions que les ministres considèrent comme des problèmes. Bien qu'il ne s'agisse pas toujours de problèmes importants, si le ministre les considère comme tels, ces questions se retrouvent au sommet de la pile. Au cours des premiers mois, les mots clés sont capacité d'adaptation, résolution de problèmes et souplesse. Ce sont là des conditions préalables à l'établissement de la confiance. Étant donné que le nouveau gouvernement Mulroney en était à ses débuts, il était important qu'aucune question litigieuse ne crée pas de problème dans la relation de confiance naissante avec le cabinet du ministre. À cette fin, j'ai utilisé une tactique bureaucratique bien connue : j'ai remis la résolution de problèmes à plus tard.

Pendant mon séjour au ministère, j'ai travaillé pour plusieurs ministres d'État tout en appuyant le ministre principal. Les relations entre les ministres allaient généralement bien, mais pas toujours. Par exemple, il y a eu un moment particulier où; une ministre d'État m'a demandé de rédiger une lettre au premier ministre pour exprimer l'opinion de la ministre d'État selon laquelle le ministre principal était constamment en train de lui couper l'herbe sous le pied, c'est-à-dire d'envahir son territoire. Elle voulait que le premier ministre intervienne pour corriger la situation. Quelques jours plus tard, alors que je réfléchissais à la première lettre, je reçus une demande du ministre principal. Il voulait que je rédige une lettre au premier ministre décrivant les lacunes de la ministre d'État.

Il va sans dire que je n'ai préparé aucune lettre, mais que j'ai informé verbalement le Bureau du Conseil privé de la situation. Au cours des mois qui ont suivi, j'ai travaillé assidûment pour éviter d'éventuels points de friction entre les deux ministres. Un remaniement ministériel survenu plus tard dans l'année a réglé la question de manière définitive.

À la fin de 1989, j'ai été invité à participer à un processus d'entrevue pour un nouvel emploi qui avait été créé au ministère de la Santé et du Bien-être social : celui de sous-ministre adjoint principal. Le comité d'entrevue était composé de deux excellents sous-ministres, Maggie Catley‑Carlson, de la Santé et du Bien-être social, et Arthur Kroeger, d'Emploi et Immigration Canada. En décembre 1989, le nouvel emploi m'était offert et je l'ai accepté.

Chapitre 6 : Leçons

En repensant à mes huit années au Secrétariat d'État, j'ai appris que les ministres n'étaient pas tous les mêmes. Certains ont lu leurs notes d'information, d'autres non. Certains avaient beaucoup de temps pour les fonctionnaires, d'autres moins. Certains ont laissé des marques qui ont été effacées par la marée suivante, d'autres ont laissé une empreinte plus substantielle et durable, car ils savaient comment faire avancer les choses. Les attentes devaient être ajustées en conséquence.

J'ai appris l'importance de dire respectueusement la vérité aux gens au pouvoir. Bon nombre de groupes qui avaient reçu un financement de base ou un financement de projet du ministère n'avaient pas fait partie de la coalition qui a élu les progressistes-conservateurs en 1984. C'est un fait que les membres du caucus ont souvent rappelé au ministre et à son cabinet. Compte tenu de l'afflux de ministres au Secrétariat d'État, la question revenait régulièrement. Ces circonstances ont donné l'occasion de discuter des avantages pour l'intérêt public de financer des groupes qui représentaient des personnes qui n'appuyaient pas nécessairement le programme du gouvernement. Ce n'étaient pas toujours des conversations agréables, mais elles étaient importantes et utiles.

J'ai aussi appris à travailler avec des personnes qui ne faisaient pas partie de « la bulle d'Ottawa ». Par exemple, dans le dossier de l'alphabétisation, j'ai développé une étroite relation de travail avec Peter Gzowski, un animateur de radio extraordinaire. Peter avait été l'un des premiers partisans de l'alphabétisation et avait parrainé un tournoi de golf annuel sur l'alphabétisation. La prise de décision gouvernementale ne lui était pas familière, et il n'était pas particulièrement curieux d'en apprendre davantage. Au cours d'un de nos soupers, il a fait remarquer succinctement que les « choses du gouvernement » étaient mon travail. Il se consacrerait de son côté à faire de la sensibilisation et à mener des interventions stratégiques en cas de besoin. À sa manière, il discutait de l'importance des couloirs d'activités. Peter a été très utile dans la formation d'une coalition pour soutenir un programme national d'alphabétisation.

Enfin, j'ai appris l'utilité de travailler en étroite collaboration avec le cabinet du ministre et d'établir une relation de confiance. J'avais discuté avec la cheffe de cabinet d'une approche que j'allais adopter dans notre séance de breffage. Elle a été d'un grand soutien à cet égard, et a confirmé le tout auprès du cabinet du premier ministre. Ces plans bien réfléchis, cependant, ont été contestés par une source que je n'aurais jamais imaginée. Le ministre avait invité son épouse à se joindre à la séance de breffage et l'avait encouragée à dire ce qu'elle pensait. Voir mon ancienne ennemie de retour dans la pièce a généré un certain degré d'anxiété, que je n'ai probablement pas très bien caché. La cheffe de cabinet, sentant que l'échange serait probablement improductif, a proposé de réorganiser les points à l'ordre du jour pour s'assurer que l'épouse du ministre ne serait présente que pour les points importants. Mon point a fini par être reporté au breffage suivant. La cheffe de cabinet ne voulait pas que mon point déraille, et obtenir un report d'une semaine était la meilleure issue. L'utilité d'une approche de partenariat entre la fonction publique et le cabinet du ministre est ici bien évidente.

Enfin, j'ai appris à travailler avec les intervenants, leur diversité et le travail important qu'ils font à l'échelle locale. J'ai également créé un rôle de surveillance approprié qui n'a pas eu d'incidence sur les activités de ces groupes, mais qui a permis au ministère de rester informé.

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Chapitre 7 : Santé et bien-être social, 1990-1991

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En décembre 1989, j'ai été promu au poste de sous-ministre adjoint principal, un précurseur du modèle actuel de sous-ministre délégué. Au début, je n'avais pas de responsabilités hiérarchiques. La sous-ministre, Maggie Catley-Carlson, croyait au modèle de « deux dans la case », où; le sous-ministre et le sous-ministre adjoint principal assurent une intendance conjointe. Je suis convaincu qu'elle voulait que ce concept novateur fonctionne. Cependant, je ne suis pas sûr que son enthousiasme ait été universellement partagé au sein du ministère, en particulier chez certains sous-ministres adjoints.

J'ai rapidement commencé à travailler à plusieurs dossiers, y compris une première rencontre avec Garfield Mahood, le formidable directeur général de l'Association pour les droits des non‑fumeurs. Il a été implacable dans sa quête de réduction de la consommation de tabac. À la fin des années 1980, il se battait sur plusieurs fronts, y compris les étiquettes sur les paquets de cigarettes et l'interdiction de fumer dans les avions. Pour le ministère, il ne s'agissait pas d'un nouveau dossier. En 1963, la ministre de la Santé et du Bien-être social de l'époque, Judy LaMarsh, avait déclaré sans équivoque à la Chambre des communes que le tabagisme causait le cancer. Malgré les preuves scientifiques claires, les progrès vers la réduction du tabagisme ont été lents. Mes efforts se sont concentrés sur l'interdiction de fumer dans les avions. La Direction générale de la protection de la santé du ministère s'est concentrée sur la question des étiquettes et de l'emballage.

Bien que tout cela puisse sembler une évidence aujourd'hui, à l'époque, c'était assez controversé. Les dirigeants des compagnies aériennes nous informaient que ces mesures provoqueraient une crise existentielle chez les transporteurs. Les compagnies soutenaient que, puisque leurs concurrents permettraient encore de fumer dans leurs avions (les États-Unis, par exemple, n'envisageaient alors aucune mesure de ce genre), les transporteurs canadiens perdraient énormément de clients. Toute idée d'utiliser l'interdiction de fumer comme un argument de vente positif était considérée comme une hérésie. Il est légèrement amusant d'entendre les compagnies aériennes informer aujourd'hui les passagers qu'ils sont fiers d'offrir un environnement sans fumée. La politique antitabac est un excellent exemple de la façon dont les gouvernements, tant libéraux que progressistes-conservateurs, ont fait pression pour protéger l'intérêt public.

Un autre dossier portait sur la durée de la protection que confèrent les brevets aux médicaments. Quelques années après la négociation de l'accord de libre-échange avec les États-Unis, Perrin Beatty, qui avait été nommé ministre de la Santé et du Bien-être social après les élections de 1988, m'a demandé de participer à sa réunion avec les PDG de tous les principaux fabricants internationaux de médicaments. L'un des points litigieux dans les discussions sur le libre-échange avait été la durée de protection d'un brevet avant d'autoriser la fabrication de médicaments génériques. Le Canada, dans le cadre de la conclusion d'un accord global avec les États-Unis, avait accepté de prolonger la durée des brevets protégés. Le ministre avait supposé que les PDG venaient le voir pour lui exprimer leur gratitude pour la prolongation récemment approuvée. Il a rapidement déchanté. En fait, ils venaient réclamer une prolongation de la prolongation récemment approuvée. Une fois ce message digéré, le ministre, d'une voix alimentée par la colère, mais contrôlée par son style personnel, a informé le groupe que, tant qu'il serait ministre de la Santé et du Bien-être social, il n'envisagerait pas d'autre prolongation. La réunion a pris fin peu après.

Quelques points m'ont frappé. Premièrement, Perrin Beatty était un ministre qui ne ressentait pas l'envie incontrôlable de consulter le cabinet du premier ministre, le Bureau du Conseil privé ou son personnel. Il pensait que la proposition des PDG était de la folie et il ne voulait pas en faire partie. Deuxièmement, la réunion a été un bon rappel de la façon dont les multinationales, du moins dans ce secteur, voyaient le Canada.

Pendant mon séjour à la Santé et au Bien-être social, j'ai aussi travaillé en étroite collaboration avec la ministre d'État aux Aînés, Monique Vézina, députée de Rimouski. Elle était à l'aise dans ses responsabilités, et le ministre Beatty était respectueux de son espace. J'ai travaillé en étroite collaboration avec Mme Vézina et l'ai accompagnée lors de réunions internationales à Vienne et Budapest. L'idée d'avoir un ministre d'État a très bien fonctionné parce que les deux ministres ont fait en sorte que cela fonctionne.

Le dossier qui me préoccupait le plus était le sida. En janvier 1990, le ministre Beatty a demandé à me voir. Il a rapidement concentré son attention sur le domaine sur lequel il voulait que je me penche : l'élaboration d'une stratégie nationale de lutte contre le sida. Il a mentionné qu'il s'était engagé à mettre en place cette stratégie d'ici juin. Voyant le soulagement dans mes yeux, il a cependant rapidement précisé que son engagement était pour juin… 1989. Nous avions déjà six mois de retard.

Dans les années 1990, le ministère de la Santé et du Bien-être social était déjà un grand ministère avec de nombreux programmes et un important budget autour duquel gravitait une multiplicité de groupes d'intervenants qui pouvaient tous prétendre à la nécessité de renforcer les intérêts de leur communauté. L'effigie de l'ancien ministre, Jake Epp, avait été brûlée par le comité Aids Action Now en raison de son inaction perçue dans le dossier du sida. J'ai demandé au ministre Beatty pourquoi il se concentrait sur ce dossier. Il a brièvement donné deux raisons.

La première était qu'il avait été inspiré par un livre intitulé And the Band Played On, de Randy Shilts, qui racontait comment la communauté médicale américaine, le gouvernement américain et la communauté de la santé publique n'avaient pas réussi à s'unir pour lutter contre cette maladie d'un point de vue médical et sociétal. Le fait que bon nombre des personnes ayant contracté la la maladie étaient des hommes homosexuels était un facteur non négligeable dans cette approche de laissez-faire. Après avoir lu le livre, le ministre voulait faire ce qu'il pouvait au Canada.

La deuxième raison était qu'il comprenait la politique et l'appui politique. Il a explicitement dit qu'il voulait mettre à profit l'appui politique pour cette cause. Il a reconnu que cette priorité n'était pas très populaire au sein du caucus, mais il était prêt à en assumer les conséquences.

Perrin Beatty, un homme honnête, a été consterné par la discrimination à laquelle les victimes du sida étaient confrontées en raison de leur orientation sexuelle. Il n'avait pas de cadre pour la stratégie et il n'était pas convaincu qu'il pourrait obtenir plus d'argent du cabinet. Il voulait inscrire la nécessité d'une stratégie dans le programme national et avoir un débat transparent sur les politiques publiques.

Il arrive de temps en temps, en tant que haut fonctionnaire, que l'on trouve un ministre qui veut faire ce qu'il faut pour les bonnes raisons, tout en reconnaissant que les avantages politiques peuvent être modestes, tout au mieux. J'ai trouvé son approche convaincante et motivante.

Une réunion a été rapidement organisée avec son personnel politique très compétent pour discuter de certaines réalités. Comme la prestation des soins de santé est fondamentalement une responsabilité des gouvernements provinciaux, certains responsables de la santé et du bien‑être social n'étaient pas trop sympathiques. Le responsable principal avait un grand tableau indiquant les causes médicales des décès au Canada : cancer, crises cardiaques, accidents vasculaires cérébraux. Il y avait une minuscule ligne associée aux personnes qui mouraient du sida. Le message à retenir était facile à comprendre : du point de vue de la santé publique, le sida n'était pas un gros problème. Les leaders des groupes de lutte contre le sida qui venaient rencontrer ce responsable sont repartis en sentant qu'il y avait beaucoup de travail à faire.

À l'hiver 1990, les groupes communautaires commencèrent à s'en prendre au ministre. Après avoir d'abord salué sa nomination, pensant qu'il serait meilleur que Jake Epp, ils ont été frustrés par le manque d'action et de nouvelles ressources pour soutenir la Stratégie. À peine six mois plus tard, au milieu de 1990, Perrin Beatty annonçait la première stratégie nationale de lutte contre le sida.

Les principaux éléments de la stratégie comprenaient l'établissement, en collaboration avec l'Université de Toronto, d'un registre national de traitement pour décrire et suivre toutes les stratégies de traitement. À l'ère pré-Google, il s'agissait d'une percée pour faciliter l'échange d'informations. Le nouveau président de l'université, Rob Prichard, a été très utile pour que cela fonctionne. Au sein du ministère de la Santé et du Bien-être social, un nouveau secrétariat de lutte contre le sida a été créé de sorte qu'il coordonne les politiques au sein du ministère et assure la liaison avec les groupes communautaires. Une jeune nouvelle cadre, Judith Wright, a été embauchée pour être la première directrice générale. Les ressources en recherche ont été redéployées pour mieux comprendre la maladie, ce qui permettrait de rendre certains médicaments, comme l'AZT, plus accessibles aux Canadiens.

Les groupes communautaires ont généralement bien réagi à l'annonce. Kelly Toughill, une journaliste du Toronto Star, a écrit : [traduction] « Les journalistes s'attendaient à un plan détaillé définissant précisément ce que le gouvernement fédéral ferait pour lutter contre l'épidémie. » En effet, ils ont été stupéfaits par les deux minces volumes de la stratégie. Mais leur étonnement face à la minceur de la stratégie tant attendue du gouvernement n'était rien comparé à leur surprise face à la réponse qu'elle a suscité chez les militants de la lutte contre le sida qui n'ont habituellement pas la langue dans leur poche. Les mêmes personnes qui avaient brûlé l'effigie de Jake Epp ont poliment applaudi la stratégie. Joan Anderson, présidente de la Société canadienne du sida, a déclaré : « Il est vraiment important d'encourager les mesures positives partout où; elles sont prises. Nous ne pouvons pas simplement être négatifs tout le temps. Il y a beaucoup de bonnes choses dans ce document qui mérite des éloges. Nous donnons notre soutien sans aucun remords. » [traduction]

Au fil des ans, les gouvernements fédéraux, tant conservateurs que libéraux, ont préparé et publié des stratégies mises à jour et améliorées, garantissant que le VIH/sida ne serait jamais oublié en tant que priorité stratégique. Perrin Beatty a atteint ses objectifs d'ajouter le sida au programme national et d'établir un dialogue courtois entre le gouvernement et les groupes communautaires.

Chapitre 7 : Leçons

Avec le recul, plusieurs facteurs ont contribué au succès de la stratégie de lutte contre le sida. L'un d'entre eux était la volonté politique. Perrin Beatty voulait élaborer une stratégie nationale de lutte contre le sida, non pas parce qu'on lui avait dit de le faire, mais parce que c'était la bonne chose à faire. Lorsqu'il a été critiqué, il a pris les coups, mais est resté déterminé à faire le travail.

Un deuxième facteur était de gagner la confiance des intervenants. Tantôt avec le ministre, tantôt seul, tantôt avec mon personnel, nous avons rencontré des groupes militants de partout au pays et des leaders de la communauté gaie. Nous devions mieux comprendre la maladie et établir une relation de confiance. Toutes les séances n'ont pas été faciles. Je me souviens d'un cas où; j'ai présenté au leader communautaire le plan à long terme qui allait au-delà de la stratégie. Il hocha la tête pour exprimer son soutien, puis ajouta : « C'est bien, mais vous savez que je serai mort au moment où; vous tout votre plan progressif aura été déployé. » À une autre occasion, alors que j'accompagnais le ministre lors d'un événement semi-public, l'auditoire a commencé à nous jeter des cacahuètes pour manifester sa déception au sujet du financement. Mais au fil du temps, nous avons pu travailler de manière plus constructive. Cette relation de confiance m'a permis de m'adresser en toute franchise aux différents groupes. Je leur ai rappelé que Beatty avait pris de nombreux risques en s'imposant lui-même la nécessité d'une stratégie nationale de lutte contre le sida. Si la communauté qu'il essayait d'aider lui disait perpétuellement, ainsi qu'au monde, qu'il n'était « pas assez bon », un nouveau ministre, une fois que Beatty aurait quitté le portefeuille, pourrait être plus réticent à s'engager.

Le troisième facteur du succès de la stratégie a été la capacité de travailler avec les gouvernements provinciaux, qui faisaient tous face à des défis semblables avec le sida : l'intégration de l'épidémiologie émergente, la disponibilité et l'efficacité des différentes options de traitement, et le rôle des mesures de santé publique. Du point de vue fédéral, notre objectif était d'inscrire le sida dans le programme national sans que les gouvernements provinciaux nous reprochent de ne pas fournir de financement supplémentaire. Nous avons réalisé l'impossible en ayant des conversations bilatérales stratégiques avec des provinces clés sur le plan politique et bureaucratique. Nous n'avons pas critiqué les gouvernements provinciaux dans la stratégie, et nous nous en sommes tenus à notre couloir d'activités.

La confiance entre la fonction publique et le cabinet du ministre a également joué un rôle important. Tout au long de la période qui a précédé l'annonce de la stratégie, la fonction publique a travaillé de façon transparente avec le cabinet du ministre. Dès le départ, il y avait un respect et une confiance mutuels. Et quand les choses allaient parfois de travers, personne ne blâmait personne. Nous avons continué à travailler en partenariat.

Six mois plus tard, en décembre 1991, j'ai quitté ce merveilleux travail et un excellent sous-ministre pour devenir le sous-secrétaire du Bureau des relations fédérales-provinciales.

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Chapitre 8 : Bureau des relations fédérales-provinciales, 1991-1992

52.36%

À la fin de 1990, j'ai reçu un appel de Gordon Smith, le secrétaire de cabinet pour le Bureau des relations fédérales-provinciales (BRFP). Il voulait discuter de mon intérêt à me joindre au BRFP en tant que secrétaire adjoint aux politiques et aux communications. Il a mentionné qu'il téléphonait de la part de Paul Tellier, greffier du Conseil privé, et de Norman Spector, chef de cabinet du premier ministre Mulroney. Ils pensaient tous deux que je serais le meilleur candidat pour diriger l'élaboration d'un ensemble de stratégies à la lumière de l'échec de l'Accord du lac Meech. Tellier et Spector m'ont personnellement téléphoné dans les jours suivants pour renforcer leur message.

Je leur ai dit à tous que je passais un très bon moment à travailler avec Maggie Catley‑Carlson à Santé et Bien-être social, et que je ne cherchais pas à déménager. Pourtant, j'étais intrigué par l'occasion de revenir au dossier de l'unité nationale. Et mon ego n'était pas mécontent de l'attention que je recevais de trois hauts fonctionnaires du gouvernement du Canada. J'ai accepté l'offre de Gordon. Je n'ai pas eu la sagesse d'en discuter avec Maggie avant de prendre la décision de déménager.

J'avais un beau bureau au troisième étage de l'ancien édifice du bureau de poste qui donnait sur le Monument commémoratif de guerre du Canada. Gordon m'a informé que notre priorité serait de travailler sur une présentation au Comité des priorités et de la planification du cabinet, dont la discussion est prévue dans deux semaines. Malheureusement, une ébauche viable n'était pas disponible, mais l'équipe a réussi à rédiger une bonne ébauche, qui a fait son chemin vers le Comité des priorités et de la planification. Lowell Murray, le ministre responsable, a été magistral en présentant la trousse et en répondant aux questions. Ce serait sa dernière présentation. Un peu plus tard, le premier ministre Mulroney remaniait son cabinet, remplaçant Murray par Joe Clark, qu'il nommait président du Conseil privé et ministre des Affaires constitutionnelles. Gordon et moi avons regardé l'assermentation et le point de presse qui a suivi.

M. Clark n'a répondu qu'à quelques questions, car, comme il l'a dit aux médias, il devait aller rencontrer ses fonctionnaires pour commencer les séances e breffage. Gordon et moi nous sommes regardés un peu perplexes, car ni lui ni moi n'étions au courant de séances de breffage prévues avec le nouveau ministre. Un mauvais présage pour le premier jour. Nous avons finalement eu l'occasion d'informer le ministre et son chef de cabinet de confiance, Jim Judd, un fonctionnaire prêté au bureau du ministre par les Affaires étrangères. Gordon m'a confié qu'il avait eu des interactions avec M. Clark lorsqu'il a été brièvement premier ministre en 1979. Elles ne s'étaient pas très bien déroulées.

Dotation et processus

Au cours des premiers mois, je me suis principalement concentré sur les ressources humaines. J'ai rapidement embauché des talents politiques de premier ordre : Kathy O'Hara, Hilary Pearson et Janice Charette. J'ai également recruté Gary Breen pour coordonner toutes nos activités de recherche et de sondage.

Par la suite, j'ai porté mon attention sur le recrutement à l'extérieur de la fonction publique. J'ai commencé avec Ron Watts. Ron avait été le quinzième directeur de l'Université Queen's, de 1974 à 1984. Par la suite, il a été directeur de l'Institut des relations intergouvernementales de l'Université Queen's et il était l'un des plus grands experts du fédéralisme au Canada. Hilary Pearson et moi sommes allés le rencontrer chez lui à Kingston. Ma justification pour recruter Ron était double. Premièrement, l'équipe du BRFP avait été marquée par la débâcle de l'Accord du lac Meech; il était nécessaire d'amener du sang neuf qui apporterait un nouveau capital intellectuel à la table. Deuxièmement, les bureaucraties ne sont pas connues pour sortir des sentiers battus et proposer des idées substantiellement nouvelles. D'un point de vue organisationnel, nous allions demander aux fonctionnaires du ministère, qui étaient les experts en la matière, de fournir des options de changement constitutionnel. Nous avions besoin d'une fonction de remise en question et de la capacité d'apporter de nouvelles idées.

Notre recrutement a été couronné de succès, car Ron a accepté l'offre de devenir secrétaire adjoint du cabinet responsable de la politique constitutionnelle. Ron a par la suite pris l'initiative d'offrir un contrat à cinq universitaires de partout au pays. Le premier à dire oui a été Roger Gibbins de l'Université de Calgary. Le groupe était un groupe de réflexion interne qui pouvait générer de nouvelles idées et remettre en question des propositions provenant de l'intérieur du gouvernement fédéral.

Pour planifier la stratégie et revoir l'état d'avancement de diverses initiatives, un petit groupe se réunissait chaque semaine dans la salle de conférence de Paul Tellier. Paul, Gordon, Norman et moi étions régulièrement présents. À divers moments, des sous-ministres particuliers, tels que Fred Gorbet au ministère des Finances, étaient invités.

Une transition

Quelques semaines après la nomination de M. Clark, j'ai reçu un appel de l'une de ses plus proches conseillères politiques. Elle a dit que je n'avais rien à craindre et que tout irait bien après le changement de ministre. Mes questions sur les raisons pour lesquelles je devrais m'inquiéter sont restées sans réponse. J'ai délicatement soulevé auprès de Gordon la question de sa relation avec le ministre, puisque j'ai dit que j'entendais des sources dire qu'il y avait un problème. Il m'a assuré que tout allait bien. Je l'ai exhorté à faire preuve de prudence.

Quelques semaines plus tard, Gordon a été relevé de ses fonctions par le premier ministre, qui avait accepté la recommandation de M. Clark de le congédier. Le premier ministre, qui a toujours maintenu un vif intérêt pour les affaires fédérales-provinciales, a surpris beaucoup de gens lorsqu'il a nommé Paul Tellier au poste de secrétaire du Cabinet (BRFP) en plus de son travail de greffier du Conseil privé.

De toute évidence, M. Clark s'est réjoui de la nomination de Paul, puisqu'il n'avait pas le choix. Mais il a fait valoir l'argument convaincant que Paul était occupé avec son « travail de jour » et qu'il ne disposait pas d'énormément de temps. Il ne pourrait pas, par exemple, accompagner le ministre lors de ses visites dans tout le pays, dans toutes les capitales provinciales, ni assister à toutes les réunions du comité du cabinet. C'était particulièrement le cas parce que M. Clark a insisté pour que le comité se réunisse dans diverses régions du pays, d'Iqaluit à Niagara-on-the-Lake. Le résultat net a été la nomination de Jocelyne Bourgon à titre de sous-ministre de M. Clark. Elle avait auparavant été sous-ministre de la Consommation et des Affaires commerciales.

Québec

Beaucoup de temps a été consacré à observer, surveiller et analyser l'évolution de la situation au Québec. Après le rejet de l'Accord du lac Meech, le premier ministre du Québec, M. Bourassa, et le chef de l'opposition, M. Parizeau, ont annoncé conjointement la création d'une commission d'enquête bipartite : la Commission Bélanger-Campeau. Son mandat était de faire des recommandations concernant l'avenir du Québec. Bélanger, un fédéraliste convaincu, était président de La Banque Nationale. Campeau, fervent partisan de la souveraineté, était président de La Caisse de dépôt et placement du Québec, le deuxième fonds de pension en importance au pays.

En parallèle, le Parti libéral du Québec a demandé un rapport à Jean Allaire, le chef de son comité constitutionnel sur la réforme de la fédération. Allaire a recommandé un modèle selon lequel le gouvernement fédéral aurait la préséance dans cinq domaines : la défense, la gestion de la dette, la monnaie, les tarifs douaniers et la péréquation. Le reste serait partagé avec les gouvernements provinciaux ou transféré aux provinces. Ce rapport a eu une brève durée de vie, mais il a néanmoins fait une déclaration politique.

Le principal conseiller de M. Bourassa, Jean-Claude Rivest, a adopté une position semblable à « faites-nous une offre, on verra après ». Malgré divers intermédiaires, il n'a pas été possible de déterminer ce qui était un danger réel et actuel par rapport à un danger extrêmement grave. Le gouvernement du Québec envoyait constamment des messages différents. Certains ont fait valoir qu'il n'avait pas de stratégie globale. Le Québec a pris un certain nombre de décisions tactiques, comme celle de ne pas assister aux réunions fédérales-provinciales.

Une autre transition

Quelques mois après l'arrivée de Jocelyne, j'ai commencé à entendre des rumeurs comme quoi mon emploi était en danger. Michel Vastel, un journaliste chevronné qui avait un bon accès aux leaders politiques, a repris ce point de vue dans certaines de ses chroniques. Un thème qui revenait souvent était la grogne au sein du cabinet du premier ministre sur le fait que la stratégie constitutionnelle du gouvernement impliquait Richard Dicerni, qui avait été un conseiller clé de Trudeau en 1980. J'avais une petite idée de qui devrait partir si le gouvernement voulait se débarrasser de conseillers précédents.

J'ai consulté Jocelyne directement. Elle a fait taire toutes les rumeurs. Quelques semaines plus tard, elle m'a appelé pour m'informer que mon travail ne disparaîtrait pas, mais qu'il serait amputé. Je demeurerais sous-secrétaire du Cabinet, mais je ne conserverais que le mandat des affaires publiques. Un autre sous-secrétaire assumerait mon rôle sur le plan des politiques. Compte tenu du caractère central de ce rôle, mon remplaçant prendrait également mon bureau. Je serais relocalisé au 155, rue Sparks, à quelques pâtés de maisons du bloc Langevin. Ce n'était qu'à dix minutes à pied de Langevin, mais visuellement, c'était une très longue distance.

Ma réaction immédiate a été d'être très en colère. Et en réfléchissant un peu plus à ce changement, ma colère n'a fait qu'augmenter. En fin du compte, j'avais quitté un excellent emploi au ministère de la Santé et du Bien-être social pour devenir directeur des communications. Deux des trois personnes qui m'avaient embauché n'étaient malheureusement plus là : Gordon s'en allait à Bruxelles pour être ambassadeur auprès de l'OTAN et Norman Spector s'en allait en Israël en tant que nouvel ambassadeur du Canada là-bas. Dans le grand ordre des choses, ma réaffectation n'était pas un gros problème. Jocelyne, étant donné son rôle, avait le droit et même la responsabilité d'avoir quelqu'un qu'elle connaissait et avec qui elle avait déjà travaillé. Je n'étais pas cette personne.

C'est dans ces circonstances que j'ai reçu l'appel d'Anne Fawcett, qui m'a finalement amené à quitter le gouvernement fédéral pour me joindre au gouvernement de l'Ontario.

Chapitre 8 : Leçons

Quand je repense à mon année au BRFP, deux leçons ressortent.

La première est l'importance des agents du changement qui peuvent apporter un nouveau capital intellectuel à un problème complexe. Les bureaucraties ont généralement tendance à être remplies par des conciliateurs et des gradualistes. Il ne s'agit pas d'une expression de défiance à l'égard des cadres supérieurs lorsque l'on demande de l'aide extérieure; il s'agit plutôt d'une tentative pour éviter la frustration. Pour paraphraser Einstein, la définition de la folie bureaucratique est de faire la même chose avec les mêmes personnes et de s'attendre à des résultats différents. Bien qu'il y ait toujours des moments difficiles à intégrer l'apport des collaborateurs externes à celui de la fonction publique permanente, il s'agit d'un petit prix à payer pour trouver des options valables.

La deuxième leçon est que de mauvaises choses arrivent aux bonnes personnes. J'avais été recruté par deux personnes, dont deux ont ensuite quitté l'immeuble. Les capacités et les compétences que j'avais lorsque j'ai été embauché étaient toujours présentes. Mais les circonstances, elles, avaient changé. Comme l'a dit l'ancien secrétaire à la Défense des États-Unis, Donald Rumsfeld : « Ce sont des choses qui arrivent. »

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Chapitre 9 : Gouvernement de l'Ontario, 1992-1995

57.12%

Sous-ministre de l'Environnement

À la fin de février 1992, Anne Fawcett, une chasseuse de têtes senior chez Caldwell Partners, m'a contacté. Elle m'a demandé si j'envisagerais un jour de devenir sous-ministre au sein du gouvernement de l'Ontario et plus précisément, sous-ministre de l'Environnement. Bien sûr que je le ferais, mais comme il faut le faire dans ce genre de circonstances, j'ai tu mon enthousiasme tout en communiquant un intérêt clair. Nous avons convenu que la prochaine étape serait une rencontre ou une entrevue avec le secrétaire du Conseil des ministres de l'Ontario, Peter Barnes.

Quelques semaines plus tard, à Toronto, j'ai eu une discussion positive avec Peter. À la fin de notre réunion, il a dit que la prochaine étape serait probablement une rencontre avec le premier ministre, Bob Rae. La semaine suivante, j'étais invité à souper dans la région de la Petite Italie, à Toronto, avec le premier ministre et son chef de cabinet, David Agnew, une personne intelligente, décontractée et concentrée. La première question que le premier ministre a posée a été : « Est-ce que je vous ai déjà rencontré? » J'ai dit non, mais j'étais une connaissance de son frère. David m'a expliqué plus tard que le gouvernement de l'Ontario avait été critiqué pour avoir embauché des amis du premier ministre comme sous-ministres. Je l'ai assuré qu'il s'agissait de notre première rencontre. Après avoir répondu à la première question, j'ai trouvé le reste du souper stimulant et agréable. Il m'est apparu à mi-chemin du repas qu'il s'agissait en partie d'une entrevue et en partie d'un argumentaire de vente. J'étais courtisé. À la fin, David a mentionné que la prochaine et dernière séance serait avec la ministre, Ruth Grier.

Je l'ai rencontrée, elle et sa cheffe de cabinet, Mary Lewis, dans un restaurant près de l'aéroport Pearson. Madame Grier était une environnementaliste et une personne pragmatique. Elle comprenait l'importance d'une gestion solide pour faire avancer les choses. La soirée a commencé un peu difficilement lorsque la ministre m'a demandé mon point de vue sur les trois R. J'ai alors parlé avec passion de l'importance de la lecture, de l'écriture et de l'arithmétique. Elles hochèrent toutes les deux la tête avec approbation. L'ambiance changea quelque lorsque Mary me dit : « Richard, la ministre serait également intéressée à entendre votre point de vue sur les trois autres R, ceux qui se rapportent au portefeuille de l'Environnement : réduire, réutiliser et recycler. » Ayant brillamment affiché mon manque flagrant de connaissances environnementales, j'ai passé les trente minutes suivantes à m'en remettre. À la fin, cependant, la ministre a dit qu'elle avait hâte de travailler avec moi. En plus du premier ministre et de David Agnew, je pense que certaines personnes, comme David Crombie, avaient glissé un bon mot à mon sujet.

Quelques jours plus tard, Peter Barnes m'a informé que ma nomination par décret était à l'ordre du jour du Cabinet fédéral de la semaine prochaine. Le vendredi, j'ai envoyé une note manuscrite au greffier du Conseil privé à Ottawa pour l'informer de ma décision. Le lundi matin, Glen Shortliffe, le greffier adjoint, m'a demandé d'aller le voir. La pensée m'a traversé l'esprit qu'il voulait me féliciter personnellement. Son intention était toute autre. Il m'a dit qu'à la lumière de ma lettre, je devrais vider mon bureau aujourd'hui même, puisqu'il allait faire changer les serrures à 17 h. Je me suis dit que c'était un peu dur. Lorsque Hugh Segal, chef de cabinet du premier ministre Mulroney a entendu parler de l'entrevue de départ, il m'a téléphoné pour m'inviter à dîner au restaurant du Centre national des Arts, le lieu le plus public disponible. Il voulait faire savoir à toutes les parties intéressées qu'il ne considérait pas le fait d'aller travailler pour le deuxième plus grand gouvernement du pays comme un acte de trahison. Son geste m'a profondément touché. Il a vraiment fait preuve de classe.

Pour commencer : 135, avenue St. Clair Ouest

J'ai commencé mon nouvel emploi le 2 mai 1992. Le ministère de l'Environnement était situé au 135, avenue St. Clair Ouest, à l'angle du chemin Avenue, au centre-ville de Toronto. Comme ma famille ne s'installerait avec moi qu'au début de juillet, je consacrais trois soirées par semaine à tisser des liens avec les intervenants externes. Chaque semaine, je rencontrais systématiquement des groupes environnementaux, souvent dans leurs bureaux, ainsi que des représentants de l'industrie, des promoteurs, des représentants municipaux et des universitaires. Au cours de ces premiers mois, je me suis également rendu dans nos six bureaux régionaux pour obtenir leurs points de vue sur les questions dont le personnel de l'administration centrale m'informait. Ces réunions ont fourni des idées utiles et différentes.

Avant de rencontrer les associations, je leur demandais de me fournir au préalable un document d'information de deux pages pour me familiariser avec leurs préoccupations. Une association, la Fédération de l'agriculture de l'Ontario, a refusé d'envoyer un tel document. Ils ont dit qu'ils n'auraient besoin que de 15 minutes. Le président de l'association avait choisi une approche différente. Il est arrivé à mon bureau avec une mallette assez grosse. Il l'a rapidement ouvert et a mis sur mon bureau une carte électorale de l'Ontario montrant les 125 circonscriptions. Il a ensuite placé sur un certain nombre de circonscriptions une grosse figurine de vache, sur d'autres circonscriptions, il a placé une vache plus petite. Il a indiqué les circonscriptions avec de grosses vaches et a dit : « Dans ces circonscriptions, mes membres contrôlent essentiellement le résultat de l'élection. Les circonscriptions où; il y a des vaches plus petites sont celles où; nous influençons le résultat. J'enverrai notre document d'information la semaine prochaine. Je vous demanderais, lors de la lecture de notre document, de garder à l'esprit les grosses vaches et les petites vaches ». Puis il a pris congé. À ce jour, je me souviens de cette rencontre comme d'une des présentations les plus efficaces et les plus succinctes. Il cherchait à combiner politique et politiques.

En juillet, j'ai dressé un bilan. Pour ce qui est de l'équipe de direction, elle était généralement solide, mais il y avait un problème flagrant. Le sous-ministre adjoint responsable du recyclage était un homme gentil, intensément engagé dans la religion du recyclage, mais profondément dépassé en tant que cadre. Auparavant, il avait été gestionnaire pour le gouvernement régional métropolitain. Lorsqu'il est devenu sous-ministre adjoint, cela s'apparentait à un triple saut dans l'organigramme. Les triples sauts fonctionnent rarement. Cela n'a pas fait exception. Il était clair que cette personne avait été recrutée avec l'apport et l'appui solide du cabinet de la ministre, qui voulait quelqu'un qui partageait la même vision. Malheureusement, son engagement envers la cause n'arrivait pas à pallier son incapacité à livrer la marchandise. Cette réalité commençait à apparaître sur le radar de la ministre. J'avais besoin de faire quelque chose. J'ai communiqué directement avec la ministre et je lui ai fait part de mes préoccupations quant au fait que les lacunes du sous-ministre adjoint compromettaient l'atteinte des résultats. Elle m'a dit qu'elle avait les mêmes préoccupations et que je devais faire ce qu'un sous-ministre devait faire.

Les scientifiques et les ingénieurs étaient au cœur du ministère de l'Environnement. Ils écrivaient de longues notes techniques complexes qui faisaient surface aléatoirement sur mon bureau, souvent avec un autocollant urgent. Le service juridique, qui n'était pas petit compte tenu de l'obligation d'exécution découlant de nombreux règlements, produisait des traités tout aussi longs. L'arrivée de tels documents prenait de plus en plus de mon temps libre. Pour mettre un peu d'ordre dans cette situation, j'ai demandé à chaque directeur de m'envoyer chaque semaine une liste annotée des notes de service qu'ils prévoyaient de m'envoyer au cours des deux prochaines semaines couvrant les principaux développements de programmes ou de politiques, les recommandations importantes concernant les nominations, et tout événement majeur qui attirerait l'attention des médias. Ces listes sont devenues la base de mes réunions hebdomadaires avec les administrateurs et ont forcé les sous-ministres adjoints à interroger leurs directeurs, qui, à leur tour, ont interrogé leurs gestionnaires sur ce qui était dans leur pipeline. Il en va de même pour les volumineux mémoires juridiques. Je faisais des exceptions compréhensibles lorsqu'une véritable urgence se produisait. Mais la réalité était que toutes les questions n'étaient pas urgentes et nécessitaient une décision immédiate de la part du sous-ministre. La nouvelle approche a contribué à accroître la prévisibilité et la planification. Au fil du temps, les rapports bimensuels ont remplacé les rapports hebdomadaires.

Les membres du personnel du bureau du ministre provincial de l'Environnement étaient semblables, mais différents de ceux des cabinets de ministres fédéraux avec lesquels j’avais traité à Ottawa. Une différence était qu'ils étaient jeunes, très engagés, polis, mais insistants. À l'exception du chef de cabinet, qui arrivait du YWCA, ils avaient tous été recrutés dans de grandes organisations non gouvernementales de l'environnement. Une autre différence était qu'ils se réunissaient en tant que groupe et se désignaient eux-mêmes comme le « conseil ». Ils exprimeraient collectivement leur opinion sur toutes les questions, puis communiqueraient les points de vue du « conseil » au ministère. Ce modèle avait maintenant été institutionnalisé et accepté au sein du ministère. Après quelques mois de travail, j'ai fait part de ma perception et de ma préoccupation à Mme Grier que ce concept ne la servirait pas bien. Elle m'a rapidement mis à l'aise. Elle a expliqué qu'étant donné l'ADN du NPD au pouvoir, elle avait dû recruter dans la communauté des ONG environnementales pour les avoir de son côté. Elle a également insisté sur le fait que j'étais son sous-ministre et qu'elle apprécierait mes conseils stratégiques et ma gérance du ministère. Même si elle s'attendait à ce que je tienne compte des conseils provenant de son bureau, ma responsabilité était de lui donner mes meilleurs conseils. Ce fut le début d'une merveilleuse relation. La ministre a dit implicitement : Je vous fais confiance. Maintenant, livrez la marchandise. Je vais vous soutenir.

L'angoisse est peut-être le terme qui saisit le mieux l'humeur générale du secteur privé face au programme environnemental du gouvernement provincial en 1992-1993. Cette angoisse a considérablement augmenté lorsque la récession a frappé la province. Les entreprises industrielles croyaient fermement que ce n'était pas le bon moment pour adopter de nouvelles réglementations coûteuses. C'était compréhensible. Cependant, je n'ai jamais été en mesure de trouver une déclaration dans laquelle les entreprises pensaient que le moment était bien choisi pour mettre en place des règlements environnementaux concrets pour réduire la pollution.

Certaines des inquiétudes étaient réelles, certaines étaient exagérées, d'autres n'étaient tout simplement pas fondées. Mais j'avais besoin de créer un dialogue pour réduire le besoin de Valium. J'ai donc fait quelques pas en avant.

Tout d'abord, j'ai rencontré individuellement tous les grands cabinets d'avocats spécialisés en droit de l'environnement. Nous avons discuté des secteurs de programmes et de politiques pour lesquels leurs clients avaient des préoccupations. Cela m'a permis de dissiper les rumeurs. J'ai entrepris d'avoir des réunions semblables trois mois plus tard pour discuter de ce que le ministère faisait pour réduire l'incertitude et fournir des renseignements plus précis sur les objectifs du gouvernement.

La deuxième initiative consistait à communiquer avec un regroupement des principaux dirigeants syndicaux de l'Ontario. Nous allions le faire par l'entremise d'un organisme tiers, le Forum des politiques publiques. Les entreprises, leurs PDG et leurs lobbyistes n'avaient pas leur accès habituel au gouvernement, car ils n'avaient pas, au fil des ans, établi de réseaux et de relations avec le NPD, l'éternel troisième parti. Pour eux, l'Ontario serait toujours gouverné par les progressistes-conservateurs ou les libéraux. Quelques PDG, comme Jon Grant de Quaker Oats à Peterborough, ont eu accès à la fois au gouvernement néo-démocrate et au National Club de Bay Street. Mais Jon, qui était un environnementaliste, était l'exception. Pour mettre tout le monde sur un pied d'égalité sur le plan politique, la participation des principaux dirigeants syndicaux a été facilitée dans les secteurs où; de nouvelles réglementations environnementales étaient envisagées. Le secteur des pâtes et papiers en est un exemple. Il y avait beaucoup d'usines et beaucoup d'emplois dans le Nord de l'Ontario. Les dirigeants syndicaux avaient déclaré qu'ils n'étaient « pas sur le point de se retourner et de laisser un écolo de Toronto tuer leur emploi ». La question particulièrement préoccupante était la réglementation entourant l'émission zéro de chlore dans l'eau. Les entreprises et les syndicats ne voulaient pas d'une réglementation aussi stricte parce qu'il n'existait aucune technologie permettant aux entreprises de s'y conformer. Les environnementalistes faisaient pression sur ce point parce que le règlement allait obliger les entreprises à innover sur le plan technologique.

Il va sans dire que la rencontre entre les dirigeants syndicaux et les représentants des ONG a été inspirante. En fin de compte, les règlements qui ont vu le jour après les consultations constituent un ajout bienvenu à la protection de l'environnement sans avoir causé de dommages économiques permanents. L'idée du zéro chlore a été conservée dans le prologue du règlement comme un objectif ambitieux.

Sensibilisation et diversification

Deux des principaux risques auxquels sont confrontés les sous-ministres sont d'être captifs de la corbeille d'arrivée et emprisonnés dans la pensée de groupe. Pour me prémunir contre ces risques, j'ai lancé un certain nombre d'initiatives. Il s'agissait notamment de rencontrer divers groupes, y compris aux États-Unis. Il y a, à Washington, D.C., une grande diversité de sources de capital intellectuel : groupes de réflexion, groupes de défense de droits et d'intérêts, personnel de comité au Sénat et à la Chambre des représentants. Tous les quatre ou cinq mois, je réservais des réunions avec des représentants de ces groupes pendant deux jours. Ces séances m'ont beaucoup aidé à comprendre les tendances stratégiques et l'ADN des différentes coalitions sur différentes questions. Les réunions avec le Fonds de défense de l'environnement et le personnel du comité du Congrès sur l'environnement ont été très utiles.

Les réunions avec le Québec ont également été importantes. La plupart des provinces ont des lois et des règlements environnementaux qui, sans être identiques, sont assez semblables. Par exemple, toutes les provinces ont des lois concernant l'évaluation environnementale, le recyclage et la protection de l'environnement. Pour tirer parti de l'expérience des autres, nous avons mis en place des rencontres avec nos homologues à Québec, où; nous avons pu comparer les notes sur les pratiques exemplaires et les approches de gestion. Ces réunions, auxquelles ont participé le sous-ministre et trois ou quatre sous-ministres adjoints de chaque gouvernement, duraient environ un jour et demi et avaient lieu tous les quatre ou cinq mois. Nous alternions entre une rencontre à Québec et à Toronto.

Je me suis également efforcé de rencontrer périodiquement des groupes environnementaux. Il y avait de nombreux groupes environnementaux à Toronto, comme Pollution Probe, l'Association canadienne du droit de l'environnement, Greenpeace et le Fonds mondial pour la nature. Ils ont largement contribué à façonner l'opinion publique sur les questions environnementales. Pour me tenir au courant de leurs politiques et priorités émergentes, je me suis joint aux principales organisations et j'ai fourni une contribution financière à chacune d'entre elles. Les bulletins réguliers que ces organisations produisaient ont été des plus utiles pour comprendre le raisonnement derrière leurs priorités et les résultats souhaités.

Les initiatives du genre ont été prises à l'ère pré-Google. Elles restent valables aujourd'hui parce qu'elles permettent l'établissement de relations interpersonnelles et d'un dialogue.

La chasse aux dépotoirs

Lorsque le gouvernement de Bob Rae est entré en fonction en septembre 1990, la région du Grand Toronto (RGT) faisait face à une crise : compte tenu de l'économie florissante des années précédentes, la RGT allait rapidement être à court d'espace pour enfouir les déchets. Des scénarios apocalyptiques, où; il y aurait des dépotoirs plutôt que des parcs, des courts de tennis ou tout autre espace vert, étaient régulièrement présentés. L'un des premiers gestes du gouvernement a été de reprendre le dossier des autorités régionales responsables des ordures. Il serait responsable de l'emplacement de trois sites d'enfouissement dans la RGT. Le gouvernement était d'avis qu'il pourrait mener un meilleur processus, plus respectueux de l'environnement et plus efficace. Dans son livre sur la présidence américaine, Richard Neustadt a écrit un chapitre sur les « dangers de la transition ». Il décrit comment les présidents nouvellement élus commettent souvent leurs erreurs les plus brutales au cours des six premiers mois suivant leur élection. Les exemples incluent la tentative de « bourrage de la Cour suprême » par Franklin D. Roosevelt en 1937, le fiasco de la baie des Cochons par John F. Kennedy en 1961 et le renfort des troupes par Lyndon B. Johnson au Vietnam en 1965.

La création par le gouvernement néo-démocrate de l'Office provisoire de sélection de lieux d'élimination des déchets pour trouver des dépotoirs était tout à fait conforme à la prémisse de Neustadt. Les gouvernements nouvellement élus ont le vent dans les voiles. L'opposition est battue et désorganisée, et les médias donnent au nouveau gouvernement une petite sensation de lune de miel. En bref, l'habituel système de freins et de contrepoids qui aide à éviter les fautes directes n'est jamais pleinement fonctionnel dans les premiers jours d'un nouveau gouvernement.

Cette initiative, tout en étant motivée par les meilleures intentions, était une erreur. La recherche de dépotoirs n'est jamais populaire, quel que soit le gouvernement qui l'entreprend. Les cinq administrations régionales, tout en exprimant leur indignation face à la prise de contrôle provinciale, ont été tranquillement soulagées de ne pas avoir à le faire. Le gouvernement a donné un grand appui politique à cette initiative malheureuse. Malheureusement, et cela n'est devenu évident que beaucoup plus tard, la crise des ordures s'estompait à mesure que la récession s'installait. En d'autres termes, il y avait une hypothèse politique erronée sur la production de déchets. Toutefois, une fois qu'un processus législatif et bureaucratique est lancé, il est très difficile de l'arrêter.

Le principe clé était que les trois évaluations environnementales qui seraient entreprises pour chaque site seraient effectuées selon les normes les plus élevées de professionnalisme et d'intégrité. Un bon processus mènerait à un bon résultat. Un sous-ministre adjoint du ministère de l'Environnement a été nommé premier président de l'Office provisoire de sélection de lieux d'élimination des déchets. Il s'agissait d'un ingénieur de profession d'une grande intégrité qui, à titre de sous-ministre adjoint, avait supervisé la Loi sur les évaluations environnementales de l'Ontario. Son expérience dans la gestion de trois processus complexes, comptant plusieurs sites, et politiquement très chargés, était cependant insuffisante.

L'Office provisoire de sélection de lieux d'élimination des déchets relevait d'un organisme, le Bureau de la région du Grand Toronto (BRGT), qui appuyait et coordonnait les politiques du gouvernement provincial dans la RGT. Il était dirigé par un sous-ministre qui relevait également de Mme Grier. J'ai rencontré ce sous-ministre pour la première fois lorsque nous assistions tous les deux à une réunion d'un comité du cabinet. Il était le vétéran chevronné et j'étais la recrue. Au cours de la réunion, il est intervenu à plusieurs reprises. Dans la plupart des cas, les commentaires portaient sur son vaste portefeuille horizontal. À certaines occasions, il donnait son avis sur des questions qui n'était pas de son ressort. En tant qu'ancien fonctionnaire fédéral, je n'étais pas habitué à ce type d'intervention. J'ai trouvé son approche encore plus inhabituelle lorsqu'il a commencé en disant : « Je dois dire que je ne suis pas d'accord avec la ministre… ». Peut-être, pensai-je, que les choses se font différemment à Queen's Park. En fait, il s'est avéré que ce n'était pas le cas. Quelques mois plus tard, le sous-ministre a été muté dans une université. On m'a demandé d'assumer la responsabilité du BRGT, y compris de l'Office provisoire de sélection de lieux d'élimination des déchets. Mon argument selon lequel je serais en conflit si j'étais à la fois promoteur des trois évaluations environnementales et l'autorité ultime sur les évaluations ne s'est pas avéré convaincant. Madame Grier a noté qu'elle et le gouvernement m'avaient fait confiance, et que cela l'emportait sur tout le reste.

Au moment où; j'ai repris le dossier, il était complètement embourbé. La première phase du projet avait été conçue pour définir les sites potentiels dans la RGT qui étaient géographiquement et géologiquement acceptables. Cinquante-sept sites ont été désignés comme étant acceptables. Cela signifiait également que cinquante-sept communautés se mobilisaient pour s'assurer que cela allait être refusé dans la deuxième phase, ce qui réduirait le total des sites potentiels à dix-sept. La troisième phase a été conçue pour choisir trois gagnants (ou, peut-être, trois perdants).

Heureusement, l'Office provisoire de sélection de lieux d'élimination des déchets avait retenu les services d'un brillant avocat, Bruce Campbell, du cabinet d'avocats Torys. Bruce a guidé le navire Office provisoire de sélection de lieux d'élimination des déchets pour qu'il évite autant que possible les écueils du syndrome de « pas dans ma cour ».

Pour éviter d'entacher les processus d'évaluation environnementale indépendants, j'ai maintenu une distance appropriée par rapport au processus de sélection. Toutefois, lorsqu'est venu le temps de finaliser le choix des dix-sept sites pour le deuxième tour, j'ai demandé une séance de breffage. Je voulais m'assurer de l'intégrité des critères utilisés. Il est vite devenu clair qu'il ne s'agissait pas d'une formule mathématique. Le jugement subjectif a largement contribué à la détermination des résultats. Pourquoi dix-sept sites? Pourquoi pas vingt-deux ou douze? Il s'est avéré que ce nombre était également flexible. Il avait été mis sur papier au départ et n'avait jamais été revu. À la fin de la deuxième phase, seulement douze sites ont été retenus. Il y a eu des célébrations autour des quarante-cinq sites qui n'avaient pas été retenus.

L'Office provisoire de sélection de lieux d'élimination des déchets a été éliminé en 1995 par le gouvernement progressiste-conservateur de Harris. Aucun site n'a jamais été achevé dans le cadre de ce processus. Le recyclage a augmenté, la production d'ordures a diminué, certains déchets ont été transportés sur la 401, en direction du Michigan. La crise des ordures que l'on projetait, qui aurait mis des ordures dans les parcs, les courts de tennis et d'autres espaces publics, ne s'est jamais concrétisée.

Sous-ministre de l'Environnement et de l'Énergie

En avril 1993, j'ai reçu un appel de David Agnew. David avait remplacé Peter Barnes au poste de secrétaire du Conseil des ministres l'automne précédent, une nomination quelque peu controversée. David voulait me conseiller sur les changements de gouvernement à venir, un remaniement ministériel et mes nouvelles responsabilités. Le gouvernement Rae, dans le but de rationaliser et de réduire la taille du gouvernement, allait fusionner certains ministères. Deux fusions majeures allaient avoir lieu : l'Éducation serait jumelé à l'Éducation postsecondaire et à la Formation, et l'Environnement et l'Énergie formeraient un seul ministère. Je serais le nouveau sous-ministre de ce dernier. David a également mentionné que le gouvernement lancerait une réduction temporaire des salaires de 5 %, et encouragerait les employés à prendre des congés dans la même proportion. Inutile de dire qu'il n'y a pas eu de discussion sur une augmentation de salaire compte tenu de mes responsabilités supplémentaires du nouveau grand ministère.

Madame Grier était promue à la Santé, et mon nouveau ministre serait Bud Wildman, de Sault Ste. Marie.

La fusion

L'un des aspects les plus attendrissants et satisfaisants d'être sous-ministre dans un gouvernement provincial est que les organismes centraux n'étouffent pas les sous-ministres d'un ministère d'exécution avec une orientation et des conseils constants. Cette approche a été très bien accueillie lorsque j'ai dû fusionner Environnement et Énergie, deux ministères très différents. Pour autant que je sache, la seule chose qu'ils avaient en commun était les deux premières lettres de leurs noms.

L'Environnement était un grand ministère opérationnel avec six bureaux régionaux et de nombreux programmes. L'Énergie était un petit ministère politique. L'Environnement était un ministère où; les gens restaient longtemps, en partie parce qu'ils croyaient fermement en la mission du ministère. L'Énergie était un mélange de personnes de l'intérieur et de l'extérieur. Les gens allaient et venaient sans cesse. L'Environnement était en faveur d'un rôle interventionniste pour le gouvernement; l'Énergie avait imaginé une approche qui reposait sur les marchés. Il y avait une culture et un effectif très différents dans chaque ministère.

En concevant le nouvel organigramme, je me suis assuré que les rôles clés étaient convenablement répartis entre les titulaires des deux anciens ministères. Par exemple, Les Horswill de l'Énergie est devenu le sous-ministre adjoint des politiques pour le nouveau ministère, tandis que Catriona King, ancienne adjointe exécutive du sous-ministre de l'Énergie, est devenue cheffe du secrétariat de breffage ministériel. J'ai demandé au directeur des ressources humaines, qui venait de l'Environnement, d'accorder une attention particulière au recrutement de certaines personnes de l'Énergie dans des emplois dans d'Environnement et vice-versa. Je me suis fait un devoir de communiquer le plus possible avec les intervenants du secteur de l'énergie. À bien des égards, toutes ces consultations finissaient par nous ramener à Ontario Hydro, la société d'État monopolistique de la province en matière de production et de transport d'électricité.

Ontario Hydro

Le dossier le plus important du nouveau portefeuille était Ontario Hydro. Après une phase de construction longue et coûteuse, la centrale nucléaire de Darlington a commencé à être mise en service au début des années 1990. Cela signifiait également que les coûts de construction de Darlington seraient maintenant progressivement intégrés à la base tarifaire. Concrètement, cela s'est traduit par une augmentation de 10 % du prix de l'électricité pendant trois années consécutives.

Les clients industriels qui composaient déjà avec une baisse de leurs revenus en raison de la récession étaient furieux. Le gouvernement Rae était critiqué même s'il n'était pas responsable des décisions de construction qui avaient été prises il y a dix ans par un autre gouvernement.

La relation de gouvernance entre une société d'État et un gouvernement est souvent obscure et floue. Les tensions entre les représentants élus qui ont la responsabilité publique de la société d'État et le conseil d'administration et la direction qui sont responsables de la gestion de la société ont été bien documentées dans d'innombrables rapports et diverses enquêtes. La problématique a été documentée pour la première fois en 1962 dans le rapport de la Commission Glassco, la Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement. J'avais l'habitude de présenter, au nom de l'Institut des administrateurs de sociétés, un cours d'une journée sur la gouvernance des sociétés d'État. Mon cours abordait des problèmes qui s'étaient produits dans les sociétés d'État au cours des dernières décennies. La gouvernance des sociétés d'État s'apparente à bien des égards au concept de souveraineté-association. Les points de tension entre l'actionnaire et la société d'État sont inhérents à l'ADN d'une société d'État. Ontario Hydro ne faisait pas exception.

Maurice Strong, président et chef de la direction d'Ontario Hydro, avait été personnellement recruté par le premier ministre de la province en 1992. M. Strong a succédé à Marc Eliesen, qui avait été nommé par le gouvernement Rae en 1991. La nomination de M. Eliesen avait été quelque peu controversée puisque le conseil d'administration avait favorisé un autre candidat pour remplacer Bob Franklin, qui prenait sa retraite. Après quelques escarmouches de gouvernance, Eliesen a pu prendre les choses en main, mais, pour un certain nombre de raisons, il a fini par rester environ un an. Le gouvernement tenait à s'assurer que la deuxième personne qu'il nommait à Ontario Hydro reste plus longtemps.

Le travail était colossal et complexe. Ontario Hydro avait une dette de 34 milliards de dollars. Les clients, en particulier les industriels, criaient parce que les tarifs étaient à la hausse pendant une récession. Après quelques mois de travail, M. Strong a déclaré qu'« Ontario Hydro était en crise ». Cette remarque de la part du troisième PDG en moins de cinq ans n'avait rien pour remonter le moral.

Afin de réduire les coûts, Strong a éliminé un certain nombre de divisions, y compris Ontario Hydro Construction, et a réduit les budgets d'immobilisations et d'entretien. Des décisions difficiles devaient être prises pour faire face à l'endettement en flèche de la société. Des décisions difficiles ont également dû être prises en ce qui concerne les tarifs. En 1994, Ontario Hydro a annoncé un gel de ses tarifs. Bien que cette décision ait évidemment une incidence sur les revenus, la société croyait qu'elle devait faire quelque chose d'inattendu pour étouffer les critiques sur les hausses des tarifs d'électricité.

L'effet cumulatif de ces décisions n'est devenu évident que cinq à huit ans plus tard. Mais en 1994, il a fallu prendre des décisions dignes de la médecine de guerre en fonction des meilleures informations disponibles à ce moment-là. Le gouvernement était généralement d'accord avec la solution difficile présentée par Ontario Hydro. L'état de difficulté générale de la société s'est ajouté aux tensions habituelles existant entre un président et un ministre.

Ces « tensions normales » ont été exacerbées par d'autres facteurs, comme l'ADN des principaux acteurs. Strong était un internationaliste qui avait de nombreuses réalisations sur la scène internationale, ce qui nourrissait son ego non négligeable. Bud Wildman, le ministre, s'identifiait aux habitants pragmatiques et rudes de sa circonscription du nord de l'Ontario.

La question fondamentale, comme c'est souvent le cas dans la gouvernance des sociétés d'État, était de savoir qui avait le pouvoir. Au cours des débats et des discussions, Strong rappelait au ministre que c'était le premier ministre qui l'avait recruté et que ses politiques étaient conformes au mandat qu'il avait reçu du premier ministre. Strong avait aussi, selon le ministre, l'habitude irritante d'écrire directement au premier ministre. Parfois, il mettait le ministre en copie. Parfois, il me mettait en copie.

Cette relation directe a cessé lorsque le président, dans l'une de ses épîtres, a donné au premier ministre un avertissement qui, après de nombreuses tentatives courageuses de négocier une nouvelle convention collective avec le Syndicat des travailleurs de l'électricité, Ontario Hydro n'avait pas d'autre choix que de neutraliser le syndicat. Sans surprise, cette décision audacieuse n'a pas été favorable au gouvernement néo-démocrate. Après une brève réunion, le ministre, parlant au nom du gouvernement, a demandé ou plutôt dit à Ontario Hydro de continuer à négocier. Le gouvernement a également indiqué qu'il souhaiterait qu'à l'avenir, le président achemine ses communications par l'entremise du ministre.

Le sous-ministre de l'Énergie était, en vertu de la loi, un membre d'office du conseil d'administration d'Ontario Hydro qui n'avait pas de droit de vote. Cela m'a donné l'occasion d'améliorer les relations de travail entre la société d'État et le gouvernement. Mais cela a également offert de nombreuses occasions d'irriter à la fois le président et le ministre.

Pour éviter que les irritations ne s'enveniment, j'ai demandé à David Agnew si je pouvais assister aux réunions que le premier ministre aurait avec le président; cela me permettrait de tenir le ministre informé sans créer de circonstances gênantes. Une deuxième zone de conflit potentiel était les réunions du conseil d'administration. Afin d'apaiser les conflits entre le gouvernement et la société d'État, j'ai suggéré à Strong que nous nous rencontrions seuls, tous les deux, une semaine avant les réunions du conseil d'administration pour discuter de la réunion et de certaines notes de service du conseil d'administration. Cela lui donnerait une idée des approches que j'aurais pendant les réunions du conseil d'administration. Je ne voulais pas avoir de conflit lors de la réunion et je ne voulais pas non plus modifier les notes de son conseil d'administration. D'autre part, il était en droit de savoir et avait la responsabilité de répondre aux points de vue et aux préoccupations de l'actionnaire. Strong a accepté cette approche, et elle a très bien fonctionné.

Ces deux initiatives ont permis de désamorcer les choses entre le président et le ministre, mais elles n'ont pas suffi à prévenir les escarmouches occasionnelles. Il fut un temps, en revanche, où; le ministre fut interrogé à l'Assemblée législative par le député de l'opposition Chris Stockwell au sujet d'un article paru dans un journal du Costa Rica. Le député, paraphrasant l'article, a décrit une acquisition importante de terrains qui sera faite par Ontario Hydro International (OHI) au Costa Rica. L'acquisition de cette forêt tropicale devait ensuite être donnée à l'office de protection de la nature local. OHI allait acheter les terres de la forêt tropicale comme crédits pour compenser les émissions de CO2 provenant des centrales au charbon d'Ontario Hydro.

Il est ensuite apparu que la forêt tropicale de 12 500 hectares était très proche d'un centre de villégiature haut de gamme appartenant à Maurice Strong. Tout cela était assez déroutant et loin d'être simple, d'autant plus que l'article original était en espagnol. Les ministres et les députés étaient vraiment perplexes quant à la raison pour laquelle l'argent des contribuables était dépensé pour acquérir des terres de la jungle en Amérique centrale. La politique d'achat de crédits compensatoires pour les émissions de CO2 n'a pas été totalement étoffée ou comprise par la population en général ou par les ministres en 1994. Le ministre m'a précisément demandé d'enquêter sur cette question. Strong a confirmé qu'il y avait effectivement eu des discussions de l'OHI au Costa Rica, mais qu'elles se déroulaient à bas niveau. Je l'ai remercié et lui ai demandé s'il pouvait envoyer tous les documents officiels en la possession d'Ontario Hydro à ce sujet. J'ai fait rapport au ministre, qui m'en a remercié. Il a également fait un suivi par téléphone avec Strong au sujet de la transaction possible pour sa satisfaction personnelle.

Quatre ou cinq jours plus tard, les documents n'avaient toujours pas été reçus. Strong m'a informé qu'il venait de peaufiner la note de couverture de quatre pages. J'étais perplexe quant à la raison pour laquelle les documents avaient besoin d'une si longue note de couverture. Le lendemain, le paquet est arrivé. OHI avait en effet eu des discussions sur l'acquisition du terrain adjacent à la propriété de villégiature de Strong. Le but était en effet d'acquérir des crédits de carbone compensatoires. Strong avait été en contact direct et personnel avec le président du Costa Rica à ce sujet. Lorsqu'on lui a demandé d'expliquer la contradiction entre sa déclaration selon laquelle les contacts étaient de bas niveau et sa correspondance avec le président, Strong a déclaré par bas niveau, il entendait le niveau d'activité récent, qui avait été assez faible. Le ministre n'a pas été impressionné par cette nuance et a déclaré à plusieurs reprises que Strong lui avait menti. La confiance qui avait été laborieusement établie au cours de l'année précédente en a pris un sérieux coup.

Année électorale : 1995

L'année 1995 allait être une année électorale en Ontario. Les sondages d'opinion publique indiquaient une très faible probabilité de réélection pour le gouvernement. Strong, qui, selon la rumeur, était candidat au poste de secrétaire général des Nations Unies, avait terminé ses transformations majeures à Ontario Hydro. Un nouveau président, Al Kupcis, a été recruté, un nouvel organigramme a été mis en place et des mesures de réduction des coûts commençaient à avoir une incidence sur les résultats. Soucieux de l'avenir de la société une fois son mandat terminé d, M. Strong recommande la nomination de Don Fullerton, l'ancien président et chef de la direction de la Banque CIBC, au conseil d'administration. Don était un excellent membre du conseil d'administration; on disait aussi qu'il était un partisan libéral.

Strong a également engagé, dans le cadre d'un contrat de services professionnels, Bill Farlinger, l'ancien président et chef de la direction d'Ernst and Young. Le mandat de M. Farlinger était de préparer un rapport sur les options stratégiques pour Ontario Hydro. Farlinger a également été le président de campagne de 1995 pour le parti progressiste-conservateur de Mike Harris.

En avril, j'ai demandé une réunion avec Farlinger pour discuter de son rapport. Au cours du déjeuner, j'ai fait part de certaines préoccupations au sujet du rapport qui préconisait la privatisation. J'ai indiqué qu'il serait préférable que le rapport ne soit achevé qu'après les élections, car son contenu serait controversé et serait source de division. À mon avis, il n'y avait pas d'urgence à s'engager dans ce débat. Farlinger n'était pas d'accord. À ce stade, la discussion s'est envenimée. Nous sommes passés d'un désaccord litigieux à une confrontation complète, et nous nous sommes séparés dans des conditions hostiles. Je n'allais pas revoir Bill avant la mi-juin. J'ai parlé à Strong, et il a convenu que le rapport ne serait pas achevé avant la fin juin.

Réunion de la Conférence des parties, Berlin

La toute première réunion de la Conférence des Parties (COP) s'est tenue à Berlin du 28 mars au 7 avril. La présidente de la réunion était la ministre allemande de l'Environnement, Angela Merkel.

Étant donné l'imminence des élections provinciales, le ministre Wildman a refusé la possibilité de diriger la délégation de l'Ontario et m'a demandé de le remplacer. La conférence a attiré quelques milliers de fonctionnaires, des observateurs et quelques représentants des médias. Il n'y avait pas la forte participation des médias qu'elle a acquise au cours des décennies suivantes. L'International Herald Tribune, par exemple, a consacré deux paragraphes aux « pourparlers sur le climat ».

La COP de Berlin émanait directement du Sommet de Rio. C'est la ministre de l'Environnement, Sheila Copps, qui y dirigeait la délégation canadienne. Un certain nombre de provinces comptaient également des représentants de leurs ministères de l'Énergie et de l'Environnement. L'Ontario était de loin la province qui vivait le moins de troubles internes. Puisque je dirigeais à la fois les portefeuilles de l'Environnement et de l'Énergie, il était beaucoup plus facile de parvenir à un consensus au sein de ma délégation.

Pendant une pause, je suis sorti pour voir où; le mur de Berlin avait existé jusqu'en 1989, six ans auparavant. Il était extrêmement difficile de trouver des cartes ou des indications sur l'endroit précis où; ce mur se trouvait. Alors que je rentrais dans l'Internationales Congress Centrum, j'ai été frappé par le contraste. La ministre Merkel tentait de faire l'histoire en demandant aux 177 pays représentés d'approuver un plan de réduction des émissions de CO2, et ailleurs à Berlin, d'autres personnes essayaient d'effacer l'histoire en éliminant les vestiges de la Guerre froide, et plus particulièrement le mur.

À la fin de la réunion, la Conférence des Parties a approuvé un plan d'action. C'était le début d'un long voyage qui se poursuit encore à ce jour.

Chapitre 9 : Leçons

Lorsque je repense à mon mandat de sous-ministre de l'Environnement et de l'Énergie, quelques points ressortent. Le premier est l'utilisation des rapports bimensuels : j'ai appris à rester informé sans microgérer mes subordonnés directs. Les rapports bimensuels sont devenus un élément clé de mon style de gestion pour le reste de ma carrière. Ces rapports ont également apporté une discipline dans les rouages internes de l'organisation.

J'ai également appris l'importance de maintenir des liens continus avec l'environnement externe, c'est-à-dire les personnes, les groupes et les associations concernés à l'extérieur du ministère. La réglementation de l'eau a été sauvée grâce à l'intervention des syndicats du secteur des pâtes et papiers. Nous n'aurions pu le faire sans leur présence à la table. De plus, les PDG de plusieurs usines en Ontario ont été en mesure de souligner que nos pratiques d'application de la réglementation variaient quelque peu d'une région à l'autre.

J'ai acquis une compréhension du rôle d'une bonne gouvernance des sociétés d'État. Les gouvernements établissent des sociétés d'État parce qu'ils croient que l'intérêt public sera mieux servi par le fait d'avoir une entité indépendante du gouvernement et gérée par un conseil d'administration et une équipe de gestion. Les principes fondamentaux de la pleine concurrence et du partage de la responsabilité entre une société d'État et un actionnaire seront toujours en évolution. J'ai appris l'importance de développer des couloirs bien précis de responsabilité et de maintenir leur intégrité, en particulier dans les moments difficiles. Ontario Hydro a offert de nombreuses occasions de mieux comprendre les choses à faire et à ne pas faire en matière de gouvernance d'une société d'État, notamment d'avoir des objectifs et des paramètres clairs pour mesurer les résultats; d'avoir des échanges réguliers et appropriés la société d'État et l'actionnaire, d'établir et de maintenir une relation de confiance, et de veiller à ce que la société d'État soit au courant des objectifs généraux du gouvernement en ce sens.

J'ai aussi beaucoup appris sur la collaboration avec le bureau du ministre. Depuis que je suis devenu sous-ministre adjoint en 1982, j'ai eu affaire à un certain nombre de cabinets ministériels. C'était la première fois, cependant, que j'étais chargé de faire fonctionner efficacement la relation entre le bureau du ministre et le ministère. L'une des principales leçons a été l'importance d'établir une relation professionnelle, directe et sans filtre avec le ministre. Un autre était l'utilité de comprendre d'où; venaient les conseillers et quelle était leur mesure du succès.

J'en suis venu à comprendre l'importance de rappeler aux fonctionnaires que les ministres ont le courage de se porter candidats aux élections et de prendre des risques. Ils ont également le droit de retenir les services de conseillers qui peuvent compléter les conseils des fonctionnaires. Mais, en tant que fonction publique, nous avons la responsabilité de leur donner nos meilleurs conseils.

J'ai appris l'importance d'avoir des hypothèses claires dès le début de grands projets et de les revoir régulièrement. La chasse aux dépotoirs a souffert d'une trop grande tendance vers l'action sans toutefois pouvoir compter sur de solides fondations. Les hypothèses erronées ont souvent été le partenaire silencieux des grandes débâcles de politiques publiques.

La gestion des talents est un élément essentiel de la gestion d'un ministère. La fusion des deux ministères m'a forcé à accorder à la gestion des talents une attention que je n'avais jamais eue auparavant pour cette question. J'ai acquis une bien meilleure compréhension des forces individuelles et des attentes professionnelles de tous les cadres. J'ai développé un nouveau respect pour le renforcement de l'esprit d'équipe. J'ai également dit au revoir à quelques acteurs peu performants.

J'ai appris l'importance d'avoir diverses sources de renseignements. Les voyages que j'ai effectués à Washington pour rencontrer des groupes de réflexion et des membres du personnel des comités, les réunions de Québec avec mes homologues du Québec et les échanges avec Bruce Campbell sont tous des exemples de l'utilité d'obtenir des commentaires de l'extérieur et de ne pas être otage de la « pensée prévalant à l'interne ».

Ma dernière leçon portait sur la confiance. Il est tellement plus facile de faire avancer les choses lorsqu'il y a une confiance fondamentale entre les principaux acteurs. J'ai fait confiance à Mme Grier pour avoir son soutien, et elle a eu le mien. Entre le ministre Wildman et Maurice Strong, l'établissement d'un lien de confiance restait toujours en chantier. Le premier ministre Rae et David Agnew m'ont fait confiance en me demandant d'assumer la responsabilité du BRGT, puis du ministère de l'Énergie. Ce degré de confiance m'a permis de leur suggérer que, compte tenu de la possibilité que son gouvernement soit une affaire d'un seul mandat, le premier ministre devrait réfléchir à la transition la plus professionnelle que l'Ontario ait jamais connue. Le premier ministre Rae a accepté le conseil. Par la suite, j'ai communiqué avec le professeur David Cameron de l'Université de Toronto pour suivre et documenter la transition de 1995. Quelques années plus tard, cette recherche est devenue Cycling into Saigon, l'un des deux meilleurs livres sur les transitions canadiennes, l'autre étant The Prospects and Pitfalls of Government Transitions in Canada de David Zussman.

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Chapitre 10 : Gouvernement de l'Ontario, 1995-1996

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Les progressistes-conservateurs de Mike Harris ont remporté une pluralité des circonscriptions aux élections de 1995. Une semaine après l'élection, j'ai été invité à rencontrer l'équipe de transition un dimanche matin à l'hôtel Park Plaza. Je n'ai pas été informé de l'objet de la séance. J'étais légèrement agité quand je suis entré dans la pièce pour y constater la présence de Bill Farlinger, que je n'avais pas vu depuis notre déjeuner en avril. C'était un peu bizarre. Heureusement, je connaissais très bien quelques autres membres de l'équipe de transition : Stanley Hartt, ancien sous-ministre fédéral, et Graham Scott, avocat estimé chez McMillan Binch et ancien président du Forum des politiques publiques. Tom Campbell, ancien président d'Ontario Hydro, était également présent. Il a aidé à me mettre à l'aise en disant qu'il avait entendu de bonnes choses à mon sujet de la part de ses anciens collègues de la société d'État. Trois sur quatre, ce n'était pas mal.

Nous avons eu une conversation très agréable pendant environ une heure. Nous avons couvert les questions de politique, la gestion et le rôle de la fonction publique. À la fin de l'heure, on m'a conseillé de déménager dans une autre pièce au dixième étage de l'hôtel. Je me suis brièvement demandé si c'était là qu'aurait lieu « l'exécution ». Il y avait eu beaucoup de spéculations dans les médias selon lesquelles un nombre important de sous-ministres embauchés pendant le mandat de M. Rae seraient congédiés. Il y avait aussi eu des spéculations dans les médias selon lesquelles, si les libéraux gagnaient, je serais nommé secrétaire du Conseil des ministres de l'Ontario. Le sénateur Mike Kirby, qui s'occupait de la transition pour les libéraux, avait confirmé la validité de cette rumeur. Cela semblait bien il y a deux mois, lorsque l'on supposait que les libéraux allaient gagner. Cela ne semblait plus aussi génial maintenant que les progressistes-conservateurs avaient remporté l'élection.

J'ai donc été extrêmement soulagé lorsque les deux seules personnes dans la salle étaient Mike Harris et David Lindsay, son chef de cabinet. Je les avais rencontrés tous les deux lors d'un déjeuner de travail il y a trois mois. La conversation fut plutôt agréable, et ponctuée de nombreuses allusions à l'idée de travailler avec moi.

John Ibbitson, alors journaliste pour le Globe and Mail à Queen's Park, explique dans son livre sur le gouvernement Harris que Rita Burak, Judith Wolfson et moi-même avions été convoqués pour être interviewés pour le poste de secrétaire du Conseil des ministres. Trois autres sous-ministres adjoints avaient également été invités à rencontrer l'équipe de transition. Ils n'ont pas eu de deuxième entrevue. J'aurais aimé le savoir. La semaine suivante, M. Harris m'a téléphoné pour m'informer que Rita Burak allait être nommée secrétaire du Conseil des ministres de l'Ontario et qu'il avait très hâte de travailler avec moi. Ouf! Je n'allais finalement pas être congédié. Au total, huit sous-ministres, tous embauchés pendant le mandat de M. Rae, ont été congédiés.

Sous-ministre de l'Éducation et de la Formation

À la fin de juin, après l'assermentation du gouvernement Harris, j'ai reçu un appel de Rita Burak, la nouvelle secrétaire du Conseil des ministres, pour m'informer que je quitterais le portefeuille de l'Environnement et de l'Énergie, que je connaissais très bien, pour devenir le nouveau sous‑ministre de l'Éducation et de la Formation, un mégaministère qui avait été créé en 1993. Ce vaste portefeuille était responsable de l'éducation primaire et secondaire, de l'éducation postsecondaire (EPS) et de la formation. Je remplacerais un sous-ministre qui serait congédié.

Pendant la transition, Mme Burak m'avait informé qu'on me confierait un deuxième portefeuille, celui des Affaires intergouvernementales, en raison du deuxième référendum à venir au Québec et de mes connaissances concernant le gouvernement fédéral en général et le processus référendaire en particulier. Encore une fois, je remplacerais un sous-ministre congédié. Je travaillerais donc avec le premier ministre, deux ministres et trois instances politiques.

Le défi des 800 millions de dollars

L'une des premières tâches sur lesquelles j'ai porté mon attention a été la mise en œuvre de l'engagement présenté dans la « Révolution du bon sens », la plateforme électorale de 1995 des progressistes-conservateurs qui consistait à réduire les dépenses en éducation de 800 millions de dollars : la moitié dans le secteur primaire et secondaire, et l'autre moitié dans l'éducation postsecondaire et la formation. La seule mise en garde était que les compressions, ou « économies », comme on les a appelées par euphémisme, ne devaient pas affecter la salle de classe. C'était tout à fait logique du point de vue des communications.

Lorsqu'on a commencé à me breffer sur la formule de financement très complexe servant à allouer des fonds aux conseils scolaires de la province, une solution partielle et un dilemme sont apparus. Le gouvernement précédent avait prévu un budget pour la prématernelle, mais n'avait pas alloué de fonds aux conseils scolaires. Par conséquent, ces fonds (environ 225 millions de dollars) pourraient être réaffectés à la « caisse d'épargne ». Le dilemme était qu'environ 70 à 75 % du budget total de l'éducation représentaient le salaire des enseignants. Étant donné que les enseignants étaient très présents dans la salle de classe, cela signifiait-il que la réduction de 400 millions de dollars devrait provenir des 25 à 30 % restants du budget? Ce fait peu commode a été à la base de nombreuses réunions et de nombreuses heures perdues. Le problème était aggravé par le fait que les autobus scolaires et les chauffeurs d'autobus scolaires représentaient la deuxième composante du budget, soit environ 15 %. Les chauffeurs d'autobus n'étaient certainement pas dans la salle de classe, mais ils avaient un argument convaincant selon lequel, sans eux, il n'y aurait pas beaucoup d'élèves dans la salle de classe.

À l'automne 1995, alors que les efforts visant à trouver où; l'on pouvait couper les 175 millions de dollars restants se poursuivaient, le gouvernement du Nouveau-Brunswick prit la décision audacieuse d'éliminer complètement les conseils scolaires et de faire en sorte que les écoles relèvent directement du ministère. Cette approche novatrice a suscité beaucoup d'intérêt dans certains milieux gouvernementaux. Le fait que Mississauga comptait plus d'écoles que le Nouveau-Brunswick n'était pas une contribution bienvenue au débat. L'idée a finalement été rejetée après avoir pris en considération l'ampleur de la dotation en personnel qui serait nécessaire pour assurer la surveillance, par des cadres intermédiaires, des 5 000 écoles du ministère de l'Éducation de l'Ontario. Malgré de nombreuses options possibles et de nombreuses réunions, il s'est avéré impossible de parvenir à un consensus sur les réductions supplémentaires nécessaires pour atteindre l'objectif de 400 millions de dollars. Une partie du défi pour arriver à une décision était la présence au Conseil des ministres de cinq anciens présidents de conseils scolaires, dont le premier ministre. La plupart d'entre eux étaient enthousiastes à l'idée de donner leurs conseils, mais en privé.

En fin de compte, la seule option qui recueillit suffisamment de soutien était un gel temporaire du budget d'immobilisations pour permettre à la province d'élaborer un plan d'immobilisations. Les fonds libérés pourraient être alloués à la « caisse d'épargne ». Même cette approche peu orthodoxe n'a presque pas franchi la ligne d'arrivée. En présentant cette option, j'avais le devoir de mentionner qu'un projet d'immobilisations devrait cependant aller de l'avant : une école catholique française. Des contrats avaient été attribués, mais la première pelletée de terre n'avait toujours pas eu lieu. J'ai souligné que le conseil scolaire concerné lancerait immédiatement une contestation judiciaire si cela faisait partie du gel – et qu'il l'emporterait. L'ambiance ne s'est pas améliorée lorsque j'ai fait savoir que la disposition dérogatoire de la Constitution, utilisée par certains pour surmonter toute décision judiciaire défavorable, ne pouvait pas être appliquée en l'espèce. Les droits à l'instruction dans la langue de la minorité étaient protégés et n'étaient pas assujettis à la disposition dérogatoire. En fin de compte, le plan a été approuvé et l'école catholique française a été construite.

Trouver les 400 autres millions de dollars était relativement plus facile. Le gouvernement de l'Ontario était le principal bailleur de fonds des universités et des collèges de la province ainsi que du Conseil ontarien de formation et d'adaptation de la main-d'œuvre (COFAM), l'organisme responsable de la formation. On pourrait donc couper en réduisant tout simplement le paiement de transfert annuel à ces institutions.

Il n'y avait qu'un seul problème. J'avais rencontré le formidable recteur de l'Université de Toronto, Rob Prichard, en 1990, lorsque le ministre Beatty avait annoncé la création du Centre d'information sur le traitement du sida à l'université. Rob avait aidé à la concrétisation de ce projet. En 1995, en plus d'être président de l'université la plus prestigieuse au Canada, Rob était président du Conseil des universités de l'Ontario. Je l'ai donc informé des réductions à venir. La nouvelle n'a pas été bien accueillie. Il était très contrarié, malgré le fait que les coupures avaient été bel et bien été présentées dans le document « Révolution du bon sens ». Au cours de notre douloureuse discussion, il m'a informé qu'on lui avait donné l'assurance que les universités n'assumeraient pas le fardeau des compressions. Malheureusement, cet engagement ne m'avait pas été communiqué. Nous nous sommes donc engagés à mettre en place une politique de « zéro surprise ».

Responsabilités

Je n'avais jamais rencontré une telle multitude et une telle diversité d'intervenants dans ma carrière. Il y avait 18 présidents d'université, 24 présidents de collège, 5 grands syndicats dans le secteur des écoles primaires et secondaires, 5 grandes associations de conseils scolaires et 129 directeurs de l'éducation. De plus, il y avait un certain nombre de dirigeants syndicaux qui étaient très intéressés par le sort du COFAM et près de 200 présidents de conseils scolaires. Bon nombre de ces personnes ont ressenti une envie incontrôlable de m'aider à faire mon travail. Comme m'a dit un haut dirigeant syndical : « Je ne sais pas comment vous pouvez faire votre travail, puisque vous n'êtes pas un éducateur. » Ils étaient tous fin prêts à me donner leurs conseils directement ou par l'entremise des médias.

Il est rapidement devenu évident que je devais élaborer et mettre en œuvre un plan stratégique pour créer des liens sur une base hebdomadaire, bimensuelle et mensuelle avec différentes personnes du secteur. J'ai suivi avec diligence qui a dit quoi et quand. C'était un élément clé pour survivre comme sous-ministre de ce portefeuille.

À mon avis, les deux domaines où; un sous-ministre peut laisser une marque durable sont la gestion des talents et la culture de l'organisation. Au ministère de l'Éducation et de la Formation, j'ai mis l'accent sur ce dernier point, plus particulièrement sur la responsabilisation. Mon prédécesseur avait laissé un organigramme lourd en termes de collaboration. La plupart des notes que j'ai reçues des sous-ministres adjoints ont été signées par au moins deux d'entre eux. Cela reflétait le chevauchement de leurs mandats. De plus, pour aider à l'esprit de collaboration, les membres du personnel relevant des sous-ministres adjoints de l'Éducation et de la Formation étaient appelés mentors, et non directeurs comme c'était le cas dans tous les autres ministères. Bien que j'étais très favorable à la nécessité de travailler ensemble, j'en avais assez d'attendre l'arrivée des notes d'information parce qu'un sous-ministre adjoint voulait apporter des changements avec lesquels un autre sous‑ministre adjoint n'était pas d'accord. Cela conduisait alors à une réunion où; les sous‑ministres adjoints et les mentors se réunissaient pour parvenir à un consensus. Ce type de scénario s'est produit plus d'une fois.

En quelques mois, j'ai clarifié les responsabilités de chaque sous-ministre adjoint et, par la suite, la responsabilité de chaque directeur. Le concept de mentor a été éliminé; les directeurs ont repris leurs titres traditionnels. Le nouvel organigramme reflétait la réalité externe : un sous‑ministre adjoint pour l'éducation postsecondaire et les collèges, un pour l'éducation primaire et secondaire, un pour la formation, un pour les Opérations régionales. Cela a été utile aux intervenants, qui avaient maintenant une idée plus claire de la personne auprès de laquelle ils devaient faire du lobbying. Mon obsession de la responsabilisation a été considérablement renforcée au cours de mon mandat de sous-ministre de l'Éducation et de la Formation.

Examen de l'éducation postsecondaire

Au fil des ans, j'ai lu bon nombre de rapports et d'articles de réflexion émanant de la RAND Corporation. Bien que la RAND ait mis l'accent sur les questions de sécurité nationale au début de ses activités, elle a élargi sa portée de sorte que soient incluses les recherches sur la pauvreté, les soins de santé, l'éducation et les services municipaux. Au milieu des années 1990, elle menait beaucoup de recherches sur l'éducation postsecondaire. C'est dans ce contexte que j'ai été invité à rencontrer plusieurs chercheurs et à participer à un séminaire sur l'étude de la qualité de vie au siège social de la RAND sur Ocean Boulevard à Santa Monica, en Californie. Les vagues douces de l'océan Pacifique et l'immense ciel bleu étaient, je l'admets, légèrement distrayants.

Les séances avec des chercheurs, des universitaires et d'autres cadres du secteur de l'EPS ont été très enrichissantes et stimulantes. Il a été fort intéressant de discuter des tendances stratégiques et des principaux problèmes touchant le secteur. Les réunions ont renforcé les avantages d'être en contact avec d'autres administrations qui faisaient face à des problèmes semblables. C'est dans ce contexte que l'examen des politiques sur l'éducation postsecondaire a été conceptualisé.

Le document sur la « révolution du bon sens » comportait des politiques et des programmes normatifs très précis dans plusieurs domaines. L'éducation postsecondaire n'en faisait pas partie. Pour combler cette lacune, j'ai proposé au ministre et à son chef de cabinet que le gouvernement crée un comité chargé de procéder à un examen et de formuler des recommandations. Pour diriger ce groupe de discussion, j'ai proposé Bill Davis, ancien premier ministre et ancien ministre de l'Éducation. Parmi les autres membres potentiels, mentionnons Fred Gorbet, ancien sous-ministre fédéral des Finances sous le premier ministre Mulroney, et Bette Stephenson, ancienne ministre du gouvernement de l'Ontario. Le ministre et son chef m'ont beaucoup appuyé et m'ont autorisé à communiquer avec Davis et les autres pendant qu'ils vérifiaient auprès du cabinet du premier ministre. Bill Davis était enthousiaste et n'a fait qu'une seule demande : que son ancien adjoint Ed Steward soit le directeur exécutif du comité.

Plusieurs semaines se sont écoulées, puis quelques mois. Je n'avais toujours pas reçu de signal définitif du cabinet du premier ministre.

Enfin, j'ai décidé d'utiliser le temps de rencontre intergouvernemental privilégié que j'avais avec le premier ministre pour obtenir son point de vue sur la proposition. Le voyage de retour d'une rencontre à Québec avec le premier ministre Lucien Bouchard m'a donné cette occasion. Il était d'accord avec l'idée et m'a encouragé à la faire avancer.

Sachant que les dirigeants politiques, le premier ministre et le ministre étaient en faveur de la création d'un groupe d'experts sur les études de santé publique, et après avoir consulté le chef de cabinet du ministre, j'ai fait quelque chose d'assez inhabituel. J'ai communiqué avec Jennifer Lewington, journaliste spécialisée en éducation pour le Globe and Mail, et je l'ai invitée à prendre un café. J'ai établi les paramètres de notre discussion : confidentielle et aucune mention de la source.

Le lendemain, le Globe publiait un article en première page sur la façon dont le gouvernement provincial envisageait sérieusement la création d'un groupe d'experts sur l'éducation postsecondaire pour l'aider à étoffer sa vision du secteur. L'article était écrit sur un ton positif. Dans un article de suivi, les principaux leaders du secteur appuyaient fermement la proposition. Je me sentais très positif à propos de ce petit stratagème jusqu'à ce que le nouveau sous-ministre adjoint pour l'EPS se précipite dans mon bureau. David Trick, un homme réfléchi et très bien informé, s'était récemment joint au ministère. Auparavant, il avait été sous-ministre adjoint du budget aux Finances. Il est arrivé dans mon bureau tenant le Globe, et m'a informé qu'il était déjà en contact avec la Police provinciale de l'Ontario pour enquêter sur cette fuite d'information. Il m'a rappelé qu'il avait d'excellents contacts avec la Police provinciale de l'Ontario sur ce genre de questions, compte tenu de son expérience avec le budget. Grâce à lui, nous pouvions compter sur des enquêteurs de premier ordre. Autoriser une enquête sur moi-même n'était pas quelque chose que j'avais prévu. Au fil du temps, j'ai graduellement épuisé David sur la question, et nous sommes passés à la question plus importante de la mise en place du groupe de discussion. Malheureusement, au moment où; le gouvernement a commencé à approuver officiellement le groupe de discussion, l'ancien premier ministre Davis n'était plus disponible. Le groupe de discussion est donc devenu le groupe Stephenson.

En plus de chercher à développer une voie à suivre sur l'éducation postsecondaire, j'avais un objectif secondaire dans la mise en place du groupe de discussion. On parlait encore beaucoup d'une autre série de compressions dans les cercles gouvernementaux. Puisque je venais de lancer un groupe de discussion, j'ai soutenu qu'il serait incohérent d'imposer d'autres réductions importantes au secteur. En outre, une telle action saperait la crédibilité du groupe nouvellement créé. Ces arguments ont été jugés convaincants. Il a donc été convenu que le secteur n'aurait pas à trouver d'économies supplémentaires.

Ce que je n'avais pas vraiment prévu, c'est que le ministère des Finances n'avait pas encore oublié son objectif d'obtenir un autre 800 millions de dollars du ministère de l'Éducation. Dans une scène rappelant certains films, on m'a dit dans des termes non équivoques que je devais trouver 800 millions de dollars, peu importe d'où; ils provenaient. Après une brève consultation avec le ministre, il a été convenu que la totalité des 800 millions de dollars proviendrait du secteur des écoles primaires et secondaires. Cela aurait une incidence dans les années à venir.

Sous-ministre des Affaires intergouvernementales

Le poste de sous-ministre des Affaires intergouvernementales n'est habituellement pas un travail exigeant. Le référendum qui se préparait au Québec a cependant invalidé cette déclaration.

Le mois de juillet 1995 n'a pas été particulièrement intense, le seul événement majeur étant la conférence annuelle des premiers ministres à St. John's. Il s'agirait de la dernière conférence de Jacques Parizeau en tant que premier ministre. Il n'est pas devenu populaire auprès de ses collègues premiers ministres en quittant la réunion plus tôt, en tenant une conférence de presse pour lui seul, puis en quittant l'île. Il a donné le ton à la relation qu'il voulait avoir avec les autres premiers ministres. Il sentait qu'ils étaient des représentants de gouvernements infranationaux, et il quitterait bientôt cette communauté pour devenir le chef d'un gouvernement national.

Cette réunion des premiers ministres était aussi la première de M. Harris. Dans certains de nos premiers exposés, le premier ministre avait clairement indiqué qu'il n'allait pas consacrer le même temps et la même énergie ni donner le même appui politique que ses deux prédécesseurs, David Peterson et Bob Rae, avaient consacré au dossier de l'unité constitutionnelle et nationale. Bien que la réunion de St. John's ne l'ait pas fait changer d'avis au sujet de son rôle, elle a souligné la réalité que d'autres dirigeants provinciaux et les médias nationaux s'attendaient à ce que le premier ministre de l'Ontario joue un rôle dans les affaires nationales, surtout en ce qui concerne l'unité nationale.

Le référendum de 1995

Le reste de l'été s'est déroulé sans incident d'un point de vue intergouvernemental. Cela s'est produit en grande partie parce que la campagne du NON était largement en tête, comme l'ont mesuré les sondages d'opinion publique. Aucune préoccupation au sujet du résultat n'a été exprimée par les hauts fonctionnaires fédéraux.

Ce calme a changé soudainement après que le premier ministre Parizeau a nommé Lucien Bouchard comme négociateur en chef pour les pourparlers postréférendaires avec le reste du Canada. Monsieur Bouchard est devenu le visage et la voix de la campagne du OUI. Tout à coup, les résultats des sondages d'opinion publique ont basculé. En quelques semaines, le camp du OUI a pris les devants.

Monsieur Harris a rencontré son chef de cabinet, David Lindsay, et moi-même pour discuter de la détérioration de la situation. Il a été convenu que je me rendrais immédiatement à Ottawa pour rencontrer Jocelyne Bourgon, greffière du Conseil privé, afin d'avoir une idée des plans du gouvernement fédéral, en particulier ses plans d'urgence. La semaine suivante, le premier ministre Harris a prononcé un discours de fond devant l'Empire Club à Toronto pour exposer la position de l'Ontario. Enfin, je convoquerais une réunion discrète avec les dirigeants du secteur privé pour évaluer leur impression concernant l'évolution de la situation.

La réunion d'Ottawa s'est avérée d'une inutilité troublante. Peut-être y avait-il un désir de ne pas communiquer toutes leurs stratégies. On m'a informé qu'on envisageait sérieusement une stratégie semblable à celle qui avait été mise en œuvre en Australie au milieu des années 1930, lorsque le gouvernement national a choisi d'ignorer un plébiscite sur l'autonomie dirigé par l'État. J'avais des doutes sur l'approche de la « négligence bénigne ».

La réunion avec les dirigeants du secteur privé a été utile pour avoir une idée de la position des entreprises si le camp du OUI l'emportait. Lors du référendum de 1980, les chefs d'entreprise du Québec et du reste du pays étaient de fervents partisans du NON et d'un Canada uni. En 1995, l'ambiance et les circonstances étaient différentes. Les sept chefs d'entreprise que j'ai rencontrés provenaient de divers secteurs. Ils n'ont pas prétendu parler au nom de toutes les entreprises de l'Ontario, et chacun d'eux a offert une perspective sectorielle. Ils étaient tous préoccupés et se sont soigneusement dérobés lorsqu'on leur a demandé s'ils appuieraient la remise en question des résultats du référendum par le gouvernement de l'Ontario compte tenu de la question floue qui avait été posée aux Québécois.

Les commentaires d'Ottawa et des dirigeants du secteur privé ont renforcé l'importance du discours du premier ministre Harris. Pour assurer la présence d'une bonne foule dans un bon endroit, j'ai communiqué avec Stanley Hartt, qui était alors président de l'Empire Club. Hartt a rapidement compris ce qu'il fallait faire et a permis d'avoir une foule à guichets fermés pour le discours du premier ministre.

Ce discours serait le seul grand discours du premier ministre Harris pendant la campagne référendaire. Il voulait que le discours soit substantiel, mais pas partisan. À cet égard, il a communiqué une première ébauche avec plusieurs personnes, y compris l'ancien premier ministre Rae, pour obtenir leurs commentaires. Quand est venu le temps de peaufiner le discours, il m'a demandé si je pouvais aller chez lui un dimanche matin pour revoir, page par page et paragraphe par paragraphe, tout le discours, y compris les sections qu'il prononcerait en français. En un mot, il a dit dans son discours que l'Ontario partageait certaines doléances qu'avait le Québec concernant la façon dont la fédération travaillait, et qu'il voulait travailler avec le Québec pour apporter les améliorations nécessaires. Il a toutefois également souligné que ces discussions devaient se dérouler dans un cadre canadien. Les dirigeants politiques québécois ne doivent pas se faire d'illusions : s'ils choisissent la voie de la séparation, l'Ontario utilisera tous ses pouvoirs pour protéger vigoureusement et agressivement les intérêts de la population de l'Ontario. Il a fait respectueusement allusion au fait qu'un OUI aurait des conséquences désagréables.

Le 30 octobre, jour du référendum, nous étions quelques-uns réunis dans le bureau du premier ministre pour attendre les résultats du vote. Hugh Segal, qui était revenu à Toronto de son séjour à Ottawa, et moi avons dérivé vers un autre coin pour regarder les résultats à Radio-Canada plutôt qu'à la CBC.

Au terme d'une très, très longue soirée, le camp du NON l'a emporté par une faible marge. C'était très, très différent de 1980. Un pour cent était la différence entre le vote NON et le vote OUI : 2 362 648 personnes ont voté NON, 2 308 360 personnes ont voté OUI. Le taux de participation a été de 93,5 %. Le Canada a failli être plongé dans un abîme sans fond. Les machinations du premier ministre Parizeau, qui ont été révélées par la suite, pour se débarrasser de son négociateur en chef, Lucien Bouchard, n'auraient qu'aggravé le chaos.

Les conséquences du référendum

Le gouvernement du Canada a brièvement envisagé de lancer une série de pourparlers constitutionnels postréférendaires pour aborder les résultats de cette expérience de mort imminente. Le premier ministre Harris n'était pas d'accord. Il ne pensait pas qu'un consensus serait atteint par le gouvernement fédéral et les provinces autres que le Québec. De plus, il estimait que tout le monde serait sur la défensive, constamment aux aguets d'une formule floue qui ne serait bien accueillie qu'au Québec. Enfin, il s'inquiétait des conséquences économiques d'un autre référendum dont le résultat serait imprévisible. Lors d'une rencontre avec le premier ministre à l'hôtel Westin, à Toronto, il déclina l'invitation à s'engager dans une nouvelle série de négociations constitutionnelles.

Au Québec, des changements majeurs se sont produits. Au lendemain du référendum, le premier ministre Parizeau a annoncé qu'il démissionnait. Lucien Bouchard devint le nouveau chef du Parti québécois et premier ministre du Québec à la fin de janvier 1996.

En février, j'ai discuté avec David Lindsay des prochaines étapes postréférendaires. J'ai proposé une rencontre entre les premiers ministres Bouchard et Harris pour souligner l'engagement pris par le premier ministre Harris dans son discours préréférendaire, c'est-à-dire travailler avec le Québec pour réformer et améliorer le fonctionnement de la fédération. Il m'a soutenu. Nous en avons par la suite discuté avec le premier ministre, qui était d'accord avec l'approche.

J'ai communiqué avec mon homologue du gouvernement du Québec, Hubert Thibault, et je lui ai suggéré un souper de planification à Montréal. Hubert était un fonctionnaire qui avait la confiance du premier ministre Bouchard et de la haute direction du PQ. Il était intelligent, stratégique et intéressant. Il a également été chef de cabinet adjoint du premier ministre Parizeau. À la proposition d'Hubert, Jean-François Lisée, ancien journaliste et auteur prolifique qui avait écrit quelques livres très négatifs sur le premier ministre Robert Bourassa, s'est joint à nous pour le souper. À noter que, 25 ans plus tard, il deviendrait chef du Parti québécois. En 1996, il était alors secrétaire principal du premier ministre Bouchard. Le souper s'est très bien déroulé, en partie parce que les deux gouvernements avaient tout intérêt à unir leurs forces. Ce n'était pas la première fois que le Québec et l'Ontario faisaient cause commune à l'égard du gouvernement fédéral, et ce ne serait pas la dernière. Nous avons convenu d'axer la discussion de la réunion des premiers ministres sur la question de ce qu'on appelait alors la formation de la main‑d'œuvre et sur la nécessité pour le gouvernement fédéral de se débarrasser des activités de programme aux gouvernements provinciaux.

Nous avons atterri sur ce dossier pour un certain nombre de raisons. La décentralisation de la formation était une demande traditionnelle, une demande de longue date des gouvernements du Québec. C'était logique sur le plan pratique et politique : les marchés du travail ont tendance à être locaux ou parfois régionaux; peut-être que dans des domaines clés, ils sont provinciaux, mais rarement, voire jamais, sont-ils nationaux. Pendant que j'étais sous-ministre de l'Ontario responsable de l'enseignement supérieur et de la formation, j'avais eu des échanges improductifs avec mon homologue fédéral. Je me souviens d'une séance en particulier au cours de laquelle j'avais ressenti le besoin de corriger certaines hypothèses au sujet du fédéralisme et des programmes du marché du travail. J'avais dit quelque chose comme quoi le premier ministre Harris n'était pas l'équivalent d'un premier vice-président (de la région de l'Ontario) qui prendrait conseil auprès d'Ottawa.

Nous avons continué à travailler au cours des prochaines semaines sur le communiqué et la demande conjointe Québec-Ontario au gouvernement fédéral. En mars, le premier ministre Harris, David Lindsay et moi-même avons pris le petit avion du gouvernement de l'Ontario pour nous rendre à Québec. Notre rencontre a eu lieu dans une immense maison magnifiquement restaurée sur le fleuve Saint-Laurent. Le Québec avait récemment acquis la propriété et l'avait transformée en un cadre élégant où; se tenaient des réunions et de petites conférences. Le premier ministre Harris et le premier ministre Bouchard s'entendaient très bien. Et sur le plan personnel, cela a aidé que le premier ministre Bouchard me salue chaleureusement et se souvienne du dossier de l'alphabétisation. Le premier ministre Harris en a pris bonne note.

Le vol de retour à Toronto a été très agréable, comme c'est souvent le cas après un voyage très médiatisé qui s'est très, très bien passé. Le premier ministre et moi avons parlé du golf, du rôle que Bill Farlinger a joué dans son accession au poste de premier ministre, de la nécessité d'un examen stratégique du financement de l'éducation postsecondaire et de sa vision de devenir le premier ministre protecteur de l'environnement en conservant des terres pour les générations futures. Il a fait valoir que les environnementalistes ne lui accorderaient jamais de mérite, quels que soient les règlements adoptés. Il voulait se concentrer sur autre chose : la conservation. Il quitterait en effet ses fonctions après avoir protégé plus de 39 millions d'hectares de terres de la Couronne de l'Ontario.

Bien que la déclaration commune des premiers ministres n'ait pas suscité de réponse immédiate de la part du gouvernement fédéral, elle a contribué à accélérer le transfert de la responsabilité principale de la formation aux gouvernements provinciaux. Ce type d'accord a prouvé que le changement constitutionnel n'était pas le seul moyen de réformer la fédération.

La réunion des premiers ministres à Jasper

Mon mandat de ministre des Affaires intergouvernementales a essentiellement commencé avec la conférence des premiers ministres de 1995 à St. John's. Il a pris fin peu après la conférence des premiers ministres d'août 1996 à Jasper, en Alberta. Au printemps et au début de l'été, les ministres des Affaires intergouvernementales ont travaillé à l'élaboration de nouvelles approches avec le gouvernement fédéral concernant la politique sociale et les normes nationales. L'accent était mis sur la façon de trouver un moyen d'améliorer les approches afin que les normes nationales ne correspondent pas automatiquement aux normes fédérales.

La principale contribution de l'Ontario au débat a été de commander un article de réflexion à Thomas Courchene, un universitaire reconnu dans le domaine des relations financières intergouvernementales. Le premier ministre Harris a fait référence au rapport, publié quelques semaines avant les réunions des premiers ministres, dans un discours qu'il a prononcé à Calgary. Il a dit que l'objectif de l'Ontario était de stimuler le débat et de sortir des sentiers battus. Le concept du ministère était que le document de Courchene serait le premier d'une série de huit à dix articles de réflexion. Les documents se concentreraient sur divers aspects du fonctionnement de la fédération et sur la façon dont elle pourrait être améliorée sans modifier la Constitution. Il ne s'agissait pas d'une politique du gouvernement de l'Ontario, mais il s'agirait de contributions à un débat sur les politiques. Malheureusement, certains premiers ministres, en particulier le premier ministre Tobin de Terre-Neuve, étaient très convaincus de certains des thèmes que Courchene avait abordés dans son document. Les premiers ministres ont discuté de façon informelle du document de recherche lors du voyage en train qu'ils ont fait ensemble à Jasper. Le premier ministre Tobin a résumé la discussion en déclarant : « Nous avons jeté Courchene du train. » Je me sentais mal pour la mère de Courchene, qui s'est peut-être demandé pourquoi son fils avait été traité de cette façon. Mis à part le drame de Courchene, la réunion des premiers ministres s'est déroulée sans incident, surtout par rapport à celle de l'année précédente.

Chapitre 10 : Leçons

Sous-ministre de l'Éducation et de la Formation

Quand je repense à ces quinze mois au ministère de l'Éducation et de la Formation, quelques points ressortent.

J'ai eu la chance d'établir des relations de confiance avec des recteurs d'université comme Bill Leggett à l'Université Queen's, Rob Prichard à l'Université de Toronto et Paul Davenport à l'Université Western. Ces relations ont été importantes pour aider à surmonter les événements négatifs potentiels. Par exemple, en février 1996, alors qu'il participait à un congrès du Parti progressiste-conservateur, le ministre a dit quelque chose sur le fait qu'il était ouvert à revoir plusieurs politiques, y compris celles se rapportant à la durée des fonctions. Cela a rapidement conduit à des appels à sa démission. Une tempête de feu se préparait. Comme il ne s'agissait pas d'une politique gouvernementale, je me suis senti à l'aise de téléphoner à Bill Leggett et de l'informer qu'aucun travail stratégique sur cette question n'avait été entrepris au sein du ministère, et je ne voyais pas à quel moment, compte tenu de nos priorités importantes, cela pourrait être fait. Il a pris cet élément d'information important et a passé plusieurs appels qui ont aidé à faire disparaître le problème.

Il est très important, si l'on veut atteindre des résultats précis, de s'assurer que les responsabilités des sous-ministres adjoints s'harmonisent clairement avec les résultats souhaités. La clarté à l'échelon des sous-ministres adjoints contribue à la clarté entre les subalternes. Ces responsabilités devraient être revues à intervalles réguliers. Les bureaucraties excellent à saper la clarté au chapitre des responsabilités. Les responsabilités confuses sont une garantie que beaucoup, beaucoup de réunions auront lieu sans que les résultats souhaités ne deviennent plus clairs.

Parfois, de puissants slogans de campagne contribuent à la prise de mauvaises décisions politiques. Aucune coupure dans les salles de classe n'a été bien accueillie par les parents. Cela a alimenté le récit selon lequel il y avait de la « graisse dans le système » et que l'« on pouvait faire des économies ». Le slogan de la campagne et la réduction pluriannuelle du financement de l'éducation ont mené, en 1997, à d'importantes perturbations du travail dans les écoles de la province. Les slogans de campagne font d'excellents extraits sonores, mais ils ne peuvent pas être traduits en politiques rapidement ou facilement. Les sous-ministres doivent trouver diverses options face aux slogans irréalisables.

Les intervenants du secteur de l'éducation et de l'éducation postsecondaire sont à la fois nombreux et diversifiés. L'une des principales caractéristiques de ce groupe d'intervenants est qu'un grand nombre d'entre eux participent directement à la prestation de ce bien public qu'on appelle l'éducation. La plupart d'entre eux sont dignes de confiance et, dans certains cas, sont plus crédibles que le gouvernement. La responsabilisation en matière d'éducation est une responsabilité partagée entre le ministère de l'Éducation, les conseils scolaires et les syndicats. Il faut toujours être conscient, face à des intervenants plus expérimentés et mieux informés que soi, que l'orgueil démesuré peut s'emparer de l'équipe du ministère, et entraîner des conséquences qui n'aideront pas nécessairement au dossier.

Sous-ministre des Affaires intergouvernementales

Lorsque je repense à ces quinze mois passés aux Affaires intergouvernementales, je suis frappé par la chance que le Canada a eue de ne pas avoir succombé au genre de négociations cacophoniques, non concluantes et mélodramatiques comme celles du BREXIT au Royaume-Uni. Dans un sens, le Canada a eu la chance que le PQ et son homologue fédéral, le Bloc québécois, se concentrent entièrement sur le changement de chef.

Le premier ministre Harris avait voulu contribuer au débat référendaire de manière constructive. Il n'était pas un expert en politique constitutionnelle, et il n'avait pas de prétentions ou d'illusions à cet effet. Il connaissait cependant l'histoire et le rôle qu'un premier ministre de l'Ontario devait jouer. Il avait des opinions sur ce qu'il était prêt à faire et à ne pas faire. Par exemple, à un moment donné, certains premiers ministres ont parlé de ne pas assister à un souper avec le premier ministre Chrétien. Le premier ministre Harris n'avait aucune patience pour de tels jeux. Il m'a conseillé de faire passer le message que si le premier ministre l'invitait, il se présenterait. Il a compris qu'il portait une veste qu'avait déjà été portée Leslie Frost, John Robarts, Bill Davis, David Peterson et Bob Rae. Il voulait changer les choses.

Le concept de fédéralisme institutionnalise les récriminations politiques. Les relations de pouvoir entre les gouvernements nationaux et infranationaux évolueront toujours et seront toujours quelque peu conflictuelles. Les compétences partagées comme l'environnement ont été et seront toujours litigieuses en partie parce que différents gouvernements auront des définitions différentes de l'intérêt public. Mais en fin de compte, on trouvera toujours un moyen de répondre aux besoins des Canadiens dans toutes les régions. Il y aura toujours des doléances, mais cela ne devrait pas être assimilé à l'affirmation facile que le Canada ne fonctionne pas. Le Canada fonctionne.

Le premier ministre Harris, son chef de cabinet, David Lindsay, et la ministre des Affaires intergouvernementales, Dianne Cunningham, m'ont explicitement fait confiance. Les questions intergouvernementales au Canada exigent beaucoup de réunions et de conversations entre les divers intervenants. Il n'est pas possible de faire le travail de sous-ministre des Affaires intergouvernementales si vous n'êtes pas certain de la position du premier ministre. M. Harris a toujours pris du temps pour moi et m'a permis de faire mon travail.

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Chapitre 11 : Association canadienne des journaux, 1996-1997

66.64%

À l'été 1996, j'ai reçu un autre appel d'Anne Fawcett de Caldwell Partners. Anne voulait savoir si j'aimerais poser ma candidature au poste de président et chef de la direction de la nouvelle Association canadienne des journaux (ACJ). Cette nouvelle entité était le résultat de la fusion de deux organisations de l'industrie : l'Association canadienne des quotidiens et la Newspaper Marketing Organization. J'ai découvert par la suite que c'est Bill Ardell, le PDG de Southam Newspapers, qui avait inscrit mon nom sur la liste. Ayant toujours été un avide lecteur de journaux, j'ai indiqué que je souhaitais en savoir plus. Quelques mois plus tard, on m'a offert le poste et je l'ai accepté.

Pourquoi?

Mon changement de carrière a été motivé par trois facteurs : la rémunération, ma curiosité pour le rôle des associations et un amour honnête des journaux.

Je me souviens d'avoir mentionné au comité d'entrevue le lien qui m'unissait au produit depuis longtemps. Mon premier emploi a été de livrer La Presse à mes trente clients à Lachine et, pendant deux semaines chaque été, le Montreal Star. J'ai également déclaré au comité que l'un des grands avantages de la vie à Belmont était mes dimanches matins réservés à la lecture des éditions du dimanche du New York Times et du Boston Globe accompagnée de bagels et de café dans la cour arrière.

Mon salaire avait été réduit et gelé à la suite des Jours de contrat social (les Rae Days). J'entrais maintenant dans la troisième année du gel. La perspective d'un flux de trésorerie négatif se profilait, d'autant plus que ma fille Suzanne allait fréquenter Queen'set que ma maison avait besoin d'un nouveau toit. Étant donné que j'étais sous-ministre de l'Éducation, de l'Éducation postsecondaire et des Affaires intergouvernementales, j'ai approché la secrétaire du Conseil des ministres pour lui demander si je pouvais obtenir une légère hausse de salaire étant donné que je faisais économiser de l'argent à la province avec mes différents portefeuilles : trois pour le prix d'un seul sous-ministre. Elle a malheureusement indiqué qu'elle espérait un changement de politique, mais qu'elle était limitée à court terme et qu'elle ne voulait pas créer de précédent.

L'Association canadienne des journaux n'avait pas les mêmes contraintes. D'un autre côté, mon expérience dans la négociation d'un salaire était inexistante. Ce n'est pas une compétence que l'on développe en tant que haut fonctionnaire de la fonction publique. Ces deux réalités ont créé des règles du jeu quelque peu équitables : l'Association disposait d'un montant d'argent non divulgué, et je n'avais aucune expérience de la façon d'accéder à cet argent. Lorsque la conversation avec la consultante en recrutement a bifurqué vers la rémunération, elle m'a demandé ce que je recherchais. J'ai pris mon salaire actuel de 129 000 $et j'ai simplement ajouté 100 000 $. Sans marquer de pause, elle a répondu : « Je pense que nous pouvons nous adapter à ce chiffre », et elle est passée aux avantages sociaux et autres avantages. J'avais évidemment fait une sous-estimation du montant maximal parce qu'elle n'a pas eu besoin d'aller vérifier. J'étais arrivé sous les limites du salaire qu'ils avaient prévu au budget.

J'étais vraiment intéressé par le produit et par les gens qui le rendaient possible. Ayant été sous-ministre de l'Environnement et de l'Énergie, j'avais déjà été approché au sujet d'emplois dans des associations industrielles, mais j'hésitais à occuper un emploi comportant un intérêt privé étroit. À certains égards, cependant, je pensais que les journaux, malgré leur réalité à but lucratif, étaient différents. Cela m'a permis de justifier que je continuerais à servir, à certains égards, l'intérêt public. J'aimais aussi savoir comment les associations fonctionnaient et comment les priorités étaient établies.

Le contrat était prêt à être signé lorsque la firme de recrutement de cadres m'informa qu'il y aurait du retard. Quelques jours plus tard, tout rentrait dans l'ordre. Southam, la plus grande chaîne de journaux du pays, vendait ses propriétés à Conrad Black et David Radler, qui étaient les propriétaires de Hollinger, une autre chaîne de journaux. La nouvelle société contrôlerait 56 des 103 quotidiens du pays. L'arrivée de M. Black et de M. Radler s'est rapidement fait sentir. Ils avaient décidé, dans le cadre de leurs efforts globaux pour réduire les coûts, de réduire le budget de ma nouvelle petite association de 1 million de dollars, en le faisant passer de 3 à 2 millions de dollars. Rien ne garantissait qu'ils ne feraient pas davantage de coupures.

En plus d'avoir de nouveaux propriétaires et un budget réduit, j'ai également été confronté à la perte de Bill Ardell, qui était maintenant l'ancien PDG de Southam. Bill avait été mon champion et mon plus grand partisan au sein du comité de recrutement.

Malgré les nouvelles incertitudes, j'ai signé la lettre d'offre et j'ai emménagé dans ma « suite présidentielle » à l'angle des rues Yonge et Davenport à Toronto.

Les gens

La partie la plus géniale du travail a de loin été d'apprendre à connaître les personnalités de l'industrie des journaux : John Honderich du Toronto Star, Roger Landry de La Presse et, bien sûr, Conrad Black et David Radler. En outre, les éditeurs dans la plupart des villes étaient des gens extrêmement intelligents et intéressants, que l'on pense entre autres à Linda Hughes (Edmonton Journal), à Ken King (Calgary Herald) et à Paul Godfrey (Toronto Sun). Il y avait aussi les rédacteurs en chef et les journalistes. Tous étaient érudits, bien informés et curieux.

La présence de M. Radler commençait à se faire sentir. Par exemple, il a congédié mon vieil ami Peter Calamai comme rédacteur en chef de l'Ottawa Citizen. J'ai alors senti le besoin d'entrer en contact avec lui le plus tôt possible. Malheureusement, je ne le connaissais pas, lui, ni personne de son entourage. Je connaissais cependant quelqu'un qui connaissait Conrad Black : Marie-Josée Kravis. Nous avions tous les deux été adjoints ministériels au début des années 1970 et nous étions restés occasionnellement en contact. Je l'avais recrutée pour coprésider les festivités de la fête du Canada en 1983. Elle vivait maintenant à New York, après avoir épousé Henry Kravis, financier extraordinaire et cofondateur de la société de gestion de placements KKR. Marie-Josée a été très courtoise, et en quelques jours, j'ai reçu un appel de l'adjointe de Conrad Black au Daily Telegraph. Elle m'a dit que M. Black serait ravi de me rencontrer la prochaine fois que je me rendrais à Londres. Je venais justement d'être invité à participer à une conférence de la Fondation Ditchley le mois suivant sur l'avenir des journaux. Nous avons donc convenu que je pourrais rencontrer M. Black après la conférence. Le jour de notre réunion, elle m'a informé qu'elle allait envoyer la voiture de M. Black me chercher à l'hôtel et me conduire à sa résidence de Cottesmore Gardens à Kensington.

J'ai passé l'après-midi à parler avec lui du Québec, du Canada, du rôle des journaux dans la société, du déploiement militaire stratégique, du rôle du gouvernement et de bien d'autres sujets. À un moment donné, après lui avoir montré quelques livres de Churchill que je venais d'acquérir, il m'a emmené à sa bibliothèque du troisième étage (par opposition aux bibliothèques des autres étages). Il a sorti un livre écrit par Churchill. Churchill avait envoyé cette copie, accompagnée d'une note personnelle, au premier ministre de l'époque, Stanley Baldwin. M. Black, avec l'aide d'un bibliothécaire qui était à son emploi, avait fait l'acquisition de ce livre autographié. Alors que j'apprêtais à partir, il me demanda s'il pouvait faire quelque chose pour moi. J'ai dit que je serais heureux qu'on me présente David Radler. Il a rapidement pris le téléphone et contacté David. Après, il m'a dit que David serait heureux de me voir la prochaine fois que je serais à Vancouver.

Environ un mois plus tard, j'étais à Vancouver. Je me suis rendu à un centre commercial à North Vancouver où; se trouvait le siège social de Hollinger. David a estimé que c'était un gaspillage d'argent d'avoir un bureau chic et coûteux sur la rue Burrard. Quand je suis entré, je lui ai parlé de mes attentes pour la réunion. J'espérais le convaincre que l'ACJ n'était pas totalement inutile et que je n'étais pas un parfait idiot.

Ces remarques, et plus important encore, les commentaires préliminaires de Conrad Black, ont mis la table à une réunion et à un souper qui furent fort agréables. Au cours de notre conversation, il a formulé quelques idées sur la gestion. Il m'a dit qu'il n'avait jamais engagé de consultants. S'il avait un problème de diffusion avec, disons, le Hamilton Spectator, il enverrait son meilleur chef de la diffusion au pays pour faire une visite et produire un rapport correctif. S'il avait un problème de publicité avec la Gazette, il enverrait son meilleur chef de la publicité. Les éditeurs qui avaient le problème auraient une semaine pour élaborer un plan de relance et le lui envoyer.

Il croyait en une surveillance pratique. Il prendrait également l'habitude de faire des visites ponctuelles sans préavis dans les journaux et de se rendre directement au service des finances. Il examinait toutes les factures payées au cours des derniers mois et établissait deux piles : les dépenses avec lesquelles il était d'accord et celles avec lesquelles il ne l'était pas. L'éditeur avait une semaine pour fournir des réponses concernant les factures de la deuxième pile.

La nouvelle s'est rapidement répandue que, au cours de mes trois premiers mois, j'avais obtenu une rencontre avec Conrad Black et une avec David Radler. Mes appels téléphoniques aux anciens éditeurs de Southam ont été rendus rapidement.

La salle de presse

Pour m'aider à mieux connaître l'entreprise, j'ai élaboré un plan selon lequel je passerais une journée chaque semaine avec un journal. Le programme était à peu près le même avec chaque quotidien. Je commençais par prendre un café avec l'éditeur. Je m'asseyais ensuite en tant qu'observateur à la réunion de presse du matin, qui déterminerait provisoirement quelles histoires seraient couvertes dans l'édition du lendemain et quels articles feraient théoriquement la une. Ces réunions étaient présidées par le rédacteur en chef et réunissaient tous les rédacteurs. La principale variable concernant le nombre d'articles qui seraient diffusés était ce que le créneau réservé aux nouvelles, c'est-à-dire l'espace à remplir par les nouvelles une fois que l'espace publicitaire avait été déterminé, serait un jour donné. Par exemple, le créneau réservé aux nouvelles du samedi était plus petit parce que la quantité de publicité était plus grande; celui des nouvelles du lundi, en revanche, était énorme. Le prochain arrêt était l'équipe éditoriale, pour entendre les discussions sur les sujets à couvrir sur la page éditoriale. Après cela, je lunchais avec le chef de la diffusion, puis je prenais un café avec le chef de la publicité. Je terminais la journée en retournant à la réunion de la salle de presse de l'après-midi pour voir quels seraient les gros titres du lendemain et quels articles iraient en première page.

Priorités

Sur la base de mes réunions bilatérales et des commentaires de mon conseil d'administration, j'ai établi trois priorités globales : bâtir l'organisation, augmenter les revenus publicitaires et prêcher pour la Loi sur l'accès à l'information.

Ma première tâche a été d'élaborer un organigramme et d'amorcer la dotation. J'ai opté pour un mélange de nouveaux (VP des politiques et VP du marketing) et d'anciens (VP des services aux membres). Tous les grands quotidiens ont offert gratuitement de l'espace pour publier les offres d'emploi pour les deux nouveaux postes de vice-président. Après beaucoup, beaucoup d'entrevues, j'ai fait mon choix pour les deux nouveaux vice-présidents. Après trois mois de travail, j'avais mon équipe.

En m'attelant à ces priorités, j'ai également découvert qu'une partie de la raison pour laquelle les entreprises extrêmement compétitives mettent des fonds dans une association est leur désir de s'assurer que l'association ne fait rien de stupide qui aidera leurs concurrents. Les associations existent pour promouvoir les intérêts de tous leurs membres. Tout le monde a une sorte de droit de véto. Par conséquent, il est relativement facile de développer des projets qui soutiennent l'industrie. Il est toutefois un peu plus difficile de trouver des initiatives qui sont appuyées à l'unanimité.

À cette époque, les journaux avaient deux principales sources de revenus : les petites annonces et la publicité occupant de grandes pages provenant de clients tels que les constructeurs automobiles ou les entreprises informatiques. La diffusion était une lointaine troisième source de revenus. Les journaux de la fin des années 1990 étaient en concurrence avec la télévision, la radio et les panneaux d'affichage pour les dollars publicitaires discrétionnaires. L'affectation de ces fonds s'est faite en grande partie par l'entremise d'agences de publicité. Afin d'augmenter la part de l'industrie, j'ai décidé d'une approche de vente en douceur. L'ACJ a loué un restaurant de grande envergure à Yorkville pour une soirée et a invité les présidents et le personnel clé de toutes les grandes agences de publicité de Toronto. Les animateurs seraient les éditeurs et les chefs de la publicité.

L'année précédente, j'avais été au cœur aux négociations postréférendaires et de la planification d'une rencontre entre les premiers ministres du Québec et de l'Ontario. Cette année, j'allais me concentrer sur les plans de table : quel éditeur allait s'asseoir à côté de quel dirigeant d'agence de publicité pendant le plat principal. J'ai effectué la même tâche pour le café et le dessert. Pourtant, mon salaire était le double de mon emploi précédent.

La soirée a connu un succès fabuleux. Le président du conseil d'administration a décrété qu'il s'agirait désormais d'un événement annuel. Il a également dit que nous devrions envisager un plan semblable pour l'Ouest canadien et le Canada atlantique.

En ce qui concerne le plaidoyer à livrer, j'ai dû choisir avec soin. Par exemple, certains membres voulaient mettre l'accent sur la modification de la politique de Revenu Canada sur les dépenses de publicité déductibles des entreprises qui font de la publicité dans les journaux. D'autres ne le voulaient pas.

Je me suis retranché sur un terrain plus sûr. L'ACJ commanderait une évaluation indépendante par une tierce partie de la façon dont le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux géraient leur propre loi sur l'accès à l'information. Une fois le rapport terminé, chaque journal aurait de nouvelles informations sur lesquelles faire rapport. C'était une autre victoire. À la suite de certaines de ces initiatives, j'ai été invité à assister à la réunion annuelle de l'American Newspaper Association à l'hôtel historique Biltmore à Los Angeles. Ce fut un événement révélateur, auquel participaient un nombre important de personnes bien en vue de l'administration Clinton. Ce serait quelque chose à envisager dans les années à venir à l'ACJ.

Chapitre 11 : Leçons

Avec le recul, le travail à l'Association canadienne des journaux était cool et assez agréable. J'ai pu rencontrer de nombreuses personnes intelligentes dans un secteur fascinant. Au fil des ans, ce réseau s'est avéré très précieux. Par exemple, en 2015, lorsque j'étais sous-ministre du premier ministre de l'Alberta, j'ai renoué avec Linda Hughes, ancienne éditrice de l'Edmonton Journal, et j'ai facilité sa nomination à la présidence du conseil d'administration du nouveau Conseil des services de santé de l'Alberta.

J'ai eu l'occasion de regarder dans les coulisses pour voir la façon dont les journaux fonctionnent à la fois comme fournisseurs de contenu et comme instruments d'affaires. Les journaux étaient autrefois des points d'ancrage communautaires un peu au même titre que les universités. Hamilton avait l'Université McMaster et le Spectator. Calgary avait l'Université de Calgary et le Herald. North Bay avait l'Université Nipissing et le Nugget. Toronto avait l'Université de Toronto, l'Université York et Ryerson, ainsi que le Star, le Globe et le Sun.

Au cours de mon séjour à l'ACJ, j'ai appris l'importance de déléguer tout en maintenant des mécanismes de surveillance. Le modèle de David Radler était performant et efficace. Son manque d'enthousiasme pour les frais généraux du siège social ou les consultants est un élément que j'ai utilisé dans tous mes emplois ultérieurs.

J'ai également développé une meilleure compréhension des complexités « de l'Église et de l'État » en ce qui concerne la répartition des responsabilités. Dans le monde des journaux, il s'agissait des différences entre les rôles de l'éditeur et du rédacteur en chef. Dans les autres emplois, il y avait les rôles d'une société d'État et d'un ministre, et les rôles d'un cabinet de ministre et d'un sous-ministre. Une certaine souplesse est toujours utile dans de telles circonstances.

M. Black et M. Radler ont acheté des journaux au bon moment et les ont vendus au bon moment. Ils ont fait beaucoup d'argent, car ils sont sortis juste avant qu'Internet et les médias sociaux commencent à prendre une grosse partie de leurs revenus. Il est toujours préférable de partir une heure trop tôt que cinq minutes trop tard.

Enfin, j'ai appris qu'il est important de ne jamais oublier que la publication de journaux est une entreprise. Elle doit gagner de l'argent si elle veut survivre en tant qu'entreprise. Elle a besoin de lecteurs et d'annonceurs.

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Chapitre 12 : Ontario Hydro, 1997-1999;
Ontario Power Generation, 1999-2003

71.40%

Ma carrière de lobbyiste et de chef d'association aura duré un an. À la fin de 1997, j'ai répondu à un appel d'Art Sawchuck. Art était chef de la direction de DuPont Canada et membre du conseil d'administration d'Ontario Hydro. Il a dit : « Richard, nous avons vraiment besoin de vous à Ontario Hydro. Y a-t-il une possibilité de vous convaincre de revenir? » J'ai dit que je serais intéressé si le président et chef de la direction par intérim, Bill Farlinger, voulait que je fasse partie de son équipe.

Je n'avais eu aucune interaction avec Bill depuis juin 1995, lorsque l'équipe de transition m'avait interviewé pour le poste de secrétaire du Conseil des ministres de l'Ontario. Notre échange précédent, au déjeuner d'avril 1995, n'avait pas été un tremplin pour bâtir nos relations. Entre-temps, à l'automne 1995, Bill avait été nommé président d'Ontario Hydro par le premier ministre Mike Harris et, à l'été 1997, chef de la direction par intérim, lorsqu'Al Kupcis a démissionné de son poste de président et chef de la direction à la suite d'une évaluation indépendante du parc nucléaire d'Ontario Hydro.

Bill Farlinger était un personnage formidable et une personne très imposante. Il n'avait peur de rien. En 1986, il avait dirigé les négociations au nom des associés de Clarkson Gordon avec les cinq grands cabinets comptables qui ont abouti à la fusion du cabinet avec Ernst and Young. Cela a également rendu un certain nombre de partenaires très riches. Bill a été président et chef de la direction d'Ernst and Young Canada de 1986 à 1993. Il avait de nombreux points positifs, mais ce n'était pas un charmeur. Il ne se souciait pas beaucoup du papotage et il en est venu rapidement au fait. Il m'offrait le poste de vice-président principal des affaires générales et environnementales, avec une augmentation de 20 % du salaire que je faisais à l'ACJ. J'avais l'impression que Bill, à sa manière, me courtisait. J'ai donné mon accord de principe, sous réserve de voir l'ébauche du contrat de travail.

En quittant son bureau, j'ai rencontré Larry Leonoff, avocat général d'Ontario Hydro. Il m'a pris à part pour m'offrir son soutien quant à mon retour à la société d'État. De plus, il a dit qu'il préparerait le meilleur contrat de travail possible pour me protéger si jamais les choses ne se passaient pas bien, voire très mal. Il ne mentait pas. Le contrat de travail préparé par Ontario Hydro était très généreux et prévoyait une indemnité de départ de deux ans. J'ai consulté un cabinet d'avocats externe, qui m'a dit qu'il ne recommanderait aucun changement. J'ai commencé mon nouvel emploi en octobre 1997.

J'ai passé mes premiers mois à comprendre les principaux problèmes auxquels se heurtait Ontario Hydro. Le premier était la production d'énergie nucléaire. Au cours des deux dernières années, un certain nombre de secousses sismiques ont secoué Ontario Hydro Nuclear. Il s'agissait notamment d'une évaluation accablante par des consultants américains indépendants sur l'état des installations nucléaires d'Ontario Hydro, de la démission du président et chef de la direction, de l'approbation par le conseil d'administration d'un plan de plusieurs milliards de dollars pour réhabiliter les centrales nucléaires et du recrutement de consultants américains en tant que cadres hiérarchiques qui superviseraient la mise en œuvre du plan de relance.

Le deuxième enjeu majeur était la séparation prochaine d'Ontario Hydro en trois parties. Une partie serait responsable de toute la production d'électricité. Une deuxième partie serait responsable de tout le transport ainsi que de la distribution dans des environnements non urbains. La troisième partie, la Société indépendante d'exploitation du réseau d'électricité (SIERE), serait responsable de la planification et de la fiabilité.

Le troisième enjeu sur lequel je me suis concentré est l'amélioration de la gouvernance interne. Bill Farlinger s'est félicité de mon rôle informel en tant que chef du personnel/secrétaire général. Cela m'a amené à préparer pour lui, chaque fin de semaine, un cahier d'information avec les décisions clés pour la semaine suivante. Avant de devenir chef de la direction par intérim, Bill s'envolait toujours pour la Floride à l'automne et à l'hiver le jeudi soir et il revenait tôt lundi matin. Il ne sentait pas que son nouveau rôle était une raison impérieuse de changer son équilibre travail-vie personnelle. Au cours des trois mois qui ont précédé la nouvelle année, j'ai pu travailler de plus en plus étroitement avec Bill et j'ai gagné sa confiance.

En janvier 1998, j'étais dans le bureau de Bill par une matinée très pluvieuse lorsqu'un appel est arrivé de Preston Manning, député et chef de l'opposition à Ottawa. Manning voulait savoir si nous avions besoin d'aide pour obtenir la participation des Forces armées. Nous étions tous les deux perplexes quant à l'objectif de l'appel. Quelques minutes plus tard, après avoir allumé la télévision, la brutalité de la tempête de verglas de 1998 se révélait devant nos yeux. Des dispositions ont été prises pour que Bill et moi nous rendions à Ottawa pour visiter la région touchée. Notre trajet en hélicoptère a montré la dévastation. D'énormes pylônes hydroélectriques s'étaient écroulés comme des allumettes et étaient couchés sur le sol. À son retour à Ottawa, il a été convenu que Bill devrait faire une annonce dans les médias. Bill avait de nombreuses qualités, mais bien communiquer des informations claires et succinctes n'en faisait pas partie. Le contraste avec André Caillé, président-directeur général d'Hydro‑Québec, était douloureusement frappant. L'événement médiatique de Bill était proche du désastre. C'était ma responsabilité et mon échec. Le lendemain, j'ai convaincu l'un de mes collègues d'envoyer un cadre supérieur d'Ontario Hydro à Ottawa pour prendre en charge notre part du plan de relance et pour être le visage du service public devant les médias.

À la fin d'avril, Bill m'a demandé de l'accompagner à Montréal pour rencontrer Ron Osborne, qui avait été recruté pour devenir chef de la direction d'Ontario Hydro. Ron, qui était le chef de la direction de Bell Canada, était un titan dans le milieu des affaires au Canada. Il était considéré, à juste titre, comme l'un des meilleurs PDG du Canada. Bill m'avait désigné comme personne-ressource de Ron au sein d'Ontario Hydro jusqu'à ce qu'il entre officiellement en fonction.

La première chose que Ron m'a demandé de régler avec les pouvoirs en place était son contrat de travail. Il a dit qu'il était d'accord avec Bill et le conseil d'administration pour dire que le contrat d'Ontario Hydro serait à l'image de son contrat avec Bell Canada. Ni plus ni moins. C'était ma première exposition aux réalités de la rémunération pour un chef de la direction de premier ordre. Avec l'aide de la société de recrutement Mercer, un contrat de travail traditionnel pour un chef de la direction a été préparé. Il a été approuvé par le conseil d'administration et signé par Ron. Cinq ans plus tard, je réexaminerais ce contrat dans des circonstances difficiles.

Le mandat de Ron de la part de Bill et de l'actionnaire était de gérer les activités actuelles d'Ontario Hydro, d'élaborer des plans pour démanteler Ontario Hydro en plusieurs parties et, enfin, de préparer la société de production d'électricité qui lui succéderait à la privatisation.

L'un des principaux projets consistait à réduire l'empreinte d'Ontario Power Generation (OPG) sur le marché. Cela était essentiel pour répondre aux préoccupations du Bureau de la concurrence au sujet de la part de marché d'OPG. La société a lancé un « projet de déréglementation », avec l'aide de Salomon Smith Barney, une banque d'investissement. La partie la plus importante de cette initiative a été la négociation d'un bail avec British Energy pour les sept unités du site nucléaire de Bruce. La « perte » de ces unités, jumelée à la production disponible auprès d'autres services publics, a été un élément clé pour convaincre le Bureau de la concurrence qu'OPG n'aurait pas de part de marché dominante.

L'hypothèse était qu'Ontario Hydro avait pris les décisions difficiles concernant la gestion du programme nucléaire et que le plan de relance était mis en œuvre avec succès. En d'autres termes, Ron n'a pas eu à s'inquiéter du programme de relance du nucléaire. Ontario Hydro, sous la direction de Bill Farlinger, avait embauché une équipe de rêve américaine pour la gérer et la remettre sur les rails.

Au cours de la deuxième moitié de 1998, j'ai beaucoup mis l'accent sur le démantèlement d'Ontario Hydro. J'ai travaillé en étroite collaboration avec les diverses banques d'investissement qui avaient été retenues par le ministère des Finances et Ontario Hydro pour aider au processus de démantèlement. Le conseiller principal de Goldman Sachs était le jeune et très impressionnant Mark Carney.

En 1999, les trois nouvelles organisations, OPG, Hydro One et la SIERE, ont été officiellement créées. Ron m'a promu au poste de premier vice-président et secrétaire général d'OPG, avec un portefeuille diversifié qui comprenait les affaires environnementales, la Division de gestion des déchets nucléaires, les affaires réglementaires nucléaires, les affaires publiques, les affaires gouvernementales et le secrétariat de la société.

La question des déchets nucléaires

L'une de mes priorités était d'établir, conformément à la loi fédérale, la Société de gestion des déchets nucléaires (SGDN). Elle aurait pour mandat de trouver un site pour abriter les déchets nucléaires en permanence. OPG possédait de loin la plus grande quantité de déchets nucléaires du pays. Le bail avec Bruce Power stipulait qu'OPG continuerait d'être responsable des déchets nucléaires sur le site de la Bruce Power. Hydro-Québec et Énergie Nouveau-Brunswick étaient représentées au conseil d'administration puisqu'elles avaient toutes deux un réacteur nucléaire. Mais puisqu'OPG avait 95 % des déchets, c'était à nous de tenir les rênes. La législation fédérale avait été élaborée dans le contexte des efforts déployés aux États-Unis pour avoir un site de déchets nucléaires à Yucca Mountain, dans le Nevada. Bien que solide sur le plan technique, le projet a finalement échoué en raison du manque d'acceptabilité sociale et politique.

Lorsque la loi a été promulguée, Ron Osborne m'a nommé président de la SGDN. J'ai ensuite entrepris de recruter le premier président de la société et le premier président du comité consultatif, ce qui était également exigé par la loi fédérale.

J'ai retenu les services d'un cabinet de recrutement, et je me suis rapidement concentré sur une candidate potentielle : Elizabeth Dowdeswell. Liz était récemment revenue au Canada, après avoir été directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l'environnement de 1992 à 1998. Le poste l'intéressait, mais une chose la préoccupait : elle voulait savoir qui serait le président du comité consultatif. Ayant passé beaucoup de temps dans les processus de l'ONU, elle était naturellement méfiante d'être prise en sandwich entre un conseil d'administration et un comité consultatif. J'ai mentionné que mon candidat préféré était David Crombie, mon ancien ministre. Je n'avais pas approché David, car je voulais d'abord trouver la bonne personne pour le poste de président. Elle a accepté le poste si je pouvais convaincre David d'être le premier président du conseil consultatif. Au cours de nos conversations, j'avais demandé à Liz pourquoi elle, environnementaliste de renommée internationale, s'intéressait aux déchets nucléaires. Sa réponse a été assez simple. Si le monde voulait réduire les émissions de CO2 provenant des combustibles fossiles, l'énergie nucléaire devrait être l'une des options de remplacement. La gestion des déchets nucléaires réalisée d'une manière responsable et socialement acceptable était un élément clé de la présence du nucléaire à la table.

J'ai communiqué avec David Crombie peu de temps après. Il était intéressé, mais voulait savoir qui serait le chef de la direction. Lorsque j'ai mentionné Liz, il a accepté avec enthousiasme l'invitation à devenir le premier président. Nous nous sommes rencontrés tous les trois par la suite pour recruter les autres membres du comité consultatif.

Le recrutement de David et de Liz a mené au lancement réussi de la SGDN. Le chœur antinucléaire, qui n'était pas nombreux, mais qui comptait des personnes très en vue, a donné à la SGDN le bénéfice du doute. Ces deux personnes ayant des carrières remarquables et une grande intégrité personnelle ont permis de changer les choses. Nous avons été en mesure de passer au-dessus des arbres après le décollage.

Affaires réglementaires nucléaires

Ma nouvelle responsabilité m'a donné ma première idée de la façon dont le Plan d'optimisation des biens de production nucléaire était mis en œuvre. L'aspect clé de cette responsabilité consistait à gagner la confiance de l'organisme de réglementation et de la collectivité. À cette fin, j'ai dû régulièrement approuver des documents sur l'état d'avancement des progrès destinés au président de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN).

Une initiative clé à cet égard a été d'obtenir l'engagement de tous les ménages de Pickering de nous faire part de leurs points de vue sur la sûreté de la centrale nucléaire locale. Pour faire preuve de transparence, nous avons invité les commissaires et le personnel de la CCSN à accompagner nos sondeurs n'importe quel jour et dans n'importe quel quartier, selon leur choix. Nos deux syndicats ont fortement appuyé ce projet.

Les résultats ont été très positifs pour OPG. Comme l'a dit un résident, « la centrale de Pickering fonctionnait déjà lorsque nous avons acheté la maison. Nous ne croyons pas que quelque chose de néfaste ou de dangereux se passe à la centrale. » Ce type de commentaire nous a aidés à rassurer la CCSN sur le fait que nous étions en phase avec la collectivité.

Quelques autres observations préliminaires sont ressorties alors que je travaillais sur le dossier nucléaire. Premièrement, il y avait une culture au sein de l'équipe du nucléaire qui consistait à blâmer l'organisme de réglementation pour les retards. Parmi les rancunes, mentionnons l'obligation de procéder à une évaluation environnementale pour le redémarrage de Pickering, la très courte période d'autorisation (six mois) pour les centrales nucléaires et de multiples questions intrusives posées par le personnel de la CCSN dans les centrales.

Deuxièmement, il était difficile d'obtenir des renseignements précis et cohérents sur les progrès du plan de relance. Au fil du temps, j'ai acquis la conviction que l'organisme de réglementation n'était pas capricieux et n'était pas mauvaise foi à l'égard d'OPG. Au contraire, les commissaires et les hauts fonctionnaires de la CCSN ne faisaient que protéger l'intérêt public.

Compte tenu de mes nouvelles responsabilités, associées à mes obligations envers l'actionnaire, j'ai eu accès aux programmes de rémunération des membres de l'équipe nucléaire américaine. Leur rémunération comportait quelques éléments singuliers. Ils avaient tous une allocation de retraite très généreuse, avec une rémunération annuelle en dollars américains allant de 495 000 $à 1 200 000 $. De plus, ils avaient tous reçu une prime à la signature de 100 000 $US lorsqu'ils se sont joints à Ontario Hydro.

Une des membres de l'équipe n'était pas ingénieure. Son travail consistait à être l'ombudsman du nucléaire. C'est auprès d'elle et de son équipe que les employés pourraient soulever des préoccupations en matière de sécurité dans un cadre confidentiel et sécuritaire. Il s'agissait d'un excellent concept. Ma confiance en elle a été quelque peu minée, cependant, quand j'ai appris qu'avant d'occuper son poste d'ombudsman, elle avait été la courtière immobilière en Arizona du premier vice-président de la Division nucléaire.

L'E7

En 1994, Maurice Strong a dirigé la mise sur pied de l'E7, un réseau informel de grandes compagnies d'électricité dans les pays du G7, dont faisaient partie Hydro-Québec et Ontario Hydro. L'objectif était de comparer les pratiques exemplaires en ce qui concerne les stratégies de développement durable et d'investir dans des projets pilotes pour appuyer le concept. La présidence était assurée chaque année par une société différente, qui accueillerait l'assemblée annuelle et deux réunions de planification. Chaque entreprise disposait d'un « sherpa » pour coordonner la contribution de l'entreprise. J'ai été le sherpa d'OPG de 1999 à 2003.

Ce fut une tâche des plus agréables et des plus révélatrices. En raison de mes responsabilités, j'ai assisté à des réunions à Tokyo, Yokohama et Kyoto, à Venise, Milan et Rome, à Washington, Dallas et Williamsburg, à Paris ainsi qu'à Dresde, Munich et Stuttgart. Ces réunions internationales m'ont donné l'occasion de développer une bien meilleure compréhension de la façon dont les entreprises de différents pays ont traité de problèmes semblables. Par exemple, en France et au Japon, l'organisme de réglementation nucléaire de l'époque était une division au sein d'un ministère. Dans le cadre de mes fonctions, j'ai également fait la connaissance de gens fascinants. Par exemple, la réunion de l'E7 de 2001 a eu lieu à Venise. Parce que le G7 s'était élargi pour inclure la Russie, l'E7 a également invité la Russie.

J'ai dîné un soir avec le chef de la délégation russe, Anatoly Chubais. Il était le président du monopole d'État de l'électricité RAO UES, société de portefeuille qui possédait la plupart des biens servant à la production et à la transmission de l'électricité en Russie. Chubais avait déjà été le directeur de campagne de Boris Eltsine lors de l'élection présidentielle précédente. Au cours d'un souper avec quelques autres cadres de l'E7/8, il a discuté des défis des changements climatiques pour son pays. La Russie était un pays très froid alimenté principalement par le charbon et le gaz. Compte tenu du régime de commandement et de contrôle dans le secteur de l'énergie, il a souligné la nécessité d'être très prudent quant au rythme du changement afin d'empêcher les gens de mourir de froid. Il n'y avait pas beaucoup de freins et de contrepoids et il n'y avait pas d'organisme de réglementation indépendant pour assurer la surveillance. De manière plutôt désinvolte, il a également mentionné comment sa voiture avait été criblée de balles l'année précédente alors qu'il quittait sa datcha, une introduction brutale aux réalités de la Russie. En 2022, Chubais est l'un des plus hauts responsables russes à avoir quitté le pays en raison de l'invasion de l'Ukraine.

Après un certain temps, je suis devenu l'un des sherpas seniors. J'avais eu des inquiétudes au sujet de l'aspect pratique d'un groupe informel d'entreprises bien intentionnées dépensant l'argent des actionnaires ou l'argent des contribuables dans un pays éloigné d'Afrique pour soutenir le développement durable. En collaboration avec mon estimée collègue sherpa d'Hydro-Québec, Marie-José Nadeau, nous avons proposé une approche différente et politiquement plus sûre pour soutenir la durabilité dans les pays en développement. Nous avons suggéré qu'au lieu d'investir dans des projets à forte intensité de capital, nous établirions des bourses d'études pour les étudiants en développement durable. Les critères étaient que les candidats devaient venir de pays en développement, qu'ils devaient s'engager à retourner dans leur pays après leurs études et qu'ils devaient entreprendre leurs études dans un pays de l'E7.

Les cohortes initiales seraient principalement composées d'étudiants postdoctoraux, mais un certain soutien serait offert aux personnes qui cherchent à obtenir une maîtrise. Enfin, nous avons proposé que le processus d'arbitrage soit présidé par mon ancienne patronne, Huguette Labelle. Huguette était bien qualifiée pour ce rôle pour plusieurs raisons, notamment parce qu'elle était chancelière de l'Université d'Ottawa et présidente de l'Agence canadienne de développement international. Le soutien universitaire serait assuré par mon ancien sous-ministre adjoint en Ontario au ministère de l'Environnement, M. Peter Victor, qui était maintenant doyen des études environnementales à l'Université York. Hydro-Québec assurerait les services de secrétariat.

Les sherpas ont accepté la proposition et ont recommandé son approbation par les présidents au sommet qui a suivi. Depuis sa création, le programme a accordé plus de 160 bourses à des bénéficiaires provenant de 40 pays. Ce sont tous des étudiants exceptionnels de pays en développement qui étudient le développement énergétique durable.

Chapitre 12 : Leçons

L'importance de la gestion des talents a de nouveau été illustrée par le recrutement de Liz Dowdeswell et David Crombie. Ensemble, ils ont donné à l'organisation crédibilité et respect. Ils ont été en mesure de tirer parti de cette confiance et de lancer la Société de gestion des déchets nucléaires sur la bonne voie.

Les hypothèses stratégiques façonnent les plans de mise en œuvre. Le conseil d'administration d'Ontario Hydro, qui n'a pas de connaissances approfondies en en matière de nucléaire, a supposé que le groupe de consultants qui avait fait l'évaluation serait les cadres nécessaires pour régler les problèmes. C'était une hypothèse erronée. Il y a une énorme différence entre les cadres qui peuvent cerner les problèmes et ceux qui peuvent résoudre les problèmes. Le conseil d'administration pensait qu'il obtenait les deux quand il a embauché l'équipe de rêve américaine. Mais ce n'était pas le cas.

La consultation de la communauté de Pickering était un exercice compliqué et risqué, mais qui a produit d'excellents résultats. Nous avons été en mesure de présenter au conseil municipal et à l'organisme de réglementation des faits qui démontraient les points de vue positifs de la communauté à l'égard de la centrale.

Enfin, lorsque les gouvernements établissent des organismes de réglementation pour protéger l'intérêt public, les exploitants, qu'ils soient petits ou grands, devraient considérer la communication avec ces organismes comme une priorité et faire preuve de transparence à cet égard.

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Chapitre 13 : Ontario Power Generation, 2003-2005

76.16%

Le 4 décembre 2003, le gouvernement de l'Ontario a annoncé qu'il avait congédié le président, le chef de la direction et le directeur de l'exploitation d'OPG et qu'il avait reçu et accepté les démissions de tous les membres du conseil d'administration. Ensuite, il nomma un nouveau conseil d'administration intérimaire de quatre personnes, dirigé par Jake Epp et moi-même en tant que chef de la direction par intérim.

Pickering : la débâcle

Étant donné que le redémarrage bâclé de Pickering a été l'événement déclencheur qui a mené aux congédiements et à mon embauche à titre de chef de la direction par intérim, il convient de présenter le contexte.

Premièrement, face aux problèmes de rendement chroniques des centrales nucléaires, Ontario Hydro avait retenu les services d'une tierce partie pour effectuer une évaluation en 1997 afin de mieux comprendre l'état actuel des centrales. Cet effort a été dirigé par Carl Andognini, un cadre de l'industrie nucléaire américaine qui avait récemment été embauché comme chef du nucléaire à Ontario Hydro. Il a été appuyé par une équipe, également recrutée aux États-Unis, créée sous le nom de Nuclear Performance Advisory Group (NPAG – « groupe consultatif sur le rendement des opérations nucléaires »). Le NPAG a produit un rapport intitulé « The Independent Integrated Performance Assessment » (L'évaluation intégrée et indépendante du rendement) qui était extrêmement critique à l'égard de la gestion d'Ontario Hydro Nuclear et de la société d'État en général. Le rapport indiquait que les centrales nucléaires fonctionnaient à des niveaux de sûreté qui étaient à peine acceptables. Le président et chef de la direction d'Ontario Hydro, Al Kupcis, a démissionné peu après la publication du rapport. Bill Farlinger, qui avait remplacé Maurice Strong à la présidence en 1995, a accepté le poste de chef de la direction par intérim.

À l'été 1997, le conseil d'administration d'Ontario Hydro a accepté le conseil du NPAG de mettre en œuvre les recommandations découlant de l'évaluation. Ces recommandations comprenaient l'arrêt temporaire de sept réacteurs : trois à la centrale de Bruce A et quatre à la centrale de Pickering A. Ce plan permettrait de redéployer le personnel dans les unités restantes pendant que la remise à neuf des unités qui avaient été mises hors service était entreprise. Les unités de Pickering A devaient être mises hors ligne en janvier 1998. Selon le plan, l'unité 4 serait remise en service en juin 2000; les trois autres unités de Pickering A suivraient à des intervalles de 6 à 9 mois. Les quatre unités devaient être remises en service au milieu de 2002. Le coût prévu était de 780 millions de dollars, révisé quelques mois plus tard pour passer à 840 millions de dollars afin de tenir compte de l'augmentation des coûts de main-d'œuvre.

Le conseil d'administration a également approuvé l'embauche de membres clés du NPAG à titre de cadres pour Ontario Hydro Nuclear. Ces membres comprenaient Richard Machon en tant que directeur de l'exploitation, Warren Peabody en tant qu'ingénieur nucléaire en chef, Gene Preston en tant que vice-président, Plan d'optimisation des biens de production nucléaire, et Brian Debs en tant que président, affaires réglementaires. Tous ces derniers avaient tous été choisis et recrutés par Andognini. Ils ont été embauchés dans le cadre de marchés de services personnels structurés en fonction du calendrier pour s'harmoniser avec le plan qu'ils avaient recommandé. Au cours des trois années critiques suivantes, les cinq experts‑conseils américains devenus cadres allaient assumer le contrôle d'Ontario Hydro Nuclear. En 2002, tous les membres du NPAG avaient quitté OPG. C'est Bill Robinson qui était maintenant le nouveau vice-président responsable du projet de redémarrage de Pickering.

Le premier mois

Le 5 décembre 2003, j'ai convoqué ma première réunion de la direction. L'équipe de direction était en état de choc. Beaucoup avaient été personnellement recrutés par Ron Osborne, à qui ils étaient encore loyaux. J'ai expliqué comment on en était arrivé à cette nomination intérimaire et j'ai souligné que je n'avais pas cherché à obtenir ce poste. J'ai insisté sur le fait que nous devions nous efforcer d'effectuer le travail de façon aussi professionnelle que possible. Ces efforts étaient nécessaires pour le bien de la société et pour nos intérêts individuels. Ce soir-là, j'ai dîné avec Gerry Butts et David McNaughton, qui était conseiller spécial au cabinet du premier ministre. David et moi avions tous deux été adjoints ministériels dans les années 1970. La soirée a été cordiale et productive. Ni Gerry ni David n'ont été en mesure de donner leur opinion concernant la durée de ma nomination intérimaire.

Décembre 2003 a été un mois difficile. Le ministre, Dwight Duncan, a rapidement fait un certain nombre d'annonces et pris quelques décisions. Tout d'abord, il a annoncé la création d'un comité de trois personnes présidé par John Manley, l'ancien vice-premier ministre. Le comité avait pour mandat de déterminer ce qu'il devait arriver à OPG et de fournir des conseils sur la poursuite de la remise à neuf de l'unité 1 de Pickering. Le comité devait soumettre son rapport dans trois mois.

Deuxièmement, il a ordonné un audit indépendant des finances et des opérations d'OPG pour les cinq dernières années. Ni le président ni moi-même n'avions été informés à l'avance, et nous ne savions pas non plus à quoi ressemblerait un « audit des finances et des opérations ».

Troisièmement, Duncan a indiqué que, dorénavant, il approuverait personnellement la nomination et la rémunération de tout nouveau cadre supérieur. Compte tenu des problèmes avec lesquels nous devions composer, il n'était pas facile d'attirer de nouveaux talents. Cette directive garantissait que je n'allais pas chercher à recruter quelqu'un de l'extérieur de l'organisation.

Quatrièmement, au cours de diverses entrevues, il a mentionné qu'il examinerait avec des avocats la situation concernant les indemnités de départ versées aux fonctionnaires congédiés.

Cinquièmement, dans d'autres entrevues avec les médias, il a fustigé la société pour ses coûts excessifs et la rémunération importante des cadres. Il a demandé des renseignements sur la rémunération versée à chaque cadre supérieur et une justification du cadre de rémunération.

Sixièmement, il a informé OPG, Hydro One et la Société indépendante d'exploitation du réseau d'électricité (SIERE) que, dès lors, toutes les sociétés seraient assujetties à la fois à la Loi sur l'accès à l'information et à la loi d'ouverture, à savoir la Loi sur la divulgation des traitements dans le secteur public, qui exige la divulgation des salaires des fonctionnaires de l'Ontario qui gagnent plus d'un certain montant. Il a également fait remarquer que l'application de ces deux lois serait rétroactive jusqu'à 1999, lorsque les sociétés ont été créées.

Compte tenu de tout ce qui précède, j'ai écrit au président pour demander que mon salaire actuel soit gelé pour les trois prochains mois, malgré le fait que j'exécutais les tâches des postes de chef de la direction et de directeur de l'exploitation, qui étaient tous deux payés à un niveau beaucoup plus élevé.

En décembre, j'ai pris un certain nombre de mesures. J'ai communiqué avec John Manley pour fixer des dates en janvier afin de l'informer, lui et son comité, et j'ai mis sur pied une équipe au sein d'OPG pour appuyer le travail du comité. De plus, j'ai envoyé une demande de propositions à KPMG, à Deloitte et à TPC concernant la vérification des finances et des opérations. J'ai interviewé les trois entreprises le 28 décembre et j'ai choisi KPMG, qui a accepté de commencer à travailler sur le projet au début de janvier.

J'ai parlé fréquemment avec Ron Osborne, qui avait vu les remarques du ministre et qui était préoccupé. Il insistait pour que son contrat de travail soit respecté, à juste titre. Pour tenter de sortir de l'impasse, j'ai retenu les services d'un avocat externe au nom du président afin d'obtenir un regard neuf. Son conseil était clair : OPG devait respecter le contrat de travail.

À la fin de décembre, j'ai également eu un bon nombre de conversations avec Bill Farlinger, qui voulait être payé pour les deux années restantes de sa nomination par décret, qui, à son avis, était la même chose qu'un contrat de travail. J'ai essayé de l'en dissuader, mais en vain. J'ai conclu ma dernière conversation avec lui en lui disant que s'il croyait fermement qu'il avait droit à cette rémunération, il devrait demander réparation devant les tribunaux. En fin de compte, il ne l'a pas fait.

Enfin, j'ai nommé un dirigeant chevronné du secteur de l'énergie nucléaire, Pierre Charlebois, au poste de chef du nucléaire par intérim d'OPG.

Éviter les hauts-fonds, réparer les voiles et colmater les trous

Entre Noël et le Nouvel An, j'ai fait le point sur la situation et élaboré un plan pour franchir trois jalons consécutifs, en évitant de faire des erreurs en cours de route, et j'ai remédié à la perception selon laquelle nos dépenses étaient hors de contrôle.

Le premier jalon a été l'examen de l'Ontario Power Generation, présidé par John Manley (le comité Manley) et la détermination de la possibilité de poursuivre le redémarrage de l'unité 1. Le deuxième jalon était l'approbation du jalon précédent par le gouvernement provincial. Le troisième jalon était le recrutement et la nomination d'un conseil d'administration complet. Être chef de la direction d'une société d'État constitue toujours un défi. Être chef de la direction par intérim tout en relevant d'un conseil d'administration intérimaire est un défi encore plus grand, car il est plus facile pour les représentants du gouvernement d'ignorer les principes fondamentaux d'une relation sans lien de dépendance.

Avant de recruter de nouveaux membres du conseil d'administration, les deux premiers jalons devaient être franchis. Les cabinets de recrutement avaient indiqué de façon informelle que les directeurs potentiels voulaient d'abord une vision claire du régime de gouvernance d'OPG et connaître la décision concernant le redémarrage de Pickering.

Parallèlement à ces efforts, la société aurait à travailler avec diligence au cours des six à sept mois suivants pour rétablir la confiance du gouvernement provincial et du public. Nous devions les convaincre qu'OPG était une société bien gérée et soucieuse des coûts. Entre-temps, nous n'avions pas droit à l'erreur.

Le comité Manley

La direction d'OPG avait manifestement un problème de crédibilité lié au projet de Pickering. OPG avait repoussé plusieurs fois la date d'achèvement prévue pour l'unité 4 et systématiquement sous-estimé les coûts. Il était difficile de convaincre les gens qu'on pouvait compter sur nous pour fournir une bonne analyse ou des données crédibles ou pour exécuter de manière professionnelle et efficace la remise à neuf de l'unité 1. On ne nous faisait pas confiance.

Une partie de la solution à ce problème est venue de Schiff Hardin, un cabinet d'avocats de Chicago, et plus précisément de Ken Roberts, dont la pratique du droit se concentrait sur les contrôles et l'approvisionnement des projets de construction. En 2003, le conseil d'administration d'OPG avait retenu les services de l'entreprise pour faire un examen post‑mortem des raisons pour lesquelles le projet de l'unité 4 de Pickering s'était si mal passé. En tant que secrétaire général, j'étais le point de communication du cabinet. Son rapport, achevé à l'automne 2003, était perspicace. Il décrivait une litanie d'hypothèses erronées et une gestion incompétente. L'« équipe de rêve » américaine était dépassée par la situation dès le début. Les membres de cette équipe avaient présenté la remise en service comme une panne qui pouvait être réglée rapidement. C'est pourquoi le carburant des réacteurs n'avait pas été déchargé. L'équipe croyait qu'il était plus rentable de conserver le carburant, même si cela faisait en sorte que la productivité serait affectée négativement. Par exemple, le fait d'avoir à enfiler et à enlever l'équipement de protection nécessaire pour fonctionner sur les réacteurs actifs prend beaucoup de temps, ce qui contribue au faible rendement et aux retards. L'équipe avait également supposé qu'une évaluation environnementale n'était pas nécessaire, mais l'organisme de réglementation n'était pas d'accord. Encore une fois, une décision erronée a entraîné d'autres retards et une augmentation des coûts. En réalité, la remise en service consistait en un grand projet de construction, nécessitant un ensemble différent de compétences et demandant beaucoup plus de temps à réaliser.

En janvier 2004, j'ai eu un certain nombre de conversations avec Ken Roberts au sujet de la viabilité de la remise à neuf de l'unité 1. Il était convaincu que ces travaux pourraient être effectués à un coût beaucoup plus bas que pour l'unité 4. À ma demande, Ken a élaboré une proposition selon laquelle son cabinet, appuyé par une firme de construction et d'ingénierie, fournirait une évaluation indépendante en temps réel de l'état du projet sur une base mensuelle. J'ai examiné cette proposition avec le conseil d'administration, qui a convenu que, si le gouvernement approuvait la remise à neuf de l'unité 1 de Pickering, nous passerions un contrat avec Schiff Hardin pour fournir directement au conseil son évaluation indépendante de l'état d'avancement du projet. Cette évaluation serait effectuée au moins une fois pour chaque réunion du conseil d'administration et plus fréquemment si nécessaire.

Ken a par la suite présenté l'examen post-mortem de l'unité 4 et sa proposition pour l'unité 1 au comité Manley, qui, à son tour, a organisé une présentation à l'intention du gouvernement de l'Ontario. La présence d'une surveillance indépendante par un tiers était une variable cruciale pour donner au comité la confiance nécessaire pour appuyer la poursuite de la remise en service de l'unité 1. En janvier et février, j'ai également informé Manley des diverses mesures qui étaient prises pour améliorer la gestion d'OPG. Le premier point à l'ordre du jour était le budget.

Limitation des coûts

OPG faisait face à plusieurs problèmes financiers connexes. Par-dessus tout, il avait un grave problème de revenus. Compte tenu de l'empreinte importante d'OPG dans le secteur de la production, le gouvernement précédent avait préparé une entente sur l'atténuation de l'emprise sur le marché. Cette entente stipulait qu'OPG devait offrir aux clients une réduction si le prix du kilowattheure dépassait 4,4 cents. En 2003, ce rabais avait atteint plus d'un milliard de dollars. Aucun autre producteur n'avait cette obligation. Ces problèmes devaient être traités pour que la société soit viable à l'avenir. Toutefois, je n'ai pas eu le temps de travailler sur cet important problème de revenus. J'ai dû me concentrer sur le deuxième problème, le contrôle et la réduction des dépenses. Au cours des mois qui ont suivi, j'ai proposé un certain nombre de mesures de réduction des coûts.

OPG avait un cadre de rémunération qui était très semblable à celui des sociétés cotées en bourse. La société avait une grille salariale robuste, un système de primes annuel et un système de primes à long terme. Mille-deux-cents personnes étaient admissibles à des primes incitatives annuelles et près de cinquante cadres étaient également admissibles au système de primes à long terme. Trois facteurs interdépendants devaient être pris en considération. Le premier était la nécessité de réduire l'enveloppe globale affectée à la rémunération des cadres. Le deuxième était la nécessité de prendre des décisions sur les primes incitatives pour l'exercice 2003-2004. Le dernier facteur était le fait que la rémunération des cadres d'OPG occuperait une place importante lorsque la prochaine liste de divulgation du secteur public de l'Ontario serait publiée à la mi-avril 2004.

J'ai proposé un ensemble de mesures pour régler la question de la rémunération des cadres. En ce qui a trait au système de primes à long terme, le programme devrait être annulé. Cela permettrait d'économiser jusqu'à 2,8 millions de dollars par an. Pour l'exercice 2003-2004, les primes incitatives seraient accordées, mais à un taux réduit. En ce qui a trait au système de primes annuel, le programme devrait être plafonné à un maximum de 21 millions de dollars par année plutôt qu'au maximum actuel de 42 millions de dollars. Pour 2003-2004, en supposant que les objectifs de rendement aient été atteints, les primes incitatives seraient versées, mais le montant total serait réduit de 20 %. J'ai soutenu que, bien que la débâcle de Pickering ait été terrible, d'autres parties de la société avaient bien fonctionné et qu'il serait injuste de mettre tous les cadres dans le même panier.

Pour l'exercice 2004-2005, il a été proposé de réharmoniser le fondement des primes incitatives : 50 % dépendraient de l'atteinte par OPG des cibles de rendement qui seraient fixées par le nouveau conseil d'administration, 25 % dépendraient de l'atteinte des cibles de l'unité opérationnelle et 25 % dépendraient des cibles de rendement individuelles. Ce changement venait souligner la réalité que les objectifs organisationnels sont primordiaux. De plus, j'ai proposé que les échelles salariales et les salaires soient gelés. Enfin, 16 postes de direction devraient être éliminés au cours des 6 prochains mois, ce qui représente une économie d'environ 5 millions de dollars.

Pour une société dotée d'un budget de 6,5 milliards de dollars, ces réductions ne faisaient pas une différence considérable, mais elles indiquaient au conseil d'administration, au comité Manley et au gouvernement que la direction déployait des efforts pour mettre de l'ordre dans ses affaires. Le conseil intérimaire a approuvé toutes les mesures. En ce qui a trait aux activités de programme, plusieurs mesures ont été proposées. La première consistait à abolir l'unité de capital-risque d'OPG. Cette unité avait été créée quelques années plus tôt pour investir dans de nouvelles technologies. Elle avait le même profil risques-avantages que de nombreuses sociétés de capital-risque. Compte tenu des circonstances dans lesquelles OPG se trouvait, les avantages potentiels ne valaient absolument pas les risques. Dorénavant, OPG n'investirait pas de capital supplémentaire dans l'unité et elle retirerait stratégiquement ses investissements existants.

Bien qu'il ait été logique sur le plan opérationnel de maintenir en poste la main-d'œuvre formée afin qu'elle passe de l'unité 1, lorsque cette partie serait achevée, à l'unité 2, puis à l'unité 3, cela ne faisait pas de sens sur le plan financier. C'était aussi quelque peu présomptueux des décisions d'un futur conseil d'administration et d'un futur gouvernement. Par conséquent, nous avons mis fin aux contrats de soixante ingénieurs et avons cessé d'engager des dépenses de main-d'œuvre pour les unités 2 et 3.

OPG avait loué une loge (dix billets) au Centre Rogers pour un tiers de tous les matchs à domicile des Maple Leafs et des Raptors. Je voulais abandonner cette initiative de marketing. Malheureusement, le bail de ces loges exigeait un préavis de résiliation de neuf mois. Jusqu'à ce que nous puissions nous retirer officiellement, j'ai informé le personnel que les billets et la loge devraient être attribués aux clubs de hockey et de basket-ball locaux où; l'entreprise avait des installations.

Le plan d'activités proposé pour 2004 prévoyait un budget de fonctionnement et d'entretien de 2,856 milliards de dollars. En janvier et février, nous avons réduit ce montant de 131 millions de dollars. Quelques mois plus tard, nous l'avons réduit d'un autre 132 millions de dollars. Le total représentait une réduction d'environ 10 % du budget dont nous avions hérité.

En mettant sans relâche l'accent sur la réduction des dépenses, notre objectif était de faire connaître qu'OPG était en train de changer. D'une certaine manière, c'était une course contre la montre du comité Manley. Nous avons dû convaincre John Manley et son comité ainsi que le conseil d'administration et le gouvernement de l'Ontario que la direction d'OPG était déterminée à mettre de l'ordre dans ses affaires.

Le conseil d'administration intérimaire a approuvé toutes les propositions.

Gestion d'OPG

OPG était une société de 11 000 employés dotée d'un budget de 6,5 milliards de dollars. Selon le rapport annuel de 2003 d'OPG, la société possédait trois centrales nucléaires (Darlington, Pickering B et Pickering no 4) produisant 6 103 mégawatts, 36 centrales hydroélectriques produisant 6 823 mégawatts, 29 petites centrales hydroélectriques et trois installations éoliennes. C'était une organisation grande et complexe. Au cours des neuf mois suivants, un certain nombre de problèmes se sont posés, certains relatifs à la société et d'autres liés à la production. OPG devait démontrer sa compétence dans la gestion de ces éléments.

Par exemple, du côté de l'entreprise, OPG était maintenant assujettie à la Loi sur l'accès à l'information. De plus, la loi était rétroactive à l'époque où; OPG avait été créée en 1999. Les premières demandes reçues portaient sur les comptes de dépenses de l'ancien président. Celles-ci ont produit les controverses habituelles lorsque des comptes de dépenses sont publiés. Un facteur venait toutefois compliquer la situation : il n'y avait pas de registres des dépenses pour la période allant de janvier 2001 à juin 2002, seulement la valeur des divers chèques qui avaient été préparés pour couvrir les dépenses. Pour atténuer les critiques attendues sur la dissimulation et la tromperie, Kroll and Associates a été retenu pour enquêter sur les réclamations manquantes. Ils n'ont rien trouvé, mais au moins nous avions essayé. C'était un bien mauvais début pour un parcours que nous souhaitions sans faute.

Comme autre exemple, OPG a publié, conformément à la Loi sur la divulgation des traitements dans le secteur public, sa liste de personnes qui avaient fait plus de 100 000 dollars en 2003 ainsi qu'au cours des quatre années précédentes. La contribution d'OPG à la liste était remarquable parce que 40 % de ses 11 000 employés gagnaient plus de 100 000 $par année. OPG avait également les quatre premières personnes sur la liste de la province. Cette divulgation de la rémunération a créé des problèmes à l'externe et à l'interne.

Au sein de la société, la divulgation a beaucoup fait jaser lorsque des cadres ont découvert que certains de leurs collègues étaient, à leur avis, rémunérés à un niveau injustement plus élevé qu'eux. La divulgation a également clairement indiqué à tout le monde que les cadres américains étaient payés beaucoup plus que leurs homologues canadiens. Enfin, il a montré que les chefs d'équipe de gestion gagnaient beaucoup moins que leur personnel subalterne syndiqué.

Pour aborder ces questions, j'ai convoqué une réunion avec les cinquante principaux cadres une semaine avant la publication de la liste. Je leur ai expliqué que je comprenais comment certains pourraient se sentir sous-payés par rapport à quelqu'un d'autre sur la liste. J'ai mentionné le fait que j'étais seizième sur celle de 2003 et que je ne me classerais probablement pas parmi les dix premiers en 2004. J'ai ajouté que les cadres dans la salle étaient, je supposais, généralement satisfaits de leur rémunération. S'ils ne l'avaient pas été, ils auraient cherché un autre emploi à un salaire plus élevé. Enfin, j'ai fait remarquer que chercher un emploi tout en travaillant à OPG ne serait idéal pour personne. J'ai informé le groupe qu'un site intranet spécial serait disponible plus tard ce jour-là pour que tous les cadres d'OPG puissent voir à quoi ressembleraient les chiffres une semaine avant la date de publication.

À l'externe, compte tenu de la couverture médiatique probable, une réunion spéciale du conseil d'administration a été organisée pour passer en revue les résultats et convenir d'une stratégie médiatique. En fin de compte, OPG n'a pas perdu beaucoup de points devant le tribunal de l'opinion publique, puisque nous avons pu souligner les mesures que nous avions prises pour régler la question de la rémunération des dirigeants.

Plusieurs problèmes opérationnels se sont posés en ce qui a trait aux combustibles fossiles et à la production d'hydroélectricité. En ce qui concerne les combustibles fossiles, le dossier le plus important a été la mise en œuvre de l'engagement du gouvernement de fermer les centrales au charbon d'ici 2007. Compte tenu des arrêts de maintenance des centrales nucléaires, il était important d'élaborer un plan qui ne compromettait pas la fiabilité. En 2004, Nanticoke avait huit unités d'une capacité de 4 000 mégawatts, Lambton avait quatre unités d'une capacité de 2 000 mégawatts, et Lakeview avait quatre unités seulement utilisées pendant les périodes de pointe.

Il y avait deux considérations majeures dans l'élaboration du plan. La première consistait à assurer la fiabilité continue du système, compte tenu des réalités de transmission et de distribution. La deuxième était l'élaboration d'un plan de ressources humaines pour la main-d'œuvre syndiquée dans les centrales. Au cours de la première partie de 2004, des plans ont été élaborés et communiqués au gouvernement. À sa grande déception, l'échéancier s'étendait au-delà de 2007. Les réalités de la transmission l'emportaient sur la rhétorique optimiste. Nous avons toutefois été en mesure de mettre la centrale de Lakeview hors service à l'été 2005. Il s'agissait de la première étape pour cesser la production d'électricité à partir du charbon. La fermeture des autres centrales prendrait plusieurs années.

En février 2004, la production d'électricité à partir de combustibles fossiles est devenue une source d'urgence bien réelle. Par un dimanche matin glacial, le vice-président de cette division a téléphoné très tôt pour nous informer que nous avions un problème à Nanticoke : le tas de charbon « avait gelé » en raison de la température très froide. Il ne nous restait que vingt heures de charbon disponible. Ce n'était certainement pas un parcours sans faute, et au milieu des délibérations du comité Manley, ce n'était pas une bonne nouvelle.

Les grands titres étaient faciles à imaginer. Non seulement OPG gérait mal les unités nucléaires, mais elle était également incompétente dans l'exploitation des centrales au charbon. J'ai passé la journée à recevoir des rapports d'étape et à planifier un blitz de communication au cas où; l'équipe ne serait pas en mesure de dégager le charbon nécessaire du tas gelé. Nous avions fixé la limite à 18 heures, après quoi nous devions alerter la SIERE et le gouvernement. Heureusement, le blitz de communication n'a pas été nécessaire, car l'équipe, grâce à diverses mesures, a pu maintenir la centrale de Nanticoke opérationnelle. Nous avions esquivé un coup potentiellement mortel.

La division de l'hydroélectricité a également été une source de problèmes particuliers. Par exemple, le ministre tenait beaucoup à ce qu'OPG développe des sources d'énergie « propres et sûres », c'est-à-dire de l'hydroélectricité. Il trouvait le charbon sale et le nucléaire risqué. Le fait que le nouveau projet de production hydroélectrique prioritaire – un deuxième tunnel sous le tunnel existant de la centrale électrique Beck – était très coûteux pour l'énergie qui serait produite et très risqué d'un point de vue technique n'était pas, à son avis, une raison convaincante de ne pas aller de l'avant. Le conseil d'administration a toutefois fait part de ces préoccupations et a demandé au ministre de fournir une note d'orientation sur ce projet précis. Après avoir reçu les directives du ministre, nous avons lancé un processus international complexe de demande de propositions en mai 2004.

L'énergie hydroélectrique était également une source de préoccupation en raison de la centrale de Barrett Chute. L'entreprise et quelques gestionnaires locaux faisaient l'objet d'une enquête de la Police provinciale de l'Ontario pour négligence criminelle concernant l'ouverture d'une vanne, l'été précédent, qui avait entraîné deux décès tragiques. Nous avions retenu les services de l'avocat criminaliste Don Bayne, d'Ottawa, pour nous représenter. Il nous a informés qu'à la suite de sa conversation avec la Couronne, des accusations seraient probablement portées en mai 2004 et qu'un procès aurait lieu à l'automne.

Liaison

Compte tenu des incertitudes qui entouraient l'organisation, je ne croyais pas qu'il était souhaitable d'être trop « public » au sujet d'OPG. Nous étions encore en disgrâce, et il ne servait à rien de s'exposer jusqu'à ce que John Manley et le gouvernement aient pris une décision au sujet de l'entreprise. Cela dit, je ne voulais pas rester passif dans le cocon du 700, avenue University. J'ai adopté une stratégie de liaison à faible portée. Plus précisément, j'ai parlé au maire et au conseil municipal de Pickering, ainsi qu'au député de Pickering, Wayne Arthur, pour les informer de ce qui se passait.

J'ai également communiqué avec les deux dirigeants syndicaux pour m'assurer que nous étions en harmonie avec l'objectif stratégique de maintenir la viabilité d'OPG en tant qu'entreprise et de faire approuver l'unité 1 de Pickering. Les dirigeants ont également facilité mes séances de questions avec les délégués syndicaux. Cela m'a permis de parler aux travailleurs syndiqués et de leur faire part de la gravité de la situation. J'ai rencontré en tête‑à‑tête les deux dirigeants syndicaux, discutant de tout sauf des questions de négociation collective. Je leur ai donné une idée de ce sur quoi OPG se concentrait et des questions dont serait investi le conseil d'administration. À leur tour, ils m'ont fait part de certaines de leurs préoccupations. Ni l'un ni l'autre n'a trahi ma confiance.

J'ai également communiqué avec Linda Keen, la nouvelle présidente de la Commission canadienne de sûreté nucléaire (CCSN). Je voulais la tenir au courant des délibérations d'OPG avec le comité Manley et le gouvernement. Je ne voulais pas que l'organisme de réglementation soit de nouveau surpris.

Je voulais également tenir les médias informés de ce qui se passait, afin qu'ils soient mieux informés lorsque les décisions deviendraient publiques. En mars 2004, j'ai embauché Rick Mackie, qui avait été chef de bureau pour le Globe and Mail sur les sujets portant sur Queen's Park. Rick a régulièrement organisé des discussions confidentielles en tête-à-tête avec les médias. Encore une fois, personne n'a trahi ma confiance.

Afin d'améliorer les communications avec les cinquante cadres et de réduire les commérages inutiles, j'ai commencé à leur faire un compte rendu après chaque réunion du conseil d'administration. Au cours de ces séances intensives, je les informais des décisions prises et offrais des commentaires colorés entourant chaque décision. Je répondais à chacune des questions.

Gouvernance

À la mi-avril 2004, le ministre a annoncé qu'il lançait une recherche internationale pour le poste de chef de la direction. J'avais mentionné au président que je ne serais pas candidat pour deux raisons. La première, c'est que je ne voulais pas que quiconque à OPG pense que je prenais les décisions difficiles de mettre fin à des postes de direction parce que je voulais gagner les faveurs du gouvernement. La deuxième raison, c'est que le ministre me considérait comme un représentant de l'ancien régime. Il voulait du sang neuf. C'était tout à fait sa prérogative. Je m'étais engagé auprès du conseil d'administration à rester jusqu'à ce qu'un nouveau chef de la direction soit choisi. L'hypothèse de travail, m'a dit le président, était qu'un nouveau chef de la direction commencerait au début de l'automne.

Le fait d'occuper un poste de direction intérimaire comporte son propre ensemble de défis, en particulier en ce qui concerne le personnel supérieur et les évaluations du rendement. Certains se demandent quand vous partirez. L'approche que j'ai adoptée a été d'agir comme si j'étais le chef de la direction permanent. La réduction du nombre de cadres et les diverses réductions de dépenses ont confirmé aux yeux de plusieurs que j'étais le chef de la direction. Peu de personnes, voire aucune, me percevais comme un canard boiteux.

Tracer la voie, octobre 2004-mai 2005

En mars 2004, John Manley a publié son rapport de comité d'une centaine de pages intitulé [traduction] Transformer la société de production d'électricité de l'Ontario. Le rapport était dur, mais juste. Voici les lignes qui m'ont marqué.

OPG ressemble, selon les gens de l'intérieur et de l'extérieur, à une entreprise qui n'est ni bien gérée ni bien gouvernée…

OPG devrait se concentrer sur les besoins de l'Ontario et non sur sa croissance sur le marché nord-américain…

Il y a eu des progrès substantiels dans les contrôles de projets et des problèmes de surveillance de projets…

Nous recommandons que :

  • Le gouvernement de l'Ontario demeure l'unique actionnaire d'OPG et qu'OPG conserve la propriété de ses biens de production d'énergie nucléaire, hydroélectrique et de combustibles fossiles.
  • OPG procède à la remise en service de l'unité 1 de Pickering et que le conseil d'administration d'OPG maintienne un haut niveau de surveillance pendant la durée du projet, y compris la surveillance par des experts tiers ayant une obligation directe de rendre des comptes au conseil. Nous sommes arrivés à la conclusion que le conseil d'administration intérimaire d'OPG, la direction d'OPG et les équipes de projets de l'unité 1 avaient élaboré un plan pour réduire ou éliminer les principales sources de retards et de dépassements de coûts qui se sont produits à l'unité 4.

Pour les résidents de l'Ontario et pour OPG, c'était un bon résultat. Les résidents de l'Ontario continueraient d'avoir à leur disposition une grande société d'État qui travaillerait dans l'intérêt public de l'Ontario. OPG et ses travailleurs éviteraient des bouleversements énormes et inutiles sur une période de cinq à dix ans. OPG avait reçu un vote de confiance d'une tierce partie indépendante.

L'audit des finances et des opérations de KPMG s'est également terminé en mars. Il n'a relevé aucune erreur de déclaration flagrante lors de son examen des cinq années précédentes, mais a toutefois consigné les répercussions financières de l'échec colossal du redémarrage de l'unité 4 de Pickering. L'audit a également souligné qu'il n'était pas viable qu'OPG continue à offrir des rabais fondés sur l'Entente sur l'atténuation de l'emprise sur le marché alors que le processus de suppression des mesures de contrôle avait été interrompu par le gouvernement en 2002.

En juillet 2004, le gouvernement a accepté les recommandations du comité Manley de garder OPG en tant qu'entité appartenant à l'État et de procéder à la remise à neuf de l'unité 1.

OPG était maintenant en mesure de se diriger vers le troisième jalon : le recrutement d'un conseil d'administration complet. Jake Epp et moi avions travaillé avec Paul Cantor, de Russell Reynolds, sur l'élaboration d'une liste de candidats potentiels. Paul et son équipe ont dressé une liste rigoureuse. Au cours du processus de recrutement, j'ai rencontré la plupart des candidats potentiels, car je voulais être certain qu'ils savaient dans quoi ils s'embarqueraient. Les membres potentiels du conseil d'administration voulaient également me passer en entrevue. En octobre 2004, le gouvernement a annoncé que sept nouveaux membres du conseil d'administration, dont trois anciens cadres du secteur nucléaire, deviendraient membres du conseil intérimaire. Après dix mois d'hésitations et d'indécisions, OPG disposait enfin d'un cadre de gouvernance solide. La recherche d'un chef de la direction permanent, cependant, restait un objectif vague.

En l'absence d'information sur la nomination de mon successeur, j'ai entrepris plusieurs initiatives pour améliorer la gouvernance, la gestion et la réputation d'OPG. Il s'agissait notamment de relations plus formelles avec les médias. À la fin de 2004, je pensais qu'OPG avait une histoire à raconter. Alors j'ai commencé à la raconter.

À partir des résultats du deuxième trimestre de 2004, j'ai commencé à tenir des séances d'information avec les médias et les analystes financiers pour discuter de nos résultats financiers trimestriels ainsi que de la section Commentaires et analyse de la direction. Ces séances ont été très appréciées pour leur transparence. Malheureusement, les résultats ont mis en évidence le fait que le coût prévu de l'unité 1 était passé de 900 millions de dollars à 1 milliard de dollars. Fait intéressant, la couverture médiatique se faisait dans la section Affaires des journaux plutôt que dans le premier cahier. La plupart des articles laissaient une impression de déjà vu. Plus d'une vingtaine de journalistes et d'analystes ont assisté à cette première convocation sur les résultats trimestriels. Heureusement, c'est la seule fois que j'ai eu à parler de l'augmentation des coûts de l'unité 1. J'ai continué les convocations trimestrielles jusqu'à mon départ. Seuls trois journalistes ont assisté à ma dernière – les médias s'étaient désintéressés d'OPG parce qu'elle n'était plus un problème.

À l'hiver 2005, nous avons organisé une journée portes ouvertes pour les médias sur le site de Pickering. Tous les journaux de Toronto, ainsi que Bloomberg, entre autres, étaient là. Les journalistes ont assisté, dès 7 h, à une séance de planification du travail avec tous les gestionnaires responsables, ainsi qu'à une réunion d'information donnée par Bill Robinson, le chef de l'équipe de projet, puis à une période de questions animée par Bill et moi. La journée portes ouvertes a contribué à démystifier le projet, tout en communiquant sa nature très complexe. Par exemple, le grand projet impliquait plus de 20 000 projets individuels et l'équivalent de 6 kilomètres d'échelles nécessaires pour accéder aux travaux; côté approvisionnement, il a fallu trouver 2 871 628 pièces détachées et 26,4 km de tuyaux.

Au cours de la nouvelle année, j'ai commencé à accorder des entrevues en tête-à-tête au Globe and Mail, au Toronto Star et à tous les autres journalistes qui s'intéressaient à l'histoire de Pickering. Les séances d'information que j'avais faites en 2004 se sont révélées extrêmement utiles pour établir une relation de confiance. Un journaliste du Globe and Mail a précisément demandé si, à mon avis, OPG avait franchi un cap. J'ai répondu en disant qu'« OPG était en train de le faire ». Il faut toujours être prudent lorsqu'on est appelé à faire une auto-évaluation. De plus, le président et moi avions envoyé une lettre à tous les députés et à tous les principaux intervenants et fournisseurs qui, brièvement, décrivait les changements qui avaient eu lieu au cours des douze mois précédents, les progrès réalisés en matière de gestion financière et de gestion des dépenses, et les améliorations apportées au redémarrage de l'unité 1 de Pickering.

Pour l'équipe de cadres, un programme complet de gestion des talents a été instauré. L'objectif était de s'assurer qu'OPG avait le bon talent au bon endroit au bon moment, maintenant et demain. Il s'agissait notamment de faire le point sur les personnes qui prenaient leur retraite, de redéployer des cadres et de déterminer des possibilités de perfectionnement professionnel pour eux, comme le programme de trois mois de la Harvard Business School destiné aux cadres les plus performants. Nous avons commencé à entreprendre rigoureusement l'évaluation et l'examen du rendement. Nous n'avons pas exclu le recrutement aux États-Unis, mais nous en avons fait l'exception plutôt que la règle. Au moment de mon départ, le profil des cinquante principaux cadres était constitué de 65 % d'anciens cadres d'Ontario Hydro, de 25 % de recrues du secteur privé et de 10 % de cadres du secteur nucléaire des États-Unis. J'ai présenté notre rapport au comité des ressources humaines du conseil d'administration et je me suis engagé à présenter un tel rapport chaque année et à faire une mise à jour six mois plus tard.

La nomination d'un conseil d'administration complet a été un tournant majeur pour OPG. Il a permis au conseil d'administration d'établir le nombre approprié de comités, y compris la surveillance nucléaire, les grands projets, les ressources humaines et la vérification et les finances.

En mars 2005, les membres du conseil d'administration ont tous signé une lettre adressée au premier ministre, au ministre des Finances et au ministre de l'Énergie. La lettre de huit pages couvrait plusieurs domaines. Le premier était la gouvernance. Une convention d'actionnaires était nécessaire pour établir la relation entre le gouvernement et la société. En ce qui concerne la question de l'investissement, il fallait une compréhension commune des possibilités qu'avait OPG de développer de nouvelles installations de production. En ce qui concerne l'élimination des combustibles fossiles, OPG et le gouvernement devaient s'entendre sur un plan pour protéger la fiabilité tout en éliminant progressivement la production d'électricité au charbon. En ce qui a trait à l'énergie nucléaire, OPG devait s'engager à améliorer les opérations sur tous les sites et à réduire les coûts de production par kilowatt. La lettre du conseil d'administration donnait précisément un vote de confiance à l'équipe de direction en déclarant : « La direction s'attaque à la culture de la performance et aux problèmes de rendement humain […] D'après notre expérience, le plan est axé sur les bons domaines et nous nous attendons à voir une amélioration mesurable continue du rendement. » [traduction] Enfin, en ce qui concerne les questions financières, le modèle financier existant devait être modifié pour s'assurer qu'OPG était viable. Cela signifiait le retrait de l'Entente sur l'atténuation de l'emprise sur le marché. Avec cette lettre, le conseil signait officiellement les documents d'adoption d'OPG. La société n'était désormais plus orpheline de gouvernance.

Le mois suivant mon départ, une convention entre actionnaires découlant de la lettre au premier ministre a été signée entre le gouvernement et OPG. L'essentiel de cette convention entre actionnaires demeure en vigueur à ce jour. La convention entre actionnaires soulignait que c'était la prérogative de l'actionnaire de prononcer des directives au conseil d'administration. Elle faisait également remarquer que ces directives devraient être présentées par écrit et qu'elles seraient divulguées par la société lors de la prochaine publication des résultats financiers trimestriels.

Au cours des trois années qui se sont écoulées entre 2002 et 2005, OPG a dû payer un total de 3,5 milliards de dollars, conformément à ses obligations découlant de l'Entente sur l'atténuation de l'emprise sur le marché. Après de nombreuses discussions avec le ministère des Finances et le ministère de l'Énergie, le gouvernement a accepté de mettre fin au programme de rabais à 4,4 cents le kilowattheure. Dorénavant, OPG serait sur une plateforme financière beaucoup plus stable, puisque le seuil allait maintenant être de 4,7 cents le kilowattheure. Cela permettrait à l'entreprise de conserver un montant supplémentaire de 300 à 350 millions de dollars.

Pickering A, unité 1 : remise en service

Au cours des trois mois précédant l'approbation par le gouvernement du redémarrage de l'unité 1, nous avons mis en œuvre plusieurs initiatives. Il s'agissait notamment de demander à Schiff Hardin de présenter son évaluation de la remise en service à chaque réunion du conseil d'administration. Il serait juste de dire que les discussions préalables entre l'équipe de direction, dirigée par Bill Robinson, et l'équipe de Schiff Hardin, dirigée par Ken Roberts, étaient difficiles, épuisantes et longues. Elles étaient également très utiles et ont contribué de manière considérable à la réussite du redémarrage de l'unité 1.

Bill Robinson fournissait un examen hebdomadaire de tous les aspects du projet. Nous avons établi un prototype de rapport qui a été utilisé de façon uniforme. Des séances mensuelles avaient lieu sur place. J'assistais à la séance de 7 heures du matin avec tous les gestionnaires, où; nous examinions ce qui avait été fait la veille et ce qui était prévu pour la journée. Nous nous concentrions également sur le rapport sur la valeur acquise, qui faisait le suivi des dépenses et des activités. L'unité 1 a atteint la criticité à 22 h 05, le 2 août 2005, à un coût final d'un peu moins de 1 milliard de dollars.

En ce qui concerne la production d'hydroélectricité, la demande de propositions pour le nouveau tunnel à Niagara Falls a été publiée au début de 2004. Un comité du conseil d'administration et des membres de l'équipe de direction ont passé en entrevue cinq consortiums internationaux avant de choisir Strabag AG, une grande entreprise de construction autrichienne ayant une vaste expérience dans la construction de tunnels majeurs. Le nouveau tunnel a été mis en service en mars 2013. Le coût total s'est élevé à 1,6 milliard de dollars, soit environ 500 millions de dollars de plus que le budget prévu.

Les accusations liées à l'accident de Barrett Chute ont été portées contre l'entreprise et deux cadres en mai 2005. Le procès était prévu pour l'automne 2006, mais le juge a rejeté les accusations portées contre l'entreprise avant le début du procès. Les deux cadres ont par la suite été déclarés non coupables.

En mai 2005, le conseil d'administration a nommé Jim Hankinson, ancien directeur de l'exploitation du Canadien Pacifique, ancien chef de la direction de la Société d'Énergie du Nouveau-Brunswick et membre actuel du conseil d'administration, au poste de chef de la direction d'OPG. Mon mandat de chef de la direction par intérim aura duré dix-huit mois.

Chapitre 13 : Leçons

Avec le recul, ces dix-huit mois à OPG ont été de loin les plus exigeants de ma carrière. Beaucoup de choses auraient pu mal tourner, et c'est d'ailleurs le cas pour certaines. Mais, dans l'ensemble, il y a eu beaucoup plus de bonnes décisions que de mauvaises. J'ai quitté mes fonctions en laissant la société en meilleure forme qu'elle ne l'était en décembre 2003.

Qu'ai-je appris? La nécessité d'une bonne gestion des talents n'a jamais été aussi claire. La nomination d'experts-conseils à des postes de direction a été une énorme erreur de gestion des talents. Elle a failli faire couler l'entreprise. L'importance de la formation continue, du perfectionnement, du recrutement et du maintien en poste a également été soulignée au cours de mes années à Ontario Hydro et à OPG. Le recrutement de Liz Dowdeswell et de David Crombie a permis à la Société de gestion des déchets nucléaires d'être crédible dès le départ.

OPG (et Ontario Hydro) n'avait pas suffisamment d'expertise nucléaire au conseil d'administration lorsque d'importantes décisions sur le nucléaire ont été prises. Souvent, l'évaluation de la combinaison de compétences d'un conseil d'administration n'est pas suffisamment prise en compte. L'actionnaire et le conseil d'administration doivent jouer un rôle actif dans la définition de la grille de compétences et sa mise à jour.

La confiance est une ressource intangible. Il faut beaucoup de temps pour la gagner, mais peu pour la perdre. Et quand la confiance est absente, rien n'est plus clair. Pour de bonnes raisons, ni le gouvernement, ni les médias, ni le grand public n'avaient confiance en OPG, et son chef de la direction par intérim non plus. Aucune société d'État ou aucun ministère ne peut s'acquitter de son travail si le public n'a pas confiance en la compétence de l'organisation. Les entités gouvernementales doivent prendre toutes les mesures nécessaires pour récupérer cette confiance craintive. Les solutions miracles n'existent pas.

La réputation d'OPG a dû être rebâtie auprès de nombreux intervenants, du grand public et de ses propres employés. Cela exigeait une liaison prudente et stratégique avec les médias et les divers groupes. OPG devait raconter son histoire de manière proactive. Dans ces circonstances, le chef de la direction devait être le stratège principal du nouveau récit ainsi que le principal responsable de sa mise en œuvre.

La haute direction doit être en mesure de fournir au conseil d'administration d'une société d'État ou à un ministre des renseignements solides, fiables, exacts et à jour sur ce qui se passe. Il ne s'agit pas de microgestion; il s'agit plutôt d'avoir les outils nécessaires pour responsabiliser les gens. Il est important de déléguer, mais cela doit se faire dans un circuit en boucle fermée.

Avant d'occuper mon poste à OPG, je n'avais licencié que quelques personnes. À OPG, j'ai congédié seize cadres. Notre volume de congédiements était tel que nous devions fournir un bureau à l'avocat de la firme Hicks Morley qui négociait les ententes de cessation d'emploi avec les cadres. Ces cadres s'étaient joints à OPG avec les meilleures intentions du monde. Plusieurs d'entre eux avaient déménagé leur famille à Toronto. Mes décisions ont eu d'importantes répercussions sur beaucoup de familles, mais en tant que chef de la direction, j'ai dû les prendre.

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Chapitre 14 : Transitions, 2005-2006

80.92%

Au cours de l'été 2005, j'ai beaucoup joué au golf et j'ai eu de nouvelles possibilités. La première était la direction municipale de Whistler, en Colombie-Britannique. Vancouver et Whistler allaient accueillir les Jeux olympiques d'hiver de 2008. Selon Caldwell Partners, Whistler était à la recherche d'un cadre supérieur qui pourrait représenter ses intérêts auprès du gouvernement fédéral, du gouvernement provincial, de la ville de Vancouver et des diverses organisations sportives internationales. L'idée de cette affectation à court terme était fascinante, mais la combinaison d'un autre déménagement et de ce qu'il faudrait faire après les Jeux olympiques m'a convaincu de ne pas la poursuivre.

Une autre possibilité était de devenir le recteur de l'Université Ryerson (maintenant l'Université métropolitaine de Toronto). Le titulaire du moment, le cabinet de recrutement et certains membres de la communauté postsecondaire m'ont encouragé à l'envisager. Après de nombreuses discussions, j'ai choisi de ne pas saisir cette occasion. J'avais eu une assez grande visibilité publique à OPG, et je ne voulais pas d'une expérience similaire.

En fin de compte, j'ai accepté une offre de Mercer Delta, une société de conseil en gestion spécialisée, pour être un partenaire salarié. J'ai commencé le 1er décembre 2005. Mon dernier jour fut le 30 avril 2006. J'avais fait une terrible erreur. J'ai appris que je n'aimais pas le secteur des services professionnels, surtout celui qui était coté en bourse. Je n'étais pas doué pour la vente.

Le 20 janvier 2006, les conservateurs de Stephen Harper ont remporté une majorité simple de sièges à la Chambre des communes. Quelques jours après les élections, j'ai reçu un appel de Derek Burney qui me demandait de le rencontrer à Ottawa pour discuter d'emplois potentiels de sous-ministre.

Le lendemain, Jim Flaherty m'a téléphoné et m'a demandé si je souhaitais être son chef de cabinet, car il allait probablement être ministre des Finances. J'avais rencontré Jim dans mes années à OPG. Il avait été député provincial d'Oshawa et avait suivi les difficultés d'OPG. Au fil des ans, il nous était arrivé de déjeuner ou de jouer au golf ensemble. Nous venions tous les deux de Lachine, au Québec. La résidence des Flaherty, à laquelle j'avais livré le Montreal Star, se trouvait à distance de marche de chez moi. Cela dit, nous n'étions pas particulièrement proches. L'idée de boucler la boucle m'intriguait quelque peu. Je reviendrais à Ottawa pour intégrer un cabinet ministériel politique, comme je l'avais fait il y a trente-sept ans. Jim et moi avons convenu de nous rencontrer pour souper alors que j'étais à Ottawa pour rencontrer Derek Burney.

La rencontre avec Derek était très ciblée. Il m'a demandé si j'étais intéressé par l'un des emplois suivants : sous-ministre de l'Industrie, sous-ministre de l'Environnement ou sous‑ministre des Affaires intergouvernementales. J'ai exprimé mon intérêt pour l'industrie. Il m'a remercié et m'a dit que quelqu'un me contacterait dans les quatre prochaines semaines. Au souper, Jim a fait sa présentation. Il allait être ministre des Finances et ne voulait pas du chef de cabinet traditionnel. Il voulait plutôt quelqu'un qui connaissait Ottawa et qui pourrait travailler avec les fonctionnaires du ministère des Finances. Il m'a également dit qu'il avait parlé de moi à M. Harper et qu'il l'avait convaincu de me payer à mi-chemin entre un salaire de chef de cabinet et un salaire de sous-ministre. Il m'a demandé si je pouvais lui revenir dans quelques jours. Il partait la semaine suivante pour une réunion des ministres des Finances du G8 à Saint‑Pétersbourg, en Russie, et voulait que je l'accompagne.

Dès mon retour à Toronto, j'ai reçu un autre appel. Le recteur de l'Université de Toronto, David Naylor, voulait me rencontrer pour discuter de mon intérêt potentiel à me joindre à l'équipe de l'Université de Toronto en tant que vice-recteur.

Au cours de la fin de semaine, j'ai décidé de poursuivre à la fois les possibilités de l'Université de Toronto et de sous-ministre à Ottawa. J'ai téléphoné à Jim Flaherty pour lui expliquer mes raisons. Il a noté que sa demande était un peu ambitieuse et qu'il espérait que je choisirais le travail comme sous-ministre de l'Industrie.

En février, j'ai déjeuné à Toronto avec Kevin Lynch, qui avait été nommé greffier du Conseil privé par le premier ministre Harper. Je n'avais jamais rencontré Kevin, mais je connaissais sa formidable réputation. Nous avons eu une discussion générale sur le gouvernement et la fonction publique. Il s'est engagé à me redonner des nouvelles dans un mois. J'ai également eu quelques discussions avec David Naylor au sujet du poste de vice-recteur aux relations extérieures à l'Université de Toronto.

En mars, on m'offrait un emploi aux deux endroits. J'ai opté pour l'emploi de sous-ministre de l'Industrie, même si le salaire était inférieur de 20 % à celui de l'Université de Toronto. Je voulais gérer et diriger une nouvelle fois une organisation. Je commencerais en mai.

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Chapitre 15 : Industrie Canada, 2006-2012

85.68%

J'ai été sous-ministre de l'Industrie de mai 2006 à juillet 2012. Pendant ce temps, j'ai travaillé pour quatre ministres, cinq ministres d'État, deux greffiers du Conseil privé et un premier ministre. Au sein du portefeuille d'Industrie Canada, j'ai travaillé avec deux sociétés d'État (la Banque de développement du Canada [BDC] et la Commission canadienne du tourisme [CCT]) et six organismes (Statistique Canada, le Conseil national de recherches du Canada, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le Conseil de recherches en sciences humaines, l'Agence fédérale de développement économique pour le Nord de l'Ontario et l'Agence fédérale de développement économique pour le Sud de l'Ontario). Au cours de mes 2 282 jours à titre de sous-ministre, j'ai comparu vingt-sept fois devant un comité parlementaire, approuvé 229 mémoires au Cabinet et 148 présentations au Conseil du Trésor.

Bon nombre de politiques et de programmes dignes de mention ont aussi été élaborés. Il y a eu, entre autres, une stratégie des sciences et de la technologie, un nouveau programme de partenariat avec l'industrie aérospatiale, le premier rejet d'un investissement proposé en vertu de la Loi sur Investissement Canada, la première mise aux enchères de spectre et la faillite de Nortel. Tous ces éléments ont représenté des avancées importantes. Toutes les initiatives et décisions ont été rapportées dans des journaux, des revues et des livres. Ici, cependant, j'adopterai une approche différente et je parlerai de l'importance de comprendre les entreprises et d'apprendre à connaître les chefs de file de l'industrie, du rôle d'Industrie Canada dans le Plan d'action économique de 2009 et de l'importance de la gestion des talents en ce qui concerne la saine intendance au sein d'un ministère.

L'importance de comprendre les entreprises et d'apprendre à connaître les chefs de file de l'industrie

Tous les cadres supérieurs des ministères doivent rester en contact avec leurs intervenants. Souvent, cela se fait par l'entremise de réunions régulières avec les associations de l'industrie. C'est utile, mais dans une certaine mesure seulement. Étant donné que les chefs d'association ne peuvent présenter que les points de vue de tous les membres, les positions prises reflètent parfois le plus petit dénominateur commun. Mon expérience antérieure en tant que président de l'Association canadienne des journaux m'a été utile à cet égard.

Au cours de mon mandat à Industrie Canada, j'ai lancé un certain nombre de pratiques supplémentaires pour améliorer nos connaissances des entreprises et de leurs dirigeants. La première consistait à surveiller les résultats financiers trimestriels des principales entreprises. Toutes les sociétés cotées en bourse publient leurs résultats financiers sur une base trimestrielle. Elles publient également leurs rapports de gestion qui décrivent les directions de l'entreprise. La plupart des entreprises organisent ensuite un appel avec des analystes au cours duquel le dirigeant principal des finances (DPF) et le PDG répondent aux questions des analystes financiers. Afin de mieux comprendre les résultats opérationnels des entreprises qui exerçaient leurs activités dans le domaine d'activités d'Industrie Canada, je demandais au personnel d'Industrie Canada d'écouter ces appels. Les points de vue qu'exprimaient les PDG et les DPF avaient tendance à être bien ciblés et généralement positifs. Les idées recueillies durant ces appels ont servi sur deux fronts. Premièrement, ils ont amélioré la connaissance qu'avait le personnel du ministère sur les activités de diverses entreprises et les facteurs qui influencent leurs résultats financiers. Deuxièmement, ils ont fourni de l'information pour contrer le discours pessimiste que certaines entreprises avaient lorsqu'elles me rencontraient ou rencontraient de hauts fonctionnaires du ministère. Il était utile de leur rappeler les commentaires formulés lors d'un récent appel trimestriel.

Lorsque le ministère envisageait d'importantes initiatives stratégiques, nous avons institutionnalisé la pratique consistant à rencontrer les analystes financiers de Toronto ou de New York qui couvraient les sociétés pouvant être touchées. Par exemple, lorsque le ministère a examiné des options stratégiques concernant le secteur des télécommunications, je suis allé à Wall Street avec le sous-ministre adjoint des politiques pour en apprendre davantage sur les stratégies de croissance d'entreprises comme Verizon, ATT et Sprint. Nous voulions savoir si, dans des circonstances différentes, ces entreprises américaines chercheraient à entrer sur le marché canadien. Nous avons entrepris des consultations semblables avec les analystes de Bay Street à propos d'autres initiatives et hypothèses stratégiques importantes qui pourraient avoir une incidence sur le marché.

Je me suis fait un devoir de communiquer régulièrement avec les PDG de grandes entreprises qui opéraient dans l'espace d'Industrie Canada. J'essayais d'avoir ces réunions dans bureau des PDG. Dans le même ordre d'idées, j'ai encouragé les sous-ministres adjoints à maintenir une relation de travail stable avec les cadres des différentes entreprises. Ces relations ont été inestimables lorsque nous avons dû traiter avec le secteur de l'automobile et les principaux assembleurs de niveau 1 et les fournisseurs de niveau 2 pendant la crise qui a secoué le secteur en 2008-2009.

Les cadres d'Industrie Canada étaient généralement intelligents, ambitieux, travailleurs et avisés à l'égard des façons de prendre des décisions à Ottawa. Mais ils n'avaient pas une compréhension des affaires supérieure à la moyenne. Pour combler cette lacune, le ministère a envoyé une demande de propositions à six écoles de commerce pour obtenir un aperçu d'un programme de formation des cadres d'une semaine pour les cadres d'Industrie Canada. L'Ivey Business School de l'Université Western a remporté le contrat. Paul Boothe, sous-ministre délégué principal à Industrie Canada, et moi avons examiné attentivement le contenu pédagogique du programme d'études proposé, en laissant tomber certaines études de cas et en en ajoutant de nouvelles. Vingt-cinq cadres d'Industrie Canada ont participé à ce premier programme de M.B.A. miniature. Le programme comportait également quelques avantages secondaires. Par exemple, il a permis aux cadres des divers groupes d'Industrie Canada de se rencontrer. Il a également permis d'améliorer les contacts entre la haute direction et les cadres d'Industrie Canada, puisqu'un sous-ministre adjoint participait toujours au programme d'une semaine complète. Le programme était offert au moins une fois par année. Mes successeurs à Industrie Canada ont continué de parrainer ce programme.

L'objectif global de ces initiatives et d'autres était d'accroître le capital intellectuel à Industrie Canada. Ces connaissances ont été très utiles à l'élaboration de politiques et de programmes.

Rôle d'Industrie Canada dans le Plan d'action économique de 2009

En janvier 2009, le gouvernement fédéral a publié son plan d'action économique pour faire face à la crise financière. Industrie Canada était responsable de plusieurs initiatives, y compris la restructuration et le renflouement de GM et de Chrysler, le Programme d'infrastructure du savoir, le Programme de manifestations touristiques de renom, l'établissement d'une nouvelle agence de développement économique pour le Sud de l'Ontario et la collaboration étroite avec la BDC pour augmenter les liquidités dans l'économie.

Restructuration du secteur automobile

Avant la crise financière, GM et Chrysler étaient en difficulté. Ils avaient perdu des parts de marché et continuaient d'en perdre, ce qui, par la suite, a contribué à ce qu'ils aient trop de concessionnaires. Cette situation se préparait depuis de nombreuses années. Les deux sociétés construisaient de grosses voitures qui avaient d'importantes marges bénéficiaires. Malheureusement, les acheteurs favorisaient de plus en plus les petites et les moyennes voitures. Par rapport à celles de nombreux autres constructeurs automobiles, les voitures des trois grands constructeurs automobiles (GM, Ford et Chrysler) coûtaient plus cher puisqu'il fallait tenir compte des régimes de retraite et de soins de santé des retraités dans les prix. Pendant un certain nombre de décennies, GM a été le chef de file en ce qui a trait au nombre de voitures vendues. Il était maintenant le chef de file par rapport à son nombre de retraités. Il était presque impossible d'ajouter le coût de ces régimes de retraite aux véhicules de petite et moyenne taille et d'avoir des prix compétitifs. De plus, GM et Chrysler avaient beaucoup plus de marques que leurs concurrents au Japon et en Corée du Sud. L'attention de la haute direction était divisée entre ces nombreuses marques.

À la fin de novembre 2007, la crise financière montrait ses premiers signes. Le ministre Clement et moi, ainsi que le ministre de l'Ontario, Michael Bryant, nous sommes rendus à Washington à la demande pressante de notre ambassadeur, Michael Wilson. Nous avons rencontré plusieurs sénateurs et membres du Congrès. Nous avons également rencontré un certain nombre de responsables de l'administration Bush qui partaient et qui rassemblaient littéralement leurs affaires pendant que nous discutions. Ils ont été assez courtois, mais ont mentionné à plusieurs reprises qu'il s'agissait de questions que nous devrions examiner avec l'administration Obama. Le système canadien d'une fonction publique permanente n'est pas parfait, mais sa valeur pendant cette crise était évidente pour tout le monde. Lorsque l'administration Obama a commencé à monter en puissance, nous avons pu contribuer à son accélération.

Paul Boothe a pris la tête des négociations avec GM, Chrysler et le gouvernement américain, ainsi que de la liaison avec le gouvernement de l'Ontario. Paul a rapidement réuni une équipe de première classe composée d'employés du gouvernement fédéral et de conseillers financiers et juridiques externes. Ils se rencontraient fréquemment à Washington et à New York. Comme l'a dit le premier ministre Harper, « le Canada avait le choix : participer au renflouement ou voir l'industrie se restructurer sans le Canada ». Malgré ses convictions personnelles au sujet du rôle des gouvernements et des marchés, le premier ministre, fortement appuyé par son ministre des Finances, Jim Flaherty, a accepté un renflouement important. Il a déterminé que le Canada ramasserait les deux tiers de l'offre de 13 milliards de dollars et l'Ontario un tiers.

Chrysler s'est placé sous la protection de la loi sur les faillites le 30 avril 2009. Dans le cadre de sa restructuration, elle est devenue une partenaire junior en alliance avec le constructeur automobile italien Fiat. Le 1er juin 2009, GM s'est placé sous la protection de la loi sur les faillites aux États-Unis – et sortit de la faillite 40 jours plus tard. Le plan convenu n'exigeait pas que GM Canada déclare faillite. Au cours des cinq mois précédents, Paul a travaillé avec diligence avec des intervenants canadiens comme les fabricants de pièces de niveau 1 et de niveau 2, les concessionnaires et les Travailleurs canadiens de l'automobile. Il a également rejoint Ron Bloom, qui était le négociateur en chef des États-Unis, dans plusieurs rondes de négociations avec GM et Chrysler. Enfin, il est demeuré en communication très étroite avec les fonctionnaires de Finances et du Bureau du Conseil privé, ainsi qu'avec le gouvernement de l'Ontario.

Malgré les différences entre les entreprises, le résultat final est essentiellement le même. Les deux entreprises ont survécu et des pertes d'emplois massives ont été évitées. De plus, l'économie du Sud de l'Ontario n'a pas été touchée de façon catastrophique.

Avec du recul, on constate que Paul a réussi sa mission parce qu'il a rapidement mis en place une équipe multidisciplinaire, consacrant la majeure partie, sinon la totalité, de son temps au projet. Tous les efforts d'Industrie Canada dans tous les secteurs pendant la récession paraissaient dérisoires par rapport au coût et aux emplois qui étaient en jeu dans le secteur de l'automobile. De plus, Paul a maintenu d'excellentes communications avec tous les intervenants et avec ses principaux homologues de la fonction publique fédérale et provinciale.

Le Programme d'infrastructure du savoir

À la fin de janvier 2009, le ministère a été informé qu'il serait responsable de la mise en œuvre du nouveau Programme d'infrastructure du savoir de 2 milliards de dollars. L'objectif du programme était de construire ou de mettre à niveau l'infrastructure dans les universités et les collèges. L'argent devait être dépensé au cours des deux prochains exercices.

Le principal obstacle auquel le ministère devrait faire face était qu'il n'avait pas de capacité substantielle de mise en œuvre de programmes ou de connaissances sur les besoins en immobilisations du milieu des établissements postsecondaires.

Pour élaborer et lancer le programme, j'ai tenu un caucus avec Matt King, sous-ministre adjoint principal, et Iain Stewart, sous-ministre adjoint délégué, qui avaient des liens continus avec la communauté postsecondaire dans le cadre de leur portefeuille des sciences et de la technologie. Pendant un certain nombre de jours, nous avons élaboré une approche qui répondait aux exigences politiques, administratives et opérationnelles nécessaires.

Nous avons élaboré des critères de programme concernant les coûts qui seraient admissibles au financement et la façon dont nous exécuterions le programme en collaboration avec les gouvernements provinciaux. Mon expérience en tant que sous-ministre de l'Éducation postsecondaire en Ontario m'a aidé à définir les rôles fédéraux et provinciaux appropriés. Le programme a par la suite été approuvé par le Cabinet et le Conseil du Trésor. Un élément clé du programme était le partage des coûts : l'autre partie devrait fournir au moins 50 % du financement.

Nous avons préparé une lettre à envoyer au ministre de l'Industrie, M. Clement, et au ministre des Sciences et de la Technologie, M. Goodyear, à tous les établissements d'enseignement postsecondaire du pays pour les inviter à présenter des demandes de projet d'ici le 30 mars 2009. Cette étape était essentielle pour permettre aux ministres fédéraux de préparer leurs propres listes de projets potentiels. Les ministres provinciaux, en raison de leurs activités continues avec ce milieu, avaient déjà leurs listes.

Nous avons déterminé un plan dans le cadre duquel les ministres fédéraux et provinciaux choisiraient conjointement quels projets seraient approuvés. Bien que nous n'avions pas d'allocation provinciale établie, nous avions une cible générale fondée sur le nombre d'étudiants de niveau postsecondaire dans chaque province et la population générale de la province. Afin de réduire les possibles tensions liées à l'équité, nous avons décidé d'avoir deux séries de décisions de financement. Cela nous a donné la souplesse nécessaire pour corriger d'éventuelles erreurs d'allocation ou d'autres lacunes durant le deuxième tour.

Afin de passer au crible les 950 propositions que nous avions reçues, nous avons mis sur pied un quartier général et avons fait appel à des personnes de l'ensemble du ministère qui avaient de l'expérience dans l'analyse des demandes de projets. Cette unité est devenue le centre de contrôle du programme. Toutes les propositions ont été examinées en fonction de critères précis, et les propositions qui y répondaient ont été communiquées aux gouvernements provinciaux. Le quartier général avait également élaboré les instruments de prise de décisions.

Pour mettre à l'essai notre ensemble de mesures, nous avons décidé de négocier d'abord avec le gouvernement de la Colombie-Britannique. Nous l'avions choisi parce que c'était le gouvernement provincial dont la date des élections était la plus proche. Nous avons supposé qu'il serait tout à fait possible de parvenir à un accord le plus rapidement possible. Les négociations ont en effet été productives et rapides. Les deux ministres ont été en mesure d'annoncer une quinzaine de projets d'un coût de plus de 100 millions de dollars. Nous avons ensuite négocié avec l'Alberta en utilisant la même justification raisonnée. À la fin de juin 2009, nous avions conclu des ententes avec toutes les provinces et nous avions annoncé des projets d'une valeur totale de 1,8 milliard de dollars.

Pour que les projets soient lancés le plus rapidement possible, nous avons avancé le montant approprié aux gouvernements provinciaux sur une base trimestrielle. À leur tour, ils ont distribué les fonds aux établissements d'enseignement postsecondaire, qui distribueraient l'argent aux fournisseurs et aux entreprises de construction. Cela a bien fonctionné pour tous les participants.

Enfin, pour assurer l'intégrité du programme, nous avons conclu un contrat avec KPMG pour vérifier les rapports d'étape fournis par les établissements postsecondaires de chaque province. Seul un faible pourcentage des projets a fait l'objet d'une vérification, mais cela a contribué à garder chaque établissement concentré sur ses projets et à tenir des dossiers de surveillance fiables.

Le Programme d'infrastructure du savoir a été un succès. Il a financé plus de 520 projets dans 235 établissements différents de 190 collectivités. Les dépenses totales en capital se sont élevées à 5 milliards de dollars. Quatre-vingt-dix pour cent des fonds ont été distribués au cours des exercices 2009-2010 et 2010-2011. Les frais d'administration ont été de 0,73 % du coût total du programme. Un nombre considérable d'emplois ont été créés au cours de la phase de construction du programme. De plus, un certain nombre de nouvelles installations ont donné lieu à de nouveaux emplois permanents. Le milieu des établissements postsecondaires du Canada disposait de plusieurs infrastructures flambant neuves.

Avec le recul, le succès de ce programme peut être attribué à quatre facteurs majeurs. Premièrement, Matt King et Iain Stewart ont fait preuve d'un leadership rigoureux qui a permis d'éviter les obstacles et d'obtenir des résultats rapides. Ils ont généré un sentiment d'urgence qui fait parfois défaut dans l'administration publique. Deuxièmement, nous avons été en mesure de travailler de façon constructive en partenariat avec les gouvernements provinciaux qui ont fourni la capacité sur le terrain et une analyse solide des besoins et des priorités.

Troisièmement, nous avons pu travailler en collaboration avec les ministres et leur personnel politique. Nous avons mis en place des critères avec lesquels ils étaient d'accord, et évalué tous les projets en fonction de ces critères approuvés. Les cabinets ministériels n'ont pas remis en question le processus d'évaluation. Nous n'avons pas classé les projets selon leur pointage. Nous avons plutôt reporté la sélection lors du processus conjoint fédéral-provincial afin de nous assurer que l'intérêt public était protégé.

Enfin, nous avons mis sur pied une unité distincte pendant une période déterminée afin de nous assurer qu'il n'y avait pas d'arriérés lorsque nous recevrions toutes les propositions. Nous avions régulièrement des rapports de surveillance concernant l'analyse et le traitement des propositions de projet.

Le Programme de manifestations touristiques de renom

Un autre volet du Plan d'action économique dont l'administration a été confiée à Industrie Canada est le Programme de manifestations touristiques de renom de 100 millions de dollars. Le programme a été divisé en 50 millions de dollars pour chacun des deux exercices. La directive que nous avons reçue à la fin de janvier était de définir un « programme pour soutenir les grandes activités touristiques partout au pays, en particulier celles qui attirent les visiteurs internationaux ».

Étant donné que bon nombre de ces activités devaient avoir lieu à la fin du printemps et au début de l'été, nous avons dû élaborer des critères d'administration du programme dans des délais très serrés. Nous avons donc travaillé sur deux fronts. Premièrement, un comité consultatif de sept experts, que j'ai présidé, a été mis sur pied. Les membres avaient tous de l'expérience dans l'industrie du tourisme et dans le soutien de grands événements touristiques. Il s'agit notamment de l'ancien chef de la direction d'Air Canada et du vice‑président à la direction d'Hydro-Québec, qui avaient une solide réputation de soutien aux grandes activités culturelles au Québec. Le mandat du comité était de faire un exercice selon une approche descendante visant à établir une liste par région des huit à dix principales organisations qui avaient fait leurs preuves dans l'organisation réussie de grands événements. L'autre critère était le calendrier : les événements devaient avoir lieu à l'été 2009.

Les organisations sélectionnées ont été priées de soumettre une offre chiffrée. Toutes les offres ont été examinées par le comité et des recommandations ont été faites au ministre d'État du Tourisme. Le ministre a accepté les recommandations et, en avril, a annoncé son soutien à dix événements qui devaient avoir lieu au début de l'été 2009. Ce raccourci avait été adopté afin de ne pas manquer la saison des festivals d'été de 2009. Nous n'avions pas le temps d'adopter une approche ascendante.

En février, nous avons élaboré des critères de programme, des niveaux de financement pour les événements de première catégorie (jusqu'à 3 millions de dollars) et les événements de deuxième catégorie (jusqu'à 1 million de dollars). Les critères du programme ont été approuvés en mars par le ministre, le Cabinet et le Conseil du Trésor. Ces approbations nous ont permis de lancer un appel de propositions au début d'avril, avec une date de clôture en mai. L'appel de propositions portait sur des événements qui se dérouleraient entre juin 2009 et avril 2010. Nous avons alloué 35 millions de dollars à cette tranche.

Le processus décisionnel suivant a été proposé au ministre. Les fonctionnaires examineraient toutes les propositions et formeraient deux piles : les offres qui répondaient aux critères et celles qui n'y répondaient pas. Pour les propositions qui répondaient aux critères, nous présentions jusqu'à 1,5 fois l'allocation budgétaire des projets admissibles segmentés par région. La ministre pourrait alors choisir les projets qui, à son avis, répondent le mieux aux objectifs du programme.

Comme c'est le cas pour d'autres programmes, Industrie Canada devait se doter rapidement du personnel nécessaire pour avoir la capacité d'examiner toutes les demandes reçues et d'assurer l'intégrité du programme. De plus, les réponses que notre personnel nouvellement affecté aux demandes des intervenants devaient être cohérentes, même s'il n'y avait pas eu beaucoup de temps pour former le personnel sur les nouveaux critères.

Au cours des deux années, le programme a soutenu financièrement 107 événements pour un total de 88 millions de dollars. Au cours de la première année, le programme a soutenu 10 événements de renom, 17 événements de première catégorie et 13 événements de deuxième catégorie. Au cours de la seconde année, il a soutenu 16 événements de première catégorie et 31 événements de deuxième catégorie.

Les tiers ont jugé le programme très réussi, surtout compte tenu des échéanciers serrés. En effet, le facteur temps associé à ces événements signifiait que tous les aspects du programme devaient être précipités.

Le programme a été conçu en tenant compte de l'importance des échéanciers. Les éléments clés comprenaient l'image de marque des dix premiers projets, comme le Stampede de Calgary et le Festival de Jazz de Montréal, un premier appel de propositions en 2009, qui a donné aux organisateurs le temps d'élaborer leurs propositions, un processus d'approbation rigoureux et la préparation en temps opportun des ententes de contribution requises, et un deuxième appel de propositions en novembre 2009.

Dans le cadre du programme, on cherchait toujours à respecter la prochaine échéance. Malgré les contraintes, le tout a bien fonctionné parce que le ministère a été en mesure d'agir rapidement pour former le comité consultatif et réaffecter le personnel nécessaire pour gérer le programme. De plus, les fonctionnaires ont travaillé en partenariat avec le cabinet du ministre pour faciliter la prise des décisions tout en veillant à ce que le programme respecte les critères établis. Le fait que les organisateurs se soient adaptés pour respecter les délais a également été déterminant.

L'Agence fédérale de développement économique pour le Sud de l'Ontario

Conformément au Plan d'action économique, le ministère de l'Industrie devait diriger l'établissement d'une agence de développement économique pour le Sud de l'Ontario, la seule partie du Canada qui n'avait pas un tel organisme. Le récent budget nous avait alloué 1 milliard de dollars pour les cinq années suivantes. La seule directive que nous avons reçue était que la mission de l'organisme serait d'aider à soutenir l'excellence en rendant l'économie du Sud de l'Ontario et ses collectivités plus concurrentielles, novatrices et diversifiées. On m'a également informé que l'agence devait être opérationnelle d'ici l'été 2009, ce qui signifiait que j'avais cinq mois.

L'organisation, que l'on appelle FedDev Ontario, devrait être établie à partir de zéro, puisque la seule ressource existante qui aurait pu être affectée était un petit groupe opérationnel au sein du bureau régional d'Industrie Canada à Toronto. Nous avons eu un avantage majeur dans la mise en place de cet organisme. Nous avons pu nous inspirer des succès et des échecs des agences économiques en activité dans le reste du pays, qui comptaient alors de 20 à 25 années d'expérience. De plus, il y avait une bonne quantité de littérature universitaire sur le développement économique régional. Nous avions toutefois deux inconvénients. Nous n'avions pas été informés de l'endroit où; se trouverait le siège social de l'organisme ni du nom du ministre responsable.

Notre première tâche a été de trouver un emplacement approprié pour le nouvel organisme. Nous avons préparé diverses analyses sur les avantages et les inconvénients des différentes collectivités. Les facteurs considérés comprenaient la capacité de recrutement, l'accès au transport et la capacité de développer des réseaux. Cependant, malgré tous nos efforts, nous n'avons pas été en mesure d'obtenir une décision politique sur l'emplacement. Cette situation a naturellement entravé le recrutement de cadres et de personnel. L'argument selon lequel les gens aiment savoir où; ils travailleront n'a pas été jugé suffisamment convaincant pour les décideurs politiques, bien que le sous-ministre des Travaux publics, François Guimont, ait été très utile pour dénicher les immeubles de bureaux potentiels pouvant accueillir le nouvel organisme. L'absence d'un emplacement précis a également gêné la capacité de son ministère à prévoir la configuration nécessaire : relier les ordinateurs au réseau, acheter les meubles et concevoir le papier à lettres.

L'absence d'un ministre responsable était également problématique compte tenu de la nécessité de faire approuver les modalités du programme par le Conseil du Trésor. Nous avons abordé cette question en demandant au ministre de l'Industrie d'approuver la présentation au Conseil du Trésor.

Pour faire avancer les choses, je me suis mis à la recherche d'un sous-ministre adjoint qui pourrait aider à mettre en place l'organisme et à le lancer. Après plusieurs entrevues, j'ai recruté France Pégeot, qui était sous-ministre adjointe à Développement économique Canada pour les régions du Québec. Elle a accepté de déménager quelque part dans le sud de l'Ontario pour une période de six à neuf mois. À la fin de cette affectation, elle deviendrait sous‑ministre adjointe à Industrie Canada. Je n'ai pas été en mesure d'offrir un emploi précis, mais elle m'a fait confiance pour lui trouver un défi à sa hauteur. Elle a rapidement mis sur pied une petite équipe pour esquisser les modalités des divers programmes que l'organisme appuierait. France a également dressé une liste de contacts des intervenants et a créé des projets pour approbation rapide par le ministre une fois qu'il ou elle aurait été nommé.

En juin, avec l'appui du Bureau du Conseil privé, j'ai entrepris le recrutement du premier président de l'organisme par l'intermédiaire d'une firme de recrutement. On a demandé aux quatre candidats présélectionnés de préparer une note de stratégie de cinq pages décrivant ce qu'ils feraient s'ils étaient sélectionnés.

Marie-Lucie Morin, greffière associée au Bureau du Conseil privé, et moi avons passé en entrevue les quatre candidats et discuté de la stratégie qu'ils proposaient. Nous nous sommes mis d'accord sur Bruce Archibald, qui était sous-ministre au sein du gouvernement de l'Ontario. Bruce était de loin le candidat le plus fort, et il avait un atout supplémentaire : il vivait à Guelph. Selon toute vraisemblance, peu importe où; se trouverait l'organisme, son trajet en voiture de la maison au bureau serait relativement court pour lui.

En juillet, les décisions ont été prises. Gary Goodyear, ministre des Sciences et de la Technologie dans le portefeuille d'Industrie Canada et député de Cambridge, prendrait en charge le portefeuille supplémentaire de FedDev. L'organisme aurait son siège social à Kitchener et des bureaux satellites à Stratford et à Peterborough. Cela nous a permis d'établir les bureaux, de mettre en œuvre un plan de liaison pour le ministre auprès de tous les principaux intervenants du Sud de l'Ontario et d'obtenir l'accord du ministre sur les principales priorités et les approbations de projets. Le premier ministre Harper a officiellement annoncé ces décisions le 13 août. Depuis, l'agence contribue au développement économique du Sud de l'Ontario.

Quand j'y repense, il y avait trois raisons principales pour lesquelles FedDev Ontario, malgré les décisions politiques très tardives, a connu un bon départ. La première concernait la gestion des talents. Le recrutement de France Pégeot, qui savait ce qu'elle faisait, et de Bruce Archibald, qui avait une réputation bien établie au sein du gouvernement de l'Ontario et du secteur privé, a rendu l'organisme crédible dès le départ. La deuxième était l'échéance fixée par Ottawa : l'organisme devait être opérationnel d'ici l'été. Cette échéance auto-imposée a fourni une date cible qui a forcé la prise de décisions, en particulier en ce qui concerne les approbations de projet. Enfin, France a réuni une équipe dédiée avec les compétences nécessaires pour rendre l'organisme opérationnel dès son lancement.

La Banque de développement du Canada

Industrie Canada a également participé à la mise en place du cinquième volet du Plan d'action économique. Compte tenu de la rareté des liquidités sur le marché, le gouvernement avait encouragé la Banque de développement du Canada à accroître ses activités de prêts aux petites et moyennes entreprises. Afin de respecter la relation sans lien de dépendance entre la banque et le gouvernement, le ministre a envoyé une lettre à John McNaughton, président du conseil d'administration de la BDC. La lettre disait explicitement que le gouvernement souhaitait que la banque prenne plus de risques et qu'il était à l'aise avec la possibilité que cela puisse entraîner davantage de pertes financières. En d'autres termes, l'actionnaire avait conclu que l'objectif d'augmenter les liquidités l'emportait sur l'objectif de la banque de réaliser un profit.

Pour faire le suivi de la mise en œuvre de cette orientation stratégique, nous avons demandé des rapports hebdomadaires par région sur les montants prêtés par rapport à l'année précédente. Ces renseignements ont été très utiles au ministre pour informer les parlementaires.

Chapitre 15 : Leçons

J'en suis venu à croire que la gestion des talents est le travail le plus important qu'un sous‑ministre puisse faire. Si cette gestion est bien faite, le reste devient bien plus facile.

Par gestion des talents, j'entends le recrutement, la formation et le perfectionnement des cadres, le processus d'évaluation du rendement et la réaffectation, la rétrogradation ou le congédiement de cadres qui n'atteignent pas le rendement attendu.

Il est essentiel de faire la distinction entre un cadre qui résout les problèmes et un cadre qui est expert pour repérer les problèmes.

En travaillant en étroite collaboration avec le ministre Prentice, le ministère a été en mesure de faire valoir avec succès la nécessité de trois postes supplémentaires de sous-ministres adjoints pour appuyer les sous-ministres adjoints principaux titulaires dans le secteur des politiques, le secteur de l'industrie et le nouveau secteur des sciences et de la technologie. Ces ajouts au portefeuille des sous-ministres adjoints ont permis une progression de carrière plus logique au sein d'Industrie Canada.

Au cours de mes premières années à Industrie Canada, j'ai passé beaucoup de temps à recruter de nouveaux sous-ministres adjoints principaux et à pourvoir les nouveaux postes de sous-ministres adjoints délégués. J'ai poursuivi deux objectifs. Le premier était d'améliorer les relations avec les organismes centraux en recrutant dans leurs rangs. Le deuxième était la promotion, au niveau de sous-ministres adjoints, de directeurs généraux très performants au sein d'Industrie Canada.

Les cadres suivants ont tous accepté une mutation latérale à partir d'organismes centraux à Industrie Canada : Matt King du Bureau du Conseil privé, Ron Parker de la Banque du Canada, Helen McDonald et Kelly Gillis du Secrétariat du Conseil du Trésor, et Rob Dunlop du ministère des Finances. Susan Bincoletto, Iain Stewart et Mitch Davies ont tous été promus au sein d'Industrie Canada.

Un autre aspect sur lequel j'ai travaillé est l'évaluation du rendement. Je n'aimais pas l'approche selon laquelle tous les membres du comité exécutif faisaient des commentaires sur les cadres. J'ai senti que ces remarques allaient de légèrement utiles à quelque peu hors de propos. C'était tout à fait compréhensible, car ils n'interagissaient pas souvent avec des cadres qui ne faisaient pas partie de leur secteur. J'ai mis en place un modèle différent. Les sous‑ministres adjoints présenteraient leurs ébauches d'évaluation pour tous les EX‑02 et EX‑03 au sous-ministre délégué et à moi-même. Le directeur général des ressources humaines prendrait des notes. Ce format permettait une discussion plus approfondie sur chaque cadre, y compris sur ses besoins de perfectionnement, ses forces et les futurs emplois qu'il pourrait occuper au sein du ministère. Les EX‑01 étaient laissés entièrement à la discrétion des sous-ministres adjoints.

Toujours en ce qui concerne les évaluations du rendement, nous avons également « innové » en faisant en sorte que le sous-ministre et le sous-ministre délégué aient les mêmes objectifs de rendement et la même cote à la fin de l'année. Ce changement a été accepté par le Bureau du Conseil privé. Ce qui n'a pas été accepté, c'est la répartition financière des mesures incitatives. Je croyais que notre salaire de base était une différenciation suffisante du point de vue de la rémunération. La prime d'encouragement devrait être séparée en parts égales, même si cela signifiait que le sous-ministre laisserait de l'argent sur la table. Le Bureau du Conseil privé a rejeté cette suggestion.

Cette approche de l'évaluation du rendement des sous-ministres et des sous-ministres délégués découle directement de notre système de gestion du ministère, un système que nous avons appelé « deux dans la case ». La « case » faisait référence au bloc-signature inclus avec tous les conseils et toutes les recommandations officielles du ministère au ministre. Traditionnellement, à Ottawa, toutes ces notes sont signées par le sous-ministre ou par le délégué au nom du sous-ministre. En autorisant le sous-ministre ou le sous-ministre délégué à approuver les conseils et les recommandations du ministère avec leur propre signature, nous signalions au ministre et au ministère que le sous-ministre et le sous-ministre délégué étaient conjointement responsables de la gestion du ministère et des résultats qu'il obtenait.

Pour rendre ce système opérationnel, nous avons mis en commun nos calendriers, nous avons envoyé des invitations permanentes aux réunions de l'un et de l'autre et nous nous sommes consultés en temps réel sur tous les dossiers litigieux. En tant que sous-ministre, cela me permettait de prendre une partie de la charge de travail de gestion en plus d'obtenir de la rétroaction pour certaines idées et de montrer au délégué comment je gérais réellement le ministère. Un certain nombre de mes sous-ministres délégués ont mis en place le même système lorsqu'ils sont ensuite devenus sous-ministres dans leur propre ministère.

Encourager les cadres non performants à passer à autre chose et à partir est une partie importante de la gestion des talents. Cela a deux aspects bénéfiques. Cela améliore la productivité globale, puisque les retardataires ne font plus baisser la productivité. Et cela rappelle aux autres cadres qu'il y a des conséquences en cas d'inefficacité.

Enfin, la gestion des talents nécessite parfois de donner une deuxième chance. Un jour, le directeur général des ressources humaines a demandé une réunion d'urgence pour discuter d'un incident récent. On avait vu un EX-03 regarder de la pornographie sur son ordinateur de bureau après les heures de bureau. Le directeur général voulait qu'il soit congédié. Le sous-ministre adjoint de qui l'EX-03 relevait a plutôt plaidé en faveur d'une bonne claque sur la main. Avant de prendre ma décision définitive, j'ai demandé à l'EX-03 de venir me rencontrer. Je lui ai demandé de décrire en détail ce qu'il avait fait. Je me disais qu'en le forçant à prononcer les mots à haute voix l'aideraient à sortir de son déni. Après ses nombreuses larmes, excuses et promesses, j'ai dit que j'espérais qu'il continue de faire partie du ministère. Je lui ai donné une suspension de deux semaines à purger au cours des six prochains mois. Il aurait pu, par exemple, prendre congé un vendredi sur deux. Il était important que sa punition ne soit pas une flagellation publique. C'était un bon employé qui méritait une deuxième chance.

En plus de l'importance de la gestion des talents, j'ai également tiré des leçons par rapport aux ministres, aux cabinets ministériels et aux relations entre les ministres et les ministres d'État.

Comme je l'ai mentionné précédemment, j'ai travaillé pour quatre ministres différents à Industrie Canada. Deux d'entre eux venaient du Québec, un de l'Ontario et un de l'Alberta. Mes quatre ministres d'État venaient de l'Alberta, de la Saskatchewan, du Québec et de l'Ontario. Même si les quatre ministres d'Industrie Canada étaient des avocats, ils étaient très différents dans la façon dont ils abordaient leurs fonctions ministérielles.

Le ministre avec qui j'ai le plus aimé travailler était Jim Prentice. Nous avons établi une solide relation dès le début. Immédiatement après son assermentation, il est venu à l'improviste me voir dans mon bureau. Nous avons parlé pendant un bon moment. D'une certaine manière, c'est comme si nous nous passions mutuellement en entrevue. Tout au long de son mandat de ministre, nous avons maintenu une relation étroite et communiqué fréquemment et régulièrement. Une fin de semaine sur deux, il rentrait chez lui à Calgary. Avant son embarquement du dimanche à 16 h, pour son retour à Ottawa, je lui envoyais un message de trois ou quatre pages de mon BlackBerry. Cette note lui fournissait une mise à jour sur toutes les grandes questions, ciblait les domaines où; une décision était requise, signalait les principaux développements qui se produiraient au cours des deux semaines suivantes et donnait un aperçu général des nominations, des réunions clés et des nouveaux cadres. Il lisait ce message pendant le vol et fournissait une réponse le dimanche lorsque l'avion atterrissait. Nous avions toujours nos réunions hebdomadaires entre ministre et sous-ministre avec le personnel et les hauts fonctionnaires, mais il y avait rarement des surprises lors de ces réunions.

Nous avions le type de relation qui nous permettait d'avoir des conversations personnelles. Par exemple, un jour, nous avons parlé des responsabilités de chacun et de qui faisait quoi. Je lui ai dit que je pensais qu'il ferait un excellent sous-ministre de l'Industrie compte tenu de ses compétences et de ses qualités personnelles, mais que, malheureusement, le poste n'était pas vacant et que je n'avais pas l'intention de partir dans l'immédiat. Je lui ai aussi rappelé qu'en tant qu'avocat, il avait été formé pour fouiller chaque dossier et maîtriser chaque détail. En tant que ministre, cette approche se ferait au détriment du fait qu'il deviendrait le gardien de la forêt d'Industrie Canada. J'ai poursuivi l'analogie en notant que, s'il passait beaucoup de temps sur la feuille d'une branche d'un arbre, il n'aurait plus beaucoup de temps pour se préoccuper de toute la forêt. Je me suis engagé à lui fournir tous les renseignements qu'il voulait sur le dossier de son choix, mais j'ai fait valoir l'importance de ses responsabilités en tant que gardien de toute la forêt.

À une autre occasion, le ministre Prentice et moi étions à La Nouvelle-Orléans. Il participait au Sommet des leaders nord-américains entre le président Bush, le premier ministre Harper et le président Calderon. La réunion des dirigeants, avec leurs ministres des Affaires économiques, était prévue pour le mercredi matin. Le mardi après-midi, le ministre a demandé à me voir. Il avait reçu un courriel. Sa fille, qui habitait Chicago, venait d'être emmenée à l'hôpital. Sa colocataire a dit que son état était satisfaisant et que les examens avaient commencé. Jim voulait discuter pour savoir s'il devait rester pour la réunion des dirigeants ou aller à Chicago. Il a quitté La Nouvelle-Orléans plus tard dans l'après-midi.

Jim Prentice était un ministre avec qui et pour qui il était très agréable de travailler. Un peu comme Marc Lalonde, il lisait toujours ses documents avant une réunion et était prêt à travailler sur les questions stratégiques. Il avait un délai d'exécution prévisible pour les documents qui arrivaient sur son bureau aux fins de décision. Il aimait vraiment rencontrer des intervenants de tous les différents secteurs et en apprendre davantage sur leurs défis commerciaux. Son personnel était exigeant, mais jamais impoli. Il savait exprimer sa déception lorsqu'il estimait que le ministère avait produit des résultats décevants ou que son personnel politique en avait échappé une. Il maintenait des relations professionnelles avec le cabinet du premier ministre, demandant des conseils au besoin, mais ne renonçant jamais à sa prérogative ministérielle. Il établissait, avec ses collègues du ministère, une relation de confiance qui faisait de lui un président efficace du comité des opérations du cabinet. Il comprenait l'utilité d'avoir trois autres sous-ministres adjoints à Industrie Canada et réussissait à faire pression sur ses collègues du Conseil du Trésor. Il consacrait beaucoup de temps à ses discours. Il croyait que les paroles précises d'un ministre de la Couronne étaient importantes. Enfin, il se souciait de l'intérêt public.

Le 4 novembre 2008, j'ai invité le ministre Prentice, son épouse et Paul Boothe, le sous‑ministre délégué à Industrie Canada, à souper chez moi pour regarder les résultats des élections américaines. Nous avons regardé la télévision jusqu'à ce que le président élu Obama ait terminé son discours de victoire à Grant Park, à Chicago. Pour le ministre Prentice, ce fut une soirée difficile. Le 30 octobre, M. Prentice avait été assermenté à titre de ministre de l'Environnement. Il était déçu et triste de quitter le portefeuille d'Industrie Canada en ce moment critique. De mauvaises choses arrivent aux bonnes personnes. Pour ma part, j'ai appris à quoi ressemblait le fait d'avoir un grand ministre.

J'ai acquis des connaissances importantes sur les cabinets ministériels au cours de cette période. Compte tenu des nombreux ministres et ministres d'État qui ont fourni des conseils ministériels pendant mon mandat de sous-ministre, j'ai eu l'occasion de rencontrer bon nombre des membres de leur personnel. Nombre d'entre eux, comme Steve Kelly, au cabinet du ministre Prentice, et Rob Taylor, au cabinet de la ministre Ablonczy ont été d'excellents collaborateurs. La majorité d'entre eux étaient corrects. Cependant, quelques-uns avaient une idée erronée de leur rôle et de la manière dont ils devaient s'en acquitter. Par exemple, une personne faisait preuve d'un comportement grossier et insultant. Il a reçu des avertissements répétés que ce comportement ne serait pas toléré. J'ai fini par l'« asseoir sur le banc » parce qu'il ne changeait pas. J'ai informé le chef de cabinet que j'avais ordonné à tous les cadres du ministère de ne pas répondre aux courriels ou aux appels téléphoniques de cette personne pendant deux semaines. Si son comportement ne s'améliorait pas, une nouvelle suspension serait appliquée. J'ai offert de discuter de cette question avec le chef de cabinet ou le ministre s'ils le voulaient, mais ils ne se sont pas prévalus de l'occasion.

Dans un autre cas, un chef de cabinet insistait beaucoup pour que le ministère s'engage dans une certaine voie, mais les fonctionnaires s'inquiétaient, à juste titre, de la pertinence de cette démarche. Des arguments raisonnables et convaincants n'avaient aucune incidence sur le chef de cabinet. Je lui ai finalement écrit pour lui dire que j'étais prêt à aller de l'avant, mais à deux conditions. Tout d'abord, je voulais une note de sa part m'indiquant que le ministre voulait explicitement que cette voie soit prise. Deuxièmement, je voulais qu'il accepte de comparaître comme témoin à la prochaine commission parlementaire d'expliquer à toutes les parties concernées pourquoi le ministre avait choisi cette voie, puisque je ne pourrais pas lui rendre justice. Je n'ai jamais eu de réponse de sa part et personne ne s'est engagé sur cette voie.

Les hauts fonctionnaires doivent travailler de manière coopérative et professionnelle avec les membres du personnel ministériel. La réalité d'un cabinet ministériel très présent, et parfois omniprésent, ne va pas changer de sitôt. Il est parfois nécessaire de réagir avec force si l'éthique ou un milieu de travail sain est menacé.

Dans le cas de deux emplois précédents, j'ai dû m'occuper de la relation entre des ministres et des ministres d'État. À Industrie Canada, c'était la première fois que je le faisais en tant que sous-ministre. En général, la relation fonctionnait. Dans quelques circonstances, cependant, elle fonctionnait mal.

À une occasion, le ministre d'État m'a demandé si j'étais « dans son équipe ou dans l'équipe de l'autre ministre? » Sentant rapidement que ma réponse, si elle se limitait à ces deux options, créerait une certaine tristesse quelque part, j'ai proposé une troisième option : « Je fais partie de l'équipe du premier ministre. C'est pourquoi les sous-ministres sont nommés par le premier ministre. » Cette réponse rapide m'a permis ensuite de m'en aller.

À une autre occasion, le ministre avait explicitement délégué l'administration d'un programme au ministre d'État. Une semaine plus tard, le ministre avait changé d'avis et me demandait de dire au ministre d'État qu'il ne dirigerait plus le programme. Ce virage à cent quatre-vingts degrés a nécessité de nombreuses réunions avec les deux chefs de cabinet. À la fin, il a été convenu que le programme serait dirigé conjointement par les deux ministres, chaque ministre étant responsable de cinq provinces. La fonction publique appuierait les deux ministres et assurerait l'uniformité du programme.

La question de la responsabilité a refait surface lorsque la question des compressions était au programme. Dans ce cas-ci, le ministre était tout à fait favorable à ce que ce soit le ministre d'État qui assume l'entière responsabilité de toute compression dans son secteur. Le concept de supériorité du ministre faisait maintenant partie d'un passé oublié.

Enfin, j'ai appris qu'il était utile d'établir les responsabilités ministérielles dès que les ministres d'État sont nommés. Les sentiments de camaraderie sont toujours très forts immédiatement après l'assermentation. Cela dit, les plans les mieux conçus sont toujours sujets aux aléas des circonstances.

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Chapitre 16 : Gouvernement de l'Alberta, 2014-2016

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Au cours des dix-huit mois qui ont suivi mon départ d'Industrie Canada, j'ai été recruté pour siéger à quelques conseils d'administration, j'ai fait du conseil stratégique et j'ai élaboré un programme de perfectionnement à l'intention des sous-ministres adjoints avec mon ancien collègue Paul Boothe.

Ma femme Carole et moi avons aussi beaucoup voyagé. Nous avons passé dix jours sur la côte amalfitaine, nous avons joué au golf en Écosse, nous avons visité des sites de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, nous avons survolé Napa à bord d'une montgolfière, et nous sommes allés à Paris à quelques reprises.

À la fin de juillet 2014, j'ai reçu un appel de Jim Prentice. Après quelques mises à jour mutuelles cordiales, il est allé droit au but : « Je vais gagner cette affaire [la course à la chefferie du Parti progressiste-conservateur au pouvoir en Alberta, et donc le poste de premier ministre], et j'aimerais que tu envisages de devenir mon greffier, le sous-ministre du premier ministre de l'Alberta. »

Cet appel a été suivi de plusieurs autres échanges au cours du mois d'août. Au début de septembre, je lui ai envoyé une note déclinant l'invitation. Plus tard, ce jour-là, je me suis envolé pour London, en Ontario, pour lancer, avec Paul Boothe, un programme d'une semaine à l'Ivey Business School sur le leadership pour les cadres, programme destiné aux sous-ministres adjoints. Paul avait quitté son poste de sous-ministre de l'Environnement pour se joindre au corps professoral de l'Ivey Business School en tant que professeur et directeur du Lawrence National Centre for Policy and Management. Ce serait le premier jour de ce nouveau programme.

Pendant le vol, j'ai commencé à avoir des doutes. Au moment où; j'ai atterri, j'avais changé d'avis. J'avais deux appels téléphoniques à faire. Le premier s'adressait à Carole. Comme toujours, elle m'a beaucoup soutenu. Le deuxième était destiné à M. Prentice pour lui indiquer que j'avais changé d'avis et que je désirais accepter son offre. Sa seule demande était que je reste en poste pendant dix-huit mois, c'est-à-dire jusqu'au printemps 2016, moment où; les prochaines élections devaient avoir lieu.

Ma seule demande était que, avant de commencer officiellement le 14 octobre, lui, son chef de cabinet Mike Percy et moi tenions une séance de discussion ouverte avec tous les cadres supérieurs du gouvernement de l'Alberta. Le but de cette séance était que M. Prentice communique publiquement aux dirigeants de la fonction publique son point de vue sur la relation entre le monde politique et le monde bureaucratique. Il a expliqué qu'il appréciait les fonctionnaires, qu'il leur faisait confiance et qu'il maintiendrait un décorum approprié – apparemment, l'administration précédente avait été marquée par beaucoup de cris. J'ai pris brièvement la parole par la suite, et dit que je pensais que tous mes emplois de direction précédents m'avaient, à bien des égards, préparé pour ce prochain emploi. Quelques semaines plus tard, je marchais de mon condo nouvellement loué à mon nouveau bureau, le 305, à l'Assemblée législative de l'Alberta. Il était situé en face du bureau du premier ministre. C'était bien que son bureau soit proche du mien parce que c'est la seule personne que je connaissais au gouvernement de l'Alberta.

Je n'ai pas souvent vu le premier ministre au cours des deux semaines suivantes, car il était occupé à faire campagne dans la circonscription de Calgary-Foothills pour obtenir un siège à l'Assemblée législative. Il a remporté ce siège le 28 octobre, tout comme les candidats progressistes-conservateurs dans trois autres circonscriptions où; avaient lieu des élections partielles. On ne s'attendait pas à un balayage : M. Prentice avait assurément le vent dans les voiles. Un mois plus tard, Kelly Towle, une députée du Wildrose Party, traversait le parquet pour se joindre au caucus progressiste-conservateur. C'était un signe précurseur.

Mes priorités

Ma première tâche a été d'apprendre à connaître les sous-ministres et les sous-ministres adjoints. La deuxième consistait à maîtriser les processus décisionnels du gouvernement de l'Alberta. La troisième consistait à me concentrer sur les priorités de M. Prentice et à établir des processus pour les accomplir.

Sous-ministres

Ma première impression générale était que la haute fonction publique avait été fustigée et meurtrie au cours des années précédentes. Elle était naturellement hésitante au sujet d'un nouveau régime. Je la comparerais à une tortue. La plupart du temps, les membres et la tête sont cachés sous la carapace. Il y a peu de mouvement possible, mais c'est un espace où; on se sent en sécurité, car la carapace est assez robuste.

La deuxième observation était l'inexpérience de l'équipe. Le mandat moyen des sous‑ministres était de moins de trois ans, plutôt que de six ans en 2009. Les cinq sous-ministres ayant servi le plus longtemps en 2014 avaient une moyenne de huit ans comme sous‑ministre; en 2009, la moyenne était de douze ans. Un tiers des sous-ministres avaient moins d'un an d'expérience à cet échelon.

Cette situation était due à plusieurs facteurs interreliés. Le roulement politique au niveau ministériel s'est traduit par la pratique des ministres d'amener leurs adjoints avec eux lorsqu'ils changeaient d'emploi. Parmi les autres facteurs figuraient le cycle normal de la retraite lié à l'âge, l'attrait des possibilités dans le secteur privé et les conditions de travail désagréables. Les postes vacants de sous-ministres de l'Éducation, de Service Alberta et du Tourisme étaient symptomatiques d'un problème plus profond de gestion des talents.

Le chef de la Commission de la fonction publique voulait que ces emplois soient annoncés dans le Globe and Mail. J'ai refusé la possibilité de trouver des sous-ministres au moyen de petites annonces. De plus, je n'aimais pas l'idée d'annoncer un poste sans ressources alors que je commençais mes nouvelles fonctions. Cette approche témoignait du mauvais état de la planification de la relève en Alberta. Après seulement une semaine de travail, j'ai été informé par le sous-ministre de la Santé par intérim qu'il voulait quitter son poste à la fin de la semaine. J'avais maintenant quatre postes vacants, ce qui représentait 20 % de l'ensemble des sous‑ministres. Les quatre ministères représentaient plus de 65 % des dépenses du gouvernement de l'Alberta.

Pour apprendre à connaître les sous-ministres, j'ai organisé des rencontres individuelles avec eux dans les bureaux de leur ministère, puis j'ai rencontré leurs équipes de direction. Cette approche m'a également permis de connaître les sous-ministres adjoints. La première impression est toujours la bonne, alors j'ai pris des notes.

Enfin, j'ai été informé du travail des comités d'orientation des sous-ministres, qui étaient des comités parallèles aux comités politiques. Je me suis dit que le concept se situait quelque part entre étrange et inutile. J'avais cette perception en raison de l'inexpérience de l'équipe et de la difficulté de bien saisir la portée de ces comités. Je les ai supprimés. À leur place, j'ai instauré une réunion hebdomadaire des sous-ministres qui fournissait une bonne plateforme pour discuter des questions horizontales et des priorités gouvernementales avec les sous-ministres, et pour entendre ce qu'ils faisaient.

Sous-ministres adjoints

Il y avait environ 125 sous-ministres adjoints au gouvernement de l'Alberta. Quarante pour cent étaient en poste depuis moins d'un an, une conséquence du roulement des sous‑ministres et des conditions de travail difficiles.

J'ai pris quelques décisions hâtives. Premièrement, j'ai commencé à rencontrer une fois par semaine trois ou quatre sous-ministres adjoints de différents ministères pour avoir une idée du moral au sein du gouvernement de l'Alberta, de leurs ambitions professionnelles, de leurs points de vue sur les processus décisionnels et du rôle du Conseil exécutif. Ces réunions m'ont également aidé à développer ma propre banque de données sur la gestion des talents, puisqu'il n'en existait pas.

Deuxièmement, j'ai établi un programme de formation d'une journée pour tous les sous‑ministres adjoints nommés au cours des deux années précédentes. Les instructeurs étaient des sous-ministres qui excellaient dans des aspects précis. Par exemple, l'un d'eux avait un module de quatre-vingt-dix minutes sur les relations avec les cabinets des ministres. Un autre avait un module de soixante minutes sur la gestion des organismes indépendants. Un autre traitait du budget et du cadre financier. Le but de cette formation était d'accroître la probabilité que tous les sous-ministres adjoints comprennent leurs principales responsabilités. Nous terminions chaque séance de formation avec un vin (que je payais) et fromage (payé par le gouvernement), où; tous les sous-ministres adjoints se mêlaient aux sous-ministres instructeurs. C'était également une bonne occasion d'ajouter aux données à la banque de talents.

Troisièmement, chaque mois, les sous-ministres adjoints prenaient part à un déjeuner, très couru. J'ai laissé entendre que je serais heureux d'avoir l'occasion de les rencontrer à cette occasion. Étant donné que la première réunion s'est plutôt bien déroulée, il a été convenu que je reviendrais au moins tous les deux mois. Cela s'est avéré une tribune inestimable pour répondre aux questions des sous-ministres adjoints et pour qu'ils entendent parler de moi. Cette tribune a également contribué à démystifier la prise de décision et les processus.

Les priorités du premier ministre

La toute première priorité du premier ministre qui venait de sortir de sa campagne à la chefferie fut les droits de propriété. Il en avait très clairement entendu parler dans les circonscriptions rurales. Il voulait que ce soit son projet de loi 1. Le défi était qu'aucun projet de loi n'irait assez loin pour satisfaire les défenseurs des droits de propriété. D'un autre côté, tout projet de loi qui enchâssait dans la loi des droits de propriété considérables allait être très controversé et perturbateur. Il y avait, en Alberta, une certaine tendance libertaire qui concluait que toute forme d'engagement ou de surveillance du gouvernement était une atteinte aux droits de propriété. Par exemple, la législation sur la santé et la sécurité ne s'appliquait pas aux fermes ni aux ranchs, et les agents de santé et de sécurité n'avaient pas compétence pour enquêter sur les blessures se produisant dans ces endroits. Une certaine forme du projet de loi 1 a finalement été adoptée par l'Assemblée législative en décembre 2014.

La deuxième priorité de M. Prentice était d'acheminer le pétrole jusqu'à la côte. Il reconnaissait que la géographie enclavée de l'Alberta signifiait qu'elle avait besoin de pipelines. Pour atteindre cet objectif, il s'est rendu dans l'Est pour rencontrer le premier ministre Couillard, à Québec, puis le premier ministre Wynne, à Toronto. Tous deux se sont entendus sur les avantages du pipeline, sous réserve évidemment que les préoccupations provinciales soient dûment prises en considération.

Sa troisième priorité était la réconciliation avec les Premières Nations signataires des Traités nos 6, 7 et 8. À cette fin, il s'était nommé ministre des Affaires autochtones et avait passé beaucoup de temps à rencontrer les dirigeants des Premières Nations.

Sa quatrième priorité était d'améliorer le rendement environnemental du secteur pétrolier et gazier. Il a souvent mentionné que son moment le plus horrible comme ministre du Cabinet fédéral a été lorsqu'il était ministre de l'Environnement et qu'il dirigeait la délégation canadienne à la COP à Copenhague en 2009. On lui a crié dessus, on l'a insulté, on l'a critiqué et on l'a humilié. Certains membres du secteur ont fait valoir que le gouvernement de l'Alberta et l'industrie devaient améliorer leur communication. L'hypothèse était que l'industrie ne faisait pas passer son message. Mais le premier ministre était convaincu, d'après son expérience à Copenhague et sa compréhension des défis de politique publique liés aux changements climatiques, qu'il faudrait en faire davantage si l'Alberta voulait trouver des clients fidèles pour son pétrole. Il ne s'agissait pas seulement d'une question de communication. Pour ces questions et d'autres questions connexes, un plan global était en cours d'élaboration en vue de sa mise en œuvre au cours des quinze mois suivants.

Les réalités de la gouvernance

Toutefois, comme c'est souvent le cas, ces priorités ont été influencées par trois événements inattendus et imprévisibles.

Le premier événement à faire surface a été la question de l'établissement d'alliances gais‑hétéros dans les écoles secondaires. Dans des circonstances normales, cette affaire, bien que délicate, aurait pu être gérée. La question s'est plutôt envenimée, en partie parce que le premier ministre avait donné sa parole à son ministre de l'Éducation nouvellement élu qu'il n'aurait pas à s'occuper de ce dossier. Le premier ministre a donc pris sur lui d'être le chef gouvernemental du dossier. Il était très préoccupé par cette question, compte tenu des positions antérieures qu'il avait prises en tant que politicien fédéral. Par exemple, il avait été l'un des rares députés du Parti conservateur à voter pour le mariage entre personnes de même sexe. C'était une question importante, en particulier pour les jeunes qui essayaient courageusement de comprendre leur orientation sexuelle. En fin de compte, la question a été réglée, mais elle a consommé une énorme quantité de ce bien précieux qu'on appelle le temps du premier ministre.

Le deuxième événement imprévu a été le début d'une baisse quotidienne du prix du pétrole. Compte tenu de la dépendance de la province aux revenus tirés des redevances et de la santé du secteur pétrolier et gazier, la baisse créait un trou de plus en plus important dans le cadre financier. Le trou ne semblait pas avoir de fond, ce qui a fait de la planification budgétaire un véritable cauchemar.

Le troisième événement inattendu a été quand Danielle Smith, cheffe du Wildrose Party, a traversé le parquet avec huit autres membres de son caucus pour se joindre au gouvernement progressiste-conservateur. Selon les médias, Mme Smith faisait face à des défis internes au sein de son parti. Ces défis s'étaient accentués lorsque les progressistes-conservateurs ont balayé les quatre élections partielles. La rapidité avec laquelle elle a pris sa décision a contribué à rendre les circonstances quelque peu chaotiques au moment de l'annonce conjointe. À première vue, il s'agissait d'un autre gain définitif pour M. Prentice. Mais ce changement est également venu jeter les bases de sa défaite aux élections provinciales qui allaient suivre. Cet événement a, lui aussi, consommé beaucoup d'oxygène politique et le temps du premier ministre.

Budget de 2015

À l'hiver 2015, le ministre des Finances m'a approché, alors que nous travaillions avec diligence à la préparation du budget. Il a suggéré que le gouvernement proroge l'Assemblée, qu'il y ait un nouveau discours du Trône, puis qu'il déclenche des élections sans déposer de budget. Il était d'avis que la volatilité des prix du pétrole rendait presque impossible un processus budgétaire déjà difficile. Comme il a été mentionné précédemment, personne ne savait quand les prix du pétrole atteindraient le fond. Il a également mentionné qu'il serait difficile de parvenir à un consensus sur les dépenses à réduire et les recettes à augmenter. Il a soutenu que le gouvernement s'en sortirait mieux s'il faisait campagne sur la base d'un discours du Trône plutôt que d'un budget détaillé.

En fin de compte, le gouvernement a décidé d'aller de l'avant avec un budget qui augmentait certains impôts et frais, réduisait certaines dépenses, effaçait l'excédent et prévoyait un déficit. Le budget s'est avéré être une énorme piñata pour la droite politique, qui a défié le gouvernement sur la nécessité d'impôts supplémentaires, et la gauche politique, qui a accusé le gouvernement d'abandonner l'intérêt public. C'était un budget fortement impopulaire.

Élections de 2015

Les élections de 2015 allaient être très différentes des élections de 2004. Le nombre d'électeurs admissibles avait augmenté de 60 %, passant de 890 000 à 1 500 000. L'Alberta a beaucoup changé au cours des dix dernières années.

Quelques jours avant la publication du décret de convocation des électeurs, le premier ministre a alerté certains ministres sur le fait que des sondages d'opinion seraient publiés dans les prochains jours. Ils n'allaient pas être favorables, mais il avait bon espoir que le gouvernement l'emporterait le jour des élections. Il a rappelé à tous les ministres qu'à partir de ce moment-là, le gouvernement passait en mode intérimaire. Son chef de cabinet avait envoyé une note de service à tous les chefs de cabinets ministériels pour leur expliquer le concept. J'avais fait la même chose avec tous les sous-ministres. Le message était clair : si les ministres voulaient faire quelque chose de substantiel avec leurs fonctionnaires et leur ministère, ils devaient d'abord m'en faire part.

Le premier ministre et moi avons discuté de ses priorités et de ses plans au lendemain des élections. Il avait plusieurs propositions très précises sur lesquelles il voulait que je travaille pendant la campagne électorale. Compte tenu de son optimisme quant à la façon dont la campagne allait se dérouler, je n'étais pas à l'aise de lui demander s'il était d'accord pour que je m'engage avec les partis d'opposition dans le contexte d'une éventuelle transition. J'ai préféré passer mon tour et ne pas soulever cette question délicate. C'était une erreur de ma part.

Le lendemain de la publication du décret de convocation des électeurs, j'ai rencontré les sous-ministres pour discuter du travail préparatoire qui devrait être fait pendant la campagne électorale qui serait plutôt brève. Une tâche importante consistait à préparer les cahiers de transition habituels selon un calendrier de trente, soixante et quatre-vingt-dix jours. Ces cahiers comprenaient les principales décisions en matière de politiques et de programmes, les nominations, et les activités et les événements importants à venir. La fonction publique excellait dans ce domaine, compte tenu des multiples changements qui avaient eu lieu au cours des dix dernières années. J'ai chargé quatre sous-ministres d'examiner les plateformes des quatre partis et d'élaborer des plans de mise en œuvre pour chacun d'eux. En outre, j'ai demandé que soient ciblées les décisions opérationnelles importantes qui ne pouvaient attendre la fin des élections.

J'ai demandé à Marcia Nelson, une députée de confiance et très compétente, de communiquer avec les partisans de la politique du NPD, étant donné l'avance de ce parti dans les sondages. L'objectif était d'avoir une idée de leurs priorités.

Quelques semaines après le début de la campagne électorale, certaines tendances se dessinaient. À la surprise de la plupart des observateurs, le NPD continuait de mener dans les sondages. La possibilité d'un tout premier gouvernement minoritaire ou de coalition était réelle.

Cette évolution de la situation m'a amené à demander conseil à divers universitaires concernant la poursuite du modèle intérimaire jusqu'à ce que le gouvernement ait obtenu la confiance de l'Assemblée législative. J'ai contacté d'anciens collègues et associés de confiance qui avaient des liens crédibles avec les principales équipes de campagne. J'ai expliqué que je n'avais pas obtenu la permission du premier ministre de communiquer avec les campagnes de l'opposition. Toutefois, je serais réceptif à l'idée de répondre aux appels de représentants des partis d'opposition s'ils voulaient avoir une idée de la façon dont les ministères se préparaient à un nouveau gouvernement. C'était un peu délicat, mais je sentais que je devais être responsable, surtout à la lumière des sondages.

Dix jours avant les élections, j'ai reçu un appel de Brian Topp, président de la transition pour le NPD. Dès le début, j'ai établi les paramètres de notre entretien, c'est-à-dire qu'il n'y aurait pas de discussion sur les activités du gouvernement et qu'il n'y aurait pas de divulgation de données ou de renseignements confidentiels du gouvernement. Ayant déjà travaillé comme chef de cabinet adjoint du premier ministre de la Saskatchewan, Brian comprenait ces paramètres et les a acceptés. Notre discussion a porté sur les activités menées par la fonction publique en vue de l'élection éventuelle du premier gouvernement non progressiste-conservateur en quarante‑quatre ans. Notre deuxième conversation, une semaine plus tard, consistait en une revue générale du document de la plateforme du NPD. J'ai profité de l'occasion pour me faire une idée de son sens des priorités et pour signaler que les hypothèses de recettes s'effondraient. Les hausses d'impôts que le parti proposait ne rapporteraient pas le dividende budgétaire prévu. La raison en était que les chiffres de recettes du NPD étaient annualisés et que les augmentations d'impôts nécessitaient des modifications législatives. Cela signifiait, au mieux, qu'ils obtiendraient 75 % des augmentations proposées de l'impôt aux sociétés et 50 % des augmentations de l'impôt sur le revenu des particuliers. Le dividende budgétaire réel serait également inférieur aux prévisions compte tenu de la baisse de l'activité économique.

Notre troisième appel eut lieu le 5 mai, soit le soir des élections. Il avait téléphoné quelques minutes après que la CBC avait prévu que le NPD formerait un gouvernement majoritaire. Le NPD avait remporté cinquante-quatre sièges, soit cinquante de plus que les quatre qu'il occupait précédemment. Ce résultat était similaire à la victoire de Peter Lougheed en 1971, lorsque le Parti progressiste-conservateur était passé de dix à quarante-neuf sièges. Lors de ces élections, le NPD avait élu un député, Grant Notley.

Contrairement aux hypothèses du cabinet du premier ministre Prentice, le Wildrose Party n'était pas mort. Il a remporté 21 sièges, une augmentation de cinq. Les progressistes‑conservateurs n'ont remporté que neuf sièges, soit une diminution de 61. Rachel Notley deviendrait la sixième première ministre de l'Alberta avec laquelle le premier ministre Harper traiterait. Après un bref échange, Brian Topp a passé le combiné à Rachel Notley, la première ministre élue. C'était ma toute première conversation avec elle.

Le samedi et le dimanche précédant les élections, j'avais convoqué une réunion de tous les sous-ministres pour examiner les documents de transition. Nous avons passé beaucoup de temps à examiner la plateforme du NPD en nous appuyant sur le travail du sous-ministre qui avait été chargé de l'analyser. Ce travail s'est avéré inestimable pour ma première rencontre avec la première ministre élue le 6 mai.

Quelques jours après les élections, j'ai téléphoné à M. Prentice et j'ai eu une conversation délicate et difficile. Nous avons discuté de ses plans futurs et de certaines dates potentielles de passation des pouvoirs. Au cours de la conversation, je l'ai invité à avoir une dernière réunion avec les sous-ministres. Il a gracieusement accepté.

Je suis resté occasionnellement en contact avec M. Prentice au cours des années suivantes. Comme je l'ai écrit après son tragique accident d'octobre 2018, il était revenu dans la fonction publique en 2014 pour changer les choses. Il avait quitté une carrière fructueuse et lucrative à la CIBC pour promouvoir l'intérêt public. Nous avions soupé ensemble à Calgary le mois précédant son accident. Il n'avait jamais été en aussi bonne forme physique de sa vie. Il venait d'apporter ses costumes chez le tailleur pour les faire retoucher. Il aimait être grand-père et attendait avec impatience les voyages qu'il planifiait avec sa femme, Karen. Il était également en accord et très à l'aise avec la politique sur les changements climatiques que la première ministre Notley avait élaborée. La vie dans le monde politique est très imprévisible. Parfois, c'est gratifiant; à d'autres moments, c'est écrasant. Mais Jim Prentice a toujours cru en la capacité de l'État à faire le bien.

La transition de Notley

Lorsqu'un nouveau gouvernement entre en fonction, il y a, à mon avis, trois phases de transition. La phase 1 va du jour des élections à l'assermentation du Cabinet. La phase 2 va du jour de l'assermentation au discours du Trône et à la reprise de l'Assemblée législative. La phase 3 va du discours du Trône au premier budget de l'exercice complet. Voici comment s'est déroulée la transition vers le gouvernement Notley.

Phase 1 : du 6 au 25 mai 2015

Pendant les dix-neuf premiers jours de la transition, j'ai rencontré la première ministre élue presque chaque jour ouvrable. Étant donné que j'avais été recruté personnellement par M. Prentice, il y avait beaucoup de spéculations selon lesquelles mon mandat de fonctionnaire au sein du gouvernement de l'Alberta touchait à sa fin. Cette affaire a été rapidement mise au clair. Le 11 mai, Brian Topp, qui avait été désigné comme nouveau chef de cabinet, m'a demandé comment je réagirais si, hypothétiquement, on me demandait de continuer d'être sous-ministre du conseil exécutif. J'ai répondu qu'il s'agirait d'un privilège et que je m'en réjouirais. Le 12 mai, la première ministre élue m'a officiellement posé la même question, et j'ai accepté. Le communiqué de presse annonçant la poursuite de mes fonctions a été publié dans l'après-midi. Il va sans dire que l'annonce a fait de ma réunion quotidienne suivante avec les sous-ministres une séance plus agréable et productive.

Quelques mois plus tard, Brian m'a indiqué qu'il avait vérifié mon parcours auprès de personnes d'Ottawa, de Toronto et d'Edmonton. L'une de mes « références » était Ruth Grier, ancienne ministre de l'Environnement de l'Ontario et toute première ministre pour laquelle j'avais travaillé comme sous-ministre. C'était il y a plus de vingt-cinq ans. Heureusement, elle avait dit de bonnes choses à mon sujet et croyait qu'on pouvait me faire confiance pour soutenir le gouvernement.

L'objectif premier de la première période de transition est de permettre à un chef nouvellement élu de se familiariser avec les instruments gouvernementaux qui seront à sa disposition et de se préparer à gouverner. Pour la fonction publique, c'est d'abord et avant tout une occasion de gagner sa confiance. Ma première remarque à la première ministre élue, après les félicitations officielles, fut quelque chose du genre : « Comment puis-je vous aider à mettre en œuvre la plateforme pour laquelle vous venez d'être élue? »

Pour ma première réunion, j'ai apporté une demi-douzaine d'iPad qui contenaient les « cahiers de transition » de tous les ministères, y compris du Conseil exécutif, ainsi que ma copie écornée de son document de plateforme et une note de service de cinq pages. La note de service comprenait une proposition de calendrier de séances d'information pour les trois semaines à venir, les décisions qui devaient être prises à court terme, des commentaires sur la taille du cabinet, un aperçu du nombre de nominations gouvernementales et du processus les entourant, des dates possibles pour l'assermentation des ministres et le retour des députés à l'Assemblée législative, un examen du processus décisionnel du cabinet, des options pour des changements à l'appareil gouvernemental et un profil de tous les sous-ministres. La note traitait également des événements majeurs à venir, y compris la réunion annuelle des premiers ministres à Terre-Neuve-et-Labrador et le Stampede de Calgary, en juillet, et la COP à Paris, en décembre. Enfin, elle proposait les ordres du jour pour les deux premières réunions du conseil des ministres à Edmonton et à Calgary. La substance de ces ordres du jour était tirée du document de la plateforme du NPD – par exemple, la prolongation de la période au cours de laquelle les conseils scolaires devaient soumettre leurs budgets, ce qui en échange permettrait au gouvernement de modifier son cadre financier.

La raison d'être de ces premières réunions était d'informer les Albertains que le nouveau gouvernement se mettait au travail rapidement et qu'il le faisait avec compétence. Un objectif secondaire était de familiariser les nouveaux ministres avec la prise de décisions collectives – c'est-à-dire le Conseil des ministres – tout en reconnaissant que le premier ministre est primus inter pares (premier parmi ses pairs).

Tout au long de cette période, j'étais tout à fait conscient du fait que 50 des 54 députés étaient nouveaux à l'Assemblée législative. Aucun d'entre eux n'avait fait partie d'un cabinet et peu d'entre eux avaient occupé des postes de direction. Afin de faciliter la transition des représentants élus vers le statut de ministre, la première ministre élue nous a demandé, à Brian et à moi, de rencontrer confidentiellement tous les ministres avant leur nomination afin d'examiner avec eux leurs portefeuilles et le processus général de l'appareil gouvernemental. La seule feuille de papier que j'ai remise aux ministres sur le point d'être nommés était la lettre emblématique de Gordon Osbaldeston intitulée « Cher ministre ». Cette lettre a résisté à l'épreuve du temps pour établir comment devrait être la relation entre un ministre et un sous-ministre.

L'un des points sur ma liste d'information pour la première ministre élue était celui des sous-ministres. C'était naturellement une question délicate, alors je l'ai programmée vers la fin de la deuxième semaine de transition. Je voulais avoir l'occasion de résoudre des problèmes du nouveau gouvernement avant de m'engager sur cette question de personnel. On a beaucoup parlé de l'élimination par le NPD des nominations des conservateurs à des postes supérieurs dans la fonction publique. Ce type de « ménage » s'était produit dans plusieurs autres gouvernements provinciaux, y compris en Ontario où;, en 1995, le nouveau gouvernement progressiste‑conservateur de Mike Harris avait mis fin aux fonctions de tous les sous-ministres nommés pendant le mandat de Bob Rae en tant que premier ministre, à l'exception de l'un d'entre eux. Mon approche consistait à expliquer à la première ministre élue le profil de chaque sous-ministre, en faisant une pause lorsqu'elle avait des préoccupations ou des commentaires.

En un mot, j'ai recommandé de ne changer personne, pour plusieurs raisons. Les ministres du cabinet étaient novices en matière de gouvernance, et l'équipe existante serait utile pour les soutenir tout au long des six premiers mois du mandat. En réalité, il n'y avait pas beaucoup de personnes susceptibles d'être promues. S'il y avait un problème de compatibilité ou une relation dysfonctionnelle entre un ministre et un sous-ministre, nous pourrions y voir pendant les vacances de Noël.

J'ai fait valoir que le fait de commencer par l'équipe actuelle de sous-ministres réduirait, dans l'ensemble, le risque d'erreurs, et que la continuité était importante. Il y avait eu trop de roulement au sein du gouvernement : au cours des dix dernières années, il y avait eu six premiers ministres, six ministres de l'Énergie et cinq ministres de la Santé. Il y avait eu le même taux de roulement dans les rangs supérieurs de la fonction publique.

Bien que la première ministre élue Notley avait des préoccupations précises et compréhensibles au sujet de quelques personnes, elle a accepté de continuer avec l'équipe existante.

L'appareil gouvernemental

Pour réduire au minimum le risque de dérapage, la seule recommandation que j'ai faite au sujet de l'appareil gouvernemental était de fusionner les Forêts et l'Agriculture. Mon raisonnement était que les deux ministères supervisaient la mise en terre, la croissance et la vente de produits. Le reste du gouvernement de l'Alberta demeurerait tel qu'il était.

Il y a eu une petite modification au processus décisionnel du cabinet. Le Conseil du Trésor ne serait plus un comité autonome du Conseil des ministres. Au lieu de cela, le président de ce comité ferait rapport à l'ensemble du Conseil des ministres, qui aurait le pouvoir décisionnel final. Cette décision a été prise en raison de la méconnaissance qu'avait le Conseil des ministres des processus gouvernementaux. Il était important que tous les ministres soient informés de toutes les décisions financières à venir. Le sous-ministre du Conseil du Trésor et des Finances, Ray Gilmour, était quelque peu surpris par cette modification, mais comprenait son utilité pour que le cabinet fonctionne de façon cohérente.

Le Conseil exécutif (ou Conseil des ministres)

Je n'ai pas participé à la détermination des ministres du Conseil exécutif. Ma seule contribution à l'établissement du Conseil exécutif a été de plaider en faveur d'un petit Conseil dès le départ. Bob Rae m'avait appelé après les élections du 5 mai pour faire une observation personnelle selon laquelle, au cours de la première année de son mandat, 75 % de ses problèmes provenaient des derniers 25 % de ses nominations au Conseil des ministres. J'ai transmis cette observation à Brian et à la première ministre élue. J'ai également ajouté les trois observations suivantes.

Premièrement, à l'époque, il y avait un nombre limité de personnes compétentes qui pouvaient être rapidement recrutées pour doter en personnel à la fois le cabinet de la première ministre et celui des ministres. Le fait d'avoir un Conseil exécutif plus petit réduirait le besoin de recruter. Deuxièmement, un Conseil exécutif de onze ministres, avec six ministres ayant deux portefeuilles, faciliterait la prise de décisions par consensus à la table du Conseil exécutif. Enfin, la première ministre pourrait faire le point sur les forces et les faiblesses des différents députés au cours des neuf à douze mois suivants, puis déterminer qui avait les capacités d'être promu au Conseil exécutif. Le jour de l'assermentation, onze députés ont été nommés à des postes ministériels. Il s'agissait d'une diminution de six par rapport au précédent Conseil exécutif.

Résolution de problèmes réels ou non

Au cours de la période entre l'élection et l'assermentation, seuls un politicien élu et un haut fonctionnaire sont confirmés dans leur travail. Les ministres n'ont pas encore été nommés, et les sous-ministres n'ont pas encore été confirmés.

Cela présente à la fois des avantages et des inconvénients. Une chose est claire : c'est la prérogative des dirigeants élus de définir les priorités. Si la première ministre élue juge qu'une chose est importante, cette chose se retrouve automatiquement au-dessus de la pile. Par exemple, le quatrième jour, la première ministre élue m'a demandé d'enquêter sur une question délicate de conflit d'intérêts potentiel que le commissaire à l'éthique avait portée à son attention. Trier des questions d'éthique avec le commissaire et un futur ministre ne figurait pas dans la description de tâches traditionnelles du sous-ministre du Conseil exécutif. C'était toutefois important pour la première ministre élue. Donc, de concert avec Brian Topp, nous avons résolu la question.

Au cours de cette période, un reportage a indiqué que des fonctionnaires du ministère de l'Environnement avaient été vus en train de déchiqueter des documents. Les médias en ont fait toute une histoire. Il était beaucoup plus facile de pousser un récit selon lequel les conservateurs sortants détruisaient des documents secrets afin que le nouveau gouvernement n'y ait pas accès. L'autre récit – le véridique – soutenait plutôt que le déchiquetage avait lieu chaque mois, ce qui était moins attrayant. Néanmoins, pour éviter toute perception de soutenir une opération de déchiquetage illicite, j'ai interdit le déchiquetage pendant un mois.

La malédiction de la bureaucratie

Un nouveau parti qui n'est plus au pouvoir depuis de nombreuses années – ou, dans ce cas-ci, qui ne l'a jamais été – se méfiera naturellement de la bureaucratie dont il hérite. Le nouveau gouvernement s'inquiétera de la loyauté des responsables qui, deux mois auparavant, travaillaient en étroite collaboration avec ses opposants politiques. Je l'ai vu en 1984, lorsque les progressistes-conservateurs ont remporté les élections fédérales. À l'époque, des rumeurs commençaient à circuler au sujet de listes d'anciens membres du personnel libéraux qui étaient maintenant dans la fonction publique. Je l'ai également vu lorsque je me suis joint à la fonction publique de l'Ontario en 1992. Il y avait encore un certain degré de méfiance deux ans après l'élection.

J'étais déterminé à éviter ce type de situation, qui engendre rapidement des dysfonctionnements et des craintes perpétuelles de sabotage interne en raison de la peur que les fonctionnaires ne soient pas en phase avec les nouvelles orientations. En général, le nouveau gouvernement Notley ne ressentait pas un tel malaise à l'égard de la fonction publique. Cependant, afin de réduire le risque que la perception de déloyauté devienne un problème, j'ai eu une discussion avec la première ministre élue au sujet des bureaucraties. J'avais prédit qu'il y aurait des erreurs embarrassantes au cours des six à neuf premiers mois. J'ai fait valoir que de tels événements se produisent dans toutes les grandes bureaucraties. Ces actes flagrants d'incompétence ou de mauvais jugement ne doivent pas être confondus avec du sabotage ou de la déloyauté. Je suis heureux d'avoir abordé cette « malédiction » au début de son mandat. Il s'agirait d'un bon point de référence pour expliquer l'inexplicable si des erreurs se produisaient, et il y en a eu.

Phase 2 : du 25 mai au 15 juin 2015

Le Conseil des ministres a été assermenté le 25 mai lors d'une cérémonie publique devant l'Assemblée législative de l'Alberta, le Dôme. C'était une belle journée de printemps ensoleillée. Au cours du mois suivant, le Conseil des ministres s'est mis au travail. Les principales décisions comprenaient la préparation et l'approbation du discours du Trône. Brian a préparé la première ébauche et a coordonné le processus aux fins d'approbation. Le gouvernement a ajusté le cadre financier tant pour les recettes que pour les dépenses. Il a décidé de la priorité des signatures, du projet de loi 1, et a commencé l'examen des nominations aux organismes, conseils et commissions.

L'autre décision prise au cours du mois était de ne pas remettre de lettres de mandat aux ministres. Pour des raisons différentes, Brian et moi étions du même avis sur cette question. La situation économique de l'Alberta était particulièrement incertaine. Les dépenses en immobilisations s'étaient élevées à 97 milliards de dollars au cours de l'exercice 2014-2015; il était prévu qu'elles diminueraient à 60 milliards de dollars en 2015-2016. Cette baisse était en grande partie attribuable à l'achèvement de nombreux projets d'exploitation des sables bitumineux. Les revenus en redevances, dont la province dépendait beaucoup pour les dépenses de fonctionnement, étaient de 9 milliards de dollars en 2014-2015. Il était prévu qu'ils diminueraient pour s'établir à 2,5 milliards de dollars en 2015-2016 et à 1,5 milliard de dollars en 2016-2017. La croissance réelle du PIB, cependant, était de 3 % en 2014-2015 et il était envisagé qu'elle passerait à 5 % en 2015-2016. Au début de 2014, l'hypothèse était que la croissance se poursuivrait pour le reste de la décennie à environ 4 %, et que le budget de 2014 entraînerait un excédent de 2,6 milliards de dollars.

Ces hypothèses n'étaient plus valides. Avant de prendre une seule décision, le nouveau gouvernement était déjà confronté à un problème financier de taille. L'économie s'effondrait. Il aurait été très imprudent de prendre des engagements stratégiques dans des lettres de mandat fondées sur des hypothèses d'ordre financier qui changent rapidement. Le gouvernement allait présenter sa déclaration des priorités par l'entremise du discours du Trône et son approche du financement des opérations gouvernementales avec le budget. À l'intérieur de ces deux documents fondamentaux, les ministres pouvaient énoncer et décrire ce qu'ils allaient faire. Ensemble, le discours du Trône et le budget établiraient le cadre stratégique dans lequel les ministres devraient travailler.

De plus, les médias sociaux et les nouvelles diffusées en continu contribuaient à renforcer le pouvoir des organismes centraux aux dépens des ministres. L'envoi de lettres aux ministres, avec une liste de tâches à accomplir, concentrerait davantage le pouvoir entre les mains d'une poignée de personnes au centre. Je pensais que le centre avait assez de pouvoir, et peut-être même qu'il en avait trop.

Enfin, quatre ans, c'est long. Pourquoi couler dans le ciment, par des lettres de mandat, une série de priorités qui pourraient ne plus être pertinentes dans 6 à 18 mois?

Au cours de la période de transition qui a précédé l'assermentation du 25 mai, nous avons présenté plusieurs séances d'information à la première ministre élue sur la détérioration catastrophique du cadre financier. Bien qu'il soit impossible de déterminer précisément où; les indicateurs économiques allaient atterrir, une chose était certaine : ils pointaient tous dans la mauvaise direction.

Dans ce contexte, la première ministre a exprimé une demande inhabituelle. De concert avec le sous-ministre des Finances et du Conseil du Trésor, elle m'a demandé d'informer le caucus de l'évolution du cadre financier. Quoiqu'il ne soit pas courant que les fonctionnaires informent les membres du caucus, j'ai accepté, car nous pensions qu'un haut fonctionnaire présenterait au caucus des arguments convaincants au sujet de la situation financière difficile de la province.

Phase 3 : du 16 juin 2015 au 14 avril 2016

Les semaines situées entre la mi-juin et la mi-avril ont marqué la fin de la période de transition, car le budget de l'exercice complet a été déposé à l'Assemblée législative le 14 avril. À mon avis, le budget s'apparentait à la signature définitive par le gouvernement de documents officiels d'adoption. Il avait pris des décisions sur les recettes et les dépenses. Il était maintenant pleinement responsable des résultats. Le 14 avril a également marqué mon dernier jour en tant que sous-ministre du Conseil exécutif. J'avais donné à M. Prentice un engagement de dix‑huit mois, et j'avais rappelé à la première ministre Notley cette entente lorsqu'elle m'avait réembauché.

Liaison

Les marchés financiers étaient naturellement curieux et quelque peu préoccupés par l'élection d'un gouvernement néo-démocrate en Alberta. De plus, l'industrie pétrolière et gazière ne connaissait pas beaucoup de personnes au sein du nouveau gouvernement. Peu de gens avaient prévu que le quatrième parti deviendrait le premier parti. La plupart des associations de l'industrie n'avaient pas passé beaucoup de temps à rencontrer et à informer Notley lorsqu'elle était cheffe du quatrième parti. Heureusement, je connaissais certains membres principaux du secteur, comme Murray Edwards, qui avait fait partie du Groupe fédéral d'étude sur les politiques en matière de concurrence, mis sur pied en 2007.

Pour répondre aux préoccupations et aux possibles perceptions erronées, la première ministre a décidé en octobre d'entreprendre un voyage à Montréal, à New York et à Toronto pour rencontrer des investisseurs. Avant ce voyage d'une semaine, elle a rencontré un certain nombre de dirigeants financiers. Il s'agissait notamment des chefs de la direction de l'Alberta Treasury Branches (ATB), de l'Alberta Investment Management Corporation (AIMCo) et de l'Alberta Securities Commission (ASC). Ces personnes et d'autres ont donné un excellent aperçu de l'économie de l'Alberta et du rôle important que les investisseurs jouaient.

À Montréal, nous avons rencontré Michael Sabia, président et chef de la direction de la Caisse de dépôt et placement du Québec. Il a donné un solide aperçu du portefeuille de placements de la Caisse en Alberta et a souligné les importantes questions de politiques publiques que son organisation surveillait. À New York, la première ministre a prononcé un discours lors d'un symposium de la RBC sur les marchés financiers, a participé à de nombreuses réunions avec des investisseurs et a été interviewée par Bloomberg News.

Lorsque nous sommes arrivés à Toronto le jeudi suivant, j'ai reçu un appel du PDG d'une grande société pétrolière et gazière. Il avait exprimé certaines préoccupations au sujet du voyage et cerné certains risques. Ayant reçu des commentaires des différentes séances à New York, il téléphonait pour une raison différente. Il avait une liste d'investisseurs importants qu'il voulait que la première ministre rencontre à Toronto. Il a souligné à quel point il était à l'aise avec son discours et voulait que ses investisseurs l'entendent directement de la part de la première ministre. Son appel était un indicateur clair que le voyage avait été un succès.

Politiques clés

D'excellents livres et articles scientifiques ont déjà été écrits sur Rachel Notley et sa gestion de l'intendance de la province entre 2015 et 2019. Par exemple, Notley Nation, de Don Braid, donne un excellent aperçu de son mandat. J'aimerais ici me concentrer sur la politique de son gouvernement en matière de changements climatiques et sur l'examen du régime de redevances de la province en ce qui concerne le secteur pétrolier et gazier.

Changements climatiques

L'élaboration d'une politique sur les changements climatiques a entaché de nombreux gouvernements de l'Alberta. La plateforme du NPD comportait un ensemble d'objectifs généraux et peu précis. Cette question n'était pas une priorité pour la plupart des Albertains lorsque le moment est venu de voter le 5 mai. D'autre part, des échéances externes approchaient à grands pas. Par exemple, la réunion de la COP sur les changements climatiques était prévue à Paris au début de décembre 2015.

Lorsque j'ai examiné la capacité du gouvernement de l'Alberta en matière de politiques dans ce domaine, j'ai constaté qu'elle était modeste. Au fil des ans, les meilleurs et les plus brillants ne se sont pas précipités pour travailler sur le dossier du climat au ministère de l'Environnement. Même avec une nouvelle ministre engagée et intelligente, il n'était pas réaliste de supposer que le ministère pourrait suffisamment remonter la pente pour répondre aux attentes du nouveau gouvernement.

J'ai déterminé qu'il serait dans l'intérêt public d'externaliser l'élaboration des politiques dans ce dossier. Le modèle choisi consistait à mettre sur pied un groupe d'experts externe qui se déplacerait dans toute la province, tiendrait des dizaines de réunions et formulerait des recommandations sur la façon dont l'Alberta pourrait atteindre ses objectifs. Pour diriger ce groupe de travail, j'ai recruté Andrew Leach de l'Université de l'Alberta. Il avait été recommandé par Paul Boothe. Pendant un an, Andrew avait été universitaire en résidence à Environnement Canada pendant que Paul était sous-ministre. Il avait également écrit de nombreux articles réfléchis sur les sables bitumineux pour le magazine Maclean's. Nous avons eu une discussion approfondie sur le projet, et il était très intéressé. Il était hésitant, cependant, compte tenu des répercussions que cela pourrait avoir sur sa carrière universitaire. Les universités ne sont pas connues pour reconnaître le travail des spécialistes. Après quelques appels téléphoniques stratégiques, dont un de la ministre de l'Environnement Shannon Phillips et un autre au doyen de l'École de commerce, Andrew s'est senti capable d'accepter la présidence du Comité consultatif de l'Alberta sur les changements climatiques. Quatre autres membres ont été nommés peu de temps après.

Tout au long de l'été et de l'automne 2015, le comité a rencontré des agriculteurs, des chefs d'entreprise, des universitaires et des environnementalistes. Il a également organisé plusieurs séances d'information. Le rapport que le groupe d'experts a présenté en octobre fournissait le fondement intellectuel de la politique finale du gouvernement.

En parallèle, un groupe de personnes représentant de grandes sociétés pétrolières et gazières et des environnementalistes se réunissaient de manière informelle pour discuter de mesures qui pourraient être prises pour alimenter le processus d'élaboration des politiques. À l'occasion, Brian Topp et moi avons participé à leurs séances de bilan de la fin de semaine. À la fin d'octobre, le groupe a demandé si Brian et moi pouvions nous joindre à eux pendant qu'ils terminaient le dossier. Lorsque le consensus a été atteint sur les points clés, y compris un plafond sur les émissions de gaz à effet de serre, Brian a demandé à tous les participants de signer un tableau synthèse. Il le voulait à des fins historiques, mais aussi pour réduire le risque de retour en arrière. Nous avons ensuite présenté le dossier à la première ministre. Après une discussion sérieuse, elle a accepté de faire de cet accord une partie de la politique du gouvernement de l'Alberta.

Quelques jours plus tard, le 22 octobre, Andrew Leach, Brian Topp et moi-même nous sommes envolés pour Ottawa afin de rencontrer Janice Charette, greffière du Conseil privé, et Gerry Butts, secrétaire principal du premier ministre désigné Justin Trudeau. Au cours d'un souper dans le marché By, nous avons discuté des principaux éléments de la nouvelle politique de l'Alberta sur les changements climatiques. La réponse des deux interlocuteurs fédéraux était très positive. Le plan final fusionnait les propositions consensuelles des groupes de l'industrie et environnementaux avec les propositions qu'Andrew Leach et son comité avaient élaborées.

Le 22 novembre, la première ministre Notley a annoncé le plan que l'Alberta présenterait à la réunion de la COP à Paris. À cette occasion, elle est montée sur scène avec un certain nombre d'intervenants. Parmi eux, il y avait des dirigeants de l'industrie comme Murray Edwards, PDG de CNRL, Brian Ferguson, chef de la direction de Cenovus, et Lorraine Mitchelmore, présidente et dirigeante nationale de Shell Canada, ainsi que des environnementalistes comme Steven Guilbeault, Ed Whittingham et Mike Hudema de Greenpeace. Le grand chef du Traité no 6, Tony Alexis, était également présent. Les commentaires de Murray Edwards sont dignes de mention. Il a déclaré : « Au nom de CNRL, mes collègues de Suncor, Cenovus et Shell, nous félicitons la première ministre Notley de nous avoir donné du pouvoir en matière de politique climatique. Le plan, a-t-il continué, reconnaît la nécessité d'un équilibre entre l'environnement et l'économie. » [traduction] Les autres personnes sur scène ont essentiellement livré un message similaire.

Quatre facteurs clés ont été essentiels à l'établissement de l'accord. Premièrement, il y avait la détermination politique et la conviction du gouvernement d'élaborer un plan exhaustif. Deuxièmement, il y avait un engagement significatif, dans les coulisses, de la part de l'industrie et des environnementalistes pour trouver des accommodements appropriés. Troisièmement, le président du comité consultatif avait été éloquent et réfléchi. Quatrièmement, la fonction publique avait joué le rôle qu'elle devait jouer dans le processus.

L'examen des redevances

Les examens des politiques sur les redevances ont toujours été controversés en Alberta. La dernière, sous la direction du premier ministre Stelmach, a causé bien des soucis à tous les participants. Lorsqu'elle était députée, la première ministre Notley avait présenté un projet de loi d'initiative parlementaire à l'Assemblée législative pour recalibrer le montant que l'industrie pétrolière et gazière devrait payer, ainsi que pour élaborer un nouveau modèle de gouvernance pour l'affectation de ces fonds. Dans les premières semaines de son mandat de première ministre, elle n'a exprimé aucun intérêt à présenter de nouveau son ancien projet de loi d'initiative parlementaire en tant que projet de loi soutenu par le gouvernement. Comme elle l'a dit, un tel projet de loi ne serait pas approprié pour une première ministre. Cela dit, elle souhaitait toujours réformer le régime des redevances.

Comme je ne croyais pas que le ministère des Finances ou le ministère de l'Énergie avaient la capacité d'entreprendre cet examen fondamental des politiques, j'ai discuté avec Brian de l'idée d'un autre groupe d'experts et j'ai suggéré des options pour la présidence. Lui aussi avait quelques noms à proposer. Nous avons convenu de recommander à la première ministre l'actuel président d'ATB, Dave Mowat. Nous avons ensuite travaillé avec Dave et d'autres responsables pour recruter les autres membres du comité. Nous avons recommandé Peter Tertzakian, un économiste très respecté établi à Calgary, Annette Trimbee, ancienne sous-ministre des Finances et du Conseil du Trésor de l'Alberta et maintenant rectrice de l'Université de Winnipeg, et Leona Hanson, mairesse de Beaverlodge, dans le nord de l'Alberta. La première ministre a accepté nos recommandations.

Ce groupe d'experts a rencontré des représentants de l'industrie, des collectivités, des experts en technologie et des leaders de la société civile. Le rapport recommandait une approche axée sur les recettes nettes semblable à celle utilisée pour les cadres entourant les sables bitumineux et la répartition de la production qui étaient courants dans le monde entier. Il recommandait également que les taux avant paiement et les taux après paiement varient en fonction des prix des produits de base. En ce qui concerne les sables bitumineux, le comité ne recommandait aucun changement aux taux ou à la structure des redevances.

Le gouvernement a accepté le rapport du comité, même si le NPD avait fait campagne sur des changements majeurs au régime de redevances. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi, la première ministre a souligné : « Les temps ont changé. Le gouvernement a dû relever des défis économiques auxquels l'industrie était confrontée. La réalité est bien différente de ce qu'elle était dix-huit mois auparavant. » [traduction]

Le groupe d'experts a été couronné de succès pour exactement les mêmes raisons que le Comité consultatif de l'Alberta sur les changements climatiques. La différence était que l'objectif politique, dans ce cas-ci, était de ne pas nuire à un environnement déjà fragile.

Le plan d'immobilisations

Un troisième domaine pour lequel le nouveau gouvernement a demandé l'avis d'experts externes était celui du plan d'immobilisations. David Dodge, ancien gouverneur de la Banque du Canada, a été retenu pour fournir des conseils sur « la taille globale du plan d'immobilisations, la disponibilité de la main-d'œuvre et l'incidence potentielle de l'inflation ». Le gouvernement voulait trouver le juste équilibre entre la prestation de services aux Albertains, la construction d'infrastructures pour la population croissante et le financement du plan dans le climat économique actuel. Le rapport de David a été publié à l'automne 2015, en même temps que le budget provisoire. Il a fourni un cadre stable et responsable aux fins de la mise en œuvre du plan d'immobilisations.

Organismes, conseils et commissions

Comme tous les gouvernements provinciaux, l'Alberta compte un grand nombre d'organismes, de conseils et de commissions. Il y en avait environ 300 lorsque le NPD est arrivé au pouvoir, dont la plus grande société d'État en exploitation au Canada, Alberta Health Services (AHS), avec un budget de 14 milliards de dollars et un effectif de plus de 100 000 employés; AIMCo, le gestionnaire de placements pour les régimes de retraite, les fonds de dotation et les fonds gouvernementaux en Alberta; ATB, la grande institution financière non bancaire de l'Alberta; et l'Alberta Energy Regulator. Il y avait environ 35 autres grandes organisations de tailles et de budgets différents dirigés par des chefs de la direction ou leur équivalent. Au cours de ses neuf premiers mois, la première ministre s'est concentrée à gérer les lacunes en matière de gouvernance d'AHS, à rééquilibrer la rémunération des conseils d'administration et des chefs de la direction des principaux organismes, et à améliorer la transparence.

Création d'un conseil d'administration pour Alberta Health Services

À l'époque, la plus grande société d'État du pays devait rendre des comptes à un administrateur. Ce « modèle de gouvernance » était en place depuis que le gouvernement de l'époque avait congédié le conseil d'administration pour une question de rémunération en 2012. Cette approche a eu plusieurs conséquences dysfonctionnelles, dont le brouillage des frontières entre le ministère de la Santé et Alberta Health Services. Il était devenu assez courant pour les fonctionnaires du ministère, à divers échelons de l'organigramme, de faire part de leurs meilleurs conseils aux cadres d'Alberta Health Services. Parfois, ces conseils devenaient plutôt de fortes suggestions. Ce « modèle » a également réduit la capacité de tenir responsables les cadres d'Alberta Health Services. Enfin, il a réduit la capacité d'Alberta Health Services d'entendre directement les commentaires et les points de vue d'un conseil d'administration sur les opérations régionales de prestation de soins de santé.

La question a été portée devant le Conseil exécutif, qui, après quelques discussions, a appuyé la recommandation de la première ministre et du ministre de la Santé d'établir un conseil d'administration. Linda Hughes, ancienne éditrice de l'Edmonton Journal et ancienne chancelière de l'Université de l'Alberta, a été nommée première présidente. Le gouvernement a par la suite nommé d'autres excellents membres au conseil d'administration, comme Glenda Yeates, ancienne sous-ministre de la Santé en Saskatchewan et à Ottawa. Fait inhabituel, la première ministre m'a également nommé membre du conseil d'administration.

Rémunération des cadres

Fixer la rémunération des cadres des sociétés d'État est une question qui a mis au défi la plupart des gouvernements provinciaux. L'Alberta ne faisait pas exception. Il y a eu plusieurs points d'interrogation. Par exemple, le chef de la direction d'une société d'État en Alberta ayant le même secteur d'activité que son homologue de l'Ontario gagnait deux fois le salaire, mais n'avait que le tiers du volume de travail. Le chef de la direction de l'Alberta Energy Regulator était, de loin, le chargé de réglementation le mieux payé au pays. Il semble que plusieurs chefs de la direction se soient comparés à des dirigeants de l'industrie pétrolière et gazière et d'autres entités mondiales, ce qui ne convenait pas tout à fait pour la comparaison.

L'affaire a culminé lorsque le poste de président et chef de la direction d'un organisme de réglementation est devenu vacant. Ce type d'emploi n'est pas facile à comparer du point de vue de la rémunération. En fin de compte, il a été décidé que la rémunération pour ce poste serait de 500 000 dollars au maximum, ce qui représentait une diminution de 200 000 dollars par rapport à la rémunération de l'ancien titulaire. Le conseil d'administration craignait de ne pas être en mesure de trouver un chef de la direction compétent avec une telle réduction de salaire. Le conseil d'administration, qui travaillait en étroite collaboration avec un cabinet de recrutement, a présenté une personne de grande qualité, mais qui n'était pas disposée à accepter une réduction de salaire. La première ministre a toutefois fait preuve de détermination et n'a pas donné suite à cette nomination, sachant que cela créerait dès le départ un précédent pour les nominations futures. Un autre candidat bien qualifié et expérimenté a été trouvé pour pourvoir le poste au niveau de rémunération qui avait été déterminé. La première ministre avait pris un risque et avait réussi, donnant le ton à une approche disciplinée de la réforme de la rémunération dans les organismes, les conseils et les commissions. Je suis devenu moins attaché à l'analyse comparative sélective des groupes de pairs.

Nous avons ensuite concentré notre attention sur les 20 postes de chefs de la direction les mieux rémunérés des organismes, des conseils et des commissions. Pour amorcer le processus, j'ai demandé aux présidents du conseil d'administration d'analyser comment la société en était arrivée à établir la rémunération de son chef de la direction. Dans un deuxième temps, le personnel a fourni des comparaisons de l'Ontario et de la Colombie‑Britannique au moyen de renseignements accessibles au public. Troisièmement, un groupe de sous-ministres principaux a été convoqué pour examiner les défis liés à ces emplois et aux échelles de rémunération actuelles. On leur a également demandé de faire des recommandations, en fonction de l'information recueillie et de leur expérience professionnelle, sur les révisions appropriées de la rémunération des chefs de la direction. Enfin, les services d'une société d'experts-conseils nationale réputée ont été retenus pour aider à établir des fourchettes de rémunération mieux harmonisées avec les salaires de base de la fonction publique en Alberta, fourchettes qui reflétaient mieux les normes nationales de rémunération du secteur public dans son ensemble.

Cindy McKinley, qui avait travaillé avec moi comme secrétaire d'État, était la directrice générale du projet. Elle était calme, prudente et très concentrée. Elle a été particulièrement bonne pour répondre à toutes les questions de la première ministre. La première ministre et le ministre des Finances et du Conseil du Trésor ont approuvé les nouvelles échelles de rémunération. Dans de nombreux cas, les recommandations étaient inférieures au taux actuel. Pour éviter que ces décisions ne soient contestées en tant que congédiement déguisé, une loi permettant d'appliquer des échelles de rémunération aux dirigeants et aux organismes désignés a été présentée, et il a été convenu que les titulaires seraient informés des nouveaux niveaux de salaire inférieurs, mais que ceux-ci ne seraient mis en œuvre qu'après deux ans. Cette approche a apporté de la stabilité et a donné aux titulaires l'occasion, s'ils le souhaitaient, de chercher un autre emploi à un niveau salarial qui, à leur avis, était à la mesure de leurs compétences.

Transparence de la rémunération

Pour accroître la transparence, le gouvernement a décidé de soumettre la majorité des organismes, des conseils et des commissions à la divulgation de la rémunération. Les seules exceptions, comme ATB ou AIMCo, étaient celles où; l'intérêt public ne serait pas servi par la divulgation de renseignements sur la rémunération. Au cours de l'exercice 2016-2017, tous les employés du gouvernement de l'Alberta, des organismes, des conseils et des commissions qui gagnaient plus de 125 000 $ont vu leur salaire divulgué.

Le Comité des cadres supérieurs

L'un des aspects les plus importants d'un sous-ministre ou d'un sous-ministre adjoint est la gestion des talents. Très tôt, j'ai porté mon attention sur la mise sur pied d'un comité de cinq sous-ministres chevronnés chargé d'assurer une coordination centrale de la gestion des talents et de me conseiller sur l'état de préparation des sous-ministres adjoints à devenir sous‑ministres. L'une de ces sous-ministres, Marcia Nelson, s'est vu confier un nouveau rôle de sous-ministre déléguée du Conseil exécutif. En plus de contribuer à notre capacité générale à traiter les questions et les priorités, Marcia a aidé à maintenir une attention constante sur la gestion des talents et a assuré la continuité lorsque j'ai quitté mes fonctions après avoir rempli mon engagement initial de dix-huit mois en tant que sous-ministre.

Le comité de gestion des talents avait pour mission particulière de recevoir les évaluations du rendement de tous les sous-ministres adjoints et d'en discuter avec eux chaque année, d'examiner régulièrement les possibilités d'emploi pour les sous-ministres adjoints et de choisir des candidats potentiels. Le comité a été chargé d'élaborer un programme de formation interne pour tous les nouveaux sous-ministres adjoints et ceux qui avaient été nommés récemment. Le comité est devenu un point central où; les questions relatives à la direction générale pouvaient faire l'objet de discussions et de suivis. Il surveillait aussi les priorités gouvernementales pour s'assurer que les personnes les plus brillantes étaient affectées dans les domaines prioritaires. Tout cela a été fait sans empiéter sur la capacité des sous-ministres de recruter leurs propres cadres supérieurs.

Conclusion

Le budget d'avril 2016 et les politiques qui ont émergé des deux comités consultatifs ont été les mesures emblématiques de la première année du gouvernement Notley. Elles étaient animées par des valeurs, des principes et du pragmatisme. L'industrie a vu un chef de file avec qui elle pouvait faire affaire. Les craintes de certains sur les marchés financiers d'avoir un « nouveau Hugo Chavez déguisé en femme » se sont dissipées.

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Chapitre 17 : Ministres et premiers ministres

95.20%

Ministres

Au fil des ans, j'ai travaillé comme sous-ministre ou sous-ministre adjoint pour vingt‑cinq ministres et une douzaine de ministres d'État. En droit, tous les ministres sont égaux. En pratique, ce n'est pas le cas. Certains ministres étaient considérablement meilleurs que d'autres. Ceux qui se sont démarqués pour moi sont, par ordre alphabétique, Perrin Beatty (1990‑1991), Lucien Bouchard (1987-1988), Jean Chrétien (1980), David Crombie (1986-1987), Ruth Grier (1992-1993), Marc Lalonde (1978-1979) et Jim Prentice (2007-2008).

Les ministres figurant sur ma liste partagent certaines caractéristiques communes. Ils voulaient faire avancer les choses. Pour eux, être ministre a été l'occasion de défendre l'intérêt public. Lucien Bouchard était très favorable à l'Initiative pour l'alphabétisation. Un soir, il m'a raconté comment son père, qui n'était pas très instruit ou très lettré, a économisé tout ce qu'il pouvait pour que ses enfants puissent avoir la meilleure éducation possible. Bouchard voulait utiliser son poste de ministre pour aider les gens à améliorer leurs compétences en littératie. Perrin Beatty voulait aider les personnes atteintes du sida. Jim Prentice voyait son rôle de ministre de l'Industrie comme une plateforme pour améliorer la compétitivité des entreprises canadiennes et les soutenir dans leur croissance. Ces ministres n'étaient pas très partisans. De toute évidence, ils avaient tous une affiliation politique, mais pour eux, cette « affiliation » n'était pas une fin en soi.

David Crombie a toujours eu un tempérament et une vision de la vie que l'on pourrait qualifier de lumineux. Le rencontrer n'a jamais été un exercice terrifiant. Il savait ce qu'il voulait accomplir et s'est mis à le faire d'une manière constructive, enjouée et positive. Marc Lalonde était un être très intelligent qui est d'abord venu à Ottawa en tant qu'adjoint politique du ministre progressiste-conservateur de la Justice, Davie Fulton. Il était poli, efficace et axé sur les résultats. Il se fixait des normes élevées et s'attendait à ce que les autres lui emboîtent le pas. Il prenait toujours connaissance de ses dossiers et était prêt à discuter et à prendre des décisions. Il aurait été un superbe chef de la direction.

Jean Chrétien apportait passion et stratégie à la table de discussion. Il était également très concentré sur les priorités. À un moment donné, en avril 1980, certains fonctionnaires essayaient de l'informer des options stratégiques à entreprendre au cas où; le camp du OUI l'emporterait. Il avait lu la note de service de vingt pages et conseillé aux fonctionnaires de détruire toutes les copies de cette note défaitiste. Il y aurait beaucoup de temps après le référendum pour examiner les résultats si le camp du OUI l'emportait. Il n'avait pas de temps à perdre sur ce sujet : il voulait consacrer son temps à gagner le référendum.

Jim Prentice se souciait de son rôle à titre de ministre de la Couronne. Il comprenait le pouvoir et les limites d'un ministre. Il était l'homme de toutes les situations. Il était toujours engagé, que ce soit lors de réunions avec des dirigeants d'industries, des environnementalistes comme David Suzuki ou des chefs autochtones. Il comprenait que la vie d'un ministre se mesure en mois, et non en années. Il voulait que chaque jour compte.

Ruth Grier était une environnementaliste. Elle portait cette étiquette avec fierté. Elle a instauré un certain nombre de mesures environnementales strictes, mais elle a toujours été consciente du fait qu'elle ne pouvait instaurer ces mesures que parce que son parti était au pouvoir. Même si elle se concentrait sur l'environnement, elle s'est toujours occupée de son rôle de ministre principale dans le gouvernement de Bob Rae.

Tous ces ministres étaient attentifs aux breffages qu'on leur faisait. Certains, comme Jim Prentice et Marc Lalonde, étaient de voraces lecteurs : plus la note était longue, mieux c'était. Tous ces ministres étaient polis envers les fonctionnaires et leur personnel les imitait. Ils avaient une grande intégrité et motivaient les personnes à s'efforcer de les appuyer. Ils avaient confiance en leurs fonctionnaires. En somme, c'était des gens avec qui il aurait été stimulant et agréable de faire un voyage en train de Montréal à Vancouver.

Diane Ablonczy mérite une mention spéciale. Elle a été élue au Parlement en tant que candidate du Parti réformiste dans la circonscription de Calgary-Nord en 1993. En 2008, elle a été nommée ministre d'État à la Petite Entreprise et au Tourisme, et a été ministre responsable de la supervision du Programme des manifestations touristiques de renom, dont il a été question précédemment. Dans la deuxième tranche d'affectations de fonds, les fonctionnaires ont fourni à la ministre Ablonczy une liste de projets qui répondaient tous aux critères du programme et qui se trouvaient au sommet des projets admissibles. La valeur totale des projets soumis équivalait au double du montant du financement disponible pour cette tranche.

La raison d'être de cette approche était que je ne voulais pas trop limiter la ministre. Dans cet espace hautement discrétionnaire, les ministres et leurs cabinets ne devraient pas être les otages des conseils des fonctionnaires. Consciemment et délibérément, la ministre Ablonczy a décidé d'attribuer 400 000 dollars aux organisateurs de l'événement Fierté de Toronto. Ce montant correspondait à d'autres projets ayant reçu un soutien financier, comme Caribana et le Festival de jazz de Montréal. Cependant, il était différent sur un point essentiel. L'événement était très controversé politiquement au sein du caucus conservateur. Avant d'approuver officiellement la subvention et de publier le communiqué de presse, j'ai revérifié avec elle : « Êtes-vous sûr de vouloir le faire? » « Oui, Richard, a-t-elle répondu, je veux le faire parce que c'est la bonne chose à faire. »

Je me suis senti chanceux d'avoir eu l'occasion de soutenir ces personnes dans leur poursuite de l'intérêt public.

Premiers ministres

J'ai travaillé directement avec les premiers ministres Mike Harris, Jim Prentice et Rachel Notley. Ils avaient tous des philosophies politiques très différentes, et tous sont entrés en fonction de manière quelque peu inattendue. Pour Harris et Notley, les sondages d'opinion publique ne les donnaient pas comme gagnants dans les mois précédant leur élection. En ce qui concerne Prentice, il avait été confortablement nommé vice-président de la CIBC. Le fait de réintégrer la politique ne faisait pas partie de son plan stratégique personnel.

Harris et Notley avaient une forte personnalité et étaient profondément convaincus de ce qu'ils voulaient faire. Ils étaient tout de même généralement ouverts aux conseils. Ils savaient ce qu'ils ne savaient pas et comprenaient qu'ils devaient y remédier s'ils voulaient être de bons premiers ministres. Mike Harris a consacré du temps aux questions liées au référendum de 1995 et aux questions post-référendaires. Le dossier de « l'unité nationale » ne figurait pas dans sa plateforme de la « révolution du bon sens », mais il savait que le premier ministre de l'Ontario avait la responsabilité de jouer un rôle dans la politique nationale et d'y apporter sa contribution.

Jim Prentice voulait unifier la société civile en Alberta et guider la province vers une version plus moderne d'elle-même. Il comprenait que le monde changeait et que l'Alberta devait changer. Il souhaitait réaliser ces changements de la manière la plus constructive possible.

Rachel Notley a fait campagne en s'appuyant sur un document présentant en détail sa plateforme politique. Rassurer les marchés financiers de New York et de Toronto sur le fait qu'elle n'était pas Hugo Chavez déguisé en femme ne faisait pas partie de son programme. Elle comprenait intuitivement qu'elle devait communiquer avec la communauté des investisseurs de Wall Street et de Bay Street et qu'elle devait bien le faire.

Harris, Prentice et Notley ont toujours consacré les heures nécessaires à leur travail. Mais ils avaient aussi la capacité d'en faire abstraction lorsqu'ils se réunissaient avec leurs amis et leur famille. Cela leur apportait équilibre et perspective. Harris et Prentice aimaient jouer au golf. Notley était une joggeuse passionnée.

Harris et Notley avaient tous deux un fort tempérament et montaient parfois sur leurs grands chevaux. Prentice était un peu plus calme, mais avait sa propre façon d'exprimer ses sentiments. Par exemple, il a dit un jour à son personnel-cadre politique et administratif : « Je ne suis plus en colère. Maintenant, je suis juste déçu. »

Pour moi, cela montrait qu'ils se souciaient des personnes avec qui il avait maille à partir et qu'ils étaient prêts à leur faire confiance. Il était parfois difficile de recevoir un torrent de commentaires désagréables, mais je préférais cela aux politiciens qui se retirent à huis clos et fustigent les fonctionnaires en leur absence. Ces trois premiers ministres sentaient qu'ils pouvaient me faire confiance, et je sentais que je pouvais leur faire confiance en retour.

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Chapitre 18 : La fonction publique dans un nouveau contexte

100%

Les hauts fonctionnaires d'aujourd'hui évoluent dans un environnement beaucoup plus complexe que celui dans lequel j'ai évolué au cours de ma carrière. Ils doivent composer avec un cycle de nouvelles et de médias sociaux qui ne se repose jamais et un modèle opérationnel qui ne peut pas s'arrêter, des intervenants de plus en plus atomisés, la croissance importante du nombre et des rôles de membres du personnel dans les cabinets ministériels, et la dérive délibérée et, parfois, accidentelle, vers le renforcement du pouvoir des organismes centraux.

Internet et médias sociaux

Il n'y a plus de date butoir pour les médias. L'édition en ligne est toujours disponible pour une mise à jour. Le modèle d'affaires de la presse écrite est toujours en cours d'évolution pendant que les annonceurs, eux, expérimentent différentes plateformes. Cette évolution influence également le rôle de la presse écrite en tant qu'influenceuse sociétale importante et en tant qu'entité qui détermine les événements à suivre. Certaines figures médiatiques emblématiques soulèvent des questions existentielles. Peter Mansbridge, sur The Bridge Podcast, a publié un épisode intitulé « Is Print Journalism Dying? » (« La presse écrite est-elle en train de mourir? ») Maureen Dowd, du New York Times, a écrit une chronique intitulée « Requiem for the Newsroom » (« Requiem pour la salle de presse »). Une autre indication de ce déclin est la diminution de la répercussion des pages éditoriales des journaux. Lors de la campagne présidentielle de 2016, Hilary Clinton a reçu l'appui de cinquante-sept grands journaux. Le gagnant, Donald Trump, n'a reçu l'appui que de deux. La presse écrite fait toujours partie de l'écosystème politique, mais elle n'a pas la même part de marché qu'auparavant. Pourtant, elle continue de chercher à récupérer ses jours de gloire passés.

La situation des diffuseurs grand public est similaire, car ils font face à la réalité de la baisse des auditoires et à son corollaire, la baisse de revenus publicitaires. Divers réseaux tentent différentes stratégies pour augmenter le nombre de téléspectateurs ou au moins pour atténuer leur diminution. Certains réussissent, d'autres non – par exemple, le congédiement de Lisa LaFlamme n'a pas été le meilleur moment de CTV. Les « nouvelles de dernière heure » est maintenant devenu un slogan familier pour les diffuseurs. Cependant, l'importance des nouvelles n'est pas toujours la même.

Les médias sociaux continuent de pulluler à mesure que s'additionne le nombre de personnes, en particulier les jeunes, qui obtiennent leurs informations de sources non traditionnelles. Les médias sociaux fournissent une source infinie de fragments de nouvelles, de rumeurs, de faits, de faits alternatifs, d'histoires étranges et de théories de divers degrés de plausibilité. Ils font également office de chambres d'écho pour que les gens entendent ce qu'ils veulent entendre. Les médias sociaux constituent aussi, comme Danielle Smith l'a découvert lors de l'élection albertaine de 2023, un trésor de tout ce qu'un politicien a dit au cours des cinq dernières années. Les diatribes bizarres et non fondées de divers intervenants peuvent générer autant, sinon plus de téléspectateurs et de revenus publicitaires qu'une discussion réfléchie sur les avantages et les inconvénients d'une politique donnée.

Une fois combinés, ces facteurs entraînent des résultats imprévisibles. Certaines nouvelles se nourrissent de la combustion des médias grand public et des médias sociaux pour créer des feux d'artifice permanents. D'autres articles l'emportent soudainement sur ceux d'hier et prennent le relais. Il est plus difficile de déterminer ce qui est une nouvelle, laquelle doit être crue ou non, et quel effort de communication proactif devrait être entrepris pour mieux communiquer le scénario préféré. Mon univers de haut fonctionnaire était beaucoup plus simple.

L'atomisation croissante des intervenants

Dans le passé, les organismes nationaux contribuaient à l'obtention d'un consensus sociétal et avaient plus de pouvoir. Ils partagent aujourd'hui la scène avec des groupes ayant une base étroite qui se concentrent souvent sur une seule question et une seule communauté. Des organisations nationales comme la Chambre de commerce du Canada, le Congrès du travail du Canada et le Conseil canadien des affaires sont toujours présentes, mais leur influence en tant que leaders d'opinion n'est plus ce qu'elle était. Les intervenants de groupes plus ciblés ont moins d'incitatifs les amenant à faire des compromis ou à mettre un peu d'eau dans leur vin. Le ralliement des partisans sera plus facile si la cause n'est pas diluée par un compromis. Un récent sondage réalisé par Innovative Research a demandé aux Canadiens s'ils estimaient que le gouvernement se souciait davantage des intérêts particuliers que de monsieur et madame Tout-le-Monde : ainsi, 70 % appuyaient ce point de vue, 8 % n'étaient pas d'accord et les autres n'avaient pas d'opinion. La diversité des intervenants et leur capacité d'atteindre des auditoires très restreints créent un environnement beaucoup plus complexe que celui auquel j'ai eu affaire. Il est plus difficile de créer une large coalition. La formation de coalitions multisectorielles et régionales est une manœuvre plus longue et plus complexe.

L'augmentation du nombre d'employés et de leurs rôles dans les cabinets ministériels

Au cours des cinquante dernières années, chaque administration s'est fondée sur les réalisations de son prédécesseur et a augmenté la taille du personnel politique. La réduction du nombre de fonctionnaires et de leur portée dans les cabinets ministériels n'a jamais fait partie du programme d'un gouvernement nouvellement élu. À la fin des années soixante, sous le premier ministre Pierre Trudeau, les cabinets ministériels comptaient environ quatre employés. Le gouvernement Mulroney a doublé ce nombre et a changé les titres d'adjoints de direction en chefs de cabinet. Le gouvernement Harper a renforcé le pouvoir des cabinets ministériels en demandant, entre autres, à des membres du personnel politique d'assister aux réunions des comités du Cabinet et d'institutionnaliser le concept des réunions quadripartites – les quatre parties étant le ministère, le cabinet du ministre, le Bureau du Conseil privé et le cabinet du premier ministre. La portée des réunions quadripartites n'avait pas de limites. De plus, une partie était toujours plus puissante que les trois autres, renforçant ainsi le rôle et le pouvoir du cabinet du premier ministre.

Le gouvernement de Justin Trudeau a augmenté le nombre de ministres et, par conséquent, le nombre de membres du personnel pour appuyer chaque ministre. Ils ont également commencé à codifier les fonctions et à établir des postes précis. Les cabinets ministériels ont maintenant un chef de cabinet et souvent un chef de cabinet adjoint. Ils ont des directeurs responsables des politiques, des nominations, de la gestion des enjeux, des communications et des opérations régionales. Ces cadres sont appuyés par des conseillers en politiques et en communications. Les cabinets ministériels peuvent facilement atteindre un total de trente personnes. Dans The Rise of Political Advisors in the Westminster System, l'auteure Yee‑Fui Ng affirme que, parmi les gouvernements de Westminster, le Canada a de loin le plus grand nombre de conseillers politiques – le Canada a beaucoup de ministres et chaque ministre a beaucoup de conseillers.

Le Royaume-Uni a une population de 65 millions d'habitants et une Chambre des communes comptant 630 députés. À la fin de mars 2022, il y avait environ 126 conseillers spéciaux ou politiques au sein du gouvernement britannique. De plus, afin d'assurer une transparence et une visibilité appropriées, les noms et la rémunération de chaque conseiller sont publiés. Il est juste de dire que les ministres canadiens bénéficient de beaucoup plus de conseils politiques que leurs homologues du Royaume-Uni, de la Nouvelle-Zélande ou de l'Australie.

La multiplicité des conseillers politiques au Canada a des répercussions sur la gouvernance. Cela contribue par exemple à consacrer plus de temps à des questions pointues – c'est-à-dire la compétence d'un conseiller en particulier – qu'à des questions stratégiques plus vastes. Tout le monde a besoin d'avoir une part du gâteau, aussi petite soit-elle. En outre, plus le nombre de conseillers est élevé, plus le nombre de problèmes qui justifient la contribution à valeur ajoutée d'un membre du personnel ministériel est élevé. Le haut fonctionnaire est donc de plus en plus forcé de consacrer plus de temps à la gestion des problèmes, au détriment de la gestion et des stratégies du ministère.

La grande majorité des conseillers politiques travaillent en partenariat avec les hauts fonctionnaires pour protéger et renforcer l'intérêt public. Cela dit, il est probable qu'au sein de ce large groupe – disons 500 environ – il y en ait qui valorisent la friction plutôt que la collaboration, d'autres qui sont dépassés par les événements, d'autres qui sortent de leur couloir d'activités et d'autres qui ne sont pas à l'aise avec le concept d'une société d'État sans lien de dépendance.

Plus le nombre de conseillers est élevé, plus il est probable que certains d'entre eux soient involontairement la source de problèmes. Cela dit, il est important de noter que les petits cabinets ministériels ne sont pas nécessairement une garantie de compétence et d'intégrité. Par exemple, en 1964, Raymond Denis, adjoint de direction du ministre de l'Immigration, a offert un pot‑de‑vin de 20 000 $à un avocat pour abandonner son opposition à une demande de libération sous caution de Lucien Rivard, un présumé trafiquant de drogue. En 1985, Rick Logan, chef de cabinet du ministre de la Défense Bob Coates, a organisé pour son ministre une visite nocturne dans une boîte de nuit berlinoise qui mettait en vedette des danseuses nues et présentait des films pornographiques. Ce n'était pas une excellente séance de photos pour un ministre de la Défense nationale. Le fait est que, si vous avez plus de 500 attachés et conseillers politiques, il est plus probable qu'il y ait un problème quelconque que si vous en aviez 100. Cela est particulièrement vrai si le processus de vérification et de recrutement est inégal.

Un jour ou l'autre, le corps politique en arrivera à un consensus sur la portée, la taille et le mandat des cabinets ministériels. Je ne dis pas qu'il faut revenir au « bon vieux temps ». Je crois toutefois que, si le gouvernement en place croit qu'il a besoin d'un grand cabinet de ministre, il devrait alors institutionnaliser la gestion des talents du groupe en ce qui concerne le recrutement, la formation et les descriptions de travail. Les processus informels fonctionnent lorsque le nombre de personnes est faible. Par ailleurs, une gouvernance globale plus systématique des cabinets ministériels comporte son lot d'avantages.

L'autre effet d'avoir jusqu'à trente attachés et conseillers politiques dans un cabinet de ministre est la diminution de la probabilité qu'un attaché ou conseiller puisse parler directement au ministre. Les hauts fonctionnaires doivent donc tenir compte de l'apport des conseillers ministériels qui viennent à la table puisqu'ils ont divers degrés d'accès au ministre et ne sont pas tous égaux en fait de jugement et de discernement. Cette combinaison n'améliore pas la qualité ou l'efficacité de la prise de décisions dans l'intérêt public.

La dérive vers le renforcement du centre

Donald Savoie a écrit au moins trois livres sur la dérive délibérée, mais parfois accidentelle, vers des centres politiques de plus en plus puissants au Canada au cours des deux dernières décennies. D'autres chercheurs ont exprimé leur opinion sur la même question : il s'agit d'une situation qui prévaut dans de nombreux pays occidentaux.

Un certain nombre de facteurs ont contribué à cette tendance. Premièrement, les campagnes électorales sont de plus en plus axées sur les chefs. Bien que chaque parti ait un programme politique, l'accent est le plus souvent mis sur le chef. Une fois au pouvoir, le chef peut naturellement affirmer que le parti a été élu en raison de ses efforts et, par conséquent, il souhaitera souvent jouer un rôle prépondérant dans les affaires de l'État. Les chefs auront tendance à s'entourer de personnes partageant les mêmes idées qu'eux. Certains dirigeants, comme Jason Kenney, sont allés plus loin en jouant un rôle considérable et très direct dans l'élaboration de la plateforme. M. Kenney était à la fois l'auteur des politiques et le porte-parole en chef. Cette combinaison peut conduire à un certain degré d'arrogance.

Deuxièmement, la préparation et la diffusion publique des lettres de mandat des ministres, transmises par le premier ministre, constituent somme toute un ajout récent à la boîte à outils de l'administration publique. C'est une innovation qui renforce sans aucun doute le pouvoir des organismes centraux. Elle reste, cependant, d'une valeur discutable en matière d'utilité et d'efficacité. Pourquoi, en cette ère d'omniprésence des médias sociaux, où; les circonstances sont en constante évolution, veut-on couler dans le ciment une série de mesures et de priorités qui pourraient ne plus être pertinentes dans 9, 12 ou 15 mois? Pourquoi prendre des engagements alors que l'environnement financier est aussi fluide et imprévisible? Pourquoi fournir des listes de dizaines et de dizaines d'activités et de mesures sans donner une idée des priorités? Les objectifs de rendement sont un élément clé de la gestion du rendement. Ils diffèrent des lettres de mandat parce qu'ils sont mis à jour au fur et à mesure que les circonstances changent et qu'ils ne sont pas diffusés au public. Ces deux instruments ne doivent pas être confondus.

Troisièmement, un autre développement relativement récent est la centralisation de la nomination, de la promotion et du congédiement du personnel politique au sein du cabinet du premier ministre du Canada et dans les bureaux des premiers ministres des provinces et territoires. Bill Morneau a parlé de sa surprise lorsqu'il a découvert que le fonctionnaire libéral de confiance qu'il voulait nommer comme chef de cabinet n'était pas le premier choix du cabinet du premier ministre. Il a alors accepté la suggestion du cabinet du premier ministre. Ce n'est pas une situation propre au Canada. Au Royaume-Uni, une situation similaire s'est produite, avec un résultat différent. Dominic Cummings, qui était l'adjoint principal du premier ministre Johnson, voulait nommer certaines personnes au bureau du chancelier de l'Échiquier. Le ministre (ou chancelier) n'était pas d'accord avec ces nominations et a démissionné.

Tous ces facteurs contribuent à divers degrés à réduire le pouvoir des ministres et à renforcer celui des organismes centraux. Donald Savoie a peut-être effectivement raison. Pour le haut fonctionnaire, cela signifie que le processus d'approbation peut être long et que le parcours vers la prise de décisions n'est pas linéaire. En plus du travail solide qui doit être fait en ce qui a trait à l'analyse, à la consultation des intervenants, à la consultation intergouvernementale et au soutien des membres du personnel ministériel appropriés, il est nécessaire de naviguer dans les hauts-fonds des organismes centraux.

Une grande partie de la littérature sur le gouvernement fédéral a mis l'accent sur la croissance du cabinet du premier ministre. Il est important de noter, toutefois, que d'autres organismes, comme le Secrétariat du Conseil du Trésor – y compris le Bureau du contrôleur général et le Bureau du dirigeant principal des ressources humaines – le Bureau du Conseil privé et le ministère des Finances ont également gagné en stature, en taille et en portée. Compte tenu du cycle des nouvelles en continu, il y a une forte probabilité que quelqu'un, quelque part, fasse une erreur. Il est également tout aussi probable qu'un membre d'un organisme central s'avance courageusement pour expliquer la nécessité d'une nouvelle règle contrôlante ou d'une nouvelle maxime pour éviter que des circonstances similaires ne se reproduisent.

L'effritement de la confiance envers les institutions

La confiance à l'égard des institutions diminue et semble de plus en plus fragile. L'évolution de la relation de confiance entre les personnes et les gouvernements est mise en évidence dans le baromètre annuel de confiance d'Edelman : tous les indicateurs de confiance ont tendance à baisser. La pandémie de COVID-19, en particulier, a eu une incidence sur la confiance à l'égard des institutions, du gouvernement et des conseillers en matière de santé. La crédibilité, cependant, repose sur la confiance, et la confiance sociétale est un bien essentiel pour les hauts fonctionnaires qui tentent de servir l'intérêt public. Il est important que le public accorde au gouvernement le bénéfice du doute.

Comme dans de nombreux autres pays, le manque de confiance au Canada est attribuable à la montée du « populisme » et à la multiplicité des plateformes de médias sociaux. Il est également alimenté par le déclin de la confiance envers des institutions nationales qui étaient autrefois plus crédibles : la GRC, qui a connu de multiples scandales au cours des 15 dernières années; le Sénat, qui s'est embourbé dans des batailles éthiques internes; et CBC/Radio-Canada, qui a perdu des présentateurs de confiance comme Knowlton Nash, Peter Mansbridge et Bernard Derome.

À l'heure actuelle, les hauts fonctionnaires font face au public le plus sceptique que j'ai vu au cours de ma carrière de haut fonctionnaire. Des problèmes pernicieux comme la réconciliation avec les communautés autochtones à l'échelle nationale et régionale, les changements climatiques et le retard de productivité n'ont pas disparu. Ils sont plus épineux que jamais. Ce qui a changé, c'est que l'environnement dans lequel les hauts fonctionnaires doivent faire leur travail est beaucoup plus fracturé et polarisé. Par conséquent, peu de personnes ou d'institutions ont le bénéfice du doute.

Gestion

Il n'y a pas de potion magique ou de recette qui aidera un sous-ministre, un sous-ministre adjoint, ou le chef de la direction d'une société d'État à faire face à tous les nouveaux facteurs qui sont apparus au cours des dernières années, en plus des défis continus qui ont toujours fait partie de ce travail. Je crois toutefois qu'il est utile d'envisager une approche de retour à l'essentiel pour l'administration publique moderne.

Faire en sorte que les choses se réalisent

Des centaines d'ouvrages ont été écrits sur la gestion dans le secteur public et des milliers sur la gestion en général. Il serait présomptueux de chercher à en ajouter aux nombreux volumes consacrés à ce domaine. Je tiens toutefois à souligner quatre principes qui ont souvent orienté ma prise de décisions tout au long de ma carrière. Tout d'abord, les fleurs ne pousseront pas plus vite si vous tirez dessus. Deuxièmement, la mobilisation des intervenants doit être stratégique. Troisièmement, les communications doivent être faites dans un but précis. Quatrièmement, les mesures, les résultats et les jalons doivent faire partie de toutes les politiques et de tous les programmes.

Fleurs

Il y a souvent eu des circonstances où; les décideurs souhaitaient accélérer le processus et ont fait une annonce avant que les plans de mise en œuvre n'aient été achevés ou qu'une diligence raisonnable appropriée ait été exercée, ou alors que le travail avec les intervenants n'avait été que partiellement achevé. L'annonce précoce des modifications massives apportées à la Loi sur l'assurance-chômage en 1972, et les décisions très rapides du conseil d'administration d'Ontario Hydro concernant le plan de reprise du secteur nucléaire ou le désir de fermer les centrales au charbon à la hâte sont quelques exemples de décisions qui auraient bénéficié de plus de temps. Il est faux de croire que les fleurs peuvent pousser plus vite si l'on tire sur elles ou que les résultats seront atteints plus rapidement si les dirigeants politiques insistent avec force. Il est juste de dire que les bureaucraties peuvent parfois être trop prudentes dans la mise en œuvre du changement. La prudence, qui fait la différence entre la rhétorique et la réalité, ne doit pas être perçue comme un manque de loyauté. Les fleurs ont besoin de temps et de soleil pour pousser. Insister pour que les choses avancent plus rapidement – c'est-à-dire sans planification appropriée – nuit à l'intérêt public.

Mobilisation stratégique

Il y a quelques années, j'ai installé une mangeoire à oiseaux dans ma cour arrière. Je me souviens d'être rentré à la maison le lendemain et d'avoir vu que beaucoup de graines d'oiseaux étaient répandues sur le sol. Aucun oiseau ne visitait la mangeoire et un écureuil se régalait des graines. Je suis rapidement passé à l'action et j'ai déplacé la mangeoire ailleurs, en lieu sûr. Le lendemain, j'ai été forcé de faire face à la réalité. Le score était Écureuil 2, Dicerni 0. L'écureuil m'avait battu encore une fois. Les oiseaux restaient sur leur faim et les écureuils continuaient à s'en mettre plein la panse.

En réfléchissant à cette situation, j'ai vu une évidence. L'écureuil travaillait sur ce projet à temps plein. Quand il ne dormait pas, il se concentrait sur l'obtention des graines dans la mangeoire à oiseaux. Quant à moi, je ne consacrais qu'une ou deux minutes par jour au projet. La « qualité » de mon travail n'était pas à la hauteur de celui de l'implacable écureuil.

Du point de vue de la gestion, j'ai appris que je devais contrer l'avantage temporel de l'écureuil. Ce principe s'applique à de nombreuses situations au sein du gouvernement. Les intervenants consacreront toujours plus de temps aux résultats souhaités et seront plus déterminés à les atteindre que les ministres et sous-ministres qui, eux, seront toujours préoccupés par de nombreux autres problèmes et enjeux. Toutefois, si la question est suffisamment importante, ils devront y consacrer du temps discrétionnaire. Les gouvernements disposent d'un éventail d'instruments qui peuvent être utilisés pour faire prévaloir des questions de politique publique. Ces instruments comprennent les nominations, les leviers fiscaux et des politiques plus larges. Cet éventail d'instruments doit être utilisé de manière stratégique et coordonnée.

Communiquer avec un but

Aujourd'hui, plus que jamais, il est nécessaire d'expliquer et de communiquer le pourquoi et le comment des décisions gouvernementales. Je me souviens d'une conversation que j'ai eue avec ma mère pendant la crise financière. La question de la restructuration de GM a été soulevée. Ma mère était alors âgée de plus de 80 ans et était encore une avide consommatrice de nouvelles et d'affaires publiques. Elle a écouté patiemment la description des efforts que nous faisions pour sauver GM. Elle avait deux questions. Le gouvernement disait depuis toujours qu'il n'avait pas de fonds discrétionnaires; alors, a-t-elle demandé, d'où; venaient ces 10 milliards de dollars? J'ai répondu au mieux de mes capacités, mais mon explication, à ses yeux, n'était pas totalement crédible. Elle est passée à sa deuxième question. Est-ce que je pouvais garantir que les politiciens n'utiliseraient pas sa pension de l'État? En cette ère où; les médias sociaux sont omniprésents, où; tout le monde est bombardé de gazouillis, de publications Instagram et de notifications Facebook, le gouvernement doit se battre pour avoir une part du marché en tant que transmetteur de renseignements fiables. Une politique publique qui n'a pas l'appui du public n'a pas une longue durée de vie. Des explications pleines de bon sens sur les solutions que nous offrons aux problèmes complexes doivent toujours faire partie du lot.

Mesures, résultats et jalons

Peter Drucker, gourou de la gestion, est l'auteur d'une maxime très répandue : « Ce qui peut être mesuré peut être géré » [traduction]. Trop souvent, les mesures des résultats sont confondues ou remplacées par le montant d'argent qui sera dépensé pour une initiative donnée. Les jalons sont souvent confondus avec les mesures d'intrant. De plus, les jalons fixés sont parfois liés à des éléments jouant un rôle secondaire.

Pour accompagner la remise en service de l'unité 4 de la centrale nucléaire de Pickering, de bonnes mesures n'avaient pas été définies afin d'évaluer un résultat positif. Par contre, le « rapport sur la valeur acquise » sur la remise en service de l'unité 1 de Pickering était utile et fiable. L'établissement d'objectifs précis pour les politiques gouvernementales sera toujours plus complexe que pour le secteur privé. Et ils ne seront pas aussi précis. La complexité de la tâche a été l'une des raisons pour lesquelles la stratégie des sciences et de la technologie du gouvernement a mandaté la création d'un organisme indépendant, le Conseil des sciences et de la technologie, pour préparer un rapport semestriel sur l'état des sciences et de la technologie au Canada. De même, la GRC a eu de la difficulté à assurer le maintien de l'ordre et à traiter avec les communautés autochtones. La GRC s'est donc engagée à mettre en œuvre une stratégie nationale de réconciliation avec les Autochtones. Bien que des progrès aient été réalisés, il ne sera pas facile d'en faire le suivi et de définir la réussite étant donné les nombreuses dimensions de cet objectif. Cette initiative nécessite des mesures de résultats précises si la GRC veut faire des progrès.

Bref, il faut toujours être clair sur ce qui sera fait, par qui, quand, et pour quelles raisons. Il faut bien comprendre qui seront les partisans et les opposants, comment l'initiative sera communiquée et comment le succès sera mesuré.

Gestion des talents

La gestion des talents est la clé qui ouvre toutes les portes. Il s'agit d'une activité qui doit être maintenue de façon rigoureuse et continue. Il ne s'agit pas d'une mesure sporadique qui est utilisée lorsqu'il y a un poste vacant ou lorsqu'il est temps de faire des évaluations du rendement.

La débâcle de la remise en service de Pickering a été, en partie, causée par une gestion des talents déficiente au cours de la décennie précédente. Elle a été caractérisée par le perfectionnement inadéquat des cadres du secteur de l'énergie nucléaire, des processus de recrutement inadéquats et les processus d'évaluation présentant des lacunes. Ces problèmes ont presque mené la société à sa perte.

La gestion des talents comporte quatre domaines clés. Le recrutement est la première étape essentielle d'une stratégie robuste de gestion des talents. La deuxième étape est la formation. Il devrait toujours y avoir un programme de formation et de perfectionnement pour les cadres afin d'accroître la probabilité qu'ils atteignent leur plein potentiel et de faire en sorte qu'ils continuent d'apprendre à mesure qu'ils gravissent les échelons. Les programmes que j'ai utilisés comprennent le projet Judy de la Rotman School of Management, l'Advanced Leadership Initiative (Initiative de leadership avancé) à la Harvard Business School et le Senior Public Sector Leader Program (Programme des cadres supérieurs du secteur public) de l'Ivey Business School. Il est également utile d'élaborer des programmes ciblés qui mettent l'accent sur les besoins de l'ensemble de l'organisation. À Industrie Canada, nous avons appuyé l'élaboration d'un programme en résidence d'une semaine à l'Ivey Business School pour les cadres subalternes. L'objectif du programme était d'améliorer les connaissances opérationnelles des cadres d'Industrie Canada. En Alberta, nous avons élaboré un programme interne pour les sous-ministres adjoints afin de garantir qu'ils comprennent tous les éléments fondamentaux de ce que cela signifie d'occuper ce rôle.

La troisième étape de la gestion des talents est l'évaluation du rendement. Ces évaluations doivent avoir de l'importance. Pour qu'elles fonctionnent, des résultats souhaités, des jalons critiques et des mesures de réussite doivent être établis. Une rétroaction doit être offerte fréquemment et de manière constructive. Ce type de processus d'évaluation aide les cadres à mieux faire leur travail et à obtenir une promotion. Il facilite également le redéploiement ou le licenciement de ceux qui ont un mauvais rendement.

Les grandes organisations doivent avoir la capacité centrale de planifier et d'exécuter une stratégie de gestion des talents. Il s'agit de la quatrième étape d'une stratégie efficace. Dans les années 1970, la Commission de la fonction publique avait cette capacité grâce à Bert Wisking. Lui et son équipe interviewaient tous les candidats recommandés par les sous-ministres pour les rangs de la haute direction. Le gouvernement de l'Alberta se trouvait à l'autre bout du spectre. Cela a conduit à une situation où; on m'a demandé d'approuver trois annonces de recrutement pour trois postes de sous-ministres le premier jour de mon entrée en fonction. Le fait d'avoir une capacité de planification centralisée facilite le redéploiement des éléments très performants vers des rôles essentiels. Le recrutement doit demeurer la responsabilité du chef de la direction.

Rapports de surveillance

La délégation est essentielle dans la gestion des grandes organisations, surtout en raison de l'omniprésence des médias sociaux. Toutefois, il est essentiel que les sous-ministres, les directeurs généraux et les conseils d'administration des sociétés d'État disposent de rapports de surveillance périodiques fiables. Des rapports inadéquats sur le nombre de demandes d'assurance-emploi dont le traitement était en retard ont fait en sorte que la direction a mis beaucoup de temps à saisir l'ampleur réelle du problème. Les conseils d'administration d'Ontario Hydro et d'Ontario Power Generation n'ont pas régulièrement reçu de rapports d'étape exacts sur la remise en service de l'unité 4 de Pickering, alors qu'au contraire, les rapports produits par le cabinet d'avocats Schiff Harden sur l'unité 1 ont été très utiles pour le conseil d'administration et l'équipe de gestion de projet. À Industrie Canada, les rapports bimensuels qui décrivaient ce qui avait été fait au cours des deux semaines précédentes, ce qui allait être fait au cours des quatre à six prochaines semaines, quels étaient les dossiers potentiellement incendiaires et ce qui allait se passer sur le plan stratégique au cours des six prochains mois étaient au cœur de ma gestion de l'intendance du ministère. J'ai utilisé le même modèle avec les sous-ministres en Alberta. Dans les deux cas, une rétroaction écrite ou verbale a été fournie pour garantir que nous étions toujours sur la même longueur d'onde.

Perspectives externes

Andrew Leach, Ron Watts et Ken Roberts avaient une caractéristique commune. Ils ne venaient pas du milieu habituel de la gestion. Andrew, professeur permanent à l'Université de l'Alberta, a présidé le Comité consultatif sur les changements climatiques. Ron était un ancien directeur de l'Université Queen's et secrétaire adjoint du Bureau du Conseil privé qui a contribué à façonner les propositions constitutionnelles du gouvernement. Ken, associé chez Schiff Hardin, a fourni des rapports de surveillance sur la réfection des centrales nucléaires. Tous ont contribué de différentes façons à servir l'intérêt public.

La recherche et l'intégration de conseils externes dans l'élaboration de politiques par l'intermédiaire de comités consultatifs constituent une voie que les gouvernements et les hauts fonctionnaires choisissent de plus en plus. Les gouvernements convoquent des comités pour différentes raisons, par exemple, lorsque la capacité de la fonction publique à élaborer de nouvelles politiques semble insuffisante. De plus, il pourrait être nécessaire de consulter la population générale et les intervenants, d'attirer l'attention du public sur une question donnée, ou d'avoir un regard neuf pour examiner un problème pernicieux.

Au cours de ma carrière, j'ai aidé à la création de comités comme le Comité consultatif de l'Alberta sur les changements climatiques (2015), le Groupe d'experts sur la recherche‑développement à Ottawa (2010), le Groupe d'étude sur les politiques en matière de concurrence à Ottawa (2006) et le Comité consultatif sur l'orientation future de l'éducation postsecondaire en Ontario (1996). J'ai reçu des conseils de comités, comme celui du Comité d'examen de l'Ontario Power Generation (2004), et j'ai dirigé des comités, comme le Comité consultatif pour la modernisation de la Commission de l'énergie de l'Ontario (2017-2018).

L'augmentation du nombre de comités consultatifs s'est produite à mesure que diminuait le recours aux mécanismes précédemment utilisés. Par exemple, les livres blancs et les livres verts ont presque disparu à titre de mécanismes de consultation. Il en va de même pour les commissions d'enquête parlementaires. Il y a plusieurs raisons pour lesquelles les gouvernements n'utilisent plus ce type d'instruments. Une raison importante est la nature omniprésente des médias sociaux et leurs demandes capricieuses. Par exemple, disons qu'un gouvernement publie un livre blanc qui énonce les résultats souhaités, les principes clés et certaines options de mise en œuvre. Le principal aspect pour lequel le gouvernement souhaite recevoir des conseils est la mise en œuvre. Cependant, les commentateurs des médias sociaux remettront rapidement en question les objectifs, les principes et les options. Si, pendant la période de rétroaction, le gouvernement cherche à y répondre, il sera rapidement critiqué pour « ne pas vraiment vouloir consulter et écouter les gens ». Et s'il ne répond pas ou ne commente pas, il laissera sa proposition se faire massacrer par un millier de critiques et de gazouillis.

Le déclin du recours aux commissions d'enquête parlementaire peut également être lié aux médias sociaux. De nos jours, il n'y a aucune tolérance pour les réponses longues à préparer. Les gens croient de plus en plus que les enjeux ne sont pas aussi compliqués qu'ils semblent l'être. Par conséquent, le recours aux commissions d'enquête parlementaire qui prennent des années est considéré comme une colossale perte de temps et d'argent, d'autant plus qu'il y a toujours quelqu'un sur les médias sociaux pour soumettre une proposition plus rapide et moins chère.

L'établissement d'un comité sans lien de dépendance est un moyen beaucoup plus sûr et rapide de consulter le public et d'obtenir des conseils politiques. Certains comités ont été couronnés de succès, d'autres moins. Avec le recul, les comités qui ont fonctionné avaient certaines des caractéristiques suivantes.

Tout d'abord, il y a la qualité des membres du comité. La qualité des personnes qui acceptent de participer constitue un facteur décisif pour ce comité. Les membres doivent approcher la tâche à accomplir avec des connaissances et un esprit ouvert. De nombreux comités ne réussissent même pas à dépasser la piste de décollage parce que ses membres ne sont pas crédibles en tant que conseillers politiques indépendants. Andrew Leach pour le Comité consultatif de l'Alberta sur les changements climatiques, Red Wilson pour le Groupe fédéral d'étude sur les politiques en matière de concurrence et John Manley pour OPG ont tous commencé leurs tâches avec une crédibilité bien établie.

La taille du comité est importante. Les comités fonctionnent mieux s'ils sont composés de trois à cinq membres. Les grands comités courent le risque que les membres participent à différents degrés en fonction du temps dont ils disposent. Les comités deviennent quelque peu dysfonctionnels si, par exemple, trois membres du comité consacrent beaucoup de temps aux travaux du comité et trois membres ont d'autres responsabilités qui les empêchent de consacrer les heures requises. Un groupe de trois à cinq membres offre une souplesse suffisante pour que les intérêts régionaux et sectoriels soient adéquatement couverts.

Tout bon comité doit avoir un secrétaire compétent qui peut rédiger de manière conviviale le cadre politique qui est envisagé, la nature de la rétroaction de la collectivité consultée, ainsi que le rapport et les recommandations. Ce rôle peut être joué par le directeur général du comité ou un autre membre du personnel. Il est important d'attribuer cette responsabilité dès le début du processus.

Sans dévoiler son jeu au grand jour, un comité doit tout de même maintenir un dialogue continu avec les représentants du gouvernement pour connaître du succès. Peu de gens au gouvernement aiment les surprises. En fin de compte, un dialogue informel qui ne compromet pas l'intégrité du rapport augmente les chances que les recommandations formulées portent leurs fruits.

Les comités qui connaissent du succès ont généralement des délais bien établis – en mois, et non en années. La probabilité de réussite du comité sera encore plus grande si son mandat est clair pour les intervenants et le grand public.

À bien des égards, ces points s'imposent comme une évidence. Il convient néanmoins de noter qu'ils ne sont pas toujours appliqués. Dans l'avenir, le gouvernement aura de plus en plus recours à des groupes d'experts externes pour soutenir l'élaboration des politiques. Les comités apportent de nouvelles perspectives et sont transparents. L'ère des livres blancs et des commissions d'enquête parlementaires est révolue et ne reviendra pas de sitôt.

La robustesse des hypothèses

Les hypothèses erronées ont été l'une des principales causes de nombreuses débâcles et de nombreux résultats malheureux liés aux politiques publiques. Dans le domaine de la géopolitique, des exemples d'hypothèses erronées incluent l'hypothèse de Poutine sur le temps qu'il lui faudrait pour prendre le contrôle de l'Ukraine, l'hypothèse de la Confédération que la guerre civile aux États-Unis serait terminée en cinq mois, l'hypothèse du Parti québécois que quatre ans d'un bon gouvernement augmenteraient la probabilité d'une victoire référendaire, et l'hypothèse que les Alliés seraient accueillis comme des libérateurs à Bagdad lors de la guerre en Irak. Au cours de ma carrière, j'ai observé et participé à des processus qui comportaient des hypothèses erronées. La « chasse aux dépotoirs » du milieu des années 1990 en Ontario était fondée sur l'hypothèse que la région du Grand Toronto déborderait de déchets à moins que le gouvernement ne prenne des mesures immédiates pour trouver de nouveaux dépotoirs. Les conseils d'administration d'Ontario Hydro et d'OPG ont présumé que l'équipe de rêve responsable de la remise en service de Pickering était la meilleure possible. Ils allaient régler la question du nucléaire. Cette hypothèse est devenue ancrée dans la pensée de tous les décideurs, y compris de l'actionnaire. Il faut examiner d'un œil critique les hypothèses fondamentales, en particulier lorsqu'elles sont accompagnées d'un orgueil démesuré et du désir de plaire.

Il est essentiel que les hypothèses fondamentales soient remises en question dès le départ et réexaminées à divers intervalles pour garantir qu'elles demeurent appropriées. Les efforts de planification stratégique devraient toujours comprendre un examen préliminaire de la nature des hypothèses clés et des paramètres de réussite correspondants. Sans un tel examen, il y a un risque que des incidents imprévus surviennent alors qu'il est trop tard pour faire marche arrière.

Laisser les sociétés d'État être des sociétés d'État

En 1962, la Commission royale d'enquête sur l'organisation du gouvernement (la Commission Glassco) a déposé son rapport. Soixante ans plus tard, le dilemme et le défi liés à la gouvernance des sociétés d'État demeurent. Les sociétés d'État ont très bien servi les gouvernements fédéral et provinciaux au fil des ans. Il y a eu beaucoup de réussites. On peut penser à Hydro-Québec, à la Banque de développement du Canada, aux commissions des accidents du travail ou à la Régie des alcools de l'Ontario. Mais il y a aussi eu des erreurs qui ont conduit à des commissions d'enquête ou à des enquêtes parlementaires.

Au cours de ma carrière, j'ai vu le monde des sociétés d'État sous plusieurs angles. J'ai été chef de la direction d'une société d'État (Ontario Power Generation, 2003-2005), membre de conseils d'administration (Énergie atomique du Canada limitée, 2007-2008; Alberta Health Services, 2015-2020) et président d'une société d'État (Société de gestion des déchets nucléaires, 2001-2003). J'ai été cadre d'une société d'État (Ontario Hydro/OPG, 1997-2003), sous-ministre supervisant une société d'État (Ontario Hydro, 1993-1995; Banque de développement du Canada, 2006-2012), et conseiller ministériel (Société canadienne d'hypothèques et de logement, 1969-1973). En regardant en arrière, je prends note de quelques pratiques qui augmentent la probabilité qu'une société d'État atteigne ses objectifs législatifs dans un cadre stratégique appuyé par le gouvernement. Elles ne constituent pas une liste exhaustive de qui fait quoi, à qui et quand, mais elles témoignent de mes expériences personnelles.

Premièrement, les ministres ont un rôle essentiel à jouer dans l'intendance des sociétés d'État. Ils fournissent des attentes ou des lettres d'orientation concernant les objectifs à long terme que l'actionnaire cherche à atteindre et les paramètres en fonction desquels ces objectifs seront mesurés. Ils approuvent le plan d'activités annuel. Ils approuvent la grille de compétences du conseil d'administration et veillent à ce que le recrutement de ses membres réponde à ces besoins. Ils rencontrent périodiquement le président, virtuellement ou en personne, pour discuter des progrès réalisés par rapport aux objectifs, du rendement de la société d'État et, au moment opportun, de l'évaluation du rendement du chef de la direction. Les ministres recommandent au Cabinet la nomination du président, des membres du conseil d'administration et du chef de la direction. Enfin, les ministres veillent à ce que leur personnel politique ne porte pas atteinte à la relation d'indépendance sur le plan de la reddition de comptes.

Deuxièmement, les conseils d'administration fournissent une prévoyance et une surveillance pour la société d'État. Ils jouent un rôle important dans le recrutement du chef de la direction ainsi que dans la définition et l'évaluation des cibles de rendement. Ils font en sorte que la direction leur fournit des renseignements exacts et exhaustifs au bon moment pour qu'ils puissent s'acquitter de leurs responsabilités en matière de surveillance. Le conseil d'administration fournit une orientation stratégique à la direction avant l'approbation du plan stratégique par le conseil. Par l'intermédiaire du président, le conseil d'administration tient le ministre au courant des activités de la société d'État au moins une fois par trimestre. Le conseil d'administration joue un rôle proactif dans la recherche des nouveaux membres potentiels du conseil d'administration. Enfin, il examine périodiquement, sous la direction du président, ses propres exigences en matière de compétence des membres du conseil d'administration.

Troisièmement, le président assure le lien entre le gouvernement et la société d'État, et entre le conseil d'administration et la direction. Le président dirige le recrutement du chef de la direction et des autres directeurs, tandis que le gouvernement demeure l'autorité de dernière instance sur la nomination proprement dite. Le président veille à ce qu'un programme d'intégration approprié soit offert à tous les nouveaux membres du conseil d'administration.

Quatrièmement, les sous-ministres veillent à ce que la société d'État soit au courant des intérêts du gouvernement et à ce que le gouvernement soit conscient des défis et des possibilités auxquels la société d'État fait face. Les sous-ministres contribuent également à l'amélioration de la gouvernance en veillant à ce que l'enthousiasme des fonctionnaires du ministère à aider le conseil d'administration et la direction de la société d'État ne nuise pas aux responsabilités du conseil d'administration.

Toutes ces pratiques augmenteront la probabilité que la société d'État atteigne ses objectifs de rendement. Elles ne garantiront pas un environnement sans problèmes, mais diminueront considérablement la probabilité de se mettre des bâtons dans les roues. Bref, les chances de succès augmentent si tout le monde s'en tient à ses champs de compétence. Le point à retenir est que les conseils d'administration devraient avoir le pouvoir de mettre en œuvre le mandat qu'ils ont reçu.

Cabinets des ministres

Les cabinets ministériels sont une réalité de la vie. Ils étaient là lorsque je suis entré au gouvernement à la fin des années 1960 et ils sont assurément là aujourd'hui. Toutefois, en l'absence d'une approche plus disciplinée, il existe un risque que le gouvernement se tire dans le pied. Évidemment, c'est un enjeu qui demeure la responsabilité des politiciens, mais voici quelques suggestions.

Premièrement, l'interdiction faite aux membres du personnel politique d'entrer dans la fonction publique devrait être levée. Le premier projet de loi du gouvernement Harper visait à rendre beaucoup plus difficile pour les personnes dans les cabinets ministériels d'entrer dans la fonction publique. Ce changement a privé la fonction publique d'une expertise précieuse, compétente et chevronnée. Il ne s'agit pas d'une mesure partisane. J'ai recruté des membres des trois partis et je n'ai jamais été déçu.

Deuxièmement, les cabinets ministériels doivent établir l'infrastructure de gestion des talents nécessaire : recrutement, évaluation et évaluation des compétences. Si le gouvernement veut que le personnel ministériel ait une présence aussi importante dans l'écosystème gouvernemental, ses responsabilités et ses obligations en matière de reddition de comptes devraient être claires pour toutes les parties concernées.

Enfin, les chefs de cabinet devraient bien sûr être autorisés à participer aux audiences des comités parlementaires et à être interrogés. Ils jouent un rôle beaucoup trop important pour être à l'abri de la transparence.

Mobilisation des intervenants

Les intervenants ont toujours fait partie, d'une façon ou d'une autre, de l'écosystème gouvernemental. Au cours des quatre dernières décennies, leur présence et leur influence se sont considérablement accrues. Selon un sondage réalisé par Innovative Research, 70 % des répondants étaient d'accord avec l'affirmation selon laquelle le gouvernement se souciait davantage des intérêts particuliers que de monsieur et madame Tout-le-Monde, 8 % n'étaient pas d'accord, et les autres avaient un avis neutre.

L'évolution du rôle que jouent les intervenants a été influencée par des développements dans d'autres secteurs de l'écosystème gouvernemental. Le premier a été la montée des lobbyistes. Après l'élection de 1968, deux anciens adjoints de direction de ministres libéraux, Bill Neville pour Judy LaMarsh et Bill Lee pour Paul Hellyer, ont fondé une nouvelle firme à Ottawa appelée Executive Consultants Limited. Il s'agissait de la première entreprise canadienne de relations gouvernementales. Le modèle a connu beaucoup de succès et a donné naissance à de nouvelles entreprises concurrentes. Au fil du temps, la plupart des entreprises, des causes et des organismes sans but lucratif ont établi une relation professionnelle avec une entreprise de relations gouvernementales. En mars 2022, le commissaire au lobbying a observé un nombre record d'enregistrements de lobbying actifs (5 059) et de lobbyistes actifs (6 731). En effet, les entreprises, les associations et les entreprises de relations gouvernementales effectuent davantage de lobbying. La voix des intervenants passe rarement inaperçue.

Le deuxième développement est le rôle des médias sociaux et leur incidence sur les médias traditionnels. Les intervenants disposent désormais de nombreuses plateformes pour communiquer leurs objectifs et rallier le soutien à leurs points de vue. Les changements mis en place par les médias traditionnels pour créer un espace où; les intervenants peuvent communiquer leurs priorités sont dérisoires par rapport aux plateformes établies par les médias sociaux. À condition d'avoir un soupçon de curiosité, il est impossible de ne pas être au courant des préoccupations, des intérêts et des solutions de divers groupes d'intérêt.

Le troisième développement est lié à l'atomisation de l'électorat. Dans les années 1970 et 1980, les intervenants étaient souvent représentés par de grands groupes de défense des droits, comme le Congrès du travail du Canada, la Chambre de commerce du Canada, le Comité canadien d'action sur le statut de la femme et l'Association des universités et collèges du Canada. Bien que bon nombre de ces organismes de défense des droits demeurent, ils ont perdu une bonne partie de la capacité d'attention du gouvernement et de l'opinion publique en général. Le marché comprend maintenant beaucoup plus d'acteurs, et bon nombre d'intervenants ont maintenant des programmes très précis. Par exemple, les grandes universités de recherche canadiennes ont leur propre organisation, le Groupe U15. Polytechnics Canada représente les intérêts des 13 grands instituts polytechniques et de technologie. Collèges et instituts Canada (anciennement l'Association des collèges communautaires du Canada) est la voix nationale et internationale des 150 collèges et instituts du Canada. Ce phénomène d'atomisation peut être observé dans tous les secteurs.

Le résultat net est que de nombreux intervenants peuvent, avec une certaine légitimité, revendiquer le droit de contribuer à la formulation des politiques et à l'administration des programmes.

Comme je l'ai déjà souligné, travailler avec les intervenants a toujours fait partie intégrante de la plupart de mes emplois. À l'avenir, il sera important que les hauts fonctionnaires collaborent de façon professionnelle avec les dirigeants des divers groupes d'intervenants. Deux éléments clés augmenteront leurs chances de succès.

La première consiste à expliquer le contexte aux intervenants. Par contexte, j'entends les réalités financières, les priorités concurrentes et les points de vue opposés. Si les intervenants doivent faire partie de la solution, ils doivent comprendre la situation dans son ensemble. J'ai pu, par exemple, communiquer cette perspective plus large à la communauté de la lutte contre le sida.

Le deuxième élément consiste à établir et à maintenir une relation de confiance. Lorsque Brian Topp et moi avons rencontré le groupe de travail spécial d'environnementalistes et de dirigeants du secteur du pétrole et du gaz, on nous a fait confiance. Tout le monde a défini les limites qui ne devaient pas être franchies ainsi que les éléments indispensables pour eux. La confiance n'est pas un bien tangible. Chose certaine, il est plus facile de parvenir à un consensus si l'on vous fait confiance et si vous pouvez faire confiance à vos homologues.

La voix des intervenants sera toujours entendue, directement ou indirectement, que ce soit par le biais des médias traditionnels ou des médias sociaux. Les points de vue des différents intervenants ne sont souvent pas entièrement harmonisés. Bien que la décision définitive appartienne toujours au gouvernement, il est important que les fonctionnaires qui fournissent des conseils gardent les voies de communication ouvertes avec tous les intervenants. Il y aura toujours un autre jour, un autre dossier, d'autres circonstances qui nécessiteront des consultations honnêtes. Les fonctionnaires doivent communiquer avec tous les intervenants sans craindre d'être accusés de trahison.

Rétablir la civilité et la maintenir

Au cours de ma première semaine à Industrie Canada, en mai 2006, j'ai appelé de façon impromptue un certain nombre de députés de l'opposition qui siégeaient au Comité permanent du Parlement sur l'industrie. J'ai également appelé le président du comité et le secrétaire parlementaire du ministre. Après m'être présenté, j'ai demandé à chacun d'eux si je pouvais les rencontrer à leur bureau. Je leur ai dit qu'à ce premier stade de mon mandat en tant que sous‑ministre, je souhaitais obtenir leurs points de vue sur les priorités. Tous les députés ont accepté de me rencontrer. J'ai seulement dû convaincre un député qu'il ne s'agissait pas d'une blague, parce qu'un sous-ministre ne lui avait jamais téléphoné directement. Ces premières réunions ont été utiles à plusieurs égards. J'ai bénéficié de leurs conseils sur les questions clés et les priorités, et j'ai établi des relations personnelles et professionnelles constructives avec eux. Ce début positif s'est avéré très utile lorsque j'ai ensuite dû comparaître devant eux. Au cours de mes diverses comparutions, je n'ai jamais été traité de manière irrespectueuse.

En Alberta, il y a eu une situation semblable, mais qui a connu un dénouement un peu différent. Quelques sous-ministres principaux avaient été convoqués à un comité législatif pour répondre à des questions sur leur rôle concernant des activités qui avaient eu lieu il y a environ trois ans lorsque Alison Redford était première ministre. En lisant la transcription, j'ai pensé que les questionneurs avaient été grossiers et impolis. À mon avis, ils étaient allés trop loin. J'ai fait part de mes préoccupations au vérificateur général, avec qui j'avais établi de solides relations professionnelles. Il était de mon avis au sujet du harcèlement incessant auquel les sous-ministres avaient été soumis. Il a accepté de m'accompagner à une réunion que j'avais organisée avec le chef de l'opposition, Brian Jean, pour discuter de cette question. Lors de la réunion, j'ai abordé la question en disant que je reconnaissais et appuyais pleinement le principe selon lequel les sous-ministres devaient être tenus responsables et soumis à la surveillance des députés. Toutefois, je croyais aussi que tous les députés avaient la responsabilité d'être respectueux. J'ai exprimé mon opinion, appuyée par le vérificateur général, selon laquelle les récentes questions du comité posées aux deux sous-ministres avaient été injustes et démoralisantes pour tous les fonctionnaires. J'ai rappelé à M. Jean que, lors de mes diverses et multiples comparutions devant des comités parlementaires – il avait été député à Ottawa pendant dix ans –, je n'avais jamais été soumis à de tels mauvais traitements. M. Jean a été poli dans sa réponse. Il a choisi de ne pas se déclarer en accord ou en désaccord avec mes observations, mais il a pris note de nos préoccupations et s'est engagé à se pencher sur la question avec les membres de son personnel et ses collègues.

Les communications professionnelles et privées entre les hauts fonctionnaires et les politiciens qui siègent aux comités devraient renforcer l'intérêt public et ne pas compromettre la loyauté des fonctionnaires envers le gouvernement en place. Au cours de mes dernières années à Industrie Canada, on m'a informé que je serais autorisé à poursuivre mes séances d'information à l'intention des députés de l'opposition, à condition d'être accompagné (voire chaperonné) par un membre du cabinet du ministre. Même si j'étais en poste depuis plus de quatre ans et que j'avais reçu des évaluations de rendement exceptionnelles, je suppose que quelqu'un croyait qu'il y avait un risque que je divulgue des secrets. Avant de quitter le poste de sous-ministre d'Industrie Canada, j'ai demandé au président du Comité permanent de l'industrie si je pouvais comparaître une dernière fois avant de prendre ma retraite. Il a gracieusement accepté. Dans mes remarques finales, je leur ai poliment rappelé que les fonctionnaires qui comparaissent devant les comités parlementaires ne se retrouvent pas dans un contexte équitable. Les parlementaires ont accès à un large éventail d'émotions et utilisent un vocabulaire qui n'est pas à la portée des fonctionnaires. Il est difficile pour les fonctionnaires de répondre aux commentaires et aux questions qui sont conçus pour obtenir des phrases-chocs ou des gazouillis plutôt que de l'information. Des lignes directrices appropriées devraient être établies afin que les présidents des comités puissent s'assurer que les témoins sont traités avec un certain degré de civilité.

Il est regrettable que quelques députés se soient mis à dénigrer, rabaisser et calomnier des témoins qui sont des fonctionnaires. Si seulement le fonctionnaire pouvait répondre en disant : « Monsieur, je suis consterné par l'ignorance brutale et la connaissance passagère de faits qui sous-tendent cette présumée question. Avant de fournir au député certains faits afin qu'il ne pose plus jamais une autre question dénuée de tout fondement, j'aimerais aborder certaines des calomnies qui me visent. »

Il y a beaucoup à dire sur l'amélioration des relations entre les législateurs et les fonctionnaires dans des contextes non conflictuels. Il serait utile, par exemple, d'organiser un programme d'échange structuré entre des membres des divers comités du corps législatif et des ministères. Un tel programme renforcerait les connaissances des deux parties. Il servirait également l'intérêt public. Il serait également avantageux qu'un tiers comme le Forum des politiques publiques ou le Bureau du vérificateur général tienne régulièrement des séances informelles entre les législateurs et les hauts fonctionnaires.

Conclusion

Dans le secteur privé, toutes les entreprises utilisent des mesures normalisées pour réussir : profit, part de marché, rendement du capital investi, cours de l'action. Ces indicateurs permettent aux gestionnaires et aux cadres de se faire une idée des capacités et du rendement de leur personnel. Au gouvernement, de telles mesures de la réussite ne sont pas facilement accessibles pour la grande majorité des ministères. Les gestionnaires du secteur public doivent généralement poursuivre divers objectifs simultanément. Par exemple, un grand projet d'immobilisations comme la nouvelle initiative de train à grande fréquence a pour objectif principal de réduire le temps qu'il faut pour voyager en train de Montréal à Toronto. Mais il comporte également des objectifs liés aux changements climatiques, à la réconciliation avec les Autochtones et à la croissance économique. Tous ces objectifs, naturellement, doivent être atteints dans un cadre d'optimisation des ressources. L'approvisionnement en matière de défense doit répondre aux besoins opérationnels des Forces armées canadiennes, offrir des avantages industriels régionaux appropriés et être rentable. La pondération relative de ces divers objectifs primaires et secondaires n'est pas facile. L'absence de mesures convenues soulève souvent des préoccupations quant au niveau réel d'engagement des fonctionnaires.

Il y aura toujours une zone grise dans la relation entre un ministre et un sous-ministre. Les tentatives de faire disparaître cette zone se heurtent à la réalité que les sous-ministres sont nommés par le premier ministre du Canada ou le premier ministre provincial. Bien qu'ils travaillent pour le ministre, ils relèvent également du secrétaire du Cabinet ou du greffier du Conseil privé. J'ai vu un côté de cette réalité lorsque j'étais sous-ministre de l'Industrie à Ottawa et à de nombreuses reprises à Queen's Park. J'ai vu l'autre côté lorsque j'ai été sous-ministre de la première ministre Notley. Cette réalité a poussé un certain ministre à me pointer du doigt parce que, à son avis, j'avais été déloyal envers lui en consultant le Bureau du Conseil privé sur l'une de ses propositions.

Dans le même ordre d'idées, il y aura toujours une ambiguïté dans la relation entre une société d'État et un ministre. Ces sociétés sont créées de façon à avoir un modèle de gouvernance qui s'apparente au concept de souveraineté-association. Il y aura toujours un certain flou quant à la nature de la relation sans lien de dépendance.

Les ministres ne sont généralement pas des experts en la matière. Lorsqu'ils quitteront le portefeuille, ils auront renforcé considérablement leur connaissance du domaine, mais la majorité commence avec un faible niveau de connaissances. Les cabinets ministériels, malgré leur taille sans cesse croissante, ne sont pas non plus des experts en la matière. L'écart de connaissances perçu entre le ministre, le cabinet du ministre et la fonction publique a été considérablement réduit grâce aux médias sociaux, mais l'écart demeure.

L'ingrédient fondamental nécessaire au fonctionnement du système est la confiance. Par exemple, vous pouvez croire qu'en tant que sous-ministre, je soutiendrai le ministre et que le ministre me soutiendra. J'avais ce genre de relation de confiance lorsque je travaillais pour Jim Prentice à Ottawa et pour Rachel Notley en Alberta. Le système fonctionne lorsqu'il existe une confiance à l'égard de l'idée que le président et le conseil d'administration d'une société d'État prendront en compte l'intérêt supérieur de l'intervenant et que l'intervenant sera respectueux du mandat du conseil. En tant que présidente d'Alberta Health Services (AHS), Linda Hughes a compris comment concilier ses responsabilités fiduciaires à l'égard d'AHS et les résultats souhaités par l'intervenant. Le ministre, le conseil d'administration et la direction lui faisaient confiance. Le système fonctionne lorsqu'il existe une confiance à l'égard de l'idée que le sous-ministre prendra en compte l'intérêt supérieur des sous-ministres adjoints en ce qui a trait à leur avancement professionnel et que les sous-ministres adjoints seront ouverts et loyaux à leur sous-ministre.

La confiance est une devise qui ne peut pas être achetée ou transférée. Elle doit être gagnée tous les jours, toutes les semaines, tous les mois. Elle se gagne en donnant de bons conseils, en faisant preuve de transparence, en étant respectueux des responsabilités de chacun, et en résolvant les problèmes de façon collaborative. La première ministre Notley m'a fait confiance lorsque je lui ai donné des conseils sur la transition du pouvoir. Le premier ministre Harris m'a fait confiance lorsque je lui ai donné des conseils sur le référendum et les questions liées au Québec. Perrin Beatty m'a fait confiance lorsque nous avons élaboré la stratégie de lutte contre le sida. Sans confiance et respect mutuels, c'est un parcours du combattant pour tout le monde.

Je crois que l'un des secrets du succès du Canada parmi les nations est la qualité de sa fonction publique professionnelle et non partisane. Mais l'existence d'une fonction publique professionnelle ne peut être tenue pour acquise. Des jeunes doivent être embauchés et formés pour devenir les leaders de la fonction publique de demain. Les politiciens du gouvernement et de l'opposition et le public en général doivent comprendre et appuyer le rôle essentiel que joue la fonction publique du Canada. Si nous réussissons à maintenir et à soutenir une fonction publique professionnelle en ces temps qui changent, il sera bien plus facile d'affronter les nombreux défis que nous rencontrerons et de les surmonter.

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Appendice A : Lettre à un sous-ministre entrant

Cher collègue,

Félicitations pour votre nomination! Alors que vous commencez votre nouvel emploi, j'ai décidé de vous offrir quelques suggestions pour vous aider à réussir votre transition vers le poste de sous-ministre. Cette lettre ne vous expliquera pas comment devenir sous-ministre. Les autorités ont déterminé que vous avez les attributs nécessaires, notamment :

  1. la capacité de travailler avec les ministres et leur cabinet;
  2. la capacité de communiquer des concepts complexes de manière succincte;
  3. la capacité de jouer un rôle d'intendance;
  4. la capacité d'élaborer une stratégie pour des dossiers horizontaux et verticaux;
  5. la capacité de résister à la frustration et de composer avec l'ambiguïté tout en restant concentré sur l'atteinte de résultats.

Cette lettre porte sur la façon d'être un bon sous-ministre; plus précisément, elle se concentre sur les aspects du rôle de sous-ministre liés à la gestion. J'ai regroupé mes commentaires en fonction des quatre responsabilités suivantes :

  • Gérer des personnes
  • Gérer l'organisation
  • Gérer votre temps
  • Gérer votre départ

GÉRER DES PERSONNES

1. Recrutement de cadres

Au cours de votre mandat de sous-ministre, la qualité de votre travail dépendra du talent des personnes dont vous vous entourerez. Dans une grande mesure, la marque que vous laisserez sur le ministère dépendra des personnes que vous pourrez y attirer.

Prenez le temps d'examiner attentivement qui vous embauchez. Assurez-vous qu'ils ont le jugement nécessaire pour savoir quand vous remettre en question, la confiance en soi nécessaire pour déléguer et le leadership nécessaire pour motiver le personnel. La chasse au talent est féroce, et elle le sera de plus en plus. Résistez à l'impulsion d'embaucher quelqu'un simplement parce que vous avez rencontré cette personne lors d'un emploi précédent et que vous avez un besoin urgent de pourvoir un poste.

Tenez compte de vos forces et de vos faiblesses lorsque vous embauchez quelqu'un. Assurez-vous que les nouveaux employés auront une bonne chimie avec vous et avec le reste de l'équipe de direction dans le contexte de leur travail dans un grand ministère. N'oubliez jamais que vous embauchez à la fois une personne et un membre de votre équipe.

2. Gestion des évaluations du rendement et de la fixation d'objectifs

Étant donné l'absence d'indicateurs comme les résultats financiers annuels et trimestriels, les ventes, les résultats cibles en matière de production et la part de marché, un défi clé dans la fonction publique est l'élaboration de bonnes mesures de rendement.

Le défi d'avoir des objectifs de rendement qui ont une durée de vie d'un an est exacerbé par la réalité politique qui veut que sur une période de 12 mois, beaucoup de choses se produiront, de nombreuses hypothèses changeront et les priorités évolueront.

Donc, élaborez un système hybride pour les ententes de rendement. La partie A peut porter sur des objectifs trimestriels qui sont établis et révisés tous les trois mois environ. Ces objectifs peuvent se rapporter à des résultats précis sur lesquels vos principaux cadres peuvent avoir une ligne de mire, par exemple : le mémoire au Cabinet suivant sera produit, la politique suivante sera élaborée, les résultats opérationnels suivants seront atteints. À la fin de chaque période, ces réalisations peuvent être examinées et de nouveaux objectifs peuvent être fixés pour la période suivante. La partie B peut se rapporter à des objectifs sur 12 mois, dont la spécificité et la pondération peuvent varier selon le secteur ou la direction, dans des domaines comme :

  1. Améliorer et renouveler les ressources humaines
  2. Améliorer la gérance financière
  3. Accroître la sensibilisation des intervenants

3. Gestion du groupe EX

La santé collective et la motivation de ce groupe auront la plus grande incidence sur le succès ou l'échec du ministère, plus que tout autre facteur. De plus, ils sont vos ambassadeurs ailleurs à Ottawa, auprès des gouvernements provinciaux et des intervenants.

Vous devez vous tenir au courant des arrivées et des départs de ces personnes, de leur profil général, du nombre de personnes avec un haut/faible potentiel, etc. D'abord, faites connaissance avec vos EX. Au cours des six premiers mois, rencontrez tous vos EX-03 et EX-02 dans un contexte qui n'est pas fondé sur l'organigramme. Par exemple, rencontrez en petits groupes de quatre ou cinq tous les EX qui se sont joint au ministère au cours des deux dernières années ou tous les EX qui sont là depuis au moins 15 ans. Sans déstabiliser l'intégrité de votre organigramme, faites connaissance avec les 50 à 75 personnes aux rangs les plus élevés. Deuxièmement, demandez à votre directeur général des ressources humaines de produire mensuellement un rapport qui comprend notamment des données au sujet de ce qui suit :

  1. les EX qui sont arrivés et sont partis;
  2. la dotation et la classification qui est en cours pour les EX;
  3. les EX en congé, les échanges de cadres (et les dates liées à ces affectations);
  4. les EX qui sont admissibles à la retraite au cours des trois prochaines années, en mettant particulièrement l'accent sur les 12 prochains mois;
  5. le profil linguistique des EX.

Examinez ce rapport tous les mois, car il constitue un outil de planification de la gestion des RH très utile. Troisièmement, organisez sur une base trimestrielle des séances de gestion des talents avec vos EX-04 et EX-05 sur les EX-01, EX-02, EX-3 et établissez un plan de perfectionnement solide pour les EX-02 et EX-03 qui ont un potentiel d'avancement. Élaborez un programme de perfectionnement des EX pour votre ministère. Quatrièmement, au cours des deux premières années, organisez une retraite des cadres pour tous les EX; cet événement sera utile pour renforcer l'esprit d'équipe et l'intégration émotionnelle. Enfin, vous devez garder un bon équilibre entre les personnes qui ont évolué au sein du ministère et les personnes qui viennent de l'extérieur de votre ministère.

GÉRER L'ORGANISATION

1. Définir un rôle pour votre sous-ministre délégué

Le poste de sous-ministre délégué est relativement nouveau, ayant été établi à Ottawa vers la fin des années 1990. Étant donné que la description de travail est plutôt fluide et générique, le délégué peut être soit un atout unique, soit un petit problème nécessitant une adaptation. De nombreux facteurs entrent en jeu pour déterminer lequel des deux résultats prévaudra. Ces facteurs comprennent : la chimie personnelle, les expériences antérieures, le niveau d'ambition du délégué, la confiance en soi et la maturité du sous-ministre. Il existe de nombreuses approches pour cette relation; mon modèle préféré est « two in a box » –« deux [personnes] dans la case ». L'opérationnalisation de ce modèle comporte un certain nombre d'aspects administratifs et bureaucratiques. Par exemple :

  1. tous les blocs-signatures comportent le nom du sous-ministre et du sous-ministre délégué;
  2. dans toutes les notes et notes de service adressées à l'un, l'autre est mis en copie conforme;
  3. les calendriers et horaires sont échangés quotidiennement et hebdomadairement;
  4. le délégué peut assister à TOUTE réunion à laquelle le sous-ministre participe avec des personnes internes ou externes au ministère;
  5. un document conjoint pour les cibles de rendement et l'évaluation du rendement est soumis au greffier;
  6. tous les subordonnés directs dans l'organigramme relèvent à la fois du sous‑ministre et du délégué; les examens du rendement et les séances d'établissement des cibles des subordonnés directs sont effectués avec le sous‑ministre et son délégué;
  7. le sous-ministre et son délégué participent à toutes les réunions bilatérales avec le ministre.

Les éléments susmentionnés représentent le minimum pour le modèle « deux dans la case ». Pour que le modèle puisse vraiment fonctionner, les éléments suivants sont également nécessaires :

  • confiance : confiance implicite et explicite que les deux veilleront sur l'autre et confiance à l'égard de l'instinct et des motivations de l'autre;
  • communication et échanges d'information constants : au-delà de l'échange de documents papier, communication constante concernant des enjeux comme le ministre, le cabinet du ministre, le Bureau du Conseil privé, etc.;
  • partage du fardeau : un sentiment que les deux fonctionnent d'une manière similaire, quantitativement et qualitativement;
  • perception interne et externe : faire savoir au monde qu'il n'y a aucun désaccord entre les deux – c'est particulièrement important pour l'organisation et le cabinet du ministre;
  • le délégué doit traiter un certain nombre de dossiers indépendamment; il a également besoin de ses propres sources d'oxygène pour son ego. N'oubliez pas que le travail du délégué peut être suffocant et épuisant sur le plan émotionnel.

Ce modèle ne fonctionnera pas nécessairement pour tout le monde. Si vous élaborez un autre modèle, faites en sorte que rien n'ait été oublié. En fin de compte, vous êtes responsable de faire fonctionner l'organisation, en commençant par travailler avec le sous-ministre délégué de façon optimale et maximiser son potentiel.

2. Mettre en place une délégation appropriée

Les organisations gouvernementales ont tendance à forcer ou à encourager la délégation vers le haut en donnant la priorité à l'urgent plutôt qu'à l'important, à la connaissance plutôt qu'au jugement, et aux objectifs à court terme plutôt qu'aux objectifs importants à moyen terme. Le gouvernement fédéral ne fait pas exception à cette tendance générale.

Dans la période initiale, prenez le moins de décisions possible. Donnez à vos sous‑ministres adjoints les moyens de prendre ces décisions. Demandez à votre délégué de présider les comités de direction pour les premiers mois. Efforcez-vous de réduire le nombre de décisions que vous prenez par rapport à celles qui sont prises par vos subordonnés directs. Ne soyez pas prisonnier de l'organigramme; utilisez-le plutôt pour vous libérer du temps. Cherchez à mettre en place une culture de délégation où; la responsabilité de régler un problème, de trouver une solution ou de façonner une stratégie est assumée par un sous-ministre adjoint ou un directeur général.

Vous êtes responsable des décisions prises dans votre ministère, mais vous n'avez pas à toutes les prendre. N'oubliez jamais que vous avez tout un groupe de hauts fonctionnaires qui devraient prendre de nombreuses décisions. Vous devez concentrer votre temps sur les décisions qui sont véritablement stratégiques.

3. Gérer le flux de papier et d'information

Si vous voulez avoir une chance de gérer votre bureaucratie, vous devrez gérer votre flux de papier. Si vous ne le faites pas, quelques-unes des choses suivantes se produiront tôt ou tard.

  • Vous serez désagréablement surpris par un événement pour lequel vous n'aurez pas reçu de séance de breffage ou vous n'aurez pas vu la note d'information.
  • Le cabinet du ministre disposera de renseignements partiels fournis par un fonctionnaire bien intentionné et fournira des conseils au ministre sans fournir le contexte plus général, menant à une décision malheureuse.
  • Vous aurez un arriéré, deviendrez un goulot d'étranglement et serez toujours en train de rattraper votre retard.
  • Vous aurez plus de difficulté à établir et à gérer l'ordre du jour pour servir le ministre.

Au fil des ans, j'ai essayé une variété de techniques pour améliorer la gestion des documents papier et de l'information. Voici un résumé de ces techniques.

Chaque jour

  • Un rapport sur toutes les réunions tenues ce jour-là avec les intervenants et le ministre ou le cabinet du ministre.

Chaque semaine

  • Une liste descriptive de toutes les notes qui seront remises au sous-ministre dans les trois prochaines semaines.
  • Une liste de toutes les notes ou décisions en suspens au cabinet du ministre qui n'ont pas fait l'objet de mesures.
  • Un document sur les trois prochaines semaines concernant les points sur lesquels le ministre doit être informé et qui nécessiteront une décision.
  • Un calendrier des trois prochains mois pour toutes les présentations au Conseil du Trésor et tous les mémoires au Cabinet qui sont dans le système, y compris ceux du portefeuille.
  • Un calendrier de déploiement des communications sur trois mois, y compris les discours et les annonces.

Toutes les deux semaines

  • Une mise à jour exhaustive de chacun de vos subordonnés directs de quatre ou cinq pages sur tous les dossiers clés qu'ils gèrent, ainsi que sur les enjeux touchant les RH et les finances. Ces rapports de situation peuvent alors servir de base pour des réunions bimensuelles avec vos subordonnés directs. Un point clé pour les rapports bimensuels : offrez une rétroaction en temps opportun, c.‑à‑d. que si vous recevez les rapports le vendredi, vos commentaires devraient être fournis aux membres de la haute direction avant le lundi, 8 h 30.

En bref, vous devez avoir une bonne idée de ce qui devrait se produire, et quand. Il y aura toujours des surprises, mais il y en aura moins si vous avez de bons processus en place.

4. Établir des processus de gestion appropriés

Chaque organisation a besoin de son propre ensemble de processus de gestion qui fournissent, une fois combinés, un cadre intégré pour l'intendance du ministère. Les grandes bureaucraties doivent comprendre comment les décisions sont prises et comment la gouvernance est exercée. Vous pouvez utiliser ce qui suit comme points de référence :

  1. Réunion hebdomadaire du comité de direction, présidée par le sous-ministre; les participants sont tous les subordonnés directs. L'ordre du jour est toujours le même : examen du programme de politiques et des présentations au Conseil du Trésor, mise à jour sur les communications et tour de table. La réunion dure une heure.
  2. Réunion mensuelle du comité de gestion, présidée par le sous-ministre; les mêmes participants qu'aux réunions du comité de direction. L'ordre du jour porte sur les rapports de RH et financiers mensuels, ainsi que sur d'autres enjeux de gestion connexes, comme les technologies de l'information (TI). La réunion dure deux heures.
  3. Table des politiques du sous-ministre, présidée par le sous-ministre délégué; au besoin. L'objectif est d'attirer l'attention, à l'interne, sur toutes les grandes initiatives de politiques et d'améliorer les connaissances internes concernant le travail des autres secteurs.
  4. Conseil d'examen des services et des programmes, présidé par le dirigeant principal des finances (DPF); les participants sont les sous-ministres adjoints. Il se réunit toutes les deux semaines et examine toutes les principales contributions et tous les principaux contrats. Il sert de Conseil du Trésor interne.

Les bureaucraties des secteurs privé et public ont besoin de prévisibilité, elles ont aussi besoin de leadership. Évitez de laisser les comités se transformer en organes prenant des décisions fondées sur le consensus. Une fois que vous avez mis en place votre modèle, maintenez-le et dirigez-le.

GÉRER VOTRE TEMPS

1. Gérez votre temps en fonction de vos priorités

Les bureaucraties fonctionnent comme si les cadres avaient des réserves de temps illimitées et inépuisables. Des réunions sont organisées alors qu'un courriel ou une conférence téléphonique aurait suffi. Une réunion d'une heure peut facilement devenir une réunion de deux heures. Des notes de service longues et courtes devront être lues. Des intervenants et des dirigeants d'associations devront vous informer. Si vous avez un portefeuille, les chefs et le président voudront également vous rencontrer pour vous tenir suffisamment informés. Certains événements vous obligeront à passer du temps sur des problèmes et des dossiers que vous n'aviez pas prévus. Autrement dit, il y aura toujours beaucoup de gens et d'institutions qui voudront un peu de votre temps, cette denrée rare. Le système vous demandera toujours plus de temps que ce que vous pouvez lui donner.

Afin de mieux gérer ces diverses demandes, établissez une typologie de ce à quoi vous consacrez votre temps, par exemple :

  1. gestion du ministère (comité des membres du groupe EX, réunions bilatérales);
  2. rencontres avec des collègues et des intervenants provinciaux;
  3. déplacements;
  4. travail de bureau;
  5. ministre et cabinet du ministre;
  6. réponse aux organismes centraux;

Demandez à la personne qui sera votre adjoint administratif de faire le suivi de votre temps. Après chaque mois, examinez la façon dont vous passez réellement votre temps par rapport à la façon dont vous souhaitez le passer et faites les changements en conséquence. Ne laissez pas votre boîte de réception et votre BlackBerry façonner votre emploi du temps. Soyez ferme lorsque vous déterminez les réunions auxquelles vous devrez assister, par rapport à celles auxquelles vous devriez assister et celles auxquelles il serait bon d'assister. Gérez votre temps comme vous gérez votre argent : dépensez-le là où; vous le devez, investissez-le là où; vous le devriez. Ne laissez pas les autres remplir votre ordre du jour.

GÉRER VOTRE DÉPART

En raison de leur nature même, les bureaucraties ont tendance à être repliées sur elles-mêmes; elles se concentreront souvent sur le processus au détriment des résultats. Cette situation est aggravée par le fait que les gouvernements nationaux doivent, naturellement, garantir le respect des procédures pour la prise de décision.

En outre, les bureaucraties des secteurs privé et public avaient autrefois un certain monopole sur les connaissances institutionnelles et les perspectives historiques. L'arrivée d'Internet, puis des téléphones intelligents a modifié la proposition de valeur que les bureaucraties avaient autrefois. Les intervenants, les membres du personnel politique, les lobbyistes, les groupes de défense et les journalistes peuvent tous recueillir et diffuser des analyses et des renseignements pertinents. Ces renseignements ne sont peut-être pas aussi complets ou exhaustifs que ceux de votre bureaucratie, mais ils seront diffusés plus rapidement et seront souvent plus succincts.

Un autre point qu'il convient de noter est la tendance continue à une transparence et à une responsabilisation accrues. De nombreuses mesures ont été prises pour répondre à ce besoin : plus de comparutions de fonctionnaires au Parlement, plus de divulgations de contrat et de frais de déplacement, plus de documents publiés dans le cadre de l'accès à l'information et de la protection des renseignements personnels (AIPRP) et plus de hauts fonctionnaires du Parlement qui produisent plus de bulletins sur le rendement des ministères. Nonobstant tout ce qui précède, votre hypothèse de travail devrait être qu'à l'avenir, une plus grande transparence sera nécessaire, une conséquence de l'inévitable prochain « scandale d'une sorte ou d'une autre », ou d'une autre vague de réformes.

Ces trois facteurs réunis mènent inévitablement à cette conclusion : vous devez sortir de votre bureau.

Faites preuve d'initiative auprès des parlementaires. Trouvez les principaux membres de votre comité parlementaire, du Comité des comptes publics et du Comité des opérations gouvernementales. Tôt ou tard, vous comparaîtrez devant ces comités. Il est préférable que votre première comparution ne soit pas votre première rencontre avec ces personnes. Établissez une relation appropriée et respectueuse avec les parlementaires. Le Parlement est la tribune suprême pour la reddition des comptes.

Adoptez la même approche avec les intervenants. Rencontrez-les rapidement : établissez une relation avec le chef de la direction, le sous-ministre provincial et le chef du groupe. Et allez-y seul, car cela réduira la probabilité que le dialogue se limite à des échanges déjà préparés.

Dans l'ensemble, établissez un réseau externe actif afin de trouver un équilibre entre les priorités découlant de votre corbeille d'arrivée et les grandes préoccupations des gens en dehors d'Ottawa. Ne devenez jamais l'otage de vos notes de breffage et de vos coupures de presse en faisant de celles-ci votre principale source de renseignements.

Les types d'initiatives que je viens d'énoncer vous permettront d'accroître votre valeur, en devenant un conseiller stratégique pour votre ministre, plutôt qu'un transmetteur d'informations et de conseils provenant d'une bureaucratie qui a une perspective limitée. La technologie a permis à de nombreuses personnes à l'extérieur du gouvernement de fournir rapidement des conseils aux ministres. Vous pouvez plus facilement « relier les points » d'une manière stratégique pour le ministre si vous gardez un réseau externe solide et actif.

GARDER TOUT CELA EN PERSPECTIVE

Ce travail vous en demandera beaucoup. À court terme, il en prendra plus qu'il ne vous en donnera. Votre influence, votre incidence et la façon dont vous façonnerez l'ADN de votre ministère sont les récompenses réelles de ce travail; elles demandent du temps et seront plus manifestes à moyen terme.

Pendant que vous assurerez l'intendance du ministère, il est important que vous ne perdiez pas de vue l'importance de maintenir un équilibre dans votre vie et d'entretenir des relations significatives.

Ne laissez pas le travail vous priver de vos temps libres et ne sous-estimez pas l'importance des relations affectives avec votre partenaire, vos enfants, vos amis, vos frères et sœurs et vos parents. Vous avez besoin d'eux pour mener une vie équilibrée et être un meilleur sous-ministre. Si vous les oubliez, vous vous oublierez aussi, et il y a de fortes chances que vous deveniez un sous-ministre grincheux et irritable. Travaillez pour vivre, ne vivez pas pour travailler.

Salutations distinguées,

Richard Dicerni

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Appendice B : Lettre à un collègue qui prend sa retraite

Monsieur le Sous-Ministre,

Vous vous souvenez peut-être que nous avons communiqué ensemble, il y a un certain nombre d'années, au moment où; vous veniez d'être nommé. À l'époque, je vous avais écrit une lettre de félicitations et vous avais fait quelques suggestions concernant la gestion de votre ministère. J'ai cru comprendre que vous avez eu un bon parcours et qu'après de nombreuses années de service, vous envisagez maintenant de prendre votre retraite.

Pour vous aider à réfléchir à cette possible transition, j'ai rassemblé quelques notes qui, je l'espère, vous seront utiles lorsque vous penserez à cette décision assez importante. La plupart des gens ne prennent leur retraite qu'une seule fois. Il est donc important que vous preniez le temps de bien réfléchir à cette question.

Avant de passer la liste en revue, permettez-moi de vous fournir un peu de contexte.

Certaines personnes, lorsqu'elles prennent leur retraite de la fonction publique, souhaitent continuer à travailler d'une manière ou d'une autre. Certains veulent occuper un poste de direction, d'autres veulent travailler à temps partiel, d'autres encore veulent se lancer dans le domaine des services professionnels, que ce soit au sein d'une entreprise ou à leur propre compte.

Certains veulent voyager, jouer au golf, jardiner, passer plus de temps au chalet, devenir des grands-parents plus engagés. Certains veulent juste prendre une pause et respirer, après avoir épuisé leur énergie et leur patience. Certains veulent retourner dans un établissement d'enseignement postsecondaire pour poursuivre un intérêt professionnel ou personnel.

Chaque personne a un ensemble de besoins et de circonstances qui lui est propre. Les commentaires ci-dessous ont été préparés pour vous guider à travers cette possible transition. Les commentaires ne vous apparaîtront pas tous pertinents. Concentrez-vous sur ceux qui ont une signification pour vous.

1. Comment gérer le déficit que votre ego vivra

Un emploi de sous-ministre contribue dans la plupart des cas à renforcer notre ego. Beaucoup de gens dans votre ministère vous disent à quel point vous êtes essentiel, que le ministère n'aurait pas pu se frayer un chemin dans les hauts-fonds sans vous; de nombreux cadres du secteur privé et du milieu universitaire vous disent à quel point vous êtes incroyable. Bien que vous ayez parfois reçu des leçons d'humilité, il faut dire que, dans l'ensemble, votre ego a été flatté par votre mandat de sous-ministre.

Une fois que vous partez, le flux de commentaires élogieux diminuera quelque peu. Vous serez toujours aussi intelligent, aussi fin, aussi perspicace que vous l'avez toujours été. Mais moins de gens vous feront de commentaires à cet égard.

Certains anciens sous-ministres font face à cette situation en reconnaissant qu'ils ont eu un bon parcours et qu'il est temps de passer à autre chose. D'autres réagissent en restant en quelque sorte dans la course (j'en dirai plus à ce sujet plus tard). D'autres réagissent mal et s'en attristent.

2. Comment gérer la fin de votre « fontaine de capital intellectuel »

Les sous-ministres peuvent recevoir assez rapidement des notes de service et des analyses sur la plupart des questions qui les intéressent. Ils sont invités à assister à des réunions stimulantes en tant que participants ou observateurs. Ils accompagnent leurs ministres pour rencontrer des personnes importantes et éloquentes. Ils ont des soupers avec des personnes réfléchies, perspicaces et pleines d'esprit. Être un sous-ministre offre une source infinie de situations et de documents renforçant votre capital intellectuel.

Au fil du temps, généralement en peu de temps, le flux d'information se tarira et le nombre d'invitations diminuera. Vous n'aurez plus la capacité de demander qu'on vous produise des analyses. Vous aurez, en revanche, plus de temps pour lire des livres, des articles et des magazines. Vous ne serez pas condamné à n'avoir du temps de lecture que vous lorsque vous allez au lit ou lorsque vous montez dans un avion. Cela suffira-t-il?

Réfléchissez à cette question et trouvez les approches qui fonctionnent pour vous. Chercherez-vous à vous joindre à des conseils d'administration, à des sociétés d'État, à des sociétés cotées en bourse ou à des organismes sans but lucratif?

Deviendrez-vous chargé de cours ou cadre en résidence dans une université? Ou retournerez-vous à l'université pour suivre un cours sur un sujet que vous avez toujours voulu comprendre?

Votre cerveau, comme les muscles de votre corps, doit faire de l'exercice et être maintenu en bonne forme. Réfléchissez à la façon dont vous allez le faire.

3. Comment s'adapter à une nouvelle relation

Pour la plupart des sous-ministres, le travail prend un nombre important d'heures au cours de la semaine et la fin de semaine. L'omniprésent BlackBerry ou iPhone est évidemment un compagnon constant avec qui nous passons d'innombrables heures. Il est avec vous, dans votre sac à main ou dans votre veste, à votre réveil et lorsque vous rentrez chez vous le soir.

En quittant le poste de sous-ministre, vous aurez beaucoup d'heures à votre disposition. La relation avec votre conjoint ou conjointe ou avec votre partenaire sera, à divers degrés, redéfinie au fur et à mesure que vous passerez plus de temps ensemble.

Quelles seront vos activités conjointes : les voyages, le golf, le théâtre, l'école de cuisine, le jardinage? Quelles activités ferez-vous seul?

La liste est potentiellement sans fin. Il serait donc utile de commencer à en parler et, plus important encore, d'en discuter avec votre conjoint, votre conjointe ou votre partenaire pour vous assurer que vous êtes sur la même longueur d'onde.

4. Comment s'adapter aux règles éthiques et éviter les conflits d'intérêts

La plupart des sous-ministres passent leur carrière à bâtir leur réputation. Ce parcours nécessite de faire preuve de jugement lors de situations éthiques difficiles, de dire la vérité aux détenteurs du pouvoir et de faire la « bonne chose » lorsqu'une décision devait être prise à un moment inopportun.

Tous ces efforts peuvent être mis en péril si les mesures appropriées ne sont pas prises au cours de la période précédant la retraite, en particulier pour ceux qui décident de continuer à occuper un poste de direction ou à travailler en tant que conseiller en affaires dans un cabinet d'avocats, ou en tant que consultant dans un cabinet d'experts-conseils.

Il serait utile d'avoir le plus tôt possible une discussion avec le responsable de l'éthique ou des conflits d'intérêts pour vous assurer que vous maintenez cette réputation exemplaire que vous avez obtenue après tant d'efforts. De nombreuses entreprises accordent beaucoup de valeur aux idées et conseils que les sous-ministres à la retraite peuvent leur fournir. Il est important que ces contributions respectent les limites imposées par les normes d'éthique.

Écrivez-vous une note décrivant comment vous avez respecté les diverses lois en matière d'éthique et de conflits d'intérêts.

5. Comment gérer l'absence d'infrastructure

Les bureaux des sous-ministres fournissent du soutien pour beaucoup de choses. En partant du bureau, vous devrez vous habituer à utiliser les systèmes de réservation des compagnies aériennes, l'assistance technique et administrative et les rapports de compte de dépenses. Cela vous demandera du temps et sera exigeant sur le plan émotionnel. Malheureusement, à moins de vous joindre à un bureau qui fournira ce soutien, vous n'avez pas d'autre choix que de le faire vous-même. Heureusement, la technologie facilite les choses. Mais il faudra du temps pour configurer votre nouveau système, y compris pour obtenir un soutien technique.

6. Comment répondre aux offres des cabinets d'avocats, des cabinets comptables et des autres cabinets de services professionnels

De plus en plus, les sous-ministres à la retraite se voient offrir des postes de « conseillers en affaires ». Si de telles occasions se présentent à vous, vous devriez les envisager sérieusement. Ces possibilités peuvent fournir certains avantages, notamment financiers, évidemment.

Quelques points à prendre en compte

  • Qu'allez-vous réellement faire? Autrement dit, sur quelle base considérera-t-on que vous avez fait un travail exceptionnel? Quels sont les indicateurs de la réussite?
  • Combien de temps êtes-vous prêt à consacrer à cette entreprise de services professionnels? Et pour combien de temps : quelques années seulement ou plus?
  • S'agira-t-il d'une nouvelle carrière, ou d'un emploi ou d'une activité qui vous tiendra occupé et pour laquelle vous serez rémunéré?

Il est bon d'examiner certains de ces enjeux lorsque vous réfléchissez à ces possibilités.

7. Comment garder vos muscles actifs

La plupart des sous-ministres passent énormément de temps à exercer leur cerveau, mais peu de temps à exercer leurs muscles. Avec le temps, ces muscles nécessiteront une attention accrue et régulière. Un certain nombre de sous-ministres réservent des périodes dans leur horaire pour leurs séances d'entraînement. Si c'est votre cas, je vous encourage à maintenir cet engagement. Si, au contraire, le gymnase et l'entraîneur ont été, au mieux, un compagnon aléatoire et très irrégulier, je dirais seulement : il n'y a plus d'excuses. Il est temps de passer à l'action.

Profitez de la vie – votre vie

Quelques réflexions finales.

De plus en plus, les sous-ministres à la retraite ont encore beaucoup de bonnes années devant eux. Les statistiques indiquent que vous prenez votre retraite un peu plus tôt que la cohorte précédente de sous-ministres et que vous vivrez plus longtemps que vos prédécesseurs des autres générations. La retraite est une nouvelle phase de votre cycle de vie. En général, il est utile de ne pas chercher à recréer le passé. Empruntez plutôt un nouveau chemin qui vous offrira un ensemble différent de récompenses.

Pendant la majeure partie de votre carrière, vous avez été dans un environnement où; d'autres personnes portaient un jugement sur vous : votre ministre, vos supérieurs bureaucratiques, des intervenants, vos pairs et vos collègues intergouvernementaux. Ils faisaient des commentaires sur la qualité de votre travail (ou ses lacunes) et ont eu une incidence sur la vitesse de votre progression de carrière. Si vous souhaitez continuer à être actif à temps plein ou à temps partiel, comme employé ou contractuel, dans un rôle de gouvernance ou de consultation, réfléchissez aux activités qui créeront des circonstances où; vous serez jugé et faites en sorte que ces juges soient des personnes avec qui vous serez à l'aise.

Prenez le temps de déterminer où; et comment vous souhaitez passer vos heures, vos journées, vos semaines et vos mois. Ce sera votre plan stratégique. Ce plan prendra un certain temps à se cristalliser, au fur et à mesure que vous traverserez certaines des situations que j'ai décrites plus haut. Mais au fil du temps, vos intérêts réels, vos passions et vos besoins émergeront.

Je vous souhaite bonne chance à l'aube de cette nouvelle étape de votre vie. Elle sera excitante, frustrante, relaxante, gratifiante et stimulante. Plus important encore, elle sera vôtre.

Salutations distinguées,

Richard Dicerni

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