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Discussion sur les politiques adaptatives et leur signification en vue de la mise en œuvre (TRN5-V51)

Description

Cette vidéo, enregistrée à l'occasion de la Conférence de la Communauté des politiques de 2023, met en vedette les conférencières Jutta Treviranus et Roda Muse, le conférencier Darren Swanson ainsi que l'animatrice Gail Mitchell, qui discutent du fossé à combler entre les objectifs en matière de politiques et la mise en œuvre des politiques.

Durée : 01:13:28
Publié : 3 avril 2024
Type : Vidéo


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Discussion sur les politiques adaptatives et leur signification en vue de la mise en œuvre

Transcription

Transcription

Transcription : Discussion sur les politiques adaptatives et leur signification en vue de la mise en œuvre

[00:00:00 La vidéo commence par le logo animé de l'EFPC]

[00:00:07 Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène]

Gail Mitchell : Bonjour à tous. Je me présente, je suis Gael Mitchell. Ça fait à peu près 25 ans que je travaille au fédéral et j'ai eu l'opportunité de travailler dans des domaines de politique, des opérations. Donc j'ai vraiment vécu les enjeux de développer des politiques et adapter les politiques pour produire des résultats.

[00:00:27 Gail Mitchell apparaît en plein écran. Superposition de texte à l'écran : Assistant Deputy Minister, Women and Gender Equality Canada / Sous-ministre adjointe, Femmes et Égalité des genres Canada.]

Gail Mitchell : Donc merci d'être avec nous aujourd'hui pour ce panel. Comme vous le savez, tout le monde aujourd'hui s'accélère, le fossé se creuse entre les idées et leur mise en œuvre. Le défi consiste à adapter les politiques aux nouvelles situations sans perdre de vue leurs principaux objectifs.

[00:00:51 Texte superposé à l'écran : Wooclap.com; CODE : PCPO6]

Gail Mitchell : Donc, comment pouvons-nous utiliser les expériences passées pour élaborer de meilleures politiques à l'avenir? Nous allons jaser un peu aujourd'hui de ce fossé entre les objectifs et la mise en œuvre des politiques dans le cadre d'adaptation de nouvelles technologies, de l'établissement de nouvelles relations et de la satisfaction des besoins des citoyens. Nos panélistes partageront leur point de vue et leurs expériences en s'inspirant d'histoires concrètes. La discussion comprendra une session interactive de questions avec wooclap permettant aux participants d'échanger directement avec nous.

[00:01:38 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo]

Gail Mitchell : Mais avant de commencer, j'aimerais demander à chaque membre du panel de prendre deux minutes pour se présenter et donner un premier avis concernant leurs approches pour équilibrer stabilité et flexibilité pour combler le fossé entre stratégie et expérience de terrain. Roda, j'aimerais bien commencer avec vous. Ensuite, j'irais à Utah qui nous rejoint à un endroit extérieur d'Ottawa et ensuite Darren. À vous la parole.

Roda Muse : Merci. Bonjour. Ça me fait vraiment plaisir d'être avec vous aujourd'hui. J'en profite pour remercier le Bureau de partenariat de la communauté des politiques, Catherine Charbonneau, Serge Bijimine et leurs équipes.

[00:02:18 Roda Muse apparaît en plein écran. Superposition de texte à l'écran : Deputy Minister, Government of Ontario. / Sous-ministre, Gouvernement de l'Ontario.]

Roda Muse : Merci pour cette invitation. J'en profite aussi pour saluer mes co-panélistes Darren, qui est ici et Utah qui en ligne, ainsi que notre facilitatrice Gael. Je suis la Sous-ministre du ministère des Affaires francophones en Ontario. À ce titre aussi, je siège sur le Conseil de la politique sociale du gouvernement de l'Ontario ainsi que sur le Comité de la prestation des services, le Comité de sous-ministres. Les deux sont composés de sous-ministres. Et ce qui est intéressant, c'est que ça me permet d'appréhender le continuum des politiques, c'est-à-dire le développement des politiques jusqu'à la prestation des services. J'ai également travaillé à la Commission canadienne pour l'UNESCO, où les politiques et stratégies sont d'envergure plus larges. Ce sont des stratégies, des initiatives, des politiques qui sont adoptées par les États membres à l'échelle internationale. J'ai travaillé au gouvernement fédéral pendant 21 ans. J'étais à Innovation, Science et Industrie (ISED) au début de la pandémie et je faisais partie des équipes qui étaient censées donner accès à l'Internet rapide lors de la pandémie.

Et c'était surtout pour les communautés rurales et éloignées. C'était une politique qui avait été en fait, qui devait être mise en œuvre depuis très longtemps. Mais ce qui était remarquable, et c'est là que je me suis dit que tout est possible, c'est qu'en quelques mois, on a été capable de connecter, de sortir des contrats, de faire un travail formidable. Nous étions des équipes multidisciplinaires, des ingénieurs, des gens, des politiques, des programmes et des finances. Donc quand on veut, on peut. Et on a pu voir durant la pandémie que les politiques qui étaient censés faire en sorte que les Canadiens soient protégés, aient accès à des types de services qui sont spécifiques, qui étaient vraiment, qui étaient nécessaires en ce moment-là, avaient été déployés très rapidement. Donc, on peut très rapidement mettre en œuvre des politiques. La leçon que j'en tire, c'est que c'est important d'évaluer l'urgence par rapport aux besoins de nos concitoyens. Et ça, cela aide. Si on a cette capacité de mesurer, on peut faire ce qu'on peut.

[00:04:51 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo]

Gail Mitchell : Merci beaucoup. Des points très intéressants. Je vais maintenant passer la parole à Jutta. À vous.

Jutta Treviranus : Merci. Je suis la directrice de l'Inclusive Design Research Centre (l'IDRC) à l'Université de l'École d'art et de design de l'Ontario et professeure de design inclusif.

[00:05:15 Jutta Treviranus apparaît en plein écran. Superposition de texte à l'écran : Professor, Inclusive Design Research Centre. / Professeure, Inclusive Design Research Centre.]

Jutta Treviranus : L'IDRC a été créé, ou j'ai contribué à son lancement, il y a environ 30 ans. Notre vision et notre mission principales consistent à veiller de manière proactive à ce que les pratiques et les systèmes émergents soient conçus de manière inclusive. Nous sommes tout à fait en phase avec la présentation faite précédemment par Terry Irwin, c'est-à-dire que nous suivons également un modèle de pensée systémique. J'ai également travaillé à la création d'une pratique de conception inclusive qui est mise en œuvre par un grand nombre d'entreprises et d'organismes du secteur public.

Même les meilleures politiques classiques sont généralement conçues pour la majorité, qu'elles soient inspirées par l'efficacité ou les économies d'échelle. Ça signifie que les politiques ne sont pas adaptées. Elles sont néfastes ou excluent les personnes qui sont différentes de la majorité représentée. Et ce sont ces personnes qui nous intéressent.

Les personnes avec lesquelles nous travaillons généralement sont des personnes qui sont des cas particuliers ou qui font partie d'infimes minorités au sein d'une population. Au cours de mes 40 ans de carrière, j'ai recueilli des données sur les besoins des différentes personnes pour survivre et s'épanouir. Lorsque je reporte ces données sur un diagramme de dispersion à plusieurs variables, elles ressemblent à une explosion d'étoiles ou à une distribution normale tridimensionnelle. C'est ce que j'appelle l'étoile humaine. Une proportion de 80 % des besoins est regroupée dans 20 % de l'espace au centre, et les 20 % qui restent sont dispersés dans le reste de la périphérie, couvrant les 80 % restants de l'espace. Les besoins des personnes au centre sont proches les uns des autres, ce qui signifie qu'ils sont très similaires, et nous avons tendance à concevoir des produits pour ces personnes.

À mesure que l'on s'éloigne du centre, les besoins s'éloignent de plus en plus les uns des autres, ce qui signifie qu'ils sont de plus en plus différents. En raison de la manière dont les politiques sont conçues, les décisions sont prises, les connaissances sont acquises, les programmes sont financés, les représentants sont élus, les outils sont conçus et commercialisés, l'information est communiquée et diffusée. Les besoins du centre sont généralement bien comblés, mais la situation se dégrade à mesure que l'on s'en éloigne.

C'est particulièrement le cas pour les personnes qui sont des cas particuliers ou qui ne correspondent pas aux groupes d'identités protégées reconnues. Les personnes en situation de handicap constituent l'un de ces groupes. Ces personnes sont en marge de tous les autres groupes en quête de justice. Cette incohérence politique accentue les disparités. Le fait de mettre l'accent sur une gouvernance fondée sur des données probantes cristallise cette incohérence. Lorsque les outils puissants de l'intelligence artificielle sont utilisés pour prendre des décisions en masse, ce phénomène est encore plus automatisé et amplifié.

Je soutiens que les personnes qui sont actuellement marginalisées sont les intervenants les plus précieux du système, comme l'a dit Terry plus tôt. Elles ont le meilleur point de vue sur les terrains inexplorés et sont conscientes des premiers signes de ce qui peut mal tourner.

[00:08:32 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo]

Gail Mitchell : Merci. Je vous remercie. Je vais maintenant passer la parole à Darren Swanson, qui est associé principal à l'Institut international du développement durable. Darren, à vous.

[00:08:44 Darren Swanson apparaît en plein écran. Superposition de texte à l'écran : Senior Associate, Novel Futures Corporation. / Associé principal, Novel Futures Corporation.]

Darren Swanson : Merci beaucoup, Gail, et merci à la communauté des politiques pour l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui. Dans le cadre de mon travail, de mes recherches sur les politiques et de mes activités de consultation, j'ai le plaisir de travailler avec tous les ordres de gouvernement. Il peut s'agir de travailler avec les communautés des Premières Nations sur l'évaluation des risques climatiques pour les infrastructures, par exemple, sur le terrain, ou de collaborer avec les agences des Nations Unies dans le monde entier pour dispenser des formations sur la manière dont elles soutiennent les gouvernements nationaux dans la planification stratégique pour le développement durable.

Je pense que, dès le départ, je voulais souligner que le thème de cette discussion, à savoir combler le fossé entre les objectifs des politiques et la mise en œuvre, est également d'actualité au niveau international. Je tiens à souligner que le secrétaire général des Nations Unies a publié cette année le Rapport mondial sur le développement durable. Outre ses conclusions sur la façon dont le monde n'est pas sur la bonne voie pour atteindre les objectifs de développement durable d'ici 2030, il propose un ensemble de leviers politiques très pratiques pour s'orienter dans la transformation et accélérer les progrès en regard de ces enjeux épineux, comme nous l'avons évoqué ce matin. Il s'agit d'un ensemble très pratique.

Le rapport énumère cinq leviers pour faciliter la transformation. Le cinquième levier en particulier est pertinent pour notre conversation d'aujourd'hui. Il porte sur le renforcement des capacités au sein du gouvernement. Le rapport énumère cinq capacités en particulier qui sont vraiment importantes pour s'orienter dans ces transformations et accélérer les progrès. Ces cinq capacités sont liées à l'orientation stratégique et à la prospective, mais aussi à l'innovation à grande échelle. Ce matin, nous avons entendu parler du champion de l'innovation par l'étudiant qui a remporté le concours, David Jones. C'est donc important. Le rapport des Nations Unies met également l'accent sur la réflexion systémique et le recensement des synergies, des compromis et des enjeux. Nous en avons beaucoup parlé ce matin dans la présentation. Il s'agit également de cerner et de surmonter les obstacles à l'accélération. Enfin, le rapport parle du renforcement de la résilience, donc des capacités de renforcement de la résilience dans l'élaboration des politiques, qu'il s'agisse de gérer la diversité des interventions politiques, la redondance, la décentralisation ou le suivi et l'apprentissage continus.

Cela peut paraître un peu compliqué, je sais. Je m'appuierai sur le travail que nous avons effectué à l'Institut international du développement durable dans le cadre d'un ouvrage que nous avons publié en 2009 sur la création de politiques adaptatives, dont l'objectif est de fournir un guide aux décideurs politiques pour des situations complexes et incertaines. Je reviendrai donc sur ce sujet.

[00:11:40 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo]

Gail Mitchell : C'est très bien, merci. Le groupe de discussion que nous avons ici aujourd'hui est extraordinaire. Je vais juste jeter un coup d'œil à wooclap. Je sais que les gens continuent d'apporter leur contribution – nous recevons des questions.

[00:11:49 Texte superposé à l'écran : Panel Discussion, Canada.ca/School; Adaptive Policies – What they Mean for Implementation; Policy Community Conference 2023. / Discussion en groupe, Canada.ca/Ecole; Politiques adaptatives – Ce qu'elles signifient pour la mise en œuvre; Conférence de la Communauté des politiques 2023.]

Gail Mitchell : Au cours de votre expérience dans la fonction publique, dans quelle mesure la mise en œuvre correspond-elle à l'intention? Nous avons beaucoup de gens qui convergent parfois, quelques-uns qui convergent rarement, et d'autres qui ne sont pas sûrs. Je pense donc que cela nous oriente dans une direction que nous allons explorer tout au long de la conversation. Comment cela se fait-il? Et que pouvons-nous faire à ce sujet?

Nous avons donc parlé du fossé entre la théorie et la pratique, et je pense que c'est ce que nous abordons tous ici : comment effectuer cette transition dans un contexte de politiques? Quels sont les facteurs qui façonnent et influencent la mise en œuvre et la prestation de services? Nous savons que ces aspects ont de multiples facettes. J'aime beaucoup cette image d'explosion d'étoiles humaine – de l'étendue de l'espace. Il y a convergence au centre. Comment comprendre alors les enjeux épineux qui sont si profondément enracinés? Comment pouvons-nous commencer à cibler les causes qui nous mènent vers des solutions multiples?

Et encore une fois, il y a tellement de couches. Cela peut également générer des lacunes. Et notre compréhension des enjeux est donc – il y a des lacunes dans cette compréhension qui, à nouveau, nous amène dans cet espace où, qu'est-ce qui se passe pour les citoyens qui étaient à la fin de ce cycle de politiques. Alors, commençons.

Je vais commencer avec Roda. Quelles sont les stratégies et outils de référence qui peuvent être utilisés par les praticiens et les décideurs qui vous écoutent aujourd'hui pour créer des politiques agiles et adaptables aux circonstances changeantes afin qu'elles restent pertinentes. À vous la parole.

Roda Muse : Un élément qui est au cœur du développement des politiques, c'est la collaboration interministérielle.

[00:13:41 Roda Muse apparaît en plein écran]

Roda Muse : Je travaille dans la fonction publique ontarienne et il y a une culture qui est la capacité à travailler comme une entreprise, une organisation. « As one enterprise ». Donc à la table des sous-ministres, il n'y a pas de silos. Quand il y a un enjeu qui apparaît, par exemple, en Ontario, tout de suite, tout le monde est mobilisé autour de cet enjeu. Tout le monde a son mot à dire, même si votre ministère n'a pas cette expertise ou votre ministère peut paraître un ministère qui est assez éloigné par rapport à l'enjeu ou à l'enjeu qu'on discute. Automatiquement tout le monde vient à la table pour discuter. Qu'est-ce que ça donne? Ça donne des perspectives diversifiées. Tout d'abord, une chose, c'est que les gens qui sont autour de la table, je parle du comité de sous-ministres, c'est un comité qui vient de différentes places et puis aussi qui est très diversifié, donc qui a une représentation quand même très importante, une représentativité très importante de la société ontarienne.

Donc, vous voyez, non seulement ces collègues viennent des différentes places, viennent de l'extérieur, ils viennent du privé, ils viennent des hôpitaux, ils viennent de l'armée. Donc le fait d'avoir ces perspectives différentes permet d'aborder tout enjeu de façon très stratégique et de couvrir tous les angles, de permettre aussi à une politique qu'on va développer, d'être adaptable et de permettre aussi à ces sous-ministres de dire « Vous devriez faire en sorte que ça, ça va changer. » Qu'est-ce qui se passe à ce moment-là? C'est que ça ne reste pas en haut, ça redescend. Il y a une culture de va-et-vient entre la haute gestion et les équipes. Et il n'y a pas cette culture de : « Bon on va travailler sur une initiative horizontale, on va prendre notre temps, on va faire des termes de référence. Non. » c'est vraiment organique. Et mes collègues m'ont dit que ce n'était pas comme ça tout le temps, que c'est très récent, cette façon de fonctionner comme : « One Enterprise. » Vous l'avez bien dit Gail, de nos jours, les circonstances sont changeantes, les enjeux sont complexes, ça présente plusieurs facettes et il est important vraiment de se concerter pour pouvoir y répondre adéquatement.

Donc c'est ça qui fait, c'est la principale force, c'est vraiment cette collaboration. Et à ce titre, on a un outil de référence qui est très intéressant et je vous encourage à le voir. C'est du Dr. Vince Molinari et c'est « accountable leaders ». C'est vraiment cette question de hauts dirigeants qui sont responsables, qui sont « accountable » comme on dit, et qui peuvent faire descendre cette imputabilité aux niveaux aussi de leurs équipes. Cela aussi prend une bonne connaissance de notre environnement et le maintien des relations avec les intervenants. Nous avons accès à des comités consultatifs, par exemple, outre les organisations, nos intervenants respectifs dans le ministère. Pour ma part, sur les questions des services en français, j'ai accès aux informations, par exemple du comité consultatif qui travaille avec le ministre de la Santé. Et, au niveau de, par exemple, de mon ministère, nous avons un comité consultatif qui travaille avec notre ministre et ces comités-là nous permettent vraiment d'avoir la touche, d'avoir l'information. Et nous faisons en sorte aussi qu'il y ait de la diversité aussi dans ce comité-là, pour avoir l'heure juste sur la pertinence des politiques que nous voulons mettre de l'avant.

Il est également aussi, et c'est très fréquent en Ontario, de permettre d'encourager les équipes à sortir des sentiers battus et à discuter ouvertement des options. Il n'y a pas de peur, on peut se tromper, on peut avancer des options. Et ça, ce que je trouve c'est que, pour vraiment avoir ces politiques qui sont flexibles, qui sont adaptables, c'est vraiment, c'est relié au style de leadership et c'est très, très important. Et ce leadership-là, il faut que ça redescende aussi. Finalement, il y a un outil très pratique pour les analystes qui sont jeunes, qui sont juniors, qui commencent. Et que j'aime beaucoup et que j'utilisais il y a quelque temps de cela. C'est un document vraiment très intéressant et c'est le guide d'élaboration des politiques publiques du gouvernement du Québec. C'est vraiment très pratique, surtout pour nos jeunes analystes.

Gail Mitchell : Merci. Très très très intéressant.

[00:18:33 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo]

Gail Mitchell : Darren. Pourriez-vous nous parler un peu des outils de référence que vous recommanderiez aux praticiens et aux décideurs pour faire progresser cette approche souple?

Darren Swanson : Oui, bien sûr. J'ai mentionné les leviers de transformation évoqués dans le Rapport mondial sur le développement durable des Nations Unies.

[00:18:55 Darren Swanson apparaît en plein écran]

Darren Swanson : Mais je me concentrerai sur sept points que nous avons abordés dans le livre que nous avons écrit en 2009. Il s'agit d'une collaboration avec des collègues de l'Institut international du développement durable, ainsi qu'avec des collègues de l'Institut de l'énergie et des ressources en Inde. Et cela a été réalisé avec le soutien du Centre de recherches pour le développement international, ici à Ottawa.

En 2004, nous avons donc entrepris de trianguler un ensemble de principes de conception et de mise en œuvre de politiques qui fonctionnaient bien dans des contextes caractérisés par la surprise et le changement. Pour ce faire, nous avons étudié en profondeur des systèmes adaptatifs complexes et la manière dont le succès est obtenu dans ce type d'assistance. Nous en avons beaucoup entendu parler ce matin dans la discussion du professeur Irwin.

Nous avons également examiné les politiques, tant au Canada qu'en Inde, en matière d'agriculture et de gestion des ressources en eau qui fonctionnaient bien dans ces conditions de surprise et de changement. Nous avons donc triangulé un ensemble de sept principes que nous avons considérés comme communs à la littérature sur les systèmes adaptatifs complexes et à la pratique en matière de politiques. Nous les avons rassemblés dans le livre que nous avons écrit et publié en 2009, intitulé Creating Adaptive Policies (en anglais seulement).

Le premier principe qui nous est apparu est l'importance d'une analyse intégrée et prospective dans l'élaboration des politiques. Il s'agit fondamentalement de pensée systémique et de prospective. L'utilisation de ce système pour voir tous les facteurs multiples qui ont une incidence sur le rendement d'une politique et la façon dont ces facteurs peuvent évoluer dans le temps, et comment ils ont évolué dans le passé, est également cruciale.

Un deuxième point sur lequel nous nous sommes arrêtés est l'idée d'une délibération multipartite : il s'agit de comprendre réellement les multiples points de vue que comporte l'enjeu. Il en a été question ce matin quand on a discuté de l'analyse et de la cartographie des intervenants, afin de bien cerner le système de transition. C'était donc un élément clé.

Le troisième point concernait la possibilité d'auto-organisation, qui consiste à s'assurer que le capital social existant reste intact, et même à aider à renforcer ce capital social afin de tirer parti de cette véritable capacité d'auto-organisation sur le terrain, là où le changement se produit en premier lieu.

Un autre principe que nous avons observé, commun à la politique et à la littérature sur les systèmes adaptatifs complexes, est cette idée de décentralisation de la prise de décision, maintenant au niveau de l'unité de gouvernance la plus basse, la plus responsable et la plus efficace, là où le changement est vécu en premier et où la surprise se produit. Il est donc important que les décisions puissent être prises à proximité du terrain, et nous avons de nombreux exemples de cas où cela s'est avéré efficace.

Un sixième élément est la promotion de la diversité des interventions politiques. Nous en avons beaucoup parlé ce matin dans les présentations sur le fait que, dans le cas de systèmes complexes et d'enjeux épineux, nous n'avons pas la possibilité de décider de ce qui fonctionne. C'est le système qui nous donnera de l'information sur ce qui fonctionne. Ainsi, le fait de promouvoir la diversité et un mélange d'interventions politiques, puis comprendre et faire un suivi de ce qui fonctionne et de ce qui ne fonctionne pas, sont des moyens de perfectionner les approches fructueuses.

Les derniers outils, ou principes, que nous avons remarqués concernent l'examen officiel des politiques et l'apprentissage continu. Nous l'entendons souvent, mais il s'agit de le faire même lorsque les choses fonctionnent bien. Il s'agit de le faire régulièrement pour détecter les nouveaux enjeux et procéder aux ajustements qui s'imposent. Il y a aussi l'idée d'un ajustement automatique des politiques. Nous avons vu quelques exemples de la façon dont cela fonctionne, où nous pouvons prévoir des éléments connus, et peut-être concevoir des choses à l'avance. Il existe donc un certain nombre d'approches utiles pour les systèmes complexes et les enjeux épineux, et elles commencent à se répéter.

Vous avez donc entendu un grand nombre de ces termes dans la présentation de ce matin sur la gestion de la transition. Nous retrouvons certaines des mêmes approches et certains des mêmes outils dans les nouveaux leviers de transformation des Nations Unies et dans la capacité qu'elles veulent renforcer en matière de gouvernance. Et Jutta s'appuie également sur un grand nombre de ces principes. Je pense donc que c'est une bonne nouvelle de dire qu'il existe un ensemble de principes et de pratiques qui peuvent aider. Cela ne veut pas dire qu'ils sont toujours faciles à utiliser, mais ils existent.

C'est l'idée de l'élaboration de politiques adaptatives. En fait, nous nous penchons sur cette question dans le livre et sur la manière dont elle a réellement commencé à émerger dans les années 1920, lorsque nous avons entendu parler des premières orientations écrites sur la manière d'envisager les politiques comme des expériences, en termes d'apprentissage, et d'apprendre à s'adapter à mesure que l'on apprend de l'expérience. Puis, dans les années 1970 et 1980, des gens comme Buzz Holling et Kai Lee ont fait cela dans le secteur des ressources naturelles, la gestion adaptative, où ils ont affirmé que non, les politiques et les programmes doivent être considérés comme des hypothèses qui doivent être prouvées. Ainsi, si nous considérons les politiques comme des hypothèses en permanence, nous sommes toujours à la recherche d'information. Cela fonctionne-t-il ou non? Et je pense que dès le début, c'était l'élément clé de l'élaboration de politiques adaptatives.

[00:24:21 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo]

Gail Mitchell : C'est très bien. Ce sont des points très intéressants. Ces principes sont tellement pratiques. Il y a vraiment une belle structure. Et, en tant qu'analyste politique depuis longtemps, j'aurais aimé avoir ce genre de recette pour m'orienter dans mon travail.

D'accord. Jetons un coup d'œil à ce que nous voyons dans cette fenêtre. Et je m'adresserai peut-être à vous, Jutta, pour obtenir des réactions. Si vous ne voyez pas, je peux faire une description. Mais nous constatons vraiment beaucoup de convergence. Combien de fois cela s'harmonise-t-il avec la vision et le résultat? Parfois. <Rires> Ce n'est pas un résultat très convaincant de mon point de vue, en tant que haut fonctionnaire au gouvernement. Je ne veux pas avoir à informer un ministre en lui disant que, oui, parfois, cela fonctionne. Qu'en pensez-vous?

Jutta Treviranus : Oui, en fait, si je peux prendre un moment pour commenter directement sur wooclap, et de la façon dont nous recueillons les contributions.

[00:25:18 Jutta Treviranus apparaît en plein écran]

Jutta Treviranus : Je pense que wooclap, et son utilisation précédente où les mots et les contributions pouvaient être ajoutés en un seul mot ou une seule phrase, constitue probablement un exemple de la façon dont nous utilisons les outils pour […]

[00:25:35 Les résultats du sondage Wooclap s'affichent à l'écran : Selon votre expérience dans la fonction publique, arrive-t-il souvent que la mise en œuvre d'une initiative politique corresponde à l'intention initiale? / Selon vous, en tant que fonctionnaire; 1. Rarely / Rarement (19 %); 2. Sometimes / Parfois (65 %); 3. Often / Souvent (7 %); 4. Don't know / Je ne sais pas (9 %)]

Jutta Treviranus : sans le vouloir, marginaliser les personnes différentes. Nous amplifions les voix moyennes. Nous attirons l'attention et l'influence sur les voix majoritaires, tout en faisant taire les voix nouvelles, uniques et marginales,

[00:25:49 Jutta Treviranus apparaît en plein écran]

Jutta Treviranus : parce que nous élargissons les mots prononcés par la majorité, nous les ramenons au centre. C'est ainsi que l'on assiste à une convergence vers ces voix majoritaires.

L'une des choses que nous avons faites, c'est de créer un outil qui inverse ce processus, de manière à ce que vous puissiez voir les choses des deux points de vue, que vous puissiez voir les nouvelles réponses, les réponses uniques et les réponses marginales. Elles sont centrées et prennent de l'expansion pour attirer l'attention, de sorte que nous ne sommes pas toujours en train d'ignorer les personnes qui apportent ce que nous considérons comme une contribution de grande valeur.

Nous avons notamment constaté que le principe de Pareto, comme le défini Richard Koch, fait souvent loi. Selon ce principe, les gens ignorent les 20 % de personnes en difficulté qui représentent 80 % des efforts. Mais l'une des choses que nous avons constatées, c'est que si vous procédez à la conception en ne pensant qu'à cette majorité, vos plans les mieux conçus commencent à se fragmenter. Il faut continuellement soutenir les gens, ajouter des correctifs et des adaptations au système. De plus, votre politique très bien conçue atteint sa fin de vie beaucoup plus rapidement.

Si vous concevez les choses dès le départ de manière à ce qu'elles englobent toute la gamme, et en particulier les 20 % qui peuvent avoir besoin de beaucoup plus de temps et d'efforts au départ, vous gagnerez du temps. La longévité du système que vous créez sera plus grande et vous ferez des économies. Mais cela ne fait pas partie de la nature ou de l'état d'esprit d'un grand nombre de nos institutions à l'heure actuelle.

[00:27:38 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo. Texte superposé à l'écran : Wooclap.com; CODE : PCPO6]

Gail Mitchell : Je pense qu'il s'agit là de points très importants, et je prends bien note de vos commentaires sur l'outil et sur le fait de le concrétiser. Vos commentaires m'ont amené à y réfléchir et à me rendre compte qu'en effet, les voix qui se situent dans cette zone en dehors du centre commencent à avoir l'impression de ne pas être entendues. Donc, je vous remercie.

Parlons un peu de l'aspect des données et de la manière dont vous parvenez à atteindre cet équilibre en matière d'inclusion. Certains des points que vous venez de souligner pour nous, Jutta. De nos jours, les décideurs ont l'embarras du choix en matière de données. Mais le défi est de savoir comment évaluer ces données. Comment les regrouper? Comment les évaluer?

[00:28:29 Gail Mitchell apparaît en plein écran]

Gail Mitchell : Comment les classer? Comment se rendre compte des lacunes en matière de données? Et comment commencer à combler ces lacunes et à se donner les moyens, en tant que décideur, de faire la lumière sur ces éléments?

J'ai suivi une partie de la présentation de Terry Irwin plus tôt et j'ai été intriguée par la cartographie à grande échelle dont elle a parlé, et par le fait que cela nous donne vraiment la possibilité de rendre visibles les éléments qui existent, mais aussi les lacunes.

Je commencerai donc par Darren, puis je reviendrai à Jutta. Mais Darren, vous avez exploré ces aspects, vous nous avez présenté d'excellents paramètres concernant certains principes.

[00:29:17 Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène.]

Gail Mitchell : Vous avez travaillé avec un grand nombre d'organisations différentes au fil des ans. Comment s'attaquer aux masses de données, tout en restant attentif aux lacunes? Quels sont les systèmes que vous avez utilisés? Et deuxièmement, qu'avez-vous fait lorsque vous avez été confronté à ces lacunes en matière de données?

Darren Swanson : C'est une très bonne question, et je pense qu'elle nous amène à quelques réflexions importantes.

[00:29:47 Darren Swanson apparaît en plein écran]

Darren Swanson : Premièrement, je vais m'appuyer sur ce avec quoi le professeur Irwin a commencé ce matin. Je pense que lorsqu'on est confronté à des lacunes en matière de données et de preuves, un très bon point de départ est de faire participer les gens sur le terrain. Faire participer les intervenants sur le terrain afin d'obtenir des perspectives multiples. Dans le contexte de l'agriculture et de la gestion des ressources en eau, il s'agit de se réunir sur le terrain, d'étendre une carte sur le capot d'un camion, et de demander aux gestionnaires des ressources en eau et aux producteurs agricoles quelles sont leurs pratiques exemplaires. Qu'est-ce qui fonctionne et qu'est-ce qui ne fonctionne pas? Il est essentiel d'obtenir ce type d'information. Et l'intervenant n'est pas le même dans chaque situation.

Nous l'avons constaté, et nous le consignons dans quelques études de cas dans le livre. Par exemple, je m'appuierai sur un exemple local puisque je viens de Winnipeg, les districts de conservation du Manitoba sont un exemple de groupes qui se réunissent pour parler de la gestion de l'eau et des sols, en particulier de la gestion des nutriments. Et c'est en se rencontrant sur le terrain, là où les situations se produisent, qu'une grande partie de la réflexion s'effectue.

Il convient également de se pencher sur la Saskatchewan Soil Conservation Association et sur le rôle qu'elle a joué dans la généralisation des pratiques de travail réduit du sol dans les prairies, où le temps est révolu où, quand nous étions enfants, nous voyions des fumées noires de terre couvrir le sol et réduire la visibilité à zéro. Nous ne voyons plus ça dans les prairies parce que les pratiques à l'échelle du paysage ont changé. Cette association rassemble vraiment les intervenants sur le terrain, forme des réseaux entre agriculteurs, tient des congrès annuels où les producteurs et les nouveaux chercheurs se réunissent pour parler de leurs pratiques. Il est donc essentiel de se rendre sur le terrain.

Dans le contexte des Premières Nations, des Inuits et des Métis, l'approche des deux interlocuteurs que j'ai vue et dont je pense que beaucoup de gens ont entendu parler, permet vraiment de comprendre les perspectives multiples. Elle associe les modes de connaissance et les savoirs traditionnels aux savoirs conventionnels et permet réellement de brosser un tableau plus solide. Mais je pense que cela est également lié à mon deuxième point, à savoir la manière d'aborder cette question d'un point de vue analytique. Comment obtenir ces multiples perspectives d'un point de vue analytique? C'est là que la pratique de l'analyse intégrée et prospective, ou de la pensée systémique et de la prospective, entre en jeu et devient vraiment importante. L'analyse coûts-avantages en est un exemple concret et pratique.

Ainsi, à l'heure actuelle et en particulier dans le contexte actuel, nous entendons beaucoup parler de solutions fondées sur la nature et de la manière dont elles peuvent contribuer à l'atténuation des changements climatiques et à l'adaptation à ses effets. Les collègues de l'Institut international du développement durable, dans le cadre de son initiative des infrastructures naturelles pour les solutions en matière d'eau, se penchent actuellement sur l'analyse coûts-avantages et sur la nécessité d'avoir une vision large des avantages économiques, sociaux et environnementaux, à la fois dans une perspective à court et à long terme, et sur la manière d'intégrer ces éléments au processus. Il s'agit donc d'une vision intégrée, d'une analyse coûts-avantages à multiples facettes.

Et pour que cela soit encore plus actuel et réel, c'est un sujet sur lequel l'administration Biden se concentre vraiment en ce moment. Elle vient de publier une feuille de route sur l'extension des infrastructures naturelles pour relever ce qu'elle appelle le grand défi des États-Unis, à savoir bien sûr l'atténuation des changements climatiques et l'adaptation à ceux-ci, mais aussi la manière d'utiliser les infrastructures naturelles à cette fin.

Mais c'est dans les données et l'analyse qu'il y a une lacune, car c'est là qu'il faut construire l'analyse de rentabilité. L'analyse coûts-avantages réalisée dans le cadre de cette vision intégrée est à l'origine d'une grande partie de ces renseignements. On a donc proposé des mises à jour des orientations destinées aux ministères pour l'analyse coûts-avantages des solutions fondées sur la nature, en plus de fournir des orientations sur les taux d'actualisation appropriés pour une réflexion à long terme. Nous avons donc cette vision prospective et intégrée qui est en train de devenir un élément important. Et pour mentionner les autres aspects pratiques, l'administration Biden et, en particulier, le bureau de la gestion et du budget, est en train de définir de nouvelles orientations sur la manière de comptabiliser pleinement les avantages économiques et sociaux ainsi que les avantages environnementaux des solutions fondées sur la nature.

Il s'agit donc d'une vision intégrée d'un point de vue pratique, et d'un outil auquel beaucoup de gens sont habitués, mais qu'ils ne voient peut-être pas souvent. J'ai récemment effectué une analyse coûts-avantages pour un milieu humide artificiel et un site de rétention d'eau dans une région rurale du Manitoba. Outre l'avantage ciblé de contribuer à la gestion de l'eau et des inondations dans le paysage, ce projet a également apporté des avantages économiques aux producteurs laitiers locaux en améliorant leur productivité. L'état de site de démonstration présentait des avantages économiques en matière de recherche et d'éducation. Il contribuait à réduire les nutriments dans le lac Winnipeg et apportait de multiples avantages. Si vous ne regardez que l'avantage ciblé, beaucoup d'autres avantages multiples vous échapperont. C'est donc un élément clé. Si tous les enjeux de politiques sont des systèmes adaptatifs épineux et complexes, je pense que si vous n'avez pas rencontré les intervenants sur le terrain autour du capot d'un camion, ou si vous n'avez pas effectué une forme d'analyse intégrée et prospective, il vous manque probablement des données et vous n'en avez même pas conscience.

[00:35:31 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo.]

Gail Mitchell : Je pense qu'il s'agit là de très bons points à prendre en compte par les décideurs. Jutta, dans le cadre de votre travail sur la conception inclusive, y a-t-il des choses que le gouvernement fait bien, en matière de prestation de services? Et, bien sûr, que pourrions-nous faire mieux?

[00:36:03 Jutta Treviranus apparaît en plein écran]

Jutta Treviranus : Oui, il y a des tentatives pour consulter les groupes marginalisés et essayer de faire participer les personnes qui sont actuellement exclues. Mais je trouve que la manière dont cela se fait pose un problème. Le pourquoi, le qui, le quoi, le comment de la consultation ne permettent pas en réalité d'atteindre l'objectif. Souvent, il s'agit de confirmer une décision qui a déjà été prise, plutôt que de donner aux gens l'occasion d'aider à définir les enjeux et les moyens possibles de les régler. Souvent, la consultation consiste à cocher une série de cases d'identité ou de données démographiques et à faire appel aux personnes habituelles qui sont censées représenter cette identité. Prenons l'exemple de l'invalidité : une personne en situation de handicap ne peut véritablement représenter qu'une seule personne en situation de handicap. Nous devons trouver les personnes qui sont confrontées aux plus grands obstacles, et la rencontre peut se faire autour du capot d'un camion ou à tout endroit où elles se sentent à l'aise.

Si, par chance, des personnes sont consultées et appelées à faire plus que confirmer un choix prédéterminé, elles sont souvent limitées dans ce qu'elles peuvent apporter, limitées par les choix binaires ou de champs restreints. Pire encore, nous demandons aux gens de choisir un gagnant plutôt qu'un spectre ou une gamme. Et souvent, les méthodes de consultation constituent souvent des obstacles pour les personnes sur qui les décisions ont la plus grande incidence. La participation est inaccessible, inabordable et parfois impossible.

Comme solution de rechange, nous avons pris part à une conception conjointe dirigée par la collectivité : les collectivités les plus touchées par la politique, qui sont actuellement les plus marginalisées, définissent l'enjeu. Par exemple, hier, nous avons entendu parler de la protection des renseignements personnels, et nous avons beaucoup discuté de la nécessité de protéger les renseignements personnels si nous voulons utiliser des données.

Ce que nous avons découvert lors de la conception menée conjointement avec la collectivité, c'est qu'en réalité, pour les personnes en situation de handicap, les protections des renseignements personnels ne fonctionnent pas. L'anonymisation à la source ne fonctionne pas, parce que vous pouvez être identifié en raison d'une particularité. Si vous êtes la seule personne d'un quartier à acheter, par exemple, une poche de colostomie, vous pouvez être identifiée. La confidentialité différentielle, qui est l'autre stratégie, supprime les données nécessaires pour que l'intelligence artificielle fonctionne réellement pour vous. L'autre réalité que nous avons apprise est que la plupart des personnes en situation de handicap ont déjà troqué leur vie privée contre des services essentiels. La plupart des services proposés vous offrent un choix binaire : soit vous bénéficiez du service, soit vous n'en bénéficiez pas. Si vous ne fournissez pas vos données et renoncez à votre vie privée, vous ne bénéficiez pas du service.

Nous avons donc besoin de protections contre les abus et la mauvaise utilisation des données. Nous avons besoin de moyens pour punir les contrevenants et pour aider les gens en cas d'atteinte à la vie privée. Nous devons supposer qu'il y a eu atteinte et trouver des moyens d'en tirer des leçons, prévenir la prochaine atteinte et aider les personnes les plus vulnérables. C'est ce que nous avons appris en ne cherchant pas à obtenir la confirmation de ce que nous considérons comme un enjeu.

[00:39:26 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo.]

Gail Mitchell : Jutta, puis-je vous emmener un peu plus loin sur cette piste? Vous avez mentionné l'intelligence artificielle. Avez-vous des exemples ou des histoires où vous avez vu une politique mise en œuvre efficacement en tirant parti de l'IA? Y a-t-il des enseignements à tirer de cette approche pour l'avenir?

Jutta Treviranus : <Rires> C'est une question difficile. L'une des choses à noter est que si vous êtes très unique, si vous êtes un cas particulier, vous ressentez les extrêmes des avantages et des risques de l'intelligence artificielle. Nous avons beaucoup parlé des déserts de données et des lacunes en matière de données, mais pour parvenir à une intelligence artificielle équitable et accessible, il faut aller beaucoup plus loin. Le danger associé à l'intelligence artificielle va au-delà de la codification des préjugés humains dans des algorithmes, de diverses approximations, pour remplacer les données manquantes ou les étiquettes biaisées pour catégoriser les données et le manque de représentation proportionnelle dans les données, ce qui semble avoir été le principal sujet de discussion ici. Même si, par miracle, nous parvenons à une représentation proportionnelle totale dans les données, les données de la majorité l'emporteront sur les besoins de la minorité et les occulteront si nous nous en tenons au raisonnement statistique.

Ainsi, si l'on parle toujours des personnes en situation de handicap lorsqu'il est question d'intelligence artificielle, c'est que des choses miraculeuses peuvent être faites pour traduire les modalités, vous permettre de dégager des tendances et de passer de quelque chose que vous ne pouvez pas faire à quelque chose que vous pouvez faire.

[00:41:06 Jutta Treviranus apparaît en plein écran]

Jutta Treviranus : Malheureusement, l'intelligence artificielle est souvent utilisée pour trouver, faire correspondre, trier, étiqueter, mesurer, optimiser, calculer, analyser des personnes à grande échelle, et c'est là que réside son plus grand danger. Nous travaillons donc avec Normes d'accessibilité Canada à l'élaboration d'une norme d'accessibilité et d'équité en matière d'intelligence artificielle qui fera partie de la Loi canadienne sur l'accessibilité. Et cela vient s'ajouter aux autres protections de l'intelligence artificielle qui existent actuellement et qui ne reconnaissent pas ce à quoi la plupart des personnes en situation de handicap sont vulnérables, ce que nous appelons la discrimination statistique, c'est-à-dire la manière dont le raisonnement statistique traite les cas particuliers et les petites minorités.

Malheureusement, nous avons également constaté que les protections et les orientations en matière d'éthique de l'intelligence artificielle – y compris ce que Biden a publié, y compris la loi américaine sur les personnes en situation de handicap, y compris le cadre de risque, et j'en passe – ne tiennent pas compte de cette vulnérabilité particulière.

Ainsi, ce que nous espérons faire, et ce dans quoi nous espérons que le Canada sera un chef de file, c'est d'examiner comment aborder cet aspect fondamental de l'intelligence artificielle qui amplifie, accélère et automatise la discrimination. Et bien sûr, cela existait bien avant l'intelligence artificielle. L'intelligence artificielle le fait simplement de manière plus précise, plus cohérente et plus efficace, mais elle nous conduit vers une disparité de plus en plus grande en ce qui concerne l'équité.

[00:42:52 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo.]

Gail Mitchell : Merci. Cela nous rappelle à quel point nous devons tous être attentifs à l'évolution de l'intelligence artificielle. Je vous remercie.

Roda, je vais me tourner vers vous. D'après votre expérience, comment pouvons-nous nous assurer que nous respectons les points de vue des Canadiens et Canadiennes qui ne sont peut-être pas en mesure de produire des données pour justifier leurs préoccupations? Comment abordez-vous la question d'iniquité dans les services aux citoyens?

[00:41:06 Roda Muse apparaît en plein écran]

Roda Muse : En fait, c'est très important quand nous voulons, quand nous parlons de politique adaptive, c'est très important d'avoir les points de vue aussi des communautés marginalisées. Mais je vais être un peu brutale aussi. Si, par exemple, nos équipes sont homogènes, si les gens avec qui nous travaillons en termes d'identité sont les mêmes, ont les mêmes perspectives, les mêmes vécus, le même savoir, les mêmes références culturelles, je trouve qu'il va y avoir de gros défis pour appréhender le monde dans lequel nous sommes, qui est complexe, qui est changeant et qui présente des défis auxquels nous n'étions pas habitués. Le monde est en train de changer et nous avons aussi le besoin de refléter. Parce que quand vous avez des équipes qui représentent par exemple, qui sont très représentatives, vous avez cette capacité, comme d'aller chercher ces voix marginalisées. Si vous avez des équipes qui sont homogènes, ça se peut que vous alliez toujours peut-être vers la majorité. Les voix qui comptent, comme disait Utah. Donc il faut avoir ce courage en tant que leader, d'aller chercher cette diversité pour pouvoir aussi, dans le cadre du développement des politiques, pour être capable d'avoir les connections, les relations qui vous permettent d'aller chercher ces voix marginalisées, de comprendre qu'il y a de voix manquantes, qu'il y a des perspectives qui ne sont pas là parce que c'est un réflexe.

Je regarde un peu par exemple. Comme sous-ministre des affaires francophones, je suis obligée, dans le gouvernement de l'Ontario, qui est à majorité anglophone, de sonner l'alarme, de sonner l'alerte tout le temps, de dire : « Est-ce qu'on a consulté les francophones? Qui avez-vous consulté? Avez-vous parlé à mon équipe? » Donc, c'est très, très important d'avoir cette diversité de points de vue pour aller justement chercher ces voix marginalisées. Et c'est vrai que, quand on développe des politiques, si on n'a pas un dialogue continu avec nos intervenants, à un moment donné, on risque de frapper le mur parce qu'on veut avoir des politiques flexibles, qu'on peut changer, qu'on peut adapter, qu'on peut améliorer. Mais si ce dialogue de va-et-vient, même avec ces voix marginalisées, n'existe pas, on ne peut pas réussir. Donc moi, c'est ma perspective.

[00:46:10 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo.]

Gail Mitchell : Très très intéressant. Merci. D'accord, jetons un coup d'œil. Je pense que nous avons une autre question.

Roda Muse : Je veux juste rajouter.

Gail Mitchell : Ah ok, vas-y! Oui, je m'excuse.

[00:46:24 Roda Muse apparaît en plein écran]

Roda Muse : Et puis c'est… En Ontario par exemple, on voit que au niveau des communautés, nous avons plusieurs, comme au fédéral, nous avons plusieurs lentilles. Mais je ne sais pas si vous avez remarqué souvent, les lentilles, que ce soit GBA Plus, que ce soit les lentilles pour les francophones, que ça soit les lentilles pour les personnes racisées, que ce soit pour les peuples autochtones et que ce soit pour l'accessibilité, c'est souvent à la fin qu'on le fait. C'est un « check box ». C'est souvent à la fin qu'on se dit : « Ah bien oui, c'est vrai, on a regardé, mais ça n'a pas beaucoup d'impact. » Et on génère cette petite phrase qui fait qu'on peut avancer notre politique. Et ça, c'est un enjeu. C'est un refus de reconnaître les diversités, c'est un refus de reconnaître, comment dirais-je, les différentes perspectives. Et en ce moment, au niveau de l'Ontario, ce qu'on est en train de faire, mes collègues et moi, c'est d'examiner comment on peut faire ça, ce processus, comment on peut travailler avec ces lentilles au début, quand on y pense, quand on passe à la politique. Et comment on peut le rendre systémique. On peut les garder tout le long du processus et on peut faire un outil commun qui englobe tout cela, mais de façon très stratégique. Et puis j'entendais Utah parler de l'intelligence artificielle. On a toute une équipe qui est en train de réfléchir aussi là-dessus sur l'intelligence artificielle, les utilisations, les tics, le standard. Donc comment aussi faire en sorte qu'on peut utiliser. C'est sûr, ça va être quelque chose de très complexe, mais le travail est là, la réflexion est là en ce moment.

[00:48:16 Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène.]

Gail Mitchell : Merci. D'accord, revenons à notre outil de rétroaction, même si maintenant je pense à ses limites, et je me sens mal à l'aise, <Rire> mais nous allons nous en tenir au plan. Je ne le regarderai pas de la même manière. Il s'agit d'une question ouverte. Quels sont les mécanismes de rétroaction qui garantissent que les politiques restent adaptables et répondent à l'évolution des besoins et des circonstances? Nous avons donc mis cela sur la table, les gens peuvent en quelque sorte y réfléchir et y apporter des points. Mais je vais m'adresser à –

[00:48:51 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo.]

Gail Mitchell : Je sais, Jutta, que vous devez vous arrêter à 14 heures, ce qui est un peu avant la fin de la séance, alors je vais peut-être vous demander de nous parler un peu de votre parcours dans le travail que vous avez effectué dans ce domaine de programme, et comment vous avez gardé l'œil sur les objectifs de ce programme? Avez-vous gardé le cap? En d'autres termes, comment les praticiens ont-ils introduit la pratique dans votre propre travail d'adaptation et de suivi? Vous travaillez dans ce domaine depuis un certain temps, parlez-nous un peu de votre parcours.

[00:49:25 Jutta Treviranus apparaît en plein écran]

Jutta Treviranus : Bien sûr. L'un de nos principaux objectifs est donc de valoriser la diversité. Et, bien sûr, valoriser la diversité signifie aussi que nous n'interprétons pas à tort l'évolution, le changement ou l'adaptation comme la survie du plus apte. Il s'agit plutôt de reconnaître qu'aucun d'entre nous n'est en sécurité si nous ne le sommes pas tous. C'est ce que nous étions censés apprendre pendant la pandémie, mais que nous ne semblons pas avoir appris. Ainsi, plutôt que de rester stables, comme vous l'avez demandé dans votre question, nous visons à aller plus loin et à englober une plus grande diversité : nous nous demandons constamment si quelque chose nous échappe.

Je sais que la « réflexion conceptuelle » est très populaire dans la fonction publique. Et la réflexion conceptuelle comporte une étape de conception itérative qui permet de progresser vers une solution gagnante. Nous ne croyons pas aux solutions. Les enjeux auxquels nous nous attaquons sont épineux. Et ce ne sont pas des choses que l'on peut réparer. C'est un peu comme laver la vaisselle ou élever les enfants. Cela demande une vigilance constante.

Ainsi, plutôt que de progresser dans la conception d'une solution gagnante dans une optique de compétition, car bien sûr, quand il y a des gagnants, il y a des perdants, nous avons ce que nous appelons une tornade vertueuse, où nous commençons par les personnes qui sont confrontées aux plus grands obstacles. Nous procédons à la conception avec elles – par la conception conjointe ou la conception conjointe dirigée par la collectivité. Et à chaque version, nous nous demandons qui nous avons encore manqué. Ainsi, plutôt que de progresser vers une solution unique et gagnante, nous essayons de créer un système qui offre suffisamment de choix pour pouvoir être élargi de plus en plus et englober cette explosion d'étoiles humaine dont je parlais précédemment.

Et nous aimons dire que nous avons une approche wabi-sabi. Le wabi-sabi est une esthétique japonaise, mais vous pouvez l'appliquer à d'autres choses. Il s'agit de valoriser ce qui est imparfait, temporaire et incomplet. La perfection empêche les gens de s'investir, de participer et de sentir qu'ils ont une capacité d'agir. Mais si vous conviez les gens à quelque chose qui est encore imparfait, qui est temporaire et prêt à changer, et qui est incomplet parce que vous n'avez pas toutes les réponses, alors cela incite à la participation, à l'investissement personnel et à l'apprentissage continu. Et nous voulons donner à la collectivité une capacité d'agir, ce qui, comme l'a dit Terry, est nécessaire pour soutenir le changement au-delà de l'administration actuelle, au-delà du délai très court que les personnes élues ont en vue.

[00:52:34 Écran fractionné : Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène, Jutta Treviranus apparaît dans une fenêtre de clavardage vidéo.]

Gail Mitchell : Merci. Le dernier point concerne l'équilibre entre la nécessité d'un apprentissage continu et les cycles plus courts des gouvernements. J'ai passé ma carrière à soutenir des gouvernements qui vont et viennent. <Rire> même chose <Rire>

Alors, nous y reviendrons si nous avons le temps, mais peut-être Darren, je vais vous laisser la parole pour que vous nous parliez un peu de prospective. Vous l'avez mentionné à quelques reprises. Quelles sont, selon vous, les tendances les plus importantes ayant une incidence sur la phase de mise en œuvre de cette politique? Vous avez mentionné le rapport de l'ONU qui porte sur ce sujet, et pensez-vous que le secteur public est particulièrement vulnérable à certains de ces défis liés à la transition vers la mise en œuvre?

[00:53:26 Darren Swanson apparaît en plein écran]

Darren Swanson : Oui. Je pense que l'une des grandes tendances que j'observe actuellement est l'idée de transitions équitables et aussi précisément dans le contexte des transformations. Je pense que c'est un élément très important. Le Rapport mondial sur le développement durable que j'ai mentionné a été publié par le secrétaire général des Nations Unies.

Outre les leviers dont j'ai parlé, il contient également d'autres éléments pratiques sur ce que l'on appelle la courbe en S des transformations. Certains ont peut-être déjà vu ce concept illustré dans d'autres termes, mais il met en évidence quelque chose de très important, à savoir qu'il se passe deux choses en même temps dans les transformations, ce qui mène à l'importance des transitions équitables. C'est une description de la courbe en S.

Ainsi, la courbe en S, si nous procédons à une mise en œuvre, essayons de mettre en place une nouvelle pratique, ou d'introduire une nouvelle pratique durable, par exemple, nous voyons souvent l'émergence d'une nouvelle pratique. L'accélération de cette nouvelle façon de faire, puis sa stabilisation, apparaissent comme une courbe en S classique.

Mais ce qui est important, c'est qu'au même moment, dans la plupart des enjeux épineux, une courbe opposée se produit. On peut voir une pratique existante, peut-être non durable, être déstabilisée et s'effondrer, avant d'atteindre un nouvel équilibre, peut-être à plus petite échelle. Je pense que ce qui est important – et c'est là qu'interviennent les transitions équitables – c'est que, bien souvent, nous pensons toujours à la manière de régler l'enjeu épineux avec une solution nouvelle et géniale, sans comprendre que quelque chose est déstabilisé en même temps.

Plus précisément, il y a quelques semaines, j'ai animé le forum des Nations Unies sur les transformations du développement durable. C'était en Corée. Un exemple a été présenté : il s'agissait d'essayer d'accélérer les progrès vers l'économie circulaire dans un pays en développement. On s'est penché plus particulièrement sur la manière de mettre en place un système de recyclage officiel dans une ville afin de développer la pratique du recyclage. Les personnes qui ont lancé l'initiative n'ont pas pensé qu'elles déstabilisaient une pratique existante dans le secteur informel où les ménages pauvres et vulnérables récupéraient des matériaux recyclés dans les décharges et les zones de déchets et les rapportaient ensuite pour remboursement. Il s'agit là d'une source importante de revenus.

Ainsi, bien que l'idée d'accélérer la mise en place d'un système officiel au sein de la ville pour développer le recyclage ait été excellente, elle a déstabilisé quelque chose et entraîné de graves difficultés. On a donc commencé à mettre en place des politiques qui ont vraiment facilité cette transition, la perte de cette source de revenus, tout en essayant d'accélérer la pratique voulue, qui allait être la version plus efficace et à plus grande échelle du recyclage.

Ce n'est qu'un exemple particulier, mais vous pouvez le voir maintenant dans le contexte, disons plus large, des changements climatiques. Alors que nous essayons d'introduire des énergies renouvelables et des carburants propres dans les villes pour réduire la pollution de l'air et les émissions de gaz à effet de serre, nous déstabilisons également toutes les industries et les entreprises qui utilisent des carburants à base de carbone. Je pense que ce qu'il faut retenir, c'est que si nous pensons aux écarts entre les politiques et la mise en œuvre, si nous ne pensons pas aux deux transitions en même temps, à l'accélération et à la décélération, et si nous les traitons de la même manière en utilisant des politiques, nous serons constamment confrontés à des écarts entre les politiques et à des conséquences involontaires qui auront de graves répercussions pour les différents intervenants.

Je pense donc qu'il s'agit d'un outil important, et j'invite les participants à consulter le Rapport mondial sur le développement durable et la courbe en S des transformations. Je pense qu'il s'agit d'un outil très pratique et d'un bon aperçu de la question des lacunes politiques elle-même.

[00:57:26 Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène.]

Gail Mitchell : Merci. C'est un exemple très intéressant que vous nous avez donné pour réfléchir à la question. Nous parlons souvent de conséquences involontaires, mais la collecte de renseignements à ce sujet se fait parfois si loin dans le temps que, cela revient en quelque sorte à votre point, si vous n'êtes pas sur le terrain, en discussion avec les groupes, vous allez manquer des signes. Les premiers signes de cette perturbation.

D'accord, je ne sais pas si nous avons des résultats sur wooclap que nous pouvons consulter. La question est de savoir quels sont les mécanismes de rétroaction :

[00:58:06 Les résultats du sondage Wooclap apparaissent à l'écran, tels qu'ils sont décrits]

Gail Mitchell : engagement continu; rétroaction de la part des utilisateurs; évaluations; boucles de rétroaction; examens du rendement de la GT; examen des politiques avec consultations; établissement de relations; mesure du rendement.

Ce sont tous des éléments que nous voyons dans le contexte de l'élaboration des politiques publiques. Il s'agit là d'activités assez classiques. Peut-être, Roda, que pensez-vous des commentaires qu'on a vus?

[00:58:36 Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène.]

Gail Mitchell : Quelles sont les approches que tu utilises?

Roda Muse : Personnellement, le dialogue continu, les consultations continues, le maintien des relations,

[00:58:47 Roda Muse apparaît en plein écran]

Roda Muse : c'est très important. Je pencherais aussi pour la performance « GM performance ». Parce que je trouve que quand on veut avoir des dirigeants qui sont vraiment responsables et qui sont orientés vers les résultats, mais les résultats qui ne sont pas obtenus en tuant les équipes en chemin, mais qui sont obtenus de façon vraiment proactive, de façon à mobiliser l'équipe. Moi je serais plus pour la performance des GM pour les dialogues. L'autre élément aussi, j'aime beaucoup aussi le rôle de – quand ils font des audits, quand ils font des vérifications, je trouve que c'est un moyen aussi de s'améliorer. Je n'ai jamais perçu ces évaluations-là, ces vérifications, ces audits comme un mal. C'est plutôt ça nous permet de nous remettre sur la bonne trajectoire. Mais définitivement, comme disait Darren, c'est pour avoir cette capacité de regarder, d'éviter vraiment les effets négatifs de la transformation de la politique qu'on va mener. C'est vraiment bien d'être en contact avec les comment dirais-je, les intervenants qui sont importants, qui sont clés.

Gail Mitchell : Oui, il faut vraiment être à l'écoute…

Roda Muse : À l'écoute, exactement.

[01:00:21 Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène.]

Gail Mitchell : … de ce qui se passe. Et le concept des évaluations formelles, des fois c'est à un moment très, très loin, c'est trois ans, cinq ans. Donc on voit que les impacts des politiques dans le moment peut être…

Roda Muse : Plus éloigné.

Gail Mitchell : C'est ça. Nous devons donc surveiller à quel moment c'est fait.

Roda Muse : Ça peut prendre une décennie aussi.

Gail Mitchell : C'est exact.

Roda Muse : Mais essayer d'avoir dans des mesures, dans la performance du sous-ministre ou de la sous-ministre, ça, c'est important, c'est une façon de suivre aussi le progrès.

Gail Mitchell : Oui. Oui. D'accord, voyons ce qu'il en est. Il nous reste un peu de temps, et j'espère que nous pourrons répondre à quelques questions.

[01:01:04 Gail Mitchell apparaît en plein écran]

Gail Mitchell : L'incertitude. Cela fait partie de notre monde, de notre mode de fonctionnement. Les organisations sont confrontées quotidiennement à des circonstances imprévues. Cela fait partie de notre mode de fonctionnement. Cela nous rappelle l'importance de la prospective, de la planification des mesures d'urgence et de la capacité sur le plan organisationnel à prévoir l'imprévu et à investir dans de multiples scénarios. Mais dans notre environnement actuel, nous sortons d'un événement majeur, la pandémie, où nous avons dû nous adapter et changer.

[01:01:48 Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène.]

Gail Mitchell : Mais la question que je vous pose à tous les deux est la suivante : vous êtes au gouvernement, vous travaillez avec les gouvernements. Commençons par votre travail avec les gouvernements et les différents types d'entités dans le secteur public. Quel conseil nous donneriez-vous? Comment pouvons-nous relever le défi de l'incertitude dans un environnement où nous sommes poussés à obtenir des résultats en matière de politiques?

Nous avons donc des ministres, nous travaillons tous pour des ministères dirigés par des ministres, et leur horizon temporel est limité. Mais nous tous, en tant que décideurs, devons prodiguer des conseils et être en mesure de présenter cette éventualité de manière à ce que les impératifs politiques puissent être compris. Je me demande donc, lorsque vous avez vu ce qui se passait, lorsque vous avez donné ces conseils, quels sont les meilleurs moyens pour les décideurs de présenter un tableau complet aux politiciens tout en leur donnant quelque chose avec laquelle ils peuvent travailler dans l'immédiat?

[01:02:54 Darren Swanson apparaît en plein écran]

Darren Swanson : Je continue à m'appuyer sur la majorité des sept principes de l'élaboration de politiques adaptatives que nous avons observés lors de la publication de l'ouvrage en 2009. Et je continue à travailler avec ces éléments. C'est comme jongler avec sept balles ou bâtons en même temps. Il y a des choses que nous pouvons prévoir grâce à de bonnes analyses, à la prospective fondée sur la réflexion systémique et aux délibérations multipartites, en rencontrant vraiment plusieurs intervenants pour comprendre les points de vue. Il y a des choses que nous pouvons faire pour détecter les choses et anticiper, et les intégrer à la manière dont nous concevons et mettons en œuvre la politique. Mais il y a aussi l'imprévu. Peu importe ce que vous faites, il se produira toujours quelque chose de surprenant, qui sort complètement des sentiers battus. Mais ce sont des choses qui peuvent aussi aider.

J'ai donc mentionné des choses comme permettre l'auto-organisation, comprendre réellement comment tirer parti du capital social sur le terrain où des changements surprenants se produisent, et il y a un véritable – c'est comme un [INAUDIBLE]. L'initiative de recherche sur les politiques a effectué, il y a longtemps, de nombreux travaux sur le capital social et sa valeur pour les politiques publiques. Je me suis dit que c'était un outil très utile.

L'ouragan Katrina en Louisiane en est un exemple : lors des inondations, une grande partie de l'infrastructure de la Nouvelle-Orléans est tombée en panne et tout a été détruit. Tous les services publics ont été complètement interrompus. Ce sont les réseaux informels sur le terrain, les groupes confessionnels avec des liens sociaux qui ont été en mesure de réagir rapidement sur le terrain à un événement totalement imprévu et à une défaillance totale du système. Le capital social existant devient très important pour faire face aux problèmes imprévus. Et il existe sur le terrain. Nous ne voulons pas l'affaiblir. Nous voulons le renforcer. L'autre aspect, bien sûr, est la décentralisation de la prise de décision autant que possible au niveau du terrain, là où le changement se produit. Et il y a des exemples où cela fonctionne vraiment bien. Par exemple, l'assurance-récolte est une exigence du gouvernement fédéral et est gérée par les provinces, mais aussi par les bureaux de district, ce qui permet d'avoir une vue d'ensemble sur le terrain. Il existe des moyens de le faire. Et, bien sûr, c'est difficile à faire.

La promotion de la diversité est un autre point que j'ai mentionné. La plupart des conférenciers ont insisté sur ce point, à savoir l'importance de la diversité des approches en matière de politiques. Et c'est important parce que, encore une fois, je pense que je l'ai déjà mentionné, c'est le système, c'est l'enjeu épineux ou le système complexe qui nous dira ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Si nous recherchons toujours la solution miracle mentionnée par le professeur Irwin pour régler un problème en particulier, ce sera presque de la chance si cela fonctionne. Nous considérons alors l'échec comme un échec et comme un élément négatif. Mais nous devrions chercher à obtenir ces renseignements. La diversité est une bonne forme de gestion des risques. La redondance est évidemment importante, mais il s'agit aussi de rechercher des renseignements, de traiter les politiques comme des hypothèses, puis d'apprendre et de renforcer celles qui fonctionnent bien.

Tous ces éléments sont donc importants. En y repensant maintenant, il y a 15 ans, lorsque nous réfléchissions à beaucoup de ces choses et que nous les observions, qu'est-ce qui est plus important de faire maintenant que plus tard? Tout est important. L'une des choses sur lesquelles je me suis vraiment concentré est l'utilisation de la réflexion systémique et de la planification de scénarios de prospective, parce que cela rassemble beaucoup d'outils, y compris la discussion avec les intervenants. Il n'est pas possible de faire de la bonne prospective en matière de planification de scénarios auprès d'une organisation sans avoir fait appel à un grand nombre de points de vue différents. Cela permet de détecter de multiples problèmes. Nous avons donc consacré beaucoup de temps à cette question. C'est ce que nous constatons au sein du gouvernement. Bien sûr, nous avons constaté que le gouvernement fédéral a tenté de mettre en place des unités de prospective dans le passé et que certaines d'entre elles ont vu le jour, puis sont disparues.

Et souvent, je pense que les choses s'effondrent sous leur propre poids. Lorsque nous avons une bonne idée et que nous faisons quelque chose, nous voyons parfois trop grand dès le départ et cela devient un peu lourd. Mais il existe des exemples où ces unités fonctionnent bien.

Lors du forum des Nations Unies que j'ai animé il y a quelques semaines en Corée, nous avons entendu des représentants du gouvernement du Pérou. Ils se sont lancés dans un plan stratégique national et mettent en œuvre de nombreux éléments, mais ils disposent d'un observatoire national de la prospective qui est vraiment – c'est une plateforme pour la prise de décision orientée vers l'avenir utilisée par le gouvernement et la population. Il s'agit donc de questions multiples, de long terme, de grandes tendances historiques, etc. Il existe des exemples où ces initiatives sont menées et soutiennent les gouvernements. Nous avons également entendu le gouvernement du Koweït, qui dispose d'un observatoire national du développement durable et de la prospective. Il y a donc plusieurs façons de procéder, d'aider en quelque sorte, mais de ne pas laisser ces entités s'effondrer sous leur propre poids.

Pour terminer, nous avons parlé de l'intelligence artificielle et nous avons consacré un chapitre de notre livre à l'ajustement automatique des politiques. Il y a des éléments connus que nous pouvons prévoir et, bien souvent, les politiques sont conçues pour réagir à ces éléments et être ajustées au fil du temps, comme l'assurance indexée sur les conditions météorologiques. Même l'assurance-emploi du Canada comporte des stabilisateurs automatiques. Mais nous pouvons également penser que l'IA pourrait commencer à nous aider à l'avenir, si elle est utilisée correctement, à détecter les signaux existants et à collaborer avec les décideurs pour procéder à certains de ces ajustements. Je pense que l'intelligence artificielle a un réel pouvoir, si elle est utilisée correctement, en ce qui concerne la collecte de points de vue multiples et d'aide à l'ajustement des politiques.

Mais, pour conclure, dans le livre, nous parlons de la nécessité pour le décideur politique de porter trois chapeaux pour créer des politiques adaptatives. Le premier chapeau est celui d'un penseur systémique et d'un architecte qui recherche réellement ces combinaisons de politiques, et les déploie, qui peut rechercher des réussites. Le deuxième chapeau concerne le rôle de facilitateur du décideur. Il s'agit de faciliter les conversations entre plusieurs groupes et d'écouter la rétroaction. Enfin, le décideur, en tant qu'apprenant, doit vraiment réagir à l'information. Tous recueillent constamment de l'information et apprennent ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Je pense que ces trois chapeaux sont vraiment très utiles.

[01:09:22 Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène.]

Gail Mitchell : Merci. Oui, oui. Roda, comme sous-ministre, ta perspective sur les tensions entre les politiques, le politique et les politiques. Les décideurs, les politiques. Est-ce que…

Roda Muse : C'est, c'est une fine, fine ligne, comme vous le savez. Je pense que l'établissement de bonnes relations,

[01:09:48 Roda Muse apparaît en plein écran]

Roda Muse : quand on investit dans ces relations-là. En général, un sous-ministre va avoir à faire au chef de cabinet et au ministre ou à la ministre. Donc, vraiment faire en sorte non seulement de comprendre dès le départ le rôle de chacun, où est ce que chacun se situe justement dans dans tous ces continuums. C'est très, très important parce que dès que les rôles sont clairs et articulés aussi parce que des fois on n'articule pas, on sait qu'on doit faire ça, eux ils doivent faire ça, nous on doit faire ça. Mais quand on ne les a pas assez articulés c'est très dangereux parce qu'il y a un dépassement du rôle. Donc c'est très, très important d'être clair dès le départ. Qui transige avec qui et comment? Donc par exemple pour les équipes avec qui ils doivent transiger, quand le bureau du ministre a besoin de quelque chose, doit-il passer forcément par le bureau du sous-ministre et que ça redescend? Donc c'est tellement fin. Par contre, ça dépend de la nature aussi du dossier. Je m'en suis rendu très vite compte en regardant autour de la table de chez nous, de chez nous en Ontario, de ce qui se passait. Il y a des ministres qui vont avoir plus de facilité, qui sont très en contact, par exemple avec les intervenants extérieurs et qui continuent à avoir cette relation fluide avec les ministères. Mais, définitivement, moi, ce que je trouve très important, c'est de clarifier le rôle dès le début. Parce que si ce n'est pas clarifié, ça peut amener à des situations où chacun va empiéter sur le rôle de l'autre et où il va y avoir de la confusion et où, à un moment donné, on ne peut plus faire avancer un dossier. Donc c'est très très important aussi. Des fois, on peut avoir besoin par exemple de l'aide de la secrétaire du cabinet pour escalader une situation, pour dire : « Vous savez, il y a un petit défi, est-ce que vous pouvez…

Gail Mitchell : Tout à fait.

Roda Muse : … nous aider dans ça? » Donc, il faut savoir tous les mécanismes qui sont à notre disposition justement pour faciliter ce rôle de va-et-vient, mais la confiance qu'on établit, la crédibilité et puis les bonnes relations, c'est très très important et ça facilite beaucoup de choses quand on est capable de texter rapidement son ministre pour dire « Bien, écoutez, il y a ça, qu'est-ce que vous en pensez? Est-ce qu'on peut se rencontrer très vite? Est-ce que je peux vous parler? » Ça, ça fait une différence.

[01:12:29 Gail Mitchell, Roda Muse et Darren Swanson sont assis ensemble sur la scène.]

Gail Mitchell : Surtout dans les contextes où on doit amener des nouvelles qui ne sont peut-être pas…

Roda Muse : … très réjouissantes.

Gail Mitchell : Absolument. D'accord. Je constate que nous sommes arrivés à la fin de notre séance. Je ne pense pas que nous aurons le temps de poser des questions provenant de l'auditoire, mais je voudrais remercier le panel. Cette conversation a été très intéressante. J'ai pris beaucoup de notes et j'ai reçu de bons conseils. J'espère que les gens ont pu noter certaines de ces choses. J'aimerais remercier Jutta, qui a déjà dû quitter, et j'aimerais remercier Darren et Roda pour leur vision des choses aujourd'hui et pour les histoires que vous avez apportées du point de vue du praticien, du point de vue de l'expert. Très utile. Merci beaucoup.

[01:13:16 On entend les applaudissements du public.]

[01:13:20 Le logo animé de l'EFPC apparaît à l'écran]

[01:13:25 Le mot-symbole du gouvernement du Canada et l'écran passe au noir.]

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