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Transcription : Lisa Qiluqqi Koperqualuk sur la sécurité arctique
[00:00:09 Le texte suivant apparaît à l'écran : « Le 20 février 2024, Lisa Qiluqqi Koperqualuk, présidente du chapitre canadien du Conseil circumpolaire inuit, a donné une présentation aux cadres participant au cours Géopolitique et sécurité nationale à l'occasion de la séance portant sur l'Arctique. En tant que représentante de la population canadienne inuite à l'échelle internationale, Mme Koperqualuk a parlé de l'importance de voir la sécurité en Arctique d'un point de vue humain ainsi que du rôle du leadership autochtone. »]
[00:00:39 L'écran passe à Lisa Koperqualuk.]
Lisa Koperqualuk (présidente du Conseil circumpolaire inuit, Canada) : Bonjour. Bonjour. J'aimerais remercier l'organisateur de cette conférence de m'avoir invitée et de me donner l'occasion de vous parler et de vous faire part des réflexions inuites. Merci encore. Lorsque le Canada et d'autres États de l'Arctique discutent des politiques concernant la sécurité dans l'Arctique et qu'ils planifient et élaborent ces politiques, les Inuits et les autres peuples autochtones doivent participer à ces discussions et ne doivent pas être tenus à l'écart des salles de conférence, des salles de classe, des bureaux et des cellules de crise. Aujourd'hui, le Conseil circumpolaire inuit existe pour donner une voix à chaque Inuk à l'échelle internationale. Inuk est le singulier d'Inuits : ne soyez pas surpris si je dis Inuk lorsque je parle d'une personne. Au Canada seulement, l'Inuit Nunangat représente près de 42 % de la masse continentale du Canada et 72 % de son littoral. C'est une vaste patrie. Nous sommes un peuple maritime. Permettez-moi de commencer en disant que les Inuits conçoivent la sécurité de manière plus large que la défense. Les Inuits parlent depuis plus de 45 ans, depuis la création du Conseil circumpolaire inuit en 1977, des changements dans l'Arctique et des répercussions que ces changements ont sur les communautés inuites et sur les régions dans leur ensemble, le changement climatique étant l'une des répercussions les plus importantes dans notre région circumpolaire actuellement.
Les changements qui se produisent en ce moment sont nombreux. Le fondateur du Conseil circumpolaire inuit, Eben Hopson, qui est originaire d'Utqiagvik en Alaska, nous a donné toute une série de perspectives quant à notre droit d'intervenir directement dans les questions liées à l'Arctique. Il a montré comment des forces géopolitiques et géostratégiques ne dépendant pas de nous menaçaient de déstabiliser notre autodétermination et la sécurité économique, sociale et culturelle de notre peuple et de l'Arctique. Notre politique inuite sur l'Arctique, formulée il y a 15 ans, reconnaît qu'il existe un rapport profond entre les droits de la personne, la paix et le développement. Ces objectifs ne sont pas véritablement réalisables isolément les uns des autres. Bien que je ne sois pas spécialiste des stratégies militaires, je suis une chercheuse, mais pas une chercheuse de l'OTAN ou du NORAD. Je suis une Inuk née de l'Arctique, de sa terre, de ses eaux et de sa glace. L'Arctique a assuré la survie de mon peuple pendant des millénaires et nous avons l'intention de continuer ainsi. Je suis également une leader inuite qui suit les traces de grands hommes et de grandes femmes qui affirment depuis toujours que les Inuits croient que l'Arctique est une zone de paix. J'en parlerai plus tard.
J'attirerai votre attention sur le Cadre stratégique pour l'Arctique et le Nord, ou CSAN, approuvé par le gouvernement du Canada en 2017, qui contient un chapitre sur la défense. Nous n'avons pas participé à l'élaboration de ce chapitre en tant qu'Inuits, mais nous avons participé à l'élaboration du chapitre international et nous travaillons à répondre à de nombreuses recommandations de ce chapitre. Dans ce document se trouve également un chapitre que nous, les Inuits, avons écrit, et que je vous conseille de lire également. Sept ans après, je comprends également qu'Affaires mondiales pourrait envisager une nouvelle politique internationale pour l'Arctique, ce nous verrons dans les mois à venir. C'est pourquoi, même si nous nous concentrons ici sur les visions stratégiques militaires de l'Arctique, j'aborderai la sécurité dans l'Arctique de manière générale, comme nous devons le faire en tant qu'Inuits. Je crois que plus notre diplomatie fonctionne, moins nous avons besoin de sécurité nationale. Le Conseil de l'Arctique offre un forum de dialogue qui favorise la paix, et il inclut les peuples autochtones à ces conversations. Donc, depuis 1996, nous participons aux dialogues internationaux autour du Conseil de l'Arctique et au sein des groupes de travail, où; nous contribuons à des projets amorcés par nous et par le Conseil de l'Arctique. Beaucoup de ces projets sont des projets de recherche. Mais j'aimerais aussi mentionner autre chose.
Par le passé, les Inuits ont été utilisés par le Canada pour garantir sa souveraineté, au détriment de la famille élargie, des communautés inuites et de bien d'autres éléments. Dans cette nouvelle ère de réconciliation, les choses changent cependant et, le mois dernier, le Nunavut et le gouvernement du Canada ont signé l'Entente sur le transfert des responsabilités. Et les paroles du premier ministre du Nunavut, P.J. Akeeagok, sont pertinentes dans le cadre de cette présentation. J'aimerais vous en lire un court passage. Il a déclaré ceci : « Debout au sommet de la colline près de la statue de la mère et de l'enfant de Looty Pijaamini, un monument qui rappelle notre histoire de relocalisation et de résilience en tant qu'Inuits, je vois Grise Fiord, la communauté la plus septentrionale du Canada, comme un témoignage de la souveraineté canadienne dans l'Arctique. Alors que l'Arctique se réchauffe rapidement et que la sécurité y est à nouveau en jeu », poursuit-il, « Grise Fiord et toutes les communautés de l'Extrême-Arctique canadien ont une vision stratégique d'une région qui est centrale pour le monde ». Nous sommes donc dans une nouvelle ère de reconnaissance des droits des peuples autochtones et de réconciliation, nous en sommes aux premiers pas vers l'équité dans notre pays et dans une nouvelle ère de changement climatique rapide, un facteur important dans toute conversation sur la sécurité dans l'Arctique.
Vous venez également d'entendre parler de la vision des États-Unis quant à la sécurité dans l'Arctique. Il est vrai que nous ne pouvons pas discuter de la sécurité de l'Arctique canadien sans cette connaissance. J'espère donc que vous avez lu la stratégie américaine d'octobre 2022 pour l'Arctique, ainsi que les éléments sur l'Arctique qui figuraient en bonne place dans la première stratégie de sécurité nationale du président Biden. Dans sa déclaration d'ouverture sur l'Arctique, il a déclaré : « Les États-Unis souhaitent un Arctique pacifique, stable, prospère et coopératif ». Sept autres États de l'Arctique ont un intérêt particulier concernant la sécurité dans l'Arctique. Bien sûr, l'ours de l'Arctique, c'est la Russie, le Nanook, comme on appelle l'ours polaire. Nous l'avons vu, la candidature à l'OTAN de la Suède est actuellement bloquée par la Hongrie, mais le Canada, le Danemark, l'Islande et la Norvège sont tous considérés comme des membres fondateurs de l'OTAN. Cet intérêt pour l'adhésion de la Suède à l'OTAN est bien sûr motivé par l'invasion russe en l'Ukraine. L'OTAN étant un sujet brûlant ces derniers temps, nous nous souvenons que sa vision en 1949 était d'être une alliance politique et militaire pour promouvoir la stabilité de la zone euro-atlantique et préserver la liberté de ses peuples selon des principes de démocratie, de liberté individuelle et de primauté du droit. Bien sûr, la primauté du droit est un concept important pour tous les Canadiens et les autres démocraties. J'aimerais évoquer la politique inuite sur l'Arctique que le Conseil circumpolaire inuit a formulée il y a plusieurs années. En dehors des huit États de l'Arctique, l'Union européenne, la France, l'Allemagne, l'Inde, l'Italie même, le Japon, la Corée du Sud, le Royaume-Uni et la Chine – tous ces pays – ont des politiques pour l'Arctique. J'ai mentionné la Chine en dernier, car elle considère l'Arctique comme un bien commun international et une étape dans son initiative actuelle « la Ceinture et la Route ». C'est important. Les investissements chinois, comme les autres investissements étrangers dans les États de l'Arctique, dans les secteurs des minéraux et des infrastructures doivent être surveillés de près. Ce regard attentif devrait également s'étendre à la recherche scientifique dans l'Arctique. Encore une fois, la sécurité peut être envisagée sous de nombreux angles. Et bien sûr, au Conseil circumpolaire inuit, nous militons constamment en faveur d'un engagement éthique et équitable des Inuits dans tout ce qui touche à la recherche, à l'élaboration des politiques et à toute prise de décision. Nous devons donc garder un œil sur ces aspects.
En tant qu'Inuits, nous avons également affirmé la souveraineté de l'Arctique en 2009. Nous avons élaboré un document spécial intitulé « Déclaration des Inuits circumpolaires sur la souveraineté dans l'Arctique ». Il y a à peine 15 ans, nous avons reconnu que le paysage géopolitique de l'Arctique était à nouveau en train de changer, des regards de plus en plus nombreux se tournant vers le nord à la recherche de ressources et de routes commerciales. Et notre réaction à cela a été de déclarer notre souveraineté dans l'Arctique en tant qu'Inuits. Ce document affirme que le Conseil circumpolaire inuit et les Inuits de la région circumpolaire sont particulièrement bien préparés pour évaluer, aborder et exprimer les nouveaux défis dans notre patrie collective de l'Inuit Nunaat, et pour rappeler au monde que l'Arctique n'est pas vide et que les Inuits peuvent aider à trouver des solutions. L'intérêt que portent de nombreux États à pour ma patrie, l'Inuit Nunaat, s'explique par le fait que l'Arctique n'est pas aussi sublime que certains voudraient le penser. Le sublime de l'Arctique, comme je l'ai récemment appris, est cette vision romantique de puissance, de gloire et de tragédie de l'Arctique qui a été dépeinte tout au long de l'histoire. En tant qu'Inuits cependant, nous le voyons plutôt comme la région de création de notre culture, la patrie que nous aimons et celle de l'abondance. C'est le fondement de notre culture. Nous ne le quitterions pour rien au monde. Ma famille ne le quitterait pour rien au monde.
Le premier ministre Akeeagok nous a rappelé une fois de plus que, en ce qui concerne notre patrie, nos eaux regorgent de mammifères marins et de poissons qui peuvent soutenir une pêche durable. Notre terre est riche en métaux précieux, en minéraux et en terres rares qui peuvent garantir des occasions économiques pour notre avenir. Notre eau, notre vent et notre soleil d'été peuvent être exploités pour fournir de l'énergie verte afin de favoriser de nouvelles industries. Nos côtes englobent le littoral le plus étendu du Canada, reliant notre pays au monde circumpolaire et au-delà. Je peux l'entendre parler et imaginer comment nous exerçons réellement notre autodétermination dans notre propre patrie. L'année dernière, je me suis adressée à une délégation de généraux et d'amiraux des États-Unis et je me souviens d'avoir regardé autour de moi, face à toutes les compétences et à l'intelligence de ces gens, et d'avoir pensé à nos rangers inuits. Les hommes et les femmes avec qui j'aimerais être sur la banquise constituent une partie de la stratégie de défense du Canada pour l'Arctique. Ce sont ces chasseurs et ces pêcheurs qui connaissent l'Arctique. Ils comprennent comment la région change. Ils comprennent sa puissance. Pourtant, dans cet environnement rude et impitoyable, nos rangers inuits constituent un élément vital et important de notre capacité de défense dans l'Arctique canadien. Ils ne voient pas la tragédie de l'Arctique, le sublime, mais ils respectent plutôt la puissance et la générosité vivante de la faune pour notre sécurité alimentaire.
Je vais maintenant formuler quelques recommandations. Ma première recommandation concerne donc le besoin d'équiper davantage les rangers de l'Arctique et de renforcer leurs capacités. Je les considère, et beaucoup d'entre nous en font autant, comme les yeux, les pieds de la toundra, des eaux et de la glace. J'ai également souligné plus tôt la nécessité pour les Inuits de participer aux discussions sur la sécurité dans l'Arctique à tous les niveaux, car les Inuits sont des détenteurs de droits, et non des parties prenantes, dans l'Arctique, et ils devraient être considérés et consultés en tant que tels dans les décisions prises dans et sur notre territoire, l'Inuit Nunaat. Ma deuxième recommandation est donc de comprendre que les Inuits ont fait de nombreux sacrifices au nom de la souveraineté canadienne. Par le passé, trop de décisions nous concernant ont été prises sans nous. Nous devons participer à toutes les tables de discussion. Je dirais que de la Tchoukotka, où; vivent des Inuits, jusqu'en Alaska, en passant par le détroit de Béring, ainsi que vers l'est, de l'autre côté de la mer de Beaufort, de l'archipel Arctique jusqu'au passage du Nord-Ouest, au-dessus de la baie de Baffin et du détroit de Davis jusqu'à l'Inuit Nunangat, notre patrie au Canada, et de l'autre côté de la calotte glaciaire du Groenland jusqu'à l'Atlantique Nord, les Inuits utilisent et occupent ces terres, ces eaux et cette glace, détiennent les droits exprimés dans la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones ou qui en découlent, et sont les premiers intervenants. Maintenant, réfléchissons un instant au vaste littoral, aux eaux, à la mer, à la glace et à la terre que nous appelons Inuit Nunaat, et considérons également que nous sommes un seul peuple qui réside dans quatre réalités politiques différentes. Je crois que plus la diplomatie fonctionne, moins nous avons besoin de sécurité nationale.
J'ai mentionné plus tôt le Conseil de l'Arctique, qui a été créé en 1996. Tout d'abord, voici un fait intéressant à propos du Conseil de l'Arctique. À l'époque, juste avant sa création, il était question de la sécurité environnementale de l'Arctique. Depuis, le Conseil est devenu un forum intergouvernemental de premier plan pour la promotion de la coopération, de la coordination et de l'interaction entre les États de l'Arctique et les peuples autochtones de l'Arctique. Ce forum est donc d'une importance vitale pour la sécurité. Cette capacité à communiquer les uns avec les autres est le chemin le plus sûr vers la paix. Ma troisième recommandation est de réaffirmer l'engagement du Canada envers le Conseil de l'Arctique et de le renforcer. La diplomatie et la sécurité nécessitent de consulter les peuples qui vivent dans l'Arctique, l'utilisent et l'occupent, et de les faire participer à toutes les tables où; sont prises les décisions concernant l'Arctique ou ayant un impact sur l'Arctique. Comme nous le disons souvent au Conseil circumpolaire inuit : « Rien sur nous, sans nous ». J'ai mentionné plus tôt le Cadre stratégique pour l'Arctique et le Nord, ou CSAN, qui a été élaboré comme document d'orientation politique pour le Canada et l'Arctique, au pays et dans l'ensemble du paysage géopolitique mondial. Le document indique que l'Arctique canadien ainsi que les gouvernements et les collectivités du Nord sont au cœur de la sécurité dans la région. Le Canada continuera d'assurer la sécurité des populations de l'Arctique et du Nord, aujourd'hui et à l'avenir. Le document indique également que, depuis trop longtemps, les habitants de l'Arctique et du Nord du Canada, en particulier les peuples autochtones, n'ont pas accès aux mêmes services, aux mêmes possibilités et au même niveau de vie que les autres Canadiens. Il existe depuis longtemps des inégalités en matière de transports, d'énergie, de communications, d'emploi, d'infrastructures communautaires, de santé et d'éducation. Toutes ces questions sont des questions qui sont absolument soulignées dans la déclaration du Conseil circumpolaire inuit, dans la déclaration d'Ilulissat de 2022. Dans quelle mesure ces inégalités pèsent-elles sur la sécurité nationale, les capacités de mobilisation de nos forces armées et la préparation opérationnelle? Selon moi, de manière importante.
Nous savons que la paix naît lorsque les communautés se portent bien, que des communautés en bonne santé soutiennent la sécurité nationale. Les investissements dans les infrastructures à double usage en ce qui concerne la communication, l'eau douce, le logement et les transports soutiennent tous les capacités de défense et de sécurité nationale et créent du bien-être dans les communautés. Nous savons également qu'après le changement climatique, le plus grand risque pour l'Arctique réside dans l'augmentation du trafic maritime national et étranger. Ma quatrième recommandation est de travailler à l'atteinte de l'équité entre les Inuits et les autres Canadiens et d'investir dans des infrastructures à double usage qui soutiennent le bien-être de nos communautés et renforcent la préparation militaire à la mobilisation en cas de besoin. Il s'agirait de ports, d'infrastructures maritimes, d'installations de traitement de l'eau, de services de communications, de réseaux de télécommunications et de réseaux à large bande, ainsi que de logements. Comme nous le savons tous, il existe un énorme déficit d'infrastructures dans l'Arctique. Pour conclure, le Conseil circumpolaire inuit a un rôle important à jouer dans les relations circumpolaires et la sécurité nationale dans l'Arctique, de nos rangers inuits jusqu'à notre travail au Conseil de l'Arctique, en passant par nos démarches auprès de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, pour la recherche et au-delà. Je crois que notre voix inuite, notre savoir inuit, le pouvoir de notre langue qui recèle une grande sagesse et nos droits sont et devraient être au cœur de toute gouvernance dans l'Arctique. Conformément aux principes d'autonomie gouvernementale, les Inuits et les autres peuples de l'Arctique devraient avoir leur mot à dire dans la formulation et la mise en œuvre des accords de coopération arctique entre les États sur les questions qui les concernent, notamment et surtout en matière de défense et de sécurité.
Nakurmik marialuk. Merci de votre attention.
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