Transcription
Transcription : Yaprak Baltacioğlu
[00:00:00 La vidéo s'ouvre sur un montage des vues de l'édifice de l'EFPC, du bureau de la sous-ministre et de l'équipement de l'équipe pour l'entrevue. Yaprak Baltacioğlu prend place dans une salle historique. Texte à l'écran : Série Réflexions sur le leadership des sous-ministres, avec Yaprak Baltacioğlu. Une musique inspirante est diffusée pendant que les questions sont posées.]
[00:00:21 Texte superposé à l'écran : Yaprak Baltacioğlu, C.M., est fonctionnaire, avocate et professeure. Elle a occupé des postes de direction, notamment celui de secrétaire du Conseil du Trésor de 2012 à 2018, et est devenue chancelière de l'Université Carleton après avoir pris sa retraite.]
[00:00:33 Texte superposé à l'écran : Elle donne également des cours de deuxième cycle à la School of Public Policy and Governance de l'Université de Toronto, contribuant ainsi à l'administration publique et à l'enseignement supérieur au Canada.
[00:00:46 Yaprak Baltacioğlu apparaît en plein écran. Texte superposé à l'écran : Où êtes-vous née?]
Yaprak Baltacioğlu : Je suis née à Ankara, en Turquie. Türkiye.
[00:00:52 Texte superposé à l'écran : Quels souvenirs avez-vous de votre enfance à Ankara?]
Yaprak Baltacioğlu : Je me souviens de beaucoup de choses. En fait, maintenant que j'y pense, j'ai vécu 21 ans en Turquie et 44 ans au Canada. Et d'une certaine manière, ces 21 années ont eu un impact tellement grand sur moi, quand je les compare aux 44 années ici, parce que j'ai deux personnalités, deux ensembles de souvenirs, deux ensembles de langues, deux types de rêves différents.
[00:01:27 Photo superposée de Yaprak Baltacioğlu enfant. Texte superposé à l'écran : En première année, vivant en Turquie.]
Yaprak Baltacioğlu : Je me souviens de beaucoup de choses : d'avoir grandi dans une société turque, d'avoir vu mon père se battre pour les droits civils, d'avoir grandi alors qu'il n'était pas un bon père ou un bon mari, mais qu'il était un grand leader. J'ai grandi avec ma mère qui luttait contre des problèmes de santé mentale. Mais j'ai grandi avec une nourriture fantastique et la cuisine de ma grand-mère.
[00:01:54 Texte superposé à l'écran : Où; êtes-vous allée à l'université?]
Yaprak Baltacioğlu : J'ai étudié le droit à l'Université d'Istanbul.
[00:02:01 Photo superposée de l'extérieur de l'Université d'Istanbul. Texte superposé à l'écran : Elle a obtenu un diplôme en droit à l'Université d'Istanbul avant d'immigrer au Canada en 1980, à l'âge de 21 ans.]
Yaprak Baltacioğlu : On attendait de moi que je fasse des études de droit parce que mon père était un important esprit juridique, et que j'ai toujours voulu être avocat pénaliste. Et c'est ce que je pensais devenir. Mais regardez où; j'en suis.
[00:02:21 Texte superposé à l'écran : Quels sont les souvenirs que vous gardez de votre expérience universitaire en Turquie?]
Yaprak Baltacioğlu : L'époque était très dangereuse. En fait, la plupart du temps, les cours étaient interrompus. Les militants de droite ou de gauche arrivaient et disaient : « OK, allons faire un tour ». Et vous n'aviez pas le choix. Il fallait y aller parce qu'ils avaient des armes.
Et pendant un examen, il y a eu un gros bruit à l'extérieur, à l'entrée de l'Université, et toute la salle d'examen a tremblé. Une bombe avait explosé et je crois que 14 personnes sont mortes. Quand je suis sortie de l'examen et que j'ai vu tous ces cadavres, c'était un moment très traumatisant.
[00:03:04 Texte superposé à l'écran : Pouvez-vous nous dire pourquoi vous avez fini par déménager au Canada?]
Yaprak Baltacioğlu : Je suis venue au Canada parce que mon mari de l'époque voulait faire son doctorat en Amérique du Nord. C'était l'époque où; la promesse des ordinateurs personnels se concrétisait. Il voulait être proche de la technologie parce qu'il se disait que le monde allait changer grâce à elle. Que ce n'était pas un truc habituel. Mon travail consistait donc à trouver un pays où; aller. J'ai fait des recherches sur le Canada, et nous nous sommes retrouvés au Canada.
[00:03:43 Texte superposé à l'écran : Qu'est-ce qui a influencé votre décision de choisir le Canada plutôt que d'autres pays?]
Yaprak Baltacioğlu : Eh bien, mes recherches étaient particulières parce qu'à l'époque, il n'y avait pas d'Internet, pas de courriels. Alors, j'ai écrit à toutes les ambassades, à un grand nombre de pays européens, aux États-Unis et au Canada, et je leur ai demandé s'ils pouvaient m'envoyer des informations sur leur pays. Ils m'ont donc envoyé des brochures. Quand j'ai regardé la brochure canadienne, c'était une brochure très colorée avec des gens de toutes sortes de couleurs et de profils raciaux différents. Ils avaient tous l'air différents.
Et sur la page centrale, il y avait un panier de pêches. Et je me suis dit : « Wow, un pays qui a tellement confiance en lui qu'il est capable de mettre un panier de fruits en page centrale ». Ce doit être un pays spécial. J'ai donc débarqué au Canada à cause des pêches. Mais c'était intéressant, parce que tous les autres avaient un point de repère, vous savez, la Tour Eiffel ou le drapeau américain ou quelque chose comme ça. Et ici, nous avions des pêches. Et je me suis dit que c'était ce qu'il me fallait.
[00:04:57 Texte superposé à l'écran : Avez-vous pratiqué le droit au Canada après l'avoir étudié en Turquie?]
Yaprak Baltacioğlu : Non, pour deux raisons. D'une part, j'ai étudié le droit civil. Donc, à moins de travailler au Québec, vous ne pouvez pas vraiment le faire ici. Et vos diplômes ne sont pas reconnus.
[00:05:21 Texte superposé à l'écran : Yaprak Baltacıoğlu a obtenu une maîtrise de l'École d'administration publique de l'Université Carleton en 1989.]
Yaprak Baltacioğlu : C'est impossible d'y arriver. J'ai donc dû retourner à l'école pour obtenir un diplôme canadien.
[00:05:30 Texte superposé à l'écran : Quel a été votre premier emploi au sein du gouvernement du Canada?]
Yaprak Baltacioğlu : Mon tout premier emploi était en tant qu'employée occasionnelle,
[00:05:39 Texte superposé à l'écran : De 1989 à 1990, elle a été agente d'évaluation des programmes à la Commission de la fonction publique.]
Yaprak Baltacioğlu : comme qu'auditrice junior à la Commission de la fonction publique.
[00:05:49 Texte superposé à l'écran : Quel souvenir gardez-vous de ce travail?]
Yaprak Baltacioğlu : J'étais tellement heureuse d'avoir, tout d'abord, un emploi, vous voyez? Parce que si vous êtes immigrée et que vous ne trouvez pas de travail, votre vie n'est pas particulièrement assurée pour le temps qu'il vous reste, parce que vous ne connaissez personne. Vous n'avez vraiment aucune expérience professionnelle au Canada. C'est très difficile de se faire embaucher.
Et donc, j'étais très heureuse d'avoir un emploi et de travailler dans la fonction publique. Je me suis dit que j'allais pouvoir servir le Canada. Je me sentais bien.
Et bien sûr, je n'ai pas été formée pour être auditrice, mais j'étais l'auditrice junior. Ils m'ont donné tous les postes que personne d'autre ne voulait faire. Mais j'étais très heureuse.
[00:06:40 Texte superposé à l'écran : Où; avez-vous effectué la transition après votre passage à la Commission de la fonction publique?]
Yaprak Baltacioğlu : Ma carrière au sein de la Commission de la fonction publique a été très courte, environ un an. Et notre patron de l'époque a trouvé un emploi à Agriculture Canada. Et il a emmené quelques-uns d'entre nous avec lui au ministère.
[00:07:12 Texte superposé à l'écran : Elle est ensuite devenue analyste principale au Bureau pour la durabilité de l'environnement d'Environnement Canada.]
Yaprak Baltacioğlu : Mon seul lien avec l'agriculture est que mon grand-père était agronome. Mais à part ça, j'ai grandi dans une très grande ville et mes connaissances en matière d'agriculture se résumaient à rien.
[00:07:26 Texte superposé à l'écran : En 1992, elle a été nommée chef des relations fédérales-provinciales.]
Yaprak Baltacioğlu : Mais c'était un travail politique vraiment extraordinaire. C'était incroyable. Ils avaient besoin de personnes capables d'écrire, de résumer, d'analyser, d'encadrer et d'écrire des choses comme des présentations, ce qui était nouveau à l'époque. Et j'ai adoré.
Et les gens d'Agriculture Canada, à l'époque c'était Agriculture Canada, ils étaient tout simplement généreux. De toute évidence, je ne cadrais pas vraiment, parce que je ne venais pas de Guelph et que je n'étais pas économiste agricole. Mais ce poste a réellement introduit l'aspect multidisciplinaire dans la réflexion politique. J'ai donc adoré. C'était une période merveilleuse.
[00:08:10 Texte superposé à l'écran : Quel a été votre premier emploi en tant que cadre au sein du gouvernement du Canada?]
Yaprak Baltacioğlu : Mon premier poste de cadre,
[00:08:22 Texte superposé à l'écran : En 1993, elle est devenue directrice de la coordination des politiques à Agriculture et Agroalimentaire Canada.]
Yaprak Baltacioğlu : J'étais directrice de la coordination des politiques au sein de la direction générale des politiques.
[00:08:30 Texte superposé à l'écran : De 1995 à 1997, elle a été chef de cabinet du sous-ministre d'Agriculture et Agroalimentaire Canada.]
Yaprak Baltacioğlu : Je pense que j'ai pu devenir cadre parce que j'étais une femme, parce qu'il n'y avait pas de femmes cadres à la direction générale des politiques à l'époque.
[00:08:39 Texte superposé à l'écran : Elle a quitté le ministère en 1997 pour rejoindre Environnement Canada en tant que directrice générale de la politique stratégique.]
Yaprak Baltacioğlu : Selon moi, ils ont regardé autour d'eux et il n'y avait pas beaucoup de femmes, et j'étais là. J'ai donc décroché mon tout premier poste de cadre.
[00:08:49 Texte superposé à l'écran : Quel a été votre premier poste en tant que sous-ministre adjointe?]
Yaprak Baltacioğlu : Eh bien, mon tout premier poste de SMA était encore à Agriculture et Agroalimentaire Canada.
[00:09:06 Texte superposé à l'écran : En 1999, elle a occupé le poste de directrice générale des relations internationales à Environnement Canada.]
Yaprak Baltacioğlu : J'ai quitté le poste de chef de cabinet du sous-ministre d'Environnement en tant que cadre EX2.
[00:09:13 Texte superposé à l'écran : L'année suivante, elle est retournée à Agriculture et Agroalimentaire Canada en tant que sous-ministre adjointe (Politiques).]
Yaprak Baltacioğlu : Un jour, j'ai reçu un appel du nouveau sous-ministre, que je n'avais jamais rencontré auparavant. J'ai eu un entretien avec lui et, quelques jours plus tard, ils m'ont appelé et m'ont dit qu'ils aimeraient que je prenne le poste de SMA des politiques. C'était mon tout premier poste en tant que SMA.
[00:09:34 Texte superposé à l'écran : Comment êtes-vous devenue sous-ministre?]
Yaprak Baltacioğlu : Je crois qu'après 14 ou 15 ans de carrière dans la fonction publique, je suis devenue sous-ministre.
[00:09:48 Texte superposé à l'écran : Après avoir occupé plusieurs autres postes importants dans la fonction publique, elle a été sous-secrétaire du Cabinet (Opérations) au Bureau du Conseil privé de 2004 à 2007.]
Yaprak Baltacioğlu : Pas pour un ministère, mais pour le BCP. J'étais sous-secrétaire aux opérations. C'était à l'époque de M. Martin, le premier ministre Martin, et j'ai occupé ce poste depuis les premiers ministres Martin 1 et Martin 2, puis jusqu'à M. Harper. C'était donc vraiment fascinant. J'ai adoré travailler au BCP. C'était très amusant. Et j'ai gardé des relations durables de mes années passées là-bas.
[00:10:21 Texte superposé à l'écran : C'était comment pour vous quand vous avez commencé à travailler en étroite collaboration avec les premiers ministres et les ministres?]
Yaprak Baltacioğlu : Je peux vous dire qu'aujourd'hui encore, chaque fois que je me dirige vers le Parlement et que je vois la Tour de la Paix et le bâtiment juste en face de moi, je suis toujours, je me sens remplie d'une quantité incroyable d'émotions. Ça veut dire tellement pour moi. Je me souviens de la première fois où; j'ai assisté à une réunion de cabinet,
[00:10:54 Texte superposé à l'écran : Elle a été secrétaire adjointe du Cabinet pour la politique de développement social au Bureau du Conseil privé de 2002 à 2004.]
Yaprak Baltacioğlu : en tant que secrétaire adjointe à l'époque, j'étais assise à côté d'Alan Rock, qui était mon président à l'époque. Et je pense que j'avais la bouche ouverte en regardant autour de moi. Oh, mon Dieu, c'est vraiment incroyable. Il s'est penché vers moi et m'a dit : « Je crois que tu es censé prendre des notes » ou quelque chose comme ça, parce que j'étais tellement impressionnée. Et je n'ai jamais pris aucun de mes moments dans une salle du Cabinet, et même dans des salles de commission, ce qui n'était pas toujours amusant. Je l'ai toujours apprécié.
[00:11:28 Texte superposé à l'écran : Que signifie le leadership pour vous?]
Yaprak Baltacioğlu : Pour moi, le leadership, c'est être capable d'améliorer le monde et de mobiliser les gens, les organisations, pour qu'ils y parviennent avec vous. C'est ce que ça signifie pour moi.
Mais le leadership, c'est aussi prendre les choses en main. Le leadership, c'est aussi ne pas prendre les choses en main. Le leadership peut vouloir dire d'être bienveillant.
Le leadership peut consister à faire preuve de fermeté face à des situations difficiles. Il peut s'agir de beaucoup, beaucoup de choses. Mais l'essentiel est d'essayer d'apporter un changement positif et, au final, d'aider le Canada à faire ce qu'il doit faire. C'est ce que ça signifie pour moi.
[00:12:25 Texte superposé à l'écran : Qu'avez-vous appris des dirigeants que vous avez rencontrés au cours de votre carrière?]
Yaprak Baltacioğlu : Ce que j'ai appris des dirigeants que j'admirais, c'est cette conviction tenace que le progrès ne doit pas être compromis. La détermination de changer les choses et d'améliorer la situation. Et cette détermination ne faiblit pas face aux obstacles, aux gens, à tout ce que vous voulez. Et cette façon d'être axé sur le fait d'avancer. Je pense que ce que j'ai vraiment apprit de manière générale, c'est que certains postes vous donnent des responsabilités. Mais si vous ne vous mettez pas dans ces chaussures et que vous ne jouez pas le rôle de leader, c'est le pire.
Et donc, certaines personnes avaient les chaussures, mais ne les utilisaient pas, n'étaient pas là. Ou ils les portaient simplement. Il s'agissait d'eux-mêmes, plutôt que de faire avancer les choses, d'apporter des changements positifs, de construire une organisation, d'être aimable avec les gens, ou quoi que ce soit d'autre. C'était juste, vous savez, ils étaient là. Mais le temps passait.
[00:13:55 Texte superposé à l'écran : Pouvez-vous expliquer ce que vous entendez par « espace institutionnel »?]
Yaprak Baltacioğlu : Quand j'ai obtenu ma maîtrise, ma professeure, Sharon Sutherland, qui a changé ma vie parce qu'elle m'a appris beaucoup de choses. Elle m'a enseigné les bases et les principes fondamentaux de la fonction publique et du gouvernement : la responsabilité ministérielle, l'obligation de rendre compte, les conseils audacieux aux ministres, le rôle d'une fonction publique non partisane, etc. J'ai donc vécu ma vie, celle d'une fonction publique, etc. J'ai donc passé ma vie, ma vie au sein de la fonction publique, en m'appuyant sur ces principes et en les comprenant profondément. Dans ce contexte, soudainement vous devenez sous-ministre, ou SMA de quelque ministère que ce soit, vous devez faire votre travail. Vous devez vous acquitter pleinement de votre tâche.
Sur le plan institutionnel, j'ai toujours su ce qu'était l'espace de la fonction publique. Nous devions administrer, ce qui n'est pas rien, vous voyez? Nous devons fournir des programmes, etc. Mais nous avons aussi une fonction de conseil. Vous donnez des conseils. Et donc, nous faisons ces choses avec le meilleur de nos capacités et de notre aptitude à faire en sorte que nous dirigions nos organisations pour qu'elles soient en mesure de réaliser ces choses. C'est mon espace institutionnel. Là où; ça devient difficile, c'est d'occuper pleinement l'espace, de ne jamais se dérober. Je ne sais pas, c'est le cabinet du ministre qui nous a dit de le faire. Eh bien, qu'en pensez-vous? Faites pleinement votre travail, ne vous dérobez jamais et n'en faites pas trop, parce que nous ne faisons pas de politique partisane.
Parfois, de bonnes relations, etc., les gens peuvent commencer à s'éloigner vers des relations intéressantes ou aller au-delà de l'espace institutionnel. J'ai toujours cru profondément en cet espace.
[00:16:09 Texte superposé à l'écran : Que signifie pour vous l'expression « marcher doucement dans ses chaussures de pouvoir »?]
Yaprak Baltacioğlu : C'est toute ma philosophie de gestion. Sur mon bureau, j'ai ces deux petites chaussures rouges à talons hauts. Elles sont minuscules – comme ça. C'est un ami qui me les avait donnés et je considère que c'est ma philosophie de gestion.
Si vous êtes dans une position où; vous êtes censé diriger et gérer un groupe de trois, quatre, 400 ou 4 000 personnes. Il y a des types de leaders, ou de gestionnaires dans ce cas probablement, qui sautent dans les chaussures de pouvoir et se mettent à écraser. Je suis le patron. Et ces personnes ne reçoivent jamais de bons conseils de la part de leurs employés, parce qu'ils en ont tous peur. La plupart de leurs employés ne feraient pas un effort supplémentaire pour eux. D'après mon expérience, à moins qu'ils ne soient super innovants et qu'ils changent le monde, s'ils se contentent de faire avancer les choses de manière médiocre, personne ne les suivra.
Et puis il y en a d'autres qui ont les chaussures. Ils ne se mouillent pas. Ils veulent être l'ami de tout le monde. Ils ne veulent pas prendre les décisions difficiles. Ils ne veulent pas donner de rétroaction négative. Parce que c'est trop difficile.
Le meilleur style, à mon avis, est de mettre les chaussures, et de s'approprier l'espace. Mais au fur et à mesure que vous prenez de l'ancienneté, marchez très doucement dans ces chaussures.
[00:17:48 Texte superposé à l'écran : La notion de conseils de la fonction publique « non négociables » est souvent mentionnée. Que pensez-vous de ce concept?]
Yaprak Baltacioğlu : Les conseils de la fonction publique ne sont pas négociables. Ça ne veut pas dire qu'ils sont toujours acceptés. Mais si vous donnez des conseils, vous devez tout d'abord vous assurer que ce sont de bons conseils. Qu'ils ont fait l'objet d'une bonne analyse. Que le contexte dans lequel ce conseil va atterrir a été pris en compte, ce qui n'est pas facile. Mais une fois que c'est fait, il faut donner ce conseil. Ça ne sert à rien de négocier vos conseils sur ce qu'ils devraient être, pour que la trace écrite soit différente. Pour moi, ça ne fait aucun sens.
Je crois que ça n'a jamais été un problème pour moi, parce que j'ai toujours eu d'excellentes relations avec mes ministres, et de bonnes relations de confiance, et donc les conseils ont été reçus. Pas toujours acceptés, mais ils ont toujours été reçus et entendus.
[00:19:00 Texte superposé à l'écran : Un autre concept souvent mentionné est celui des « conseils audacieux ». Que pensez-vous de ce concept?]
Yaprak Baltacioğlu : Beaucoup de gens parlent de conseils audacieux, et je pense qu'il s'agit d'une expression facile à utiliser. C'est une chose très difficile à mettre en pratique. Je reviendrai sur le côté audacieux, mais pour ce qui est des conseils, il faut qu'ils soient judicieux. Les conseils doivent être mûrement réfléchis. Ils ne peuvent pas être complètement insensibles, par exemple, aux réalités politiques ou à la situation financière, etc. Je pourrais vous donner n'importe quel conseil. Je pourrais dire, vous allez acheter ceci pour 10 000 dollars. Si vous n'avez pas d'argent, ce n'est pas le bon conseil. Il doit donc s'inscrire dans le contexte. Les conseils doivent donc être judicieux.
Pour le côté audacieux, je trouve que c'est difficile, parce que quand vous donnez des conseils que personne ne veut entendre et qui vont peut-être à l'encontre de ce que l'on attend généralement de vous, vous devez être prêt à vous tenir debout seul, ce qui est difficile. Vous devez être en mesure de ne pas vous en faire pour vous-même, parce que parfois, nous donnons des conseils qui déplaisent à ceux qui contrôlent votre carrière. Et ce n'est pas grave, mais vous devez avoir cette paix d'esprit. Le fait de ne pas avoir peur est difficile, mais c'est faisable. Mais vous devez vraiment réfléchir à ce qui vous motive. Vous devez être ancré dans les principes. C'est du moins ce que j'ai fait.
[00:21:01 Texte superposé à l'écran : Comment un sous-ministre peut-il établir une relation productive avec un nouveau ministre?]
Yaprak Baltacioğlu : J'étais une sous-ministre relativement nouvelle, depuis huit ou neuf mois, et il y a eu un remaniement ministériel. J'ai rencontré le nouveau ministre à Rideau Hall et j'ai eu droit à des poignées de main gênantes et maladroites, il ne me connaissait pas, mon nom était vraiment difficile à prononcer et je m'étais renseignée sur lui et je n'étais pas très sûre de lui non plus. Une première présentation pas très chaleureuse. Je suis rentrée chez moi et j'ai préparé mes notes sur ce que j'allais dire au ministre durant notre entretien individuel bilatéral pour faire connaissance. J'étais en mode envoi.
Et puis, j'ai commencé à me dire que c'était probablement la mauvaise approche pour n'importe quelle relation, parce qu'on ne peut pas simplement dire aux gens ce qu'ils sont censés faire, comment ils vont être informés, etc. Alors, j'ai respecté sa position, j'ai acheté deux cafés, je me suis assise en face de lui et je lui ai dit : « Écoutez, Monsieur le Ministre, vous ne me connaissez pas et je ne vous connais pas, mais je veux que vous sachiez ceci : Je vous dirai toujours la vérité, je vous donnerai toujours les meilleurs conseils dont nous sommes capables, et je vous soutiendrai toujours. Maintenant, quelles sont vos priorités pour ce ministère? »
Nous avons discuté, c'était génial. Vers la fin, le ministre s'est tourné vers moi et m'a dit : « Mais vous me direz quand j'ai tort, n'est-ce pas? » J'ai répondu « Oui, absolument. » Ce fut le début d'une relation basée sur la confiance et le respect. Ce n'est pas une amitié, ce n'est pas une relation familiale, c'est une relation professionnelle différente dans laquelle vous devez vous faire confiance, vous êtes un partenaire, mais en même temps il y a une tension naturelle et vous devez être capable de la gérer.
[00:23:13 Texte superposé à l'écran : Comment avez-vous relevé les défis liés au passage à un nouveau portefeuille pendant la crise économique de 2009?]
Yaprak Baltacioğlu : La crise économique de 2008/2009 a été un choc pour le monde entier et pour l'économie. C'était la situation la plus inconnue que j'avais vécue, à ce moment-là.
[00:23:43 Texte superposé à l'écran : Communiqué de presse du 17 juin 2009 du premier ministre Harper annonçant des changements dans les rangs supérieurs de la fonction publique.]
[00:23:43 Texte superposé à l'écran : En 2009, elle a été nommée sous-ministre du ministère des Transports, de l'Infrastructure et des Communautés.]
Yaprak Baltacioğlu : J'ai été transféré au ministère des Transports, de l'Infrastructure et des Communautés en plein milieu de la crise.
[00:23:54 Photo superposée de Yaprak Baltacioğlu. Texte superposé à l'écran : Ce poste l'a amenée à occuper son dernier poste de secrétaire du Conseil du Trésor de 2012 à son départ à la retraite en 2018.]
Yaprak Baltacioğlu : Il s'agissait d'une mission où; l'erreur n'est pas permise, et je n'avais jamais travaillé dans ce type de portefeuille. C'est probablement l'un des meilleurs postes que j'aie jamais eus, parce que nous vivions une véritable crise et nous pouvions faire quelque chose. Nous avions les mesures de stimulation, et il fallait les mettre en œuvre, et le faire correctement. Et elles devaient être mises en œuvre sans que, espérons-le, beaucoup de choses ne se retrouvent entre les mains de personnes mal intentionnées. Et nous devions être à la hauteur, parce que ça a créé des emplois. Alors que le monde brûlait, je me souviens que nous nous sommes retranchés et que nous avons fait ce que nous pouvions pour arriver à sortir de la crise économique. C'était extraordinaire.
C'est la raison pour laquelle j'aime tant la fonction publique, parce que vous vous retrouvez dans une situation où; vous pouvez réellement faire quelque chose qui peut aider les gens à traverser une période extrêmement difficile. C'était l'un des moments les plus extraordinaires. Bien sûr, j'étais épuisée, mais j'avais une équipe extraordinaire, et c'était tout simplement génial.
[00:25:18 Texte superposé à l'écran : Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez du processus d'intégration d'un nouveau gouvernement, surtout avec l'arrivée d'un nouveau premier ministre?]
Yaprak Baltacioğlu : Les transitions sont des périodes très délicates pour la fonction publique. Mais en même temps, c'est une occasion de renouveau, parce que la planification de la transition génère de nouvelles idées, renouvelle la pensée de la fonction publique à bien des égards, parce qu'il n'y a pas de contraintes liées à un parti ou à l'autre. En fait, vous avez une vaste – vous pouvez penser à, où; va le monde? Quelles politiques voulons-nous recommander à un nouveau ministère? Je crois que c'est une belle opportunité. Je trouve cette partie intéressante.
Mais une fois que le nouveau gouvernement sera en place, il faudra d'abord traiter les personnes qui partent avec respect. Et je ne veux pas parler de compassion, mais vous devez faire preuve d'une bonne dose de bienveillance, parce qu'ils sont aussi des fonctionnaires. Les personnalités politiques sont des fonctionnaires qui jouent un rôle institutionnel différent, vous devez donc reconnaître qu'ils l'ont fait pour leur pays. Et les nouveaux venus doivent pouvoir être entendus, parce qu'ils ont été élus sur un programme électoral, ils ont été élus par les Canadiens et Canadiennes. Il faut donc respecter cet espace et comprendre leur point de vue.
Parfois, si vous avez suivi cette direction pendant longtemps et que le gouvernement change, c'est facile de dire : « Oui, mais votre idée n'a pas beaucoup de sens pour les 200 raisons suivantes ». C'est une sorte de réaction instinctive qui se produit, parce que nous avons suivi cette direction pendant tellement longtemps, et que nous devons maintenant aller par là. C'est pourquoi je pense toujours qu'il est important de faire une pause et d'écouter qui est ce nouveau gouvernement. Pour quoi se battent-ils? Quelles sont leurs valeurs fondamentales? Qu'essaient-ils de faire pour le pays? Une fois que vous avez ces réponses, le reste est plus facile.
[00:27:40 Texte superposé à l'écran : Quels conseils donneriez-vous aux sous-ministres qui traversent une période difficile dans le cadre de leurs fonctions?]
Yaprak Baltacioğlu : Tout d'abord, en tant que sous-ministre, vous êtes toujours à une lettre de la démission. Ce n'est pas grave. Et vous devriez être en paix avec ça. Parce que rester à n'importe quel prix ne vaut pas particulièrement la peine pour ce que vous êtes en tant que personne, du moins pour moi. C'est pourquoi j'ai géré la peur qui venait de cette situation. Je n'ai pas dit que je n'avais pas peur de perdre mon emploi. Mais je crois que j'étais en paix avec cette éventualité.
Ensuite, vous n'êtes jamais vraiment seul. Créez une communauté, apprenez à connaître les gens, ayez des amis qui peuvent vous aider, vous soutenir, même si vous ne pouvez pas leur parler de tout. Vous devez avoir des personnes qui peuvent vous donner des conseils ou simplement vous écouter. J'ai toujours eu : Morris Rosenberg, à qui je parlais quand j'avais des problèmes politiques; Margaret Biggs, parce qu'elle était ma meilleure amie. J'ai toujours eu des personnes dans ma vie qui pouvaient m'aider à subvenir à mes besoins.
L'autre conseil que je donnerais. c'est que le système est là pour vous aider, mais vous devez savoir comment le mobiliser. Utilisez le système pour vous aider, assurez-vous qu'il vous aide, mais soyez vraiment préparé, connaissez l'environnement dans lequel vous vous trouvez. Selon moi, de nombreux problèmes peuvent être mieux résolus si vous mobilisez les bonnes personnes et les bons outils dans la bonne situation, avec les bonnes descriptions. Pour en arriver à la solution.
[00:29:29 Texte superposé à l'écran : Pouvez-vous nous dire ce que le Canada représente pour vous?]
Yaprak Baltacioğlu : Tout d'abord, je m'appelle Yaprak et le drapeau canadien est une feuille d'érable.
[00:29:40 Texte superposé à l'écran : En turc, « Yaprak » signifie « feuille ».]
Yaprak Baltacioğlu : Je crois qu'il s'agit pour moi d'un mariage d'amour fait au paradis. Et j'en suis reconnaissante. Je suis reconnaissante à ce pays de donner une vie à une immigrante musulmane qui ne connaissait personne et n'avait pas grand-chose, et de lui donner la possibilité d'avoir une carrière comme je l'ai eue. Et puis, aussi, d'avoir une vie comme je l'ai eue. Je suis tellement reconnaissante pour tout ce que j'ai dans ma vie. Et rien de tout ça n'aurait été possible si le Canada ne m'avait pas donné cette opportunité.
[00:30:28 Texte superposé à l'écran : Quel conseil donneriez-vous à un fonctionnaire subalterne en début de carrière?]
Yaprak Baltacioğlu : Ne soyez jamais cynique, parce que les Canadiens et Canadiennes méritent mieux de la part de leur fonction publique. Ne soyez jamais cynique. Ne tenez jamais votre travail pour acquis et ne le faites jamais qu'à moitié. Faites toujours un effort supplémentaire et faites-en plus parce que vous travaillez pour les Canadiens et Canadiennes. Et c'est un honneur d'être fonctionnaire. Tous les jours ne sont pas parfaits. Et aujourd'hui, mes yeux sont remplis d'étoiles quand je pense à ma carrière dans la fonction publique. Mais je suis sûre que j'ai eu des journées horribles. Beaucoup, beaucoup. J'ai probablement connu des années horribles.
Mais vous êtes là pour faire un travail. Et il ne s'agit pas seulement d'un travail, mais d'un travail qui peut faire la différence. Ne l'oubliez jamais.
[00:31:25 La vidéo se termine sur l'équipe en train de ranger son matériel après l'entrevue.]
[00:31:31 Le logo animé de l'EFPC apparaît à l'écran. Texte à l'écran : canada.ca/school]
[00:31:37 Le mot-symbole du gouvernement du Canada apparaît et disparaît dans un fondu au noir.]