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Série L'avenir de la démocratie : L'émergence du populisme dans les démocraties (FON1-V24)

Description

Cet enregistrement d'événement porte sur les caractéristiques des partis populistes et comprend une présentation de Bart Bonikowski, professeur agrégé à l'Université de New York, intitulée « Nationalism and the Rise of Radical Right Politics in the United States and Europe ».

(Consultez la transcription pour le contenu en français.)

Durée : 1:26:15
Publié : 23 mars 2023
Type : Vidéo

Événement : Série L'avenir de la démocratie : L'émergence du populisme dans les démocraties


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Série L'avenir de la démocratie : L'émergence du populisme dans les démocraties

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Transcription : Série L'avenir de la démocratie : L'émergence du populisme dans les démocraties

[Le texte suivant s'affiche à l'écran : « L'École de la fonction publique du Canada et l'École Munk des affaires internationales et des politiques publiques de l'Université de Toronto présentent la série L'avenir de la démocratie – L'émergence du populisme dans les démocraties ». « École de la function publique du Canada Et l'École Munk des affaires internationals et des politiques publiques à l'Université de Toronto Présente la série L'avenir de la démocratie – L'émergence du populisme dans les démocraties ».]

[L'écran s'estompe pour faire place à Ayesha Malette dans un affichage du vidéoclavardage.]

Ayesha Malette : Bonjour. Mon nom est Ayesha Malette. Je suis directrice d'un groupe de travail d'Affaires mondiales qui a pour but de mettre en place un centre pour la démocratie. Je suis ravie d'animer l'événement d'aujourd'hui. J'aimerais évidemment commencer par reconnaître que le territoire sur lequel nous sommes rassemblés est le territoire traditionnel non cédé du peuple algonquin anishinaabé. Je reconnais que les participants peuvent se joindre à nous à partir de régions différentes de notre pays et que par conséquent, il se peut que vous vous trouviez sur un territoire autochtone différent. Je vous invite à prendre un instant pour penser à la manière dont vous vivez la réconciliation dans votre vie. En ce qui me concerne, j'aime penser à lire pour apprendre plus, à soutenir les entreprises dirigées par des Autochtones et à me servir de mon poste au sein de mon établissement pour militer en faveur de la justice, de l'équité, de la diversité et de l'inclusion, et j'espère que vous prenez tous le temps de faire les mêmes choses aussi et que nous faisons nos reconnaissances dans la réalité dans laquelle nous vivons.

Pour ceux et celles d'entre vous qui ont des besoins particuliers en matière d'accessibilité, sachez que je suis une femme indienne, j'ai les cheveux bruns, je porte des lunettes et je porte une robe bleu sarcelle avec un collier coloré. Je suis heureuse de présenter l'événement d'aujourd'hui, qui s'intitule « L'émergence du populisme dans les démocraties »; il s'agit du quatrième événement de la série L'avenir de la démocratie, organisée par l'École de la fonction publique du Canada. Au cours des 20 dernières années, nous avons constaté une hausse significative des partis populistes sur la scène politique. Je suis heureuse d'être ici aujourd'hui pour animer ce sujet très à-propos et pour contribuer à une meilleure compréhension des défis stratégiques auxquels notre démocratie doit faire face. Nous avons prévu une discussion très intéressante pour aujourd'hui, et nous voulons donc nous assurer de vous offrir la meilleure expérience possible.

Je vais commencer par régler quelques petites questions pratiques. L'événement d'aujourd'hui se déroulera en anglais et comportera quelques parties en français; une interprétation simultanée (IS) ainsi qu'un service de traduction en temps réel des communications, la TTRC, sont également offerts pour vous permettre de vivre cet événement dans la langue de votre choix. Donc, pour accéder à ces fonctionnalités, veuillez cliquer sur les icônes respectives directement dans votre interface de webdiffusion. Si vous êtes dans l'interface en anglais et que vous réalisez que vous allez avoir besoin d'une interprétation simultanée, retournez à la page d'accueil de cette plateforme de webdiffusion pour accéder à nouveau à l'événement avec l'IS, ou interprétation simultanée. Vous pouvez consulter le courriel de rappel à tout moment si vous avez besoin d'aide supplémentaire. Afin d'optimiser votre expérience de visionnement, nous vous recommandons de vous déconnecter de votre réseau privé virtuel ou d'utiliser un dispositif personnel pour regarder la séance dans la mesure du possible. Si vous éprouvez des problèmes techniques, nous vous recommandons de cliquer sur le lien de webdiffusion à nouveau, c'est-à-dire de lancer la webdiffusion à nouveau à l'aide du lien que vous avez reçu.

Maintenant, sans plus tarder, je suis heureuse de vous présenter le professeur Bart Bonikowski, qui brisera la glace en faisant une brève présentation. Le professeur Bonikowski est professeur associé de sociologie et de politique à l'Université de New York. Il utilise des méthodes d'enquête relationnelles, l'analyse de texte computationnelle et la recherche expérimentale, et ses travaux appliquent des réflexions issues de la sociologie culturelle et de l'étude des politiques aux États-Unis et en Europe en mettant un accent particulier sur le nationalisme, le populisme et les partis de droite. Professeur Bonikowski, la parole est à vous. Je suis impatiente d'entendre ce que vous avez à nous dire.

[Bart Bonikowski apparaît dans un affichage distinct du vidéoclavardage.]

Bart Bonikowski : Bonjour, je suis ravi d'être ici aujourd'hui pour vous parler d'un sujet que je trouve particulièrement intéressant et important dans le contexte culturel actuel, c'est-à-dire la popularité grandissante des partis politiques de la droite radicale au sein des démocraties contemporaines. Les thèmes que j'aborderai tournent autour de notre façon de voir la politique de la droite radicale. Nous nous intéresserons à ses principales composantes. Je parlerai aussi de la manière dont nous pouvons expliquer la popularité grandissante de ces partis qui sont apparus dans une vaste gamme de pays au cours des 20, 30 dernières années, puis je parlerai de certains dangers potentiels associés à cette forme de politique qui menacent l'intégrité des institutions libérales démocratiques.

[Le texte suivant apparaît à l'écran : « La droite radicale en plein essor ».]

Donc, cette discussion commence vraiment par une observation que vous êtes nombreux à connaître, évidemment, soit que le nombre de partis de la droite radicale, et donc le nombre d'acteurs de la droite radicale, se multiplie dans un large éventail de démocraties contemporaines depuis 20 à 30 ans. En Europe de l'Ouest, des pays comme les Pays-Bas, l'Autriche, la France, le Royaume-Uni, et en Europe de l'Est, la Pologne, la Hongrie, mais évidemment, plus près d'ici en Amérique du Nord aussi, nous constatons une hausse de la popularité de la droite radicale aux États-Unis avec Donald Trump qui a pris la tête du Parti républicain et qui s'est fait élire comme président.

Et donc, cette prolifération et cette intégration des acteurs et des partis de la droite radicale soulèvent trois questions fondamentales dont j'aimerais discuter avec vous aujourd'hui.

La première est : « Qu'est-ce que la droite radicale? ». Comment concevons-nous cette forme de politique? Quelles sont ses principales composantes? Et cela nous amène directement à la deuxième question : « Pourquoi cette forme de politique connaît-elle cet essor? Pourquoi est-elle devenue populaire dans le contexte historique actuel? » Et j'espère vous fournir au moins une tentative de réponse sous la forme d'un modèle théorique sur lequel je travaille et que j'aborde en m'appuyant sur des données empiriques depuis une dizaine d'années. Et la question finale, évidemment, est : « Quelles sont les conséquences de l'arrivée de ces partis dans le paysage politique général? Quelle incidence ces partis peuvent-ils avoir sur la gouvernance démocratique, sur les régimes de droits libéraux et sur l'avenir de la politique en Europe, aux États-Unis et ailleurs?

Donc, j'y vais avec la première question, à savoir « Qu'est-ce que la droite radicale? Comment concevons-nous cette forme de politique? Et j'aimerais souligner le fait que la droite radicale comporte trois principales composantes. La première est le populisme. Le terme « populisme » est fréquemment utilisé dans les médias et dans le milieu universitaire pour décrire la manière de faire de la politique qui est fondée sur un binaire moral ou une distinction morale entre une espèce d'élite vilipendée et un peuple vertueux, ainsi que sur l'argument voulant que les élites soient essentiellement compromises. Elles ne représentent plus les intérêts du peuple et, par conséquent, on devrait leur arracher le pouvoir pour donner en retour au peuple un accès illimité aux institutions politiques.

[Le texte suivant apparaît à l'écran : « Les personnes qui constituent l'élite varient selon le spectre politique ».]

Alors, le populisme prend diverses formes, et les élites qui sont vilipendées varient elles-mêmes. Donc, dans la sphère de gauche, par exemple, dans le discours radical de gauche, le populisme vilipende habituellement les élites économiques, n'est-ce pas? Donc, les chefs d'entreprise, les gros bonnets de Wall Street et ainsi de suite. Dans la sphère de droite, les populistes vilipendent habituellement les politiciens, les bureaucrates et affirment parfois que ces élites politiques sont de mèche avec divers groupes minoritaires. Donc, c'est la première composante de la politique de la droite radicale qui est assez prévalente parmi les partis de la droite radicale de divers pays.

La deuxième composante sur laquelle je veux attirer votre attention est l'autoritarisme, et par autoritarisme, j'entends vraiment une forme de gouvernance, une manière de faire de la politique une fois qu'un parti est au pouvoir, et habituellement, ça implique une violation persistante des normes et pratiques de la démocratie libérale. Qu'il s'agisse de menacer vos opposants politiques d'aller en prison à l'utilisation du plein pouvoir du gouvernement contre les minorités, ou de réduire l'indépendance des médias, du système de justice et ainsi de suite. Donc, il s'agit d'une forme de gouvernance, de la manière dont les partis politiques dirigent une fois qu'ils sont au pouvoir, et plus particulièrement les partis de la droite radicale. Mais ces mesures institutionnelles sont également souvent communiquées dans les discours électoraux aussi. Donc, les partis de la droite radicale essaieront de faire en sorte que leurs membres, leurs partisans, une fois qu'ils seront au pouvoir, s'ils sont élus, seront disposés à faire n'importe quoi pour faire progresser les intérêts de leurs partisans, notamment transgresser les normes et les pratiques habituelles de la démocratie libérale.

Il y a aussi un troisième élément, qui est selon moi assez essentiel pour comprendre et expliquer l'augmentation de la popularité de la politique de la droite radicale, et c'est le nationalisme. Ce que je veux dire ainsi est un peu plus complexe, donc je vais y consacrer quelques minutes.

Donc, le nationalisme signifie de nombreuses choses pour de nombreuses personnes. En utilisant ce terme, je fais référence en fait à la manière dont les citoyens des pays, les résidents des pays comprennent leur nation. C'est-à-dire que lorsque quelqu'un pense au Canada, ou aux États-Unis, ou à l'Allemagne, qu'est-ce qui lui vient à l'esprit? Et ces manières de comprendre la nation se composent d'une variété de croyances et d'attitudes. Certaines de celles-ci sont liées à la composition de la nation, c'est-à-dire, qui a la chance d'être un membre légitime de la nation.

[Le texte suivant apparaît à l'écran : « La religion, la langue, l'origine ethnique ou la race constituent-elles une nationalité? ».]

Nous préoccupons-nous de choses comme la religion, comme la langue, comme l'origine ethnique ou la race lorsque nous déterminons si quelqu'un est un Canadien, un Américain ou un Allemand légitime ou autre nationalité?

[Le texte suivant apparaît à l'écran : « Ou est-elle ouverte à toute personne qui s'identifie aux valeurs communes? ».]

Ou l'appartenance à une nation est-elle ouverte à toute personne qui se sent subjectivement membre d'une nation? Donc, certains érudits ont fait référence à cette distinction comme étant du nationalisme ethnique, par opposition au nationalisme civique. Le nationalisme ethnique est fondé sur une gamme de critères comme l'appartenance, le nationalisme civique fondé sur le critère électif de l'appartenance. Donc, c'est l'un des ensembles de croyances et d'attitudes et de préférences qui façonnent la manière dont les personnes comprennent leur nation, mais ce n'est pas tout. Ça n'excède pas la portée des croyances nationalistes. Il y a aussi les questions liées à la manière dont les gens comprennent leur État, ce qui fait qu'ils sont fiers de l'État, du gouvernement, ou s'ils le considèrent avec scepticisme.

Donc, aux États-Unis, il existe une longue tradition d'idéologie antiétatiste, de croyances antiétatistes, ce type de vision du gouvernement qui ne nous représente pas, du gouvernement qui ne nous comprend pas, du gouvernement qui devrait faire l'objet de critiques et qui ne devrait pas pouvoir élargir la portée de sa gouvernance. Donc, c'est un ensemble de croyances. À l'inverse, il y a des gens qui sont fiers de l'État et qui croient que c'est en quelque sorte une composante de base de ce qu'est la nation des États-Unis, et il y a d'autres domaines de fierté nationale ou d'absence de fierté nationale, qu'on pense aux réalisations artistiques, à la littérature, aux réalisations économiques, l'état de la démocratie et aux institutions démocratiques en général. Donc, ce qui est important ici, c'est que les critères de l'appartenance nationale, de l'appartenance nationale légitime, les conceptions du statut de nation impliquent aussi les sentiments de fierté propres à ces domaines.

En plus de tout ça, il y a aussi les croyances à propos de la place de la nation au sein de la communauté mondiale. Donc, par exemple, devrions-nous considérer les militaires comme des policiers du monde ou comme une force humanitaire qui offre de l'aide aux autres pays dans le besoin? Comment voyons-nous la place de notre nation, de notre pays dans une espèce de hiérarchie mondiale, de hiérarchie économique, ou dans un autre type de hiérarchie?

[Le texte suivant apparaît à l'écran :
« Fierté
Scepticisme
Religion
Langue
Identités
Valeurs communes
Force humanitaire
Surveillance militaire ».]

Donc, toutes ces idées liées à l'appartenance légitime, à la fierté nationale propre à un domaine, ou à l'absence d'une telle fierté nationale, et à propos de la place des nations dans le monde et parfois à propos de la supériorité de la nation face aux autres pays, que l'on appelle le chauvinisme, toutes ces attitudes sont cohérentes avec ces modèles culturels de la nation, n'est-ce pas? Quand on pense au Canada, toutes ces idées différentes se regroupent en un modèle de ce que la nation signifie pour une personne, et dans mes travaux passés, j'ai démontré que ces modèles culturels de la nation, ces types de nationalisme, sont hétérogènes au sein des pays. C'est-à-dire que les gens sont fondamentalement en désaccord quant à ce que leur pays signifie pour eux. Les Canadiens ne s'entendent pas sur ce que le Canada signifie pour eux. Les Américains ne s'entendent pas, à l'interne, sur ce que les États-Unis signifient pour eux, et ces désaccords à propos de conceptions différentes, de compréhensions différentes de la nation entraînent des clivages majeurs, des clivages culturels au sein de la population.

[Le texte suivant apparaît à l'écran : « Modelés, stables, corrélés avec des attributs sociodémographiques et ancrés dans les expériences de tous les jours -> des clivages latents qui peuvent être activés et mobilisés à des fins politiques ».]

Ces clivages ont tendance à être en quelque sorte tacites et inactivés pendant la plupart des périodes historiques. Mais de temps à autre, ces clivages culturels d'appartenance à la nation deviennent puissants sur le plan politique. Ils cessent d'être latents et deviennent manifestes. C'est-à-dire que les politiciens les invoquent et la population commence penser à son appartenance à la nation, en ce qui a trait aux croyances nationalistes à propos d'autres identités et d'autres préoccupations. Autrement dit, la saillance du nationalisme s'accroît dans le comportement politique des gens, notamment dans l'isoloir, et selon moi, nous sommes actuellement précisément dans l'une de ces périodes politiques et historiques, pas seulement aux États-Unis, mais aussi dans un large éventail de politiques démocratiques. C'est-à-dire que les gens sont de plus en plus en désaccord à propos de ce que la nation signifie pour eux, et cette mésentente façonne de plus en plus leurs décisions politiques et, de plus, je dirais que ces désaccords, cette activation de ces clivages nationaux, est réellement au cœur de la montée de la politique de la droite radicale. Donc, si on en revient à ces trois composantes, la droite radicale, à mon avis, est liée au populisme, n'est-ce pas? Au discours anti-élite. Ça concerne le nationalisme, c'est-à-dire ces profonds clivages à propos de la signification de la nation et de l'autoritarisme, qui est la volonté de faire des pieds et des mains pour remplir certaines promesses électorales.

Ces trois composantes, le populisme, le nationalisme et l'autoritarisme, fonctionnent à la fois au niveau de l'attitude, soit les croyances des personnes, et au niveau des revendications politiques, c'est-à-dire qu'on y fait référence dans les campagnes politiques, elles sont utilisées pour mobiliser l'appui aux projets politiques, et ils s'harmonisent parce que ce que les politiciens font souvent, particulièrement dans la période actuelle, c'est qu'ils offrent essentiellement une histoire selon laquelle la nation telle qu'elle est aujourd'hui a perdu son chemin, qu'elle est essentiellement sur une pente descendante et que ce que cela signifie, de manière précise, varie, mais souvent, cela signifie que la majorité ethnoraciale a perdu son statut, ou que son statut est menacé, et ce que nous devons faire, c'est essentiellement renverser l'histoire et retrouver un jour de gloire qui a en quelque sorte été perdu, n'est-ce pas? Donc, il y a une dimension nostalgique à tout ça.

Qui doit-on blâmer pour ça? Eh bien les élites, c'est l'aspect populiste, ainsi que les minorités, soit l'aspect nationaliste, et pour retrouver cette nation perdue, nous devons prendre des mesures extrêmes, et c'est l'aspect autoritariste. Donc, c'est en gros comment nous pouvons voir le concept de la politique de la droite radicale et déjà, dans cette conception, il y a des indices sur les raisons pour lesquelles ça fonctionne de manière particulièrement puissante, et cette trame s'est avérée particulièrement puissante au cours des dernières années. Donc, concentrons-nous spécifiquement sur cette question en particulier.

Pourquoi la droite radicale gagne-t-elle en popularité? Et ici, je voudrais vous donner une explication en quelques mots, qui dit essentiellement que les clivages nationaux que je vous ai décrits sont le carburant de la montée de la politique de la droite radicale. L'anti-élitisme et les niveaux peu élevés de confiance institutionnelle qui sont indissociables du populisme attisent le feu qui est en quelque sorte alimenté initialement par ces désaccords nationalistes, et la tolérance à l'égard de la règle autoritariste est essentiellement la conséquence de la convergence du populisme et du nationalisme, donc les clivages nationalistes sont au cœur du conflit politique, le populisme accroît leur saillance et l'autoritarisme et la tolérance à l'égard de la règle autoritariste est la conséquence.

Donc, c'est en quelque sorte l'explication, vraiment en bref. Une importante règle d'exception est que si l'on s'intéresse à la distribution des attitudes dans la population pendant une longue période dans la plupart des pays démocratiques, ces croyances nationalistes et populistes, les croyances anti-élites n'ont pas réellement augmenté globalement, elles sont en fait assez stables dans le temps. C'est la même chose en ce qui concerne l'autoritarisme, en ce qui a trait aux croyances des gens et aux cadres correspondants; les cadres politiques sont aussi là depuis longtemps, ce qui rend mon explication un peu délicate. Comment expliquons-nous le changement, c'est-à-dire que la montée de la politique de la droite radicale est une chose qui semble stable dans le temps, à la fois au niveau de l'offre et au niveau de la demande en politique.

[Le texte suivant apparaît à l'écran : « Résonance contextuelle : les croyances et les cadres préexistants sont plus susceptibles de résonner lorsqu'une menace du statut collectif est perçue ».]

Et ce que je dirais, c'est que ce qui s'est réellement passé, c'est que les cadres nationaliste, populiste et autoritariste préexistants, ainsi que les croyances préexistantes, ont trouvé un nouvel écho au cours des dernières années.

Maintenant, pourquoi? Pourquoi la résonance de ces cadres et croyances changerait-elle au fil du temps?

[Un diagramme apparaît à l'écran; on lit au-dessus « Côté de l'offre – discours nationaliste, populiste, autoritariste –> recombinaison créative, fusion -> résonance ».
Le texte suivant est affiché sous le diagramme « Côté de la demande – clivages nationalistes, faible confiance en l'institution, anti-élitisme –> érosion des autres identités (p. ex. le travail) –> stabilité globale, tri partisan -> résonance ».
Le texte suivant est affiché au milieu « Manipulation de l'élite – chocs culturels <-> chocs perçus – peur -> ressentiment -> menace au statut collectif perçue -> mobilisation des clivages nationalistes -> succès de la droite radicale -> diffusion du modèle ».]

Donc, ici, je veux vous expliquer les grandes lignes d'un modèle théorique qui vous donne une idée de ce qui pourrait se passer. Donc, dans l'image que vous voyez ici en haut de l'écran, je mets l'accent sur certains phénomènes du côté de l'offre. C'est-à-dire les types de cadres, les types de messages qui sont offerts par les élites politiques qui dirigent les élections, par les élites médiatiques qui essaient de faire avancer certains projets politiques. C'est le côté de l'offre en haut. Dans le bas de l'image, vous voyez le côté de la demande, c'est-à-dire les croyances populaires et les attitudes affichées par le public. Des deux côtés, vous avez ces trois caractéristiques : le nationalisme, le populisme et l'autoritarisme. Et puis ce qui se passe avec le temps, comme je l'ai déjà indiqué, dans l'ensemble, il y a une stabilité. Ces cadres sont là depuis un moment, ces attitudes sont plus ou moins stables dans l'ensemble, mais quand vous regardez sous la surface, il y a effectivement des changements.

Donc, la première chose dont nous pouvons parler, c'est le fait que ces cadres nationaliste, populiste et autoritariste ont été recombinés de façons nouvelles par les élites politiques. Donc, même si elles sont là depuis longtemps, ce que les élites politiques ont fini par trouver, et plus particulièrement ce que les élites de la droite radicale ont fini par trouver, c'est une espèce de formule gagnante. Si vous combinez le populisme, le nationalisme et l'autoritarisme pour former cet ensemble spécifique d'histoires et d'idées, et c'est un peu ce que je vous ai décrit tout à l'heure, ça fonctionne très bien et j'en suis arrivé à cette formule gagnante principalement par un processus d'essais et d'erreurs. Certains partis en Europe, par exemple, commenceraient avec une certaine rhétorique populiste qui leur vaudrait des appuis. D'autres commenceraient avec une certaine rhétorique nationaliste qui leur vaudrait des appuis.

Un autre entrepreneur politique se présenterait et combinerait ces cadres et verrait qu'en fait, ça fonctionne plutôt bien, et avec le temps, ces trois cadres ont été fusionnés essentiellement en une seule histoire. Au même moment où ceci arrivait, ces idées ont commencé à se substituer l'une à l'autre. Donc, j'ai des recherches qui montrent que si on expose des électeurs américains uniquement à des revendications populistes et anti-élitistes qui ne contiennent rien de plus, uniquement une critique des élites, ceux de la droite, en particulier les Républicains et les partisans de Trump, feront preuve d'une plus grande antipathie envers les minorités. C'est-à-dire que le populisme est devenu essentiellement un substitut à l'ethnonationalisme, c'est devenu un message codé pour les croyances exclusionnistes, et donc ces cadres ont été regroupés. Ils ont été fusionnés de nombreuses manières pour se substituer l'un à l'autre et tous ces signes témoignent d'un changement du côté de l'offre en politique.

Du côté de la demande en politique, c'est-à-dire des attitudes, des croyances populaires, il y a également de grands changements sous la surface en lien avec cette stabilité globale dont j'ai parlé tout à l'heure. Par exemple, des identités plus anciennes comme les identités liées au travail, les identités liées aux syndicats se sont érodées avec le déclin des syndicats, particulièrement aux États-Unis, mais aussi en Europe de l'Ouest, au Canada et ailleurs, et étant donné que les identités liées au travail qui inspiraient aux gens un sentiment d'appartenance, un sentiment de valeur ont perdu de leur force, je dirais que les identités nationalistes ont comblé le fossé; elles sont par conséquent devenues plus prépondérantes; c'est là une autre facette des attitudes du côté de la demande qui a changé avec le temps. C'est particulier aux États-Unis, mais jusqu'à un certain point, c'est une question empirique, cela se produit aussi ailleurs. Ces conceptions d'appartenance à la nation, ces différents modèles de nation, ces croyances nationalistes ont été attribués à différents partis au fil du temps; dans les années 1990, il était impossible de deviner si une personne était républicaine ou démocrate seulement en fonction de ses croyances nationalistes, tout comme il était impossible de déduire les croyances nationalistes d'une personne en se basant sur son identité partisane. Cela a changé de manière radicale en l'espace d'une vingtaine d'années, et donc essentiellement, au point où nous en sommes, et j'ai des recherches empiriques qui le démontrent, au point où nous en sommes, les Républicains et les Démocrates sont fondamentalement en désaccord à propos de ce que sont les États-Unis, de ce que les États-Unis signifient, des aspects de leur passé qui devraient être célébrés et des futurs objectifs que les États-Unis devraient se donner. Donc, les deux partis fonctionnent selon deux conceptions entièrement différentes du statut de nation, essentiellement en s'appuyant sur deux côtés de ce clivage nationaliste. Donc, encore une fois, de manière globale, il n'y a pas eu beaucoup de changements, mais sous la surface, il y a une érosion des anciennes identités des partis et une plus grande prépondérance des identités nationalistes.

En même temps, il y a une vaste gamme de changements structurels contextuels dans la société, et je dis une vaste gamme parce qu'il y a un large spectre au sein des pays, mais il y a aussi beaucoup de variations d'un pays à l'autre et dans les types de changements structurels culturels qui se sont produits depuis un bon moment, au cours des 30 à 40 dernières années. Donc, ces changements sont très variés : chocs économiques, récessions, désindustrialisation, mobilité des capitaux, chocs commerciaux, toute un amalgame de phénomènes économiques, de changements démographiques, de flux d'immigrants et de réfugiés, ainsi que des changements culturels, des changements par rapport aux cultures qui sont célébrées et glorifiées. Une transition, aux États-Unis, par exemple, une transition de la glorification de la classe moyenne américaine, de la classe ouvrière blanche américaine, vers une représentation beaucoup plus cosmopolite et diversifiée de la culture américaine au fil du temps. En plus de cela, il y a des menaces à la sécurité et des chocs de sécurité comme des attaques terroristes, le 11 septembre en étant évidemment un exemple particulièrement puissant aux États-Unis, mais des types d'attaques similaires ont eu lieu dans d'autres pays.

Donc, il y a tout un amalgame de changements contextuels qui sont importants, qui varient selon les pays, lesquels sont importants pour quelle faction, les factions politiques de chaque pays varient, mais ils créent un sens d'insécurité et de peur générales dans certaines parties des populations nationales, et je dirais en particulier parmi les majorités ethnoraciales qui commencent à avoir en quelque sorte peur que leur statut social soit menacé de toutes parts. Mais ces peurs sont mal définies, elles ne sont pas entièrement articulées et c'est dans ces moments, dans le modèle théorique que je vous décris, c'est dans ces moments que les élites politiques opportunistes entrent en jeu, et ce qu'elles font est essentiellement d'amplifier ces peurs de manière rhétorique et les fusionnent en un sentiment global de crise. Elles disent que vous avez peur des attaques terroristes, vous êtes menacés par les chocs économiques, vous êtes préoccupés par les changements dans la composition démographique de la nation ou de la culture dominante de la nation. Vous devriez avoir peur, ce sont toutes des choses qui font peur, et elles sont toutes des symptômes d'une crise profonde de la nation, et une fois qu'elles activent cette peur et la fusionnent ainsi, elles pointent aussi du doigt, les élites politiques opportunistes pointent généralement du doigt les élites politiques traditionnelles, n'est-ce pas? Elles disent que l'institution politique est à blâmer et elles pointent aussi du doigt les minorités, et elles disent que l'institution politique est en fait de mèche avec les immigrants, avec les minorités ethniques et raciales, avec les minorités religieuses, et que ces personnes sont avant tout favorisées. Que ces personnes ont un accès à l'institution que les personnes comme vous n'ont pas.

Mais qu'entendent-elles par « les personnes comme vous »? Elles font généralement référence, encore une fois, aux majorités ethnoraciales des États-Unis, du Canada et des pays de l'Europe de l'Ouest, qui sont généralement blanches, souvent chrétiennes, bien que cela varie d'un pays à l'autre et d'un segment de la population à l'autre. Essentiellement, cette fusion des peurs et des anxiétés et les doigts pointés, le blâme qu'on jette pour celles-ci, ce que ça a comme effet, c'est de créer un sentiment de menace perçue du statut collectif; les majorités blanches commencent à se sentir menacées de toutes parts en lien avec leur place dans la société, elles ont peur de perdre la nation comme elles la comprennent, elles pensent que leur conception de la nation leur appartient d'abord et avant tout et qu'elles perdent leur emprise sur la nation, et que leur place dans la hiérarchie ethnoraciale de leur pays est en déclin, ou le sera bientôt. Encore une fois, ce n'est pas juste purement démographique en ce qui concerne les nombres, c'est aussi économique, c'est aussi culturel, et ainsi de suite. Une fois que ce sentiment de menace au statut est puissamment activé sur le plan politique, cela mène à une mobilisation potentiellement réussie de ces clivages nationalistes dont je vous ai parlé, n'est-ce pas?

Un grand nombre de personnes que je décris comme faisant partie des majorités ethnoraciales ont une conception très particulière de ce que la nation signifie pour elles, et une fois qu'elles sont menacées ou qu'elles se sentent menacées par ces diverses orientations, ces conceptions de nation deviennent ensuite beaucoup plus prégnantes dans leur esprit, elles ont besoin d'actions politiques concrètes, et elles commencent à voter en fonction de ces croyances nationalistes, avec force. Et évidemment, tout ça mène à l'intégration des partis de la droite radicale et à leur succès électoral, et donc l'idée, ici, c'est qu'il y a ces profonds clivages et ces conceptions de la nation qui sont habituellement latents. Mais dans le contexte de ces changements rapides qui sont amplifiés par les élites politiques, ils deviennent manifestes et les gens commencent à agir et à se baser sur ces changements pour prendre leurs décisions électorales.

Quand ce modèle commence à fonctionner, c'est-à-dire une fois que ces partis et candidats de la droite radicale commencent à gagner des élections, d'autres, ailleurs au pays, les observent et reconnaissent que ça peut être un modèle potentiellement utile pour eux, et tout cela se diffuse d'un pays à l'autre. C'est-à-dire que les acteurs politiques, même s'ils sont fondamentalement en désaccord avec cette idéologie, à propos des politiques dans l'ensemble du pays, commencent à piger dans le même coffre à outils de rhétorique politique, de mobilisation politique et aussi, éventuellement, de gouvernance, et donc le modèle de la mobilisation politique commence à se répandre d'un pays à l'autre, et le modèle de gouvernance autoritariste nationaliste se répand aussi d'un pays à l'autre, et c'est comme ça qu'on en arrive où on en est aujourd'hui, c'est-à-dire au point où le nombre de cas, de cas de pays exempts de la présence de partis de la droite radicale diminue au fil du temps. Donc, les gens avaient l'habitude de rédiger des dissertations doctorales sur le fait que la droite radicale n'existait pas en Suède; c'était un cas exceptionnel. Quelques années plus tard, la Suède s'est retrouvée avec un parti de la droite radicale et le nombre de cas semblables s'est multiplié au fil du temps, donc nous en sommes maintenant à un point où il y a très peu de démocraties contemporaines dans lesquelles aucun parti de la droite radicale n'est présent au niveau fédéral, et donc, évidemment, beaucoup de journalistes, beaucoup de chercheurs, beaucoup de membres de la population générale sont inquiets de l'érosion de la démocratie. Il y a un risque réel d'un recul de la démocratie libérale.

De nombreux livres fantastiques ont été publiés à ce sujet, notamment par Steve Levitsky et Daniel Ziblatt, How Democracies Die (Comment les démocraties meurent), et donc le processus en jeu en est un de mort à petit feu. Donc, essentiellement, une fois que ces partis de la droite radicale sont élus pour acquérir du pouvoir ou pour faire partie de coalitions gouvernementales ou pour former eux-mêmes le gouvernement, il y a un double danger de voir se produire une transition progressive de la démocratie libérale vers l'autoritarisme compétitif, et aussi un danger d'instabilité géopolitique, comme nous l'avons vu avec la guerre en Ukraine, et comme nous l'avons vu avec d'autres conflits militaires à l'étranger.

Je vais d'abord vous parler du premier sujet, l'érosion de la démocratie. Il y a une vaste gamme de menaces aux normes et aux institutions de base de gouvernance démocratique libérale, de menaces à l'autonomie judiciaire, de menaces à l'indépendance des organisations médiatiques, de menaces au transfert pacifique du pouvoir et au maintien des libertés civiques et aussi de l'abstention procédurale. Une menace aux élites, aux élites qui gouvernent, qui n'utilisent pas la pleine force de la loi face à leurs ennemis, leurs ennemis nationaux perçus, contre les minorités, mais aussi contre leur opposition politique. Ce sont toutes des caractéristiques principales d'une démocratie libérale. Quand ces caractéristiques commencent à s'éroder, nous nous retrouvons dans le pétrin. Nous nous engageons sur une pente glissante vers l'autoritarisme potentiel. Avec, évidemment, le glissement des institutions démocratiques, il y a aussi un danger que le nationalisme lui-même soit fomenté et que cela mène à toutes sortes de conséquences pour les relations de groupe dans un État cosmopolite et multiculturel.

Donc, après l'élection de Trump aux États-Unis, nous avons vu beaucoup de harcèlement, de violence quotidienne, de terrorisme national contre les minorités. Avec la montée de la pandémie de COVID-19 aux États-Unis, alors que Trump vilipendait la Chine pour la propagation de ce virus, la fréquence et la gravité des crimes haineux envers des Asiatiques ont augmenté considérablement, particulièrement dans les centres urbains des États-Unis. Donc, la menace est, donc le danger est à la fois pour les institutions démocratiques elles-mêmes, comme nous l'avons vu avec le refus de Trump d'honorer les résultats de l'élection de 2020 et l'insurrection du 6 janvier qui en a découlé, mais il est aussi pour les relations de groupe pacifiques et la coexistence au sein d'une société multiculturelle.

Je vais finir sur une note pas très optimiste, je suppose, en disant que je pense que nous n'avons toujours pas d'ensemble clair de solutions à la crise actuelle. Les solutions qui nous viennent à l'esprit sont souvent irréalistes et donc je pense que nous sommes dans une situation précaire alors que la droite radicale continuera à être présente sur la scène politique, elle continuera à gagner des élections, bien qu'évidemment elle connaîtra des hauts et des bas, et la démocratie libérale continuera à être menacée de manières puissantes et fondamentales. Donc, je suppose que les prochaines années détermineront le cours de l'histoire des prochaines décennies. Aux États-Unis, l'élection de 2024 en particulier, l'élection présidentielle, je pense que ce sera réellement un moment critique en ce qui concerne l'avenir de la démocratie libérale aux États-Unis.

Merci beaucoup.

Ayesha Malette : Merci beaucoup. C'était une présentation très intéressante. Nous sommes très heureux d'avoir eu la chance d'écouter ce que vous aviez à dire. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réfléchir.

[Frédérick-Guillaume Dufour apparaît dans un affichage distinct du vidéoclavardage.]

Nous allons maintenant nous tourner vers notre discussion de groupe et je vais laisser nos invités se présenter eux-mêmes un peu plus en profondeur.

Premièrement, j'invite le professeur Frédérick-Guillaume Dufour à nous en dire un peu plus sur lui. Il est professeur pour le département de sociologie de l'Université du Québec à Montréal, excusez-moi, et il a été reconnu pour son excellence dans l'enseignement et ses contributions importantes à la Faculté des sciences humaines de son université. Ses recherches comprennent notamment des études comparatives du nationalisme et de la population, pardon, du populisme, et il a publié plusieurs livres à ce sujet.

Professeur Frédérick-Guillaume Dufour, bon après-midi. Bienvenue.

Frédérick-Guillaume Dufour : Bonjour. Je vous remercie.

Eh bien c'était une excellente introduction, Ayesha. Qu'est-ce que je pourrais ajouter? Je m'intéresse au nationalisme, plus particulièrement à la transformation du nationalisme au Québec et au Canada, et en Europe de l'Ouest en général. Donc, la majorité de mon travail comparatif porte sur le Canada et l'Allemagne en particulier.

Ayesha Malette : Bienvenue.

Merci, et professeur Bonikowski, je vais peut-être vous demander d'ajouter quelques petites choses à la présentation que j'ai faite de vous un peu plus tôt.

Bart Bonikowski : Merci beaucoup. C'est plaisant d'être ici, particulièrement en compagnie aussi distinguée. Merci pour la présentation.

Vous en avez entendu beaucoup sur ce que je fais. J'étudie la politique et la culture d'un point de vue sociologique, mais je collabore aussi depuis longtemps avec des scientifiques politiques et j'ai publié un livre sur les revues scientifiques. Donc, je suis en quelque sorte à cheval entre deux disciplines, et ce que j'essaie de faire, c'est d'apporter une compréhension approfondie de la culture de la recherche sur la politique et les sciences politiques, d'essayer de comprendre dans quelles circonstances les gens se mobilisent pour soutenir des projets politiques bien précis?

Et dans le cas dont vous venez d'entendre parler, je me concentre spécifiquement sur la popularité grandissante de ce type de politique qui remet en question les normes et les institutions de la démocratie libérale et qui menace la stabilité des démocraties partout dans le monde.

Ayesha Malette : Merveilleux.

Eh bien, je pense que vous devrions plonger directement dans la discussion. Nous avons beaucoup de questions et beaucoup de sujets à aborder. Donc, peut-être que je vais commencer avec vous, professeur Bonikowski. Nous avons entendu ce que vous avez dit et vous avez présenté un cadre très vaste, mais je me pose la question suivante : ce même cadre s'applique-t-il aussi à la gauche?

Bart Bonikowski : C'est une excellente question.

La conversation, vous l'avez entendu, est réellement à propos de la politique de la droite radicale, mais les éléments qui composent la droite radicale sont présents aux deux extrémités du spectre politique, vraiment, au moins certains d'entre eux.

Donc, si nous pensons au populisme, comme je l'ai dit plus tôt, vous voyez à la fois la droite et la gauche, et si vous pensez à l'histoire de la politique latino-américaine, le populisme de gauche était une caractéristique très importante de la culture politique de ces pays. Et nous voyons le populisme de gauche aussi en Europe, bien qu'il ne soit pas aussi dominant qu'à droite, dans la mesure où les partis de la droite radicale ont connu jusqu'à maintenant davantage de succès que les partis populistes de gauche. En fait, certains théoriciens, et plus particulièrement M. Laclau, affirmeraient qu'il y a une graine du populisme dans tout ce qui touche au socialisme. Donc, d'une certaine manière, l'extrême gauche et le populisme sont étroitement liés. Donc, c'est un élément.

Le deuxième élément, l'autoritarisme, la gauche n'est pas étrangère à l'autoritarisme non plus. Donc, si on remonte le fil de l'histoire, il y a de nombreuses preuves de mouvements de la gauche radicale qui ont pris des mesures autoritaristes pour mener à bien leurs projets politiques. Et il y a certainement des éléments de l'autoritarisme en politique en Amérique latine, mais aussi dans l'histoire de l'Europe et au-delà. Donc, je pense que dans la mesure où il existe cette caractéristique distinctive, il s'agit de nationalisme d'exclusion, d'ethnonationalisme. C'est un phénomène que l'on observe plus souvent du côté de l'extrême droite que de celui de l'extrême gauche, et donc cette juxtaposition du populisme et de l'autoritarisme, de l'ethnonationalisme, est plutôt uniquement liée à l'extrême droite.

Mais j'ai une chose à dire là-dessus. Il y a une petite possibilité de tour de passe-passe, ici, dans le sens où vous pouvez avoir des partis qui offrent des politiques de gauche qui servent ce qui pourrait ressembler à du populisme de gauche. Dès qu'ils se mettent à évoquer l'exclusion ethnoreligieuse, nous leur collons l'étiquette de la droite. Donc, par exemple, le parti Droit et justice, en Pologne, appelé PiS, est en faveur de la redistribution et très populiste, mais en raison de ses rigoureuses politiques islamophobes, antisémites et anti-minorités, on a tendance à leur coller l'étiquette de la droite radicale.

Donc, comment concilier le tout? Je crois qu'une manière de l'envisager est que le continuum politique auquel nous faisons habituellement référence, avec la gauche et la droite, qui sont des raccourcis, ne concerne pas seulement l'opposition entre les politiques économiques de la gauche et de la droite. Il concerne aussi l'opposition entre les idéologies culturelles libérale et conservatrice. Et donc, la droite, entre guillemets, est souvent associée au conservatisme, avec le désir de maintenir les traditions, avec le désir de maintenir aussi les hiérarchies de groupe traditionnelles. Et dans la mesure où il y a un contenu racial, ethnique et religieux, ça devient une espèce de phénomène de droite d'essayer de préserver, disons, le statut des majorités blanches d'un pays.

Donc je crois que c'est pour cette raison que bien souvent, les partis que nous décrivons sont considérés comme étant de la droite radicale, même si leurs politiques économiques peuvent en fait être plus axées sur la redistribution.

Ayesha Malette : Professeur Dufour, j'aimerais connaître votre avis là-dessus aussi, particulièrement en ce qui concerne ce qui alimente cette montée du populisme, non seulement au sein de l'extrême droite, mais aussi dans l'ensemble du spectre politique. Et quelles seraient certaines des caractéristiques communes, peut-être, et en quoi elles sont différentes?

Frédérick-Guillaume Dufour : Eh bien, j'aimerais insister sur un élément dont Bart a parlé et qu'il est important de garder à l'esprit lorsque nous parlons du populisme de gauche, c'est que les populistes voient l'élite comme étant intrinsèquement corrompue. Donc, ce n'est pas seulement [...] – quelqu'un qui dit qu'il y a trop d'inégalités, par exemple, n'est pas nécessairement populiste, ou quelqu'un qui dit qu'il y a trop de corruption n'est pas nécessairement populiste. Il faut quelque chose de plus. Les élites doivent être intrinsèquement corrompues parce qu'elles participent au processus politique libéral.

Et c'est là une distinction très importante entre un social-démocrate traditionnel et un populiste de gauche qui fait quelque chose de passablement différent et ils ont une compréhension très différente de ce que nous faisons à ce propos, qui est témoin d'un scandale de corruption; la réaction normale serait : c'est bien, nous avons de bons journalistes, nous avons une bonne sphère publique, et ces personnes génèrent des nouvelles dont nous devrions entendre parler. Ce n'est pas à propos des élites qui sont toutes corrompues, donc nous devons faire la transition vers un régime autoritariste. Donc, c'est une façon de penser très différente.

Donc, quelles sont les composantes générales? Malheureusement, je suis d'accord avec une grande part de ce que Bart a dit, d'accord? Alors, je voudrais simplement fournir quelques renseignements complémentaires. Je pense que la plupart des gens qui adhèrent à l'idéologie populiste ont perdu confiance dans le pluralisme, et c'est quelque chose qui se peut – quand Bart parlait de nationalisme, nous ne parlons pas ici de nationalisme ayant pour but l'indépendance. Nous ne parlons pas de la Catalogne ou de l'Écosse. Nous parlons d'une forme de nationalisme qui croit que le pluralisme est allé trop loin. Donc, nous avons un groupe de personnes qui croient qu'elles ont droit à l'État, qu'elles sont au cœur de cet État et qu'elles sont celles qui sont responsables de rétablir le bon équilibre entre l'ordre ethnique et l'ordre institutionnel.

Donc, elles ont perdu confiance en cette forme de pluralisme, le pluralisme ethnique, et c'est quelque chose qui dure depuis longtemps en Europe de l'Ouest, par exemple. Nous savons que dans plusieurs sondages les gens sont principalement opposés à l'immigration par rapport au taux de participation électorale pour les partis anti-immigration. Maintenant, c'est plus en phase avec [...] – les deux sont plus en phase, mais ça a été une longue tendance, et ils sont opposés au pluralisme institutionnel aussi. Donc, tout le contre-pouvoir que nous avons dans une démocratie libérale, ils voient cela comme étant inefficace, comme étant trop lent, comme servant uniquement l'élite, et pas le peuple ordinaire. Et par conséquent, il doit y avoir une transition vers autre chose.

Ils voient, aussi, les institutions libérales comme servant parfois des intérêts cachés, et c'est ici que la théorie du complot entre en jeu, comme quoi les institutions sont au service des géants de l'industrie pharmaceutique, de l'Organisation mondiale du commerce ou des Juifs. Ça peut aller aussi loin que ça, dans certains cas. Donc c'est le premier aspect, la perte de confiance dans le pluralisme. Puis, il y a la perte de confiance dans la trajectoire de vie. Quand nous posons la question aux gens, pensez-vous que votre pays s'en va dans la bonne direction? La plupart des populistes disent non, et on constate une augmentation du nombre de personnes qui pensent et qui croient que leur pays ne va pas dans la bonne direction.

Puis, il y a une autre question très intéressante, croyez-vous que la vie sera plus facile pour vos enfants, ou que la vie est plus facile pour vous qu'elle ne l'a été pour vos parents? Et de nombreuses personnes, un nombre croissant de personnes, répondent non à cette question. Donc, elles croient que leur vie ne sera pas aussi facile que celle de leurs parents. C'est un autre signal dont nous devons tenir compte, et c'est particulièrement vrai, comme l'a souligné Bart, parmi les membres d'un certain groupe de statut, pas nécessairement une classe.

Donc, ce ne sont pas nécessairement des personnes qui ont un faible revenu qui croient que la vie ne s'en va pas dans la bonne direction. Ce sont des personnes dont le statut social n'est pas très prestigieux. Ces personnes n'ont pas fait d'études collégiales, elles n'ont pas de diplôme universitaire, et elles ont l'impression qu'elles pourraient être remplacées par une transformation du marché du travail ou une transformation découlant d'une politique d'affirmation positive, par exemple. Ces personnes sont, disons la plupart d'entre elles, les personnes qui adhèrent à la formation populiste.

Et évidemment, il y a des variations à l'échelle régionale. Quand nous parlons de l'Europe de l'Est et de l'Europe centrale, la transition d'une société communiste vers une société postcommuniste a créé de nombreux perdants et gagnants. Donc, c'est une variation régionale particulière. Le Canada est un autre cas intéressant où, jusqu'à maintenant, ce n'est pas si pire, mais il y a d'autres cas comme le Brésil, l'Inde, où nous voyons ce phénomène prendre de l'ampleur, et nous devons réellement nous pencher sur la spécificité de la politique locale dans ce pays.

Ayesha Malette : C'est absolument fascinant.

Et peut-être que ce que je vais faire, c'est que je vais poser ma prochaine question à vous deux, et professeur Dufour, peut-être que je vais vous demander de débuter. Y a-t-il différents seuils de populisme qui sont moins conséquents, et quel type de signaux d'alarme devrions-nous surveiller? Je pense que vous avez fait allusion à certains d'entre eux. Vous voyez beaucoup de sujets de dissension qui commencent à prendre de l'ampleur ou la disparité économique, mais pouvez-vous nous donner des exemples de certains de ces signaux d'alarme que nous devrions surveiller?

Frédérick-Guillaume Dufour : D'accord, eh bien, le seuil différent (inaudible) Bart et moi sommes d'accord pour dire que le populisme est une idéologie. Certaines personnes définissent le populisme comme étant un style, ce n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Par exemple, un politicien qui va chez Tim Hortons pour avoir l'air plus populaire, ou qui va à un match de hockey, c'est du marketing politique. Nous pouvons voir que c'est un style populiste, mais ce n'est pas nécessairement un piège pour la démocratie. Là où nous commençons à voir le danger, c'est dans ces accusations très vagues selon lesquelles les élites sont intrinsèquement corrompues, que les gens sont intrinsèquement vertueux. Et quand nous commençons à quitter le domaine de la politique et à entrer dans celui de la moralité, c'est une transition dangereuse. Quand nous commençons à dénoncer le contre-pouvoir, un juge, les médias, un scientifique, un agent de la santé publique, c'est dangereux. C'est le début d'autre chose, et nous ne voulons pas aller là.

Ayesha Malette : Professeur Bonikowski, peut-être que je vais vous demander de donner votre point de vue sur ça aussi, je vais vous demander d'ouvrir votre micro par contre. Ça arrive tout le temps.

Bart Bonikowski : Toutes mes excuses. C'était inévitable.

Frédérick, merci pour ces fantastiques commentaires. Je suis d'accord avec la majeure partie de ce que vous avez dit. Je pense qu'une façon de penser... Il y a deux façons de penser à cette question de seuil. La première concerne vraiment le niveau auquel les phénomènes que nous voyons au sein de la droite radicale apparaissent dans les politiques générales aussi, et je pense qu'il y a des échos.

Donc, par exemple, les revendications populistes, une façon de vilipender les élites, en quelque sorte, et de les juxtaposer aux personnes vertueuses, ce type de binôme moral, ça existe en politique générale. Dans mon propre travail, j'ai vu des preuves de ça dans le discours présidentiel général aux États-Unis, par exemple, autant par la droite que par la gauche, en fait. Donc, encore une fois, ce n'est pas juste quelque chose propre au Parti républicain. Les Démocrates s'appuient là-dessus assez souvent, particulièrement en campagne électorale, et surtout chez les candidats qui sont des adversaires de l'extérieur de ce genre de centre de pouvoir. Assez souvent, ils vont vilipender l'institution politique et les autres élites et affirmer que le peuple doit reprendre le pouvoir.

Et ces tentatives sont souvent réductrices de diverses façons. En quelque sorte, elles simplifient la complexité réelle de la politique, mais elles reflètent aussi assez souvent les vrais griefs de la population ainsi que la juxtaposition du candidat dans le système politique sans nécessairement remettre en question la légitimité de l'opposition et, par conséquent, les institutions démocratiques libérales. Donc, il y a une différence dans la manière dont le populisme est utilisé par les candidats des partis majoritaires et par les candidats radicaux, et je pense que c'est cohérent avec ce que Frédérick vient de dire.

Si nous pensons aux deux autres composantes de la politique de la droite radicale, donc l'autoritarisme, eh bien ça devient un peu plus délicat, dans le sens où il y a de nombreuses preuves du recours à des revendications autoritaristes et à la recherche de politiques autoritaristes par des politiciens ordinaires, entre guillemets. Et donc c'est un peu problématique dans le cours de l'histoire de la démocratie, n'est-ce pas? Donc, je pense que peu de gens affirmeraient que vous devons voir d'un œil favorable l'internement japonais, ou le fait que le gouvernement fédéral du Canada a, en quelque sorte, fermé les yeux sur le drame des pensionnats indiens, ou encore le McCarthyism aux États-Unis, la guerre des médicaments, ou le mouvement punitif à l'égard de l'incarcération de masse aux États-Unis qui a été extrêmement préjudiciable pour le tissu social de ce pays et qui est profondément racialisé, ou d'ailleurs l'interdiction de voyager que Donald Trump a imposée aux musulmans.

Donc, ces politiques ont [...] – ce sont des politiques autoritaristes. Ce sont des politiques qui ont été, pour la plupart, mises en place par des politiciens que nous considérerions autrement comme des politiciens traditionnels, mais je suppose que d'une certaine manière, pour tirer un trait, c'est que ces politiques, aussi terribles et répréhensibles qu'elles aient été, ont empêché le démantèlement de la démocratie dans son ensemble. Donc, elles ont érodé la démocratie, elles impliquaient souvent des choses comme le désaffranchissement des électeurs, mais elles ne remettaient pas nécessairement en question les résultats des élections démocratiques, par exemple. Et donc, nous sommes sur une pente glissante, ici. Ce n'est pas exactement une ligne claire entre l'utilisation traditionnelle de l'autoritarisme et de ses dimensions radicales.

Et puis le dernier aspect de ces politiques que j'ai mentionnées plus tôt, c'est un peu l'ethnonationalisme. Encore une fois, ici, les politiciens des partis majoritaires ne sont pas entièrement à côté de la plaque. Assez souvent, nous voyons des campagnes menées par des politiciens qui essaient de réveiller les ressentiments raciaux, les ressentiments ethnonationalistes, et parfois ils instillent des politiques de ce type une fois qu'ils sont au pouvoir, mais la plupart du temps, ce ne sont que des stratégies électorales. Et donc, ils tiennent le discours attendu, mais ne joignent pas nécessairement le geste à la parole, ou du moins pas d'une manière aussi globale que les politiciens plus radicaux.

Et donc, je pense que la différence entre ces candidats traditionnels, et les politiciens qui ont recours à ce genre de cadres et de politiques, et les partis plus radicaux, c'est que les candidats radicaux combinent en fait tout cela. Ils regroupent le populisme, l'autoritarisme, l'ethnonationalisme, ils montent le volume et ils pensent vraiment ce qu'ils disent, c'est-à-dire qu'une fois qu'ils sont au pouvoir, ils tiennent toutes ces promesses sur le plan stratégique. Et donc ça, je crois, c'est une importante différence entre la droite radicale et les partis traditionnels. Et donc, quand la droite radicale cherche à mettre en place ces politiques, elle endommage directement les institutions démocratiques libérales.

Mais il y a une chose à dire à ce propos, encore une fois, c'est que les politiciens traditionnels ne sont pas pour autant tirés d'affaire. Même si leur utilisation du populisme, du nationalisme et de l'autoritarisme n'est pas aussi extrême que celle de la droite radicale, ou parfois de la gauche radicale, elle comporte un danger secondaire qu'elle rende ces cadres légitimes. Donc, une fois que vous commencez à tenir des discours populistes, si vous êtes un politicien membre d'un parti majoritaire, vous rendez cette partie du répertoire de cadres politiques accessible, et c'est la même chose avec le nationalisme et l'autoritarisme. Et par la suite, quelqu'un de beaucoup plus radical peut arriver et utiliser ce matériel culturel existant à des fins très différentes, et ces cadres culturels qui ont déjà une résonnance étant donné qu'ils ont été entendus avant et qu'ils ont connu du succès avant.

Donc, c'est la principale réponse. J'ai une dernière petite chose à dire à propos de ce type de questions liées au seuil du populisme. Donc, au-delà du seuil lié aux élections qui nous inquiète, les partis de la droite radicale, ou, dans certains pays, peut-être, les partis de la gauche radicale, et je pense qu'ici nous devons penser aux différences institutionnelles entre les différents systèmes démocratiques de différents pays.

Donc, dans des systèmes parlementaires à partis multiples comme en Europe de l'Ouest, il y a une espèce de valve de sécurité qui est intégrée en vertu du fait que les nouveaux partis doivent être en mesure d'être autonomes et d'obtenir leur propre appui électoral. Et assez souvent, ce sont de petits partis radicaux qui obtiennent entre 5 % et 15 % des suffrages; 15 %, ce n'est évidemment plus si petit, mais ce n'est pas non plus 50 %, n'est-ce pas? Et dans ces systèmes électoraux, ces partis doivent former des coalitions pour gouverner, et ces coalitions ont parfois un effet modérateur sur le type de radicalisme de ces partis plus petits et plus extrémistes, alors que dans des pays comme les États-Unis, où il y a un système à deux partis, les enjeux sont beaucoup plus élevés. En fait, l'un de ces deux partis a été capturé par l'aile extrémiste, par Donald Trump et d'autres candidats avant et après lui qui appuient ses politiques.

Et le résultat est que les Républicains plus modérés ont en quelque sorte dû se ranger derrière Trump parce qu'il leur a offert une victoire; je veux dire, ils ont dû, ils ont choisi de le faire, mais les avantages pointaient clairement dans cette direction. Et donc, ici, nous pouvons penser à votre question de seuil ainsi : au-delà de quel seuil la représentation des points de vue plus extrémistes d'une partie de la population devient-elle un obstacle pour les institutions démocratiques libérales? Et je pense, encore une fois, que la différence entre les différents pays est institutionnelle.

Ayesha Malette : J'apprécie beaucoup ce que vous venez de dire à propos de la socialisation, au fil du temps, de ces politiques polarisantes. Une fois le dentifrice sorti du tube, c'est très difficile de l'y remettre. Je pense que c'est un point de vue intéressant. Et assurément, étant quelqu'un dont le travail porte sur la démocratie, je pense à des statistiques comme Freedom House et 16 ans de recul, de recul de la démocratie libérale. Et donc, je suis toujours portée à penser aux indicateurs et à ce que nous pouvons surveiller d'un point de vue stratégique aussi. Alors, merci.

Et je suppose que la prochaine question est en quelque sorte liée à ça. Quelles leçons pouvons-nous tirer du passé, ou des exemples contemporains que vous avez évoqués, particulièrement si l'on pense aux périodes d'incertitude économique que nous vivons ou aux niveaux moins élevés de participation démocratique qui ont en quelque sorte nui à de nombreuses élections dans le monde, y compris dans notre propre pays? Quel type de leçons pouvons-nous tirer, et quelles sont les pratiques exemplaires auxquelles nous devons penser?

Je commence avec vous, professeur Bonikowski.

Bart Bonikowski : Super!

Il y a de nombreuses leçons, même si c'est toujours difficile de tirer un trait entre les cas historiques et le présent, et on peut simplifier à outrance, mais l'une des choses que nous savons, c'est que les périodes de crise peuvent engendrer de l'extrémisme. Et donc, une conjoncture économique précaire se prête souvent au rôle de souffre-douleur, et quand les choses vont mal, les entrepreneurs politiques sont grandement incités à pointer du doigt les élites politiques et les (inaudible) populistes, mais aussi les minorités.

Et donc, lorsqu'il y a des récessions économiques, assez souvent, les ressentiments ethnonationalistes sont exacerbés, puisque les gens cherchent quelqu'un à blâmer. Et c'est souvent pratique pour les élites politiques de dire, eh bien, ce n'est pas nous, ce sont les immigrants qui volent vos emplois, ou c'est l'autre parti qui a créé le problème, élisez-nous et nous résoudrons vos problèmes.

Mais ce n'est pas seulement vrai dans les périodes de précarité économique. C'est aussi, comme je l'ai dit plus tôt, lié aux perceptions des autres types de changement, de changement culturel, de changement démocratique, de tout ce qui modifie les hiérarchies sociales auxquelles les gens sont habitués. Donc, tous ces types de perceptions du changement peuvent encore une fois engendrer de l'extrémisme et favoriser l'appui des politiques ethnonationalistes et populistes radicales.

Un autre élément que nous avons tendance à oublier, ce sont les crises en matière de sécurité. Donc, on recense de nombreux cas de personnes qui se sont tournées vers l'intérieur et qui ont construit des ennemis intérieurs lorsqu'il existe des menaces extérieures. Donc, si nous pensons à l'Allemagne de l'entre-deux-guerres, qui a été marquée par la montée d'idées fascistes liées aux crises économiques, aux crises politiques, c'est aussi une question de perceptions des conflits militaires internationaux après la Première Guerre mondiale. Si vous pensez à l'internement japonais aux États-Unis, encore une fois, le Japon est un ennemi, donc les Américains d'origine japonaise sont des ennemis. La ligne est plutôt mince entre ces deux types de diffamation, le McCarthyisme et la Peur rouge, et l'espèce de chasse aux communistes au sein du pays, et le gouvernement et les établissements de divertissement et l'industrie du divertissement et ainsi de suite, ou, plus récemment, l'après 11 septembre, vous savez, une vague d'islamophobie qui, selon moi, a grandement contribué à façonner le contexte politique dans lequel nous vivons de nos jours, en fait.

Donc, bien que l'administration de George W. Bush ait effectivement essayé de mettre un frein à l'espèce d'islamophobie non masquée et au retournement réactionnaire contre les minorités à la suite des attentats du 11 septembre, ces courants, je pense, ont en fait changé la nature de la politique républicaine et façonné, jusqu'à un certain point, la trajectoire vers le contexte politique actuel.

L'autre chose qui, selon moi, peut-être les deux choses que l'histoire nous a apprises, l'une est que très souvent, la vindicte populaire, le vilipendage des minorités dévie très rapidement vers l'abus des pouvoirs de l'État contre les groupes vulnérables, ainsi que vers la violence quotidienne et politique. Donc, il ne suffit pas de dire, de blâmer ces personnes, et c'est là que ça se termine. Assez souvent, il existe un ensemble direct de politiques qui portent atteinte aux droits et aux libertés des membres de groupes minoritaires. Et donc aussi, encore une fois, cette violence perpétrée par la majorité contre la minorité est quelque chose qui suit assez rapidement. Donc, je pense qu'un ensemble de leçons a en quelque sorte quelque chose à voir avec la vindicte populaire et les griefs.

Il y a une autre série de leçons qui est liée aux garde-fous de la démocratie. Qui peut mettre un frein à ce recul démocratique, et qui est en quelque sorte responsable d'attiser les flammes? Et à ce propos, je veux vous dire une chose, c'est que nous devrions uniquement nous préoccuper de la robustesse des institutions démocratiques, de la mesure dans laquelle les institutions démocratiques sont fondées sur des normes qui sont facilement enfreintes, par opposition à des lois qui ne peuvent être renversées sans un effort plus concerté.

Et nous avons appris qu'aux États-Unis, au cours, je suppose, au point où nous en sommes, des six dernières années, beaucoup de ce que nous croyions être des institutions ayant un fondement juridique pour eux sont en fait seulement des normes, et si quelqu'un comme Trump arrive et décide tout simplement de les enfreindre, il peut en fait s'en tirer, et sur le plan juridique, il n'y a pas grand-chose à y faire.

Donc, nous pourrons parler de solutions plus tard, mais juste pour vous donner un indice, il est très important de consolider les institutions démocratiques et de les protéger à l'aide de mesures juridiques. Ce n'est pas à toute épreuve, vous savez, avec la Hongrie, Orbán vient de modifier la constitution. Mais il faut faire beaucoup plus que simplement transgresser les normes elles-mêmes pour y parvenir.

Et l'autre mécanisme est le rôle des partis majoritaires pour nous empêcher d'en arriver à un recul démocratique, puis pour ralentir ou arrêter le recul lorsqu'il se produit. Et ici, je pense qu'il faut blâmer la gauche comme la droite. Donc, de nombreux travaux du domaine des sciences politiques suggèrent qu'une partie de la raison pour laquelle nous en sommes rendus à ce point, c'est que le centre gauche, à un moment donné, a essentiellement abdiqué de ses responsabilités à l'égard de la classe ouvrière et des personnes vulnérables sur le plan économique; à partir des années 1980, et surtout dans les années 1990, une espèce de troisième vague politique a fait en sorte que le centre gauche est devenu néolibéral, a commencé à favoriser les élites urbaines au détriment des intérêts de la classe ouvrière, et cela a en partie fait en sorte que les gens se sont détachés des engagements politiques existants et se sont en quelque sorte ouverts à la mobilisation pour un extrémisme plus radical.

En parallèle à la crise de la social-démocratie, nous constatons aussi l'érosion des syndicats de travailleurs qui inspiraient aux gens un sentiment de... Je l'ai mentionné plus tôt. Les syndicats donnaient un sens à la vie des gens. Une fois qu'on leur enlève ça, les gens sont beaucoup plus susceptibles de se radicaliser. Mais il faut aussi blâmer le centre gauche, dans la mesure où les travaux dirigés par des érudits comme Daniel Ziblatt, par exemple, ont montré que dans des moments historiques comme la montée du fascisme en Allemagne, le dernier rempart de la démocratie est le centre droite, car le centre droite a un choix à faire. Est-ce que nous nous tenons debout pour la démocratie et nous opposons à l'extrémisme radical à notre droite, ou entrons-nous dans une compétition politique dans laquelle nous essayons de débaucher certains des électeurs qui favorisent actuellement la droite radicale extrémiste et suivons-nous essentiellement la parade du radicalisme? Et ce choix est des plus importants.

Et de manière décevante, dans de nombreux pays, le centre droite s'est tourné vers la droite radicale à cause des incitatifs, encore une fois, qui sont présentés de manière à leur donner envie de jouer le jeu des politiques anti-immigration pour gagner des électeurs qui se tournent davantage vers l'extrême droite, mais le prix à payer pour y arriver est bien souvent la perte de stabilité des institutions démocratiques libérales.

Ayesha Malette : Je vous remercie.

Professeur Dufour, je vais peut-être vous demander d'ajouter quelque chose.

Frédérick-Guillaume Dufour : Oui, eh bien, encore une fois, je suis d'accord avec une grande partie de ce que Bart a dit, mais il y a un élément délicat à prendre en considération parce qu'il y a des historiens, des sociologues et des experts des sciences politiques qui essaient de déterminer si nous sommes devant une nouvelle montée du fascisme. Et je pense que c'est le principal danger quand nous [...]. C'est dangereux d'examiner la question sous cet angle parce que si nous en arrivons à la réponse, d'accord, non, ce n'est pas exactement du fascisme. Je veux dire, ces personnes veulent encore jouer le jeu du système de partis, et elles ne sont pas nécessairement en faveur des forces militaires, et ainsi de suite. Que faisons-nous à ce propos? Est-ce que ça veut dire que ce n'est pas si important? Oui, c'est important. C'est très important.

Donc, nous devons faire attention à cette façon de formuler la question et à ce que nous pouvons tirer comme leçons du passé parce que jusqu'à maintenant, quand nous regardons les résultats de ce qui s'est produit pendant le mandat de Trump et celui de Bolsonaro, au Brésil, nous pouvons dire que certaines des choses qui se sont produites sont très négatives. Je ne parle pas seulement des institutions démocratiques, mais aussi de l'espérance de vie.

La manière dont ils ont ignoré un enjeu de santé publique, une crise de santé publique, c'est quelque chose de complètement nouveau. C'est quelque chose que nous ne pouvons pas nécessairement apprendre en analysant le passé, mais plutôt quelque chose qui correspond totalement aux conseils négationnistes des bureaucrates, du milieu universitaire, des chercheurs et ainsi de suite, et c'est la même chose avec la crise environnementale. Je veux dire, ils ne la regardent pas. Ils pensent que ce n'est pas important. Ce n'est pas un enjeu, et c'est aussi un problème. Donc, je pense que nous pouvons tirer des leçons du passé, comme l'a dit Bart, et que les choses peuvent toujours empirer.

Donc, quand nous avons [...] – il y a des admirateurs de Bernie Sanders qui disent, d'accord, je ne vote pas pour Hillary parce qu'elle ne me représente pas, je veux dire, non, vous devez voter. Ce que je veux dire, c'est que même si vous n'êtes pas d'accord avec tout, ça peut vraiment empirer tout le temps et c'est quelque chose que nous devons garder à l'esprit. On ne parle pas seulement du vieux Parti républicain traditionnel. On parle de la règle du jeu que nous pouvons complètement changer maintenant avec ce type de formation, et il n'y a pas de moyen facile de reculer une fois que les règles ont changé.

Ayesha Malette : Bon, je ne veux pas qu'on broie du noir trop longtemps, mais peut-être que nous pourrions nous tourner vers un cadre plus axé sur les solutions pour la dernière partie de notre conversation.

Professeur Dufour, je vais vous donner la parole en premier cette fois-ci. Quelles sont les conséquences générales de l'augmentation des mouvements populistes pour les décideurs politiques et les institutions publiques? Nous avons parlé des garde-fous robustes dont nous avons besoin et de la nécessité d'officialiser certaines des normes que nous avons peut-être tenues pour acquises, mais quelles sont les implications pour les décideurs politiques qui écoutent ou qui visionnent cette webdiffusion?

Frédérick-Guillaume Dufour : Eh bien, il y a des conséquences dans le sens où les choses ne sont pas près de s'améliorer et où il y aura encore des préjugés en fait, comme nous l'avons vu en février dernier au Canada, mais revenons au message principal ici. Et c'est que nous devons revenir à l'idée selon laquelle les démocraties libérales ne sont pas parfaites, tout le monde essaie de faire de son mieux, mais la démocratie est compliquée et il n'existe jamais de solution facile à un problème.

Donc, même quand Bart parlait du fait que les partis majoritaires doivent aussi faire attention, ceux-ci doivent faire attention lorsqu'ils utilisent le répertoire de l'extrême droite, mais aussi lorsqu'ils présentent des politiques comme un processus facile et une solution comme quelque chose qui peut tout régler. Ce n'est pas le cas. Les inégalités font partie d'un processus de mondialisation qui ne disparaîtra pas demain matin, et aucun État-nation ne peut simplement se retirer du processus facilement. Qu'est-ce qui pourrait être fait en matière de politiques publiques? Je pense que nous devons inclure à notre programme le fait de mettre l'accent sur l'éducation publique, sur l'éducation civique. L'éducation permanente, c'est aussi quelque chose qui doit figurer à notre programme, et je parle de ce (inaudible) groupe.

Donc, ce groupe de personnes qui font un salaire de la classe moyenne ou la tranche supérieure de la classe moyenne, disons environ autour de 70 000 $, 80 000 $ et qui ont un diplôme d'études secondaires. Nous devons nous assurer que ces personnes ont accès à l'éducation permanente pour faire en sorte qu'elles continuent à avoir l'impression de contrôler leur avenir, que si quelque chose de mauvais se produit, s'il y a une récession, elles auront au moins les outils nécessaires pour rebâtir leur vie. Donc, c'est une chose sur laquelle j'aimerais insister, ça et la réduction des inégalités, évidemment. Nous voyons moins de ces mouvements dans les sociétés où il y a moins d'inégalités.

Ayesha Malette : Professeur Bonikowski, je vais vous demander votre point de vue là-dessus, mais avant de le faire, je veux vous dire, vous savez, l'une des choses auxquelles je pense souvent, c'est l'importance d'enseigner le débat aux jeunes, la pensée critique, absolument, l'éducation civique, c'est tellement important, mais enseigner comment regrouper différents points de vue, comment trouver des compromis, c'est vraiment essentiel. Et pour un passionné des débats comme moi, je pense que c'est juste un mécanisme tellement intéressant auquel nous pouvons penser pour combler ces lacunes.

Mais, professeur Bonikowski, la parole est à vous.

Bart Bonikowski : Oui, comme d'habitude, je suis d'accord avec ce que Frédérick a dit. Je pense qu'une chose que je veux juste mentionner, c'est cette idée selon laquelle la démocratie n'est pas facile. Je pense que c'est très important, et en fait, ça fait partie de l'explication de la montée des radicaux, disons, en Europe de l'Est, des pays qui [...] – en 1990, les pays postcommunistes sont soudainement devenus démocratiques, et une partie de la raison pour laquelle ils se sont tournés vers les partis populistes de la droite radicale, c'est qu'ils ont trouvé que la démocratie était trop difficile, n'est-ce pas? Dans de nombreux pays d'Europe de l'Est, aucun parti ne restait au pouvoir pour plus d'un mandat. Il y avait cette espèce de sentiment d'anti-titularité, parce qu'il s'est avéré qu'ils n'offraient pas toutes les solutions très rapidement. Il y avait beaucoup de persistance, en quelque sorte, de complications postsoviétiques, postcommunistes, vous savez.

Mais l'autre chose, c'est qu'il s'est avéré que la démocratie néolibérale est particulièrement difficile, et je pense que ça rejoint aussi le point de Frédérick, c'est-à-dire que le néolibéralisme engendre des inégalités. Ça engendre [...], vous savez, la marée montante ne soulève pas tous les bateaux, et donc je pense que dans des pays comme la Pologne et d'autres pays d'Europe de l'Est, les gens ont réalisé que ce n'est pas juste le paradis. En fait, c'est difficile. C'est difficile de faire de bonnes politiques. C'est difficile de réaliser que les élections démocratiques ne résolvent pas tous les problèmes immédiatement. Et je pense qu'à ce niveau, nous pouvons rappeler ceci aux gens sur une base régulière et les empêcher de tourner le dos aux institutions démocratiques, c'est important, mais encore une fois, c'est plus facile à dire qu'à faire.

Et il y a quelques autres choses sur lesquelles je vais réagir, Frédérick. Cette notion selon laquelle ce n'est pas une question de partisanerie, je veux vraiment le répéter. Ce n'est pas une question d'opposition entre la droite et la gauche. En fait, la solution, c'est de revenir à une partisanerie significative, d'avoir des débats constructifs entre les partis de centre gauche et de centre droite, mais plutôt un débat qui ne remet pas en question les institutions démocratiques elles-mêmes. Il peut y avoir des désaccords importants à propos de la voie à suivre pour un pays, assurément, à propos des politiques, mais il ne devrait y avoir aucun désaccord quant au fait que ça vaut la peine de préserver les institutions démocratiques.

Et je pense qu'assez souvent, ces débats à propos de la politique d'extrême-droite peuvent être interprétés à tort comme des espèces de critiques libérales des parties de centre droite par la gauche. Ce n'est pas le cas. Je pense que ce que nous devons viser, c'est un point où les conservateurs et les libéraux se battent côte à côte quand vient le temps de protéger les institutions démocratiques.

Et pour ce faire, en fait, compte tenu du contexte dans lequel nous avons cette discussion, il faut notamment protéger l'indépendance des fonctionnaires. C'est un défi colossal. Lorsque des candidats extrémistes et des partis extrémistes prennent le pouvoir, l'une des premières choses qu'ils font est d'essayer d'assimiler les fonctionnaires, la fonction publique, et de changer ceux qui sont des employés indépendants de l'État qui travaillent dans le but de continuer à fournir des services gouvernementaux à la population; ils essaient de les assimiler et d'en faire des agents politiques, et c'est quelque chose qui est très dangereux. Donc, je pense que l'une des choses que nous voulons faire, c'est d'essayer, d'une certaine manière, de consolider nos institutions démocratiques pour qu'elles résistent aux percées potentielles de candidats autoritaristes supplémentaires.

Donc, quand quelqu'un comme Trump arrive, disons, bien sûr, il est élu parce que c'est ce que les gens veulent, d'accord, mais le danger qu'il représente devrait être, en quelque sorte, évité grâce à la force des institutions démocratiques elles-mêmes, mais encore une fois, c'est plus facile à dire qu'à faire. Il y a eu une tentative de le faire, mais évidemment, le parti qui était le parti de Trump à ce moment a résisté à l'adoption de politiques visant à protéger les élections, à protéger la passation pacifique du pouvoir.

Frédérick, je pense que vous vouliez ajouter quelque chose, alors je vous redonne la parole.

Frédérick-Guillaume Dufour : Je voulais juste (inaudible) sur ce qu'Ayesha a dit aussi, que l'art du débat est d'accepter d'être en désaccord, et c'est très facile lorsque la polarisation n'interfère pas. Dans une société civile où la polarisation est multiple, c'est très bien parce que ça ne se recoupe pas nécessairement. Donc une journée, à propos de ce type de politiques, cette personne est votre opposant, mais sur un autre enjeu, cette personne peut être de votre côté.

Ce que nous voyons aux États-Unis actuellement, c'est que toute cette polarisation s'accumule et les gens arrêtent de voir leur antagoniste comme un opposant et à le considérer comme un ennemi, et un ennemi qui n'est plus légitime. Et s'il faut choisir entre cet ennemi qui n'est pas légitime et un souverain autoritariste, les gens préfèrent se tourner vers le dirigeant autoritariste. Donc, c'est ce qui est très délicat. La polarisation est l'essence même de la démocratie. Alors, nous ne devons pas essayer d'éviter les débats, mais nous devons nous assurer qu'ils ne se recoupent pas.

Bart Bonikowski : C'est tout à fait vrai. Oui, tout à fait. Je suis d'accord.

Ayesha Malette : Peut-être que dans ce cas, je vais y aller avec notre prochaine question, et elle est liée à cette dernière, mais comme je pense aux types de mesures stratégiques ou aux pratiques exemplaires ou aux pratiques prometteuses que vous avez vues, eh bien, quel type de mesures stratégiques pourraient être mises en œuvre pour aider à combler ces lacunes et à réduire les différentes divisions qui nourrissent le populisme? Avez-vous cerné, dans le cadre de vos recherches, un sujet particulier dont les décideurs politiques canadiens doivent tenir compte?

Professeur Bonikowski, je commence avec vous.

Bart Bonikowski : Vous vous retrouvez avec la question la plus difficile, et je dois dire, je n'étudie pas la politique à proprement parler, et bien souvent, les scientifiques sociaux sont très mauvais pour offrir des solutions stratégiques, n'est-ce pas? Donc, nous écrivons nos livres puis quelqu'un dit, vous devriez écrire le dernier chapitre à propos des recommandations politiques, et c'est en quelque sorte une réflexion après coup. Ce n'est pas tout le monde qui est comme ça, mais je plaide coupable, pour ma part.

Donc, je dirais juste qu'encore une fois, tout ça est très difficile, mais je pense qu'en plus de consolider les institutions démocratiques, je pense que nos partis majoritaires doivent commencer à offrir des solutions concrètes aux problèmes quotidiens auxquels sont confrontés les électeurs. Et c'est plus facile à dire qu'à faire, mais les électeurs ont de réels griefs, y compris les électeurs qui soutiennent le populisme, les politiciens de la droite radicale. J'ai mentionné que ces griefs sont parfois de nature économique et parfois de nature culturelle. Ils sont très diversifiés, mais ils sont canalisés en ressentiments hors-groupe.

Et s'il existait des moyens de mettre essentiellement un frein à ce processus qui transforme des griefs quotidiens importants et réels en vilipendage hors-groupe, ça aiderait, non? Et donc, une façon de le faire, c'est de proposer des politiques qui aident les gens à résoudre ces problèmes quotidiens. C'est en partie lié aux inégalités, comme le disait Frédérick, mais offrir une vision, et une vision qui est puissante, une vision qui permet aux gens d'imaginer un meilleur avenir pour eux-mêmes et pour leurs enfants.

Et ça nous ramène en quelque sorte aux autres sujets de conversation. Je veux dire, essentiellement, ce que nous voulons faire, idéalement, dans les campagnes électorales, c'est débattre de politiques qui sont liées à la résolution des problèmes, et non à propos du nationalisme, à savoir si les États-Unis sont le pays qui appartient aux chrétiens blancs, ou si c'est le pays qui appartient à une mosaïque pluraliste et multiculturelle. Je pense que ce sont des conversations importantes à avoir, mais je pense que quand c'est la seule chose dont nous parlons, elles ne font que nous mener sur la même voie que celle que nous suivons actuellement, et ça devient difficile de faire demi-tour.

Je pense que la difficulté, ici, c'est que ce genre de recommandation peut être mal compris. Certaines personnes affirment qu'on ne devrait pas parler de culture, qu'on ne devrait pas parler des droits des minorités, qu'on devrait uniquement parler des enjeux économiques. Je pense qu'en fait, ce n'est pas ce que je dis. Je pense que c'est très important de jouer sur les deux tableaux et de comprendre que la justice économique est aussi la justice raciale, c'est aussi la justice liée à la différence de religion, et que les partis de la gauche ne devraient pas céder de terrain en ce qui concerne la protection des droits et libertés des minorités, mais ils devraient combiner ces protections à une vision économique significative et à une vision stratégique significative et, de manière plus générale, une vision qui peut offrir un avenir différent.

Donc, encore une fois, je pense que dans un monde de polarisation de masse, tout ça est plus facile à dire qu'à faire, parce que peu importe à quel point une proposition de l'un des deux côtés est raisonnable, l'autre côté s'y oppose souvent juste par principe, parce que c'est en quelque sorte une politique de l'ennemi. Et donc, je pense que d'une certaine manière, ce que suggère le point de Frédérick, c'est qu'une solution au problème des politiques doit aller [...], doit aussi être une solution au problème de la polarisation, le fait que nous avons toutes ces différentes identités, ces domaines stratégiques qui s'alignent les uns devant les autres aux États-Unis des deux côtés, où il y a juste très peu de place pour la bipartisanerie et très peu de place pour tenir un débat constructif, et j'ai bien peur qu'il n'y ait pas de solution évidente à tout ça.

Ayesha Malette : Professeur Dufour, aimeriez-vous ajouter quelque chose à ce sujet? Des points auxquels vous pensez?

Frédérick-Guillaume Dufour : Oui, encore une fois, je suis d'accord. Je veux dire, s'il y avait une solution, nous la verrions. Je veux dire, nous verrions ressurgir une formation sociale démocratique, et en fait, le Parti social démocratique s'est effectivement organisé pour revenir en force en Allemagne, et c'est l'un des cas que nous pourrions examiner. Et il est en effet revenu au pouvoir avec un chef qui n'est absolument pas charismatique, en plus. Donc, c'est intéressant.

Et l'une des choses que ce chef a faites, c'est exactement ce dont parlait Bart. Il a commencé à parler d'un retour à des politiques plus sociales démocratiques qui étaient [...]. Et il a réussi à ramener la classe ouvrière vers le parti, et c'est quelque chose qui a été [...]. Que la gauche a perdu depuis longtemps. La plupart des travailleurs votent désormais pour leur droite, donc c'est quelque chose qui est intéressant.

L'une des erreurs que les gens doivent arrêter de commettre, c'est [...]. Ce que j'enseigne à ce propos, j'appelle ça le panier des erreurs déplorables. Nous devrions arrêter de parler comme, je ne sais pas comment le dire en anglais, mais disons de nous targuer d'une morale supérieure quand nous parlons à des populistes. Je veux dire, nous devons réellement prendre leurs craintes au sérieux, leur désir d'appartenance, leur soif d'être pris au sérieux. Nous devons arrêter de simplement en rire. C'est quelque chose que nous devons changer, la manière dont nous parlons à ces personnes.

Il existe d'autres solutions qui ne sont pas faciles, mais j'aimerais qu'il y ait davantage de dialogue entre les personnes qui vivent en milieu urbain et celles qui vivent en milieu rural. Je veux dire, je ne sais pas si nous pourrions envoyer des programmes scolaires dans les milieux ruraux, pour favoriser le dialogue et combler cet écart. C'est-à-dire que les personnes qui vivent en milieu urbain doivent comprendre le genre de problèmes sociaux auquel les milieux ruraux doivent faire face, et je dirais que c'est la même chose pour notre problème intergénérationnel. La plupart des jeunes ne comprennent pas comment les personnes plus âgées voient le monde, et vice versa, et nous devons favoriser le dialogue de ce côté aussi.

Donc voilà, il n'existe pas de solution facile, mais c'est encore lié aux politiques publiques en matière d'éducation que nous pouvons changer à court terme.

Ayesha Malette : Donc, ce que j'en comprends, c'est qu'il faut un niveau de mobilisation plus étroit, au niveau interculturel, ou de la diversité, ou unifier diverses perspectives pour favoriser le dialogue, le dialogue qui semble réellement former la base quant à la façon de progresser pour unifier certaines de ces perspectives différentes, en espérant que ça engendre des résultats constructifs et positifs.

Peut-être, pour finir, je vais demander à chacun de vous de faire une petite conclusion sur d'où nous venons et où vous pensez que nous devrions nous diriger, et évidemment, de souligner certains des principaux éléments que vous nous avez présentés aujourd'hui.

Professeur Bonikowski, je vais vous donner la parole en premier cette fois-ci.

Bart Bonikowski : Certainement. Je veux dire, j'en ai dit beaucoup, donc je ne résumerai pas tout ça, mais je pense [...]. Je veux juste rappeler que nous traversons une période précaire, et quand je dis nous, je ne veux pas dire les Canadiens, ou les Américains, je parle de nous, les citoyens des pays démocratiques. Je pense que nous avons eu l'impression que l'histoire se déroulait de manière linéaire pendant la deuxième moitié du 20e siècle, ce genre de trame, de trame téléologique du progrès, que tout tend à pointer vers la démocratie, vers un pluralisme plus important, vers une sorte de meilleure harmonie politique.

Et je pense que le moment postsoviétique où le monde a changé, où il est passé d'un monde bilatéral à un monde initialement unilatéral, puis multilatéral qui a poussé les gens à croire que les choses s'amélioraient sans cesse, mais en fait, on se rend compte que c'est beaucoup plus compliqué que ça.

Et je pense que l'une des choses que le temps nous dira, c'est que la période que nous traversons en est peut-être une de rectification, de prise en compte du passé, mais un détour, puis nous reviendrons à une trajectoire qui est plus optimiste, ou peut-être que la période qui a suivi la guerre était en fait une aberration, et peut-être que l'espèce de chaos que nous voyons s'installer, aujourd'hui, est devenu la norme.

Et donc, je n'ai pas de pronostic pour ceci. J'espère que ma première hypothèse est la bonne, et que la deuxième est fausse. Les démocraties ont fait face à de nombreux types de problèmes difficiles par le passé, et peut-être que c'est juste un problème de croissance, et peut-être que comme l'a dit Frédérick, c'est en partie lié au fait que la gauche est peut-être devenue un peu trop élitiste et un peu trop éloignée des segments de la population qui ont de réels griefs. Et peut-être qu'il s'agit de la rectification et qu'une fois que nous serons sur la même longueur d'onde, nous pourrons aller de l'avant de manière plus concertée. Donc je pense que l'espoir est possible, ici.

L'autre dernière chose à dire, c'est que nous avons été [...] – je pense que cela a été évoqué, très brièvement, mais le problème est les changements climatiques. C'est un problème existentiel pour l'humanité, et on peut espérer que quand l'humanité est confrontée à des problèmes existentiels, nous pouvons mettre certaines différences de côté, que ce soit à l'intérieur des différents pays et à l'échelle internationale, au niveau géopolitique entre les pays, et commencer à penser à des solutions communes. Et peut-être la possibilité remplie d'espoir est que si le climat s'envenime, ce qui va arriver [...]. Nous pourrons nous rassembler pour trouver ce type de solutions.

Mais d'un autre côté, encore une fois, nous avons vu avec la COVID, qui était une crise plutôt importante, que ça ne s'est pas nécessairement passé comme ça partout. Et le problème avec les changements climatiques, c'est que ça mène à des pénuries, ça engendre de plus grandes inégalités. Cela mène à des bouleversements potentiels sur le terrain qui pourraient avoir des répercussions sur le système mondial des États-nations. Donc, encore une fois, nous verrons, mais je pense que les crises auxquelles nous sommes confrontés sont assez importantes pour que nous envisagions comment nous pouvons avancer ensemble et comment nous pouvons consolider les institutions qui semblent bien fonctionner, les institutions démocratiques.

Ayesha Malette : Professeur Dufour, à votre tour de conclure en quelques mots.

Frédérick-Guillaume Dufour : Oui, eh bien, je peux conclure sur une note un peu plus optimiste. C'est-à-dire que quand nous regardons les sondages et l'appui aux valeurs libérales et ainsi de suite, dans de nombreux pays qui sont confrontés à des mouvements de la droite radicale, la génération plus jeune soutient réellement les valeurs et les normes libérales. Je veux dire, ce n'est pas un gros problème. Le problème, c'est que ces jeunes ne votent pas. Donc, nous ne devrions pas perdre trop de temps à essayer de les convaincre que c'est important de préserver la démocratie. Je veux dire, habituellement, ils sont d'accord avec cette idée. C'est contre le degré de cynisme de cette génération que nous devons lutter pour les attirer dans l'isoloir et les faire voter, puis pour les impliquer et convenir qu'ils vont parfois perdre, et que ça fait partie de la vie. Ils vont perdre, mais nous devons, comme nous l'avons dit plus tôt, être d'accord avec le fait de ne pas être d'accord sur certains enjeux importants, et quand même voter.

Ayesha Malette : C'est un message extrêmement utile, je pense, pour conclure notre conversation d'aujourd'hui.

J'aimerais d'abord vous remercier tous les deux pour votre participation à la séance d'aujourd'hui. Professeur Bonikowski, j'ai trouvé que le cadre que vous avez défini au début nous a grandement incités à la réflexion, un genre de cadre très clair auquel nous avons pu nous référer et qui nous a permis de bien comprendre le rôle de la présence de différents éléments dans la réalité. Et j'ai trouvé que votre argument lié au désaccord fondamental sur ce qu'est une identité nationale, c'est quelque chose à quoi nous devons vraiment réfléchir en tant que décideurs politiques, parce que nous avons un rôle à jouer pour tenter de former ceci et d'orienter nos actions, particulièrement au niveau gouvernemental, que ce soit pour aider à accroître le soutien à l'identité nationale ou pour s'en éloigner. Et j'aime la manière dont vous avez abordé la consolidation des institutions comme étant l'une des principales manières d'être en mesure de les protéger de certains des éléments radicaux qui sont de plus en plus répandus de nos jours.

Et professeur Dufour, je réfléchissais à vos arguments liés au déclin de l'appui au pluralisme et au fait que le travail démocratique est très difficile. Ce n'est pas quelque chose que nous serons en mesure de résoudre du jour au lendemain, et ça me rassure en tant que personne travaillant sur une démocratie, parce que nous n'avons certainement pas résolu tout ça encore, mais cette action plus collective, particulièrement par des jeunes, si vous voyez cet élément survenir, c'est comme ça que nous [...]. Et nous réunirons davantage de voix autour de la table, c'est de cette façon que nous pourrons bâtir un monde meilleur.

Donc, je vous remercie tous les deux pour votre participation à la discussion d'aujourd'hui. Thank you. Merci. Megweech.

Évidemment, j'aimerais juste remercier très rapidement notre équipe de soutien technique et l'équipe technique de l'École de la fonction publique du Canada d'avoir rendu ce dialogue possible. Et à tous les participants qui se sont connectés aujourd'hui, merci pour votre participation et votre écoute.

Restez à l'affût du site Web de l'École de la fonction publique du Canada au cours de l'année à venir pour découvrir les futurs éléments de cette série sur l'avenir de la démocratie. J'espère que nous aurons beaucoup de discussions intéressantes.

Donc, merci encore à vous deux, passez un fantastique après-midi.

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