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Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien : La préparation aux situations d'urgence dans une fédération diversifiée (TRN5-V56)

Description

Cet enregistrement d'événement de la série porte sur certaines des mesures de préparation aux situations d'urgence mises à l'essai par des Canadiens et des Canadiennes, conformément aux priorités du gouvernement du Canada visant à favoriser la sécurité et la résilience des collectivités du pays.

Durée : 01:27:58
Publié : 30 avril 2024
Type : Vidéo

Événement : Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien : La préparation aux situations d'urgence dans une fédération diversifiée


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Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien : La préparation aux situations d'urgence dans une fédération diversifiée

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Transcription : Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien : La préparation aux situations d'urgence dans une fédération diversifiée

[00:00:01 Le logo de l'École de la fonction publique du Canada (EFPC) apparaît à l'écran.]

[00:00:06 L'écran s'estompe et l'on voit maître François Daigle debout sur un podium.]

Maître François Daigle : Bonjour tout le monde. Bienvenue. Je m'appelle François Daigle et je suis l'ancien sous-ministre de la Justice et sous-procureur général du Canada. Je suis heureux d'animer l'événement d'aujourd'hui pour l'École de la fonction publique du Canada. Il s'agit du 11e événement de cette série sur le fédéralisme. Permettez-moi tout d'abord de reconnaître que le territoire d'où je parle aujourd'hui est celui de Chelsea, au Québec, qui se trouve sur le territoire traditionnel de la Nation algonquine Anishinaabeg, dont la présence ici remonte à des temps immémoriaux. Je reconnais la terre sur laquelle nous vivons et travaillons et les personnes qui en ont pris soin, et je leur exprime ma reconnaissance. Certains d'entre vous se joignent à nous aujourd'hui depuis diverses régions du pays, et je vous invite à prendre un moment pour reconnaître le territoire que vous occupez.

J'ai donc le plaisir de vous présenter l'événement d'aujourd'hui, intitulé « Série sur les enjeux contemporains du fédéralisme canadien : La préparation aux situations d'urgence dans une fédération diversifiée ». Il est essentiel, pour gérer les crises et les situations d'urgence, que les administrations fédérale, provinciales et territoriales collaborent afin de s'y préparer adéquatement à l'échelle nationale. Ce 11e événement de la série portera sur certaines des mesures de préparation aux situations d'urgence mises à l'essai par des Canadiens et des Canadiennes ont fait l'expérience, et nous entendrons probablement parler de certaines des situations d'urgence pour lesquelles ces mesures ont été appliquées. En outre, compte tenu des questions que nous allons aborder, il sera probablement difficile de ne pas parler des événements du 22 février 2022, qui ont conduit le gouvernement fédéral à invoquer la Loi sur les mesures d'urgence fédérale. Nous espérons que les participants et participantes d'aujourd'hui comprendront mieux les rôles et responsabilités du gouvernement fédéral, et qu'ils apprendront à se préparer aux situations d'urgence et à réagir adéquatement lorsqu'une crise exige l'intervention de plusieurs ordres de gouvernement. Nous entendrons bientôt deux conférencières fantastiques, qui ont toutes deux fait partie de la Commission sur l'état d'urgence du juge Paul Rouleau en tant que membres du Conseil de recherche de la Commission.

Permettez-moi donc de vous les présenter. Tout d'abord, Nomi Claire Lazar est professeure à l'École supérieure d'affaires publiques et internationales de l'Université d'Ottawa. Elle est l'auteure d'un large éventail d'études sur les pouvoirs d'urgence et le gouvernement en situation de crise, dont les livres States of Emergency in Liberal Democracies et Out of Joint: Power, Crisis, and the Rhetoric of Time. Mme Lazar a enseigné à l'Université de Chicago, à Yale, et a été doyenne associée de la Faculté à Yale et à l'US College. Outre ses travaux universitaires, Mme Lazar est active au sein de la société civile. Elle y travaille en tant que préposée au scrutin pour les élections fédérales ou autres, où elle s'occupe des droits des prisonniers et siège au conseil d'administration de l'Université d'Ottawa. Avant ses études doctorales, elle a travaillé avec Justice Canada sur le cadre politique de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.

Jocelyn Stacey est professeure agrégée à l'Allard School of Law de l'Université de la Colombie-Britannique. Elle mène des recherches sur les crises environnementales et sur les moyens visibles et invisibles par lesquels le droit crée, réglemente et prévient ces événements. Ses travaux portent sur le droit de l'environnement, le droit de l'analyse environnementale, le droit des catastrophes, les changements climatiques, les pouvoirs d'urgence, et la primauté du droit. Son livre, The Constitution of the Environmental Emergency, traite de ce que la primauté du droit exige à la lumière de notre vulnérabilité aux dommages environnementaux catastrophiques. Elle a également coauteure de deux rapports avec le gouvernement de la Nation Tŝilhqot'in, qui documentent les expériences de la Nation pendant les feux incontrôlés de 2017 et la pandémie de COVID. Mme Stacey travaille avec le Conseil des leaders des Premières Nations de la Colombie Britannique sur la modernisation de la législation en matière de gestion des urgences en Colombie-Britannique. Donc, je vous remercie tous de vous être joints à nous aujourd'hui. Je pense que nous allons commencer par une présentation de Mme Lazar. Nomi, c'est à vous.

Nomi Claire Lazar : Merci beaucoup. Et merci beaucoup de m'avoir invitée à participer à la discussion d'aujourd'hui. Je pense qu'il s'agit d'un sujet à la fois fascinant et incroyablement important. Alors, tous les aspects du fédéralisme dépendent fondamentalement de la confiance et de la coopération entre les administrations, mais aussi horizontalement entre les ministères, donc entre les domaines de responsabilité stratégique. L'architecture qui soutient la confiance et la coopération comprend à la fois des structures officielles telles que les lois et les institutions, mais aussi des structures non officielles telles que les relations et l'engagement en faveur de la primauté du droit, dans une sorte de projet collectif. Ainsi, comme vous l'avez sans doute entendu tout au long de cette série de webinaires, et comme vous l'avez certainement vécu dans votre vie professionnelle, le maintien de cette architecture du fédéralisme peut être difficile dans le meilleur des cas. La gravité des situations d'urgence signifie aussi que nous pouvons parfois, dans ces moments-là, voir à la fois les points faibles de la fédération, mais aussi les domaines particuliers dans lesquels elle fait preuve de résilience et de force. La prévision des situations d'urgence et la préparation à ces situations peuvent aider les fédérations à renforcer cette architecture, non seulement dans les moments d'urgence, mais aussi entre les situations d'urgence, lorsqu'on se concentre sur la coopération et la préparation. Diapositive, s'il vous plaît.

Mon objectif, dans cette brève présentation, sera donc de présenter le concept de danger public exceptionnel, des états d'urgence, et des pouvoirs d'urgence, et d'exposer brièvement certains des défis qu'ils posent à une fédération coopérative. La première chose qu'il est important de noter est qu'il existe une distinction, que nous estompons parfois dans le langage courant, entre les dangers et les catastrophes, les situations d'urgence, comme nous les appelons communément, et les dangers publics exceptionnels qui peuvent donner lieu à un état d'urgence au sens juridique. On peut donc dire qu'un danger est un risque connu. Ainsi, les tremblements de terre, par exemple, constituent un danger sur la côte Ouest. Par contre, ce n'est pas la même chose qu'une catastrophe, car si nous sommes correctement préparés, par exemple grâce aux caractéristiques architecturales appropriées, grâce à l'éducation du public appropriée; alors même s'il y a un tremblement de terre, dans de nombreux cas, cela ne se traduira pas par une catastrophe, au sens d'une catastrophe qui cause un certain niveau de mortalité et de destruction. En revanche, même si un danger comme un tremblement de terre devient une catastrophe, il ne s'agit pas nécessairement d'un danger public exceptionnel ou d'une situation qui justifie un état d'urgence au sens juridique. Ainsi, la caractéristique déterminante, la définition d'un danger public exceptionnel qui pourrait justifier un état d'urgence au sens juridique, est qu'il y a un écart entre les devoirs de l'État envers le public et sa capacité à accomplir ces devoirs normalement.

Par conséquent, si nous prenons l'exemple d'une catastrophe où il y a peut-être des pertes de vie, où une douzaine de personnes sont tuées et d'autres blessées, tant que l'État est encore en mesure, aux ordres municipal et provincial, par exemple, de traiter ces personnes, des les emmener à l'hôpital, de les soigner, il n'y a pas besoin d'un état d'urgence. Il s'agit donc d'une caractéristique essentielle : les mécanismes habituels que nous utilisons pour répondre à une situation d'urgence ou de crise ne sont pas suffisants, ou ne sont pas disponibles pour affronter la situation. Et c'est cet état de nécessité, pourrions-nous dire, qui peut déclencher l'utilisation des pouvoirs d'urgence légaux. Autrefois, nous définissions l'état d'urgence, et c'est encore le cas dans certaines parties du droit international, comme une menace pour l'existence même de l'État. Par exemple, dans l'article 4 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, cet aspect fait partie de la définition d'une situation d'urgence.

La raison pour laquelle ce seuil est si élevé est que l'état d'urgence autorise souvent des droits, des dérogations ou des limitations de droits que nous n'accepterions pas en temps normal. Nous avions donc l'habitude de considérer que le seuil d'urgence était vraiment très élevé. Par contre, ce seuil s'est peut-être abaissé au fil du temps, ce qui peut être approprié sur le plan moral, notamment parce qu'il serait excessivement coûteux de se préparer à affronter n'importe quel danger ou à n'importe quelle catastrophe possible, à n'importe quel moment. Il est donc également vrai que nous ne pouvons pas toujours prévoir ce qui peut arriver et qu'il est donc difficile de s'y préparer. Même lorsqu'il existe des types de dangers ou de menaces qui se répètent, n'est-ce pas? Nous savons qu'il y aura des inondations et des épidémies. Les symboles, comme les exemples particuliers de ce type de menaces, changent au fil du temps. Le nouveau virus est donc différent du précédent. Alors, pour se préparer de manière adéquate à toutes les situations possibles qui pourraient survenir, il faudrait puiser dans les ressources publiques à un tel point que cela pourrait avoir des effets préjudiciables ailleurs.

C'est en partie pour cette raison que les mesures législatives d'urgence modernes ont parfois des seuils plus bas que le risque lié à l'existence de l'État lui-même et qu'elles permettent plutôt une situation dans laquelle l'État peut être en mesure de faire appel à des ressources qu'il n'aurait peut-être pas pu obtenir. Par exemple, si on parle du convoi, pensons à l'idée que l'État a pu réquisitionner des dépanneuses pour aider à résoudre cette situation, alors que si l'État avait entretenu sa propre flotte de dépanneuses, les coûts auraient pu être prohibitifs. Il arrive donc que les mesures législatives d'urgence permettent de déplacer les ressources de manière à ce qu'elles puissent être affectées à d'autres priorités publiques. Cela crée donc un enjeu de politique, qui consiste essentiellement à déterminer le montant des investissements à réaliser dans la préparation aux situations d'urgence, en reconnaissant que cela réduira l'écart qui pourrait générer la nécessité d'un état d'urgence, avec les freins potentiels, les limitations et autres qui l'accompagnent. D'autre part, il faut s'assurer que les fonds disponibles sont, en quelque sorte, optimisés. L'allocation des ressources est optimisée pour le bien public et pour d'autres priorités publiques. C'est donc l'un des principaux domaines des enjeux de politique, où le fédéralisme peut parfois intervenir de manière créative pour aider à y répondre. Diapositive, s'il vous plaît.

Les pouvoirs d'urgence prennent donc des formes très diverses d'une administration à l'autre, et dans le monde entier. Les constitutions prévoient donc souvent des mesures relatives aux états d'urgence. Par exemple, l'article 9, je crois, de la Constitution des États-Unis prévoit la possibilité de suspendre l'habeas corpus en cas d'insurrection, ou dans certaines conditions d'insurrection. Et parfois, ces dispositions constitutionnelles ne sont pas officielles, mais nécessitent simplement que des mesures d'urgence soient prises; par exemple, nos pouvoirs relatifs à la disposition concernant la paix, l'ordre et le bon gouvernement (POBG) en vertu de l'article 91 pourraient être compris ainsi. Dans les constitutions modernes, les constitutions récentes, on trouve souvent les pouvoirs d'urgence soit dans un article distinct consacré précisément à l'urgence, soit parfois directement à la suite de l'article qui énonce les droits des personnes. Dans de tels cas, la constitution présente les droits ainsi que les circonstances dans lesquelles ils peuvent être limités ou faire l'objet d'une dérogation. Il existe également des conventions constitutionnelles et des pouvoirs conférés par la common law qui peuvent contribuer à justifier ou à établir les limites des pouvoirs d'urgence, tels que le pouvoir en vertu de la prérogative et les pouvoirs policiers conférés par la common law. Par contre, les pouvoirs d'urgence dans les sociétés contemporaines vont souvent bien au-delà de ce qui est prévu par la Constitution. Ils touchent à des aspects en particulier ou à une mesure législative particulière sur plusieurs niveaux de l'administration pour traiter des types de cas spécifiques.

Cela se traduit parfois par des lois telles que la Loi sur les mesures d'urgence, et parfois par d'autres lois. C'est le cas, par exemple, des lois sur la santé publique. Nous nous trouvons donc confrontés à une sorte d'enchevêtrement de cadres juridiques qui se chevauchent pour les états d'urgence, et qui sont parfois rendus encore plus compliqués par le fait que certaines administrations disposent d'un grand nombre de mesures législatives d'urgence ponctuelles. C'est le cas, par exemple, des décrets aux États-Unis. Aux États-Unis, il n'est pas rare que le président utilise un décret pour déclarer l'état d'urgence dans une situation particulière. Il existe donc toute une série de formes de pouvoirs d'urgence dans les différentes administrations, qui intègrent de nombreuses lois différentes, tant constitutionnelles que législatives. La tendance historique au Canada et à l'étranger a été d'élaborer des mesures législatives, des mesures législatives d'urgence, de plus en plus précises, avec des niveaux croissants de freins et contrepoids, et comme nous en discuterons plus tard, le Canada, sur le plan fédéral, est à la pointe de cette tendance à l'échelle mondiale, mais les provinces un peu moins. Nous en parlerons donc un peu plus loin. Diapositive, s'il vous plaît.

[00:14:32 Une peinture de Cincinnatus d'Alexandre Cabanel est présentée.]

D'accord. Il convient donc de rappeler les raisons pour lesquelles nous disposons d'une loi sur les mesures d'urgence. Pour comprendre cela, il est bon de noter que tous les régimes constitutionnels ont historiquement disposé de pouvoirs d'urgence, depuis l'époque de Rome, et probablement avant. C'est parce qu'un régime constitutionnel, ou une république, tend à diviser le pouvoir afin de disposer de freins et de contrepoids qui permettent aux différentes parties du gouvernement, disons, d'atténuer les excès. En outre, dans ces régimes, nous avons souvent des citoyens qui détiennent des droits en tant que citoyens. Cela peut donc constituer un obstacle à la mise en œuvre rapide et efficace de mesures. D'une part, il est possible qu'une branche du gouvernement bloque l'autre, ou que de longues périodes de discussion soient nécessaires, ce qui peut nuire à la mise en œuvre rapide et décisive de mesures en cas d'urgence. D'autre part, dans ce type de régime, étant donné que les citoyens sont titulaires de droits en tant que citoyens, il peut y avoir des difficultés à faire ce qu'il faut pour que le travail soit effectué. Ainsi, les formes de pouvoirs d'urgence ont historiquement visé à rationaliser le processus de décision tout en donnant des moyens constitutionnels et des justifications pour déroger aux droits en cas de crise ou pour les limiter. Les Romains disposaient donc de plusieurs mécanismes pour y parvenir. Le mot « dictateur » nous vient, par exemple, de l'institution républicaine romaine de la dictature, qui permettait à une branche du gouvernement de dire « hé, nous avons un problème » et à une autre branche du gouvernement de dire « d'accord, nous allons nommer quelqu'un, un dictateur ».

Dans ce tableau, nous avons Cincinnatus, qui est un paysan, mais qui a été nommé dictateur à deux reprises pour résoudre une crise à Rome. Et il est célèbre parce qu'il est en quelque sorte considéré comme un modèle de vertu civique, car dès que la situation a été résolue, il a déposé ses armes et ses fasces, qui étaient le symbole de la dictature, et il est retourné à sa ferme. Il fait appel à cet incroyable pouvoir de concentration, accomplit son travail, et rentre chez lui, et reprend sa vie civile. Il s'agit donc en quelque sorte du modèle historique des pouvoirs d'urgence. Pourtant, nous pouvons voir que les pouvoirs d'urgence sont également dangereux, parce que nous savons tous que Jules César a pris le titre de dictateur au moment où la république était essentiellement devenue [inaudible]. Donc, si nous reconnaissons que les pouvoirs d'urgence sont nécessaires, ils sont également toujours très dangereux. Ici, cependant, nous pouvons voir la continuité. Ainsi, dès que la France, par exemple, devient une république, un des tout premiers textes législatifs qu'elle adopte concerne la gestion de l'état de siège. Il existe également, dans l'histoire de la common law anglaise, l'équivalent de l'état de siège, qui est la loi martiale. Ainsi, lorsque la situation est si grave qu'elle entraîne la fermeture des tribunaux, l'armée peut prendre en charge la fonction judiciaire. Dans le cadre des pouvoirs d'urgence modernes, nous devons donc composer avec des choses que les gens, historiquement, n'avaient pas à affronter. Et bien sûr, nous nous en réjouissons. Il s'agit donc de droits écrits noir sur blanc, c'est-à-dire de droits qui sont inscrits noir sur blanc dans la loi. Dans certains cas, cela a conduit à une explosion du droit et de la jurisprudence qui tentent de limiter les pouvoirs d'urgence juste assez, mais pas au point d'empêcher le gouvernement de gérer une crise qui pourrait survenir. Diapositive, s'il vous plaît.

Nous pouvons donc constater, ou en tout cas anticiper que les situations d'urgence vont constituer un défi en matière de gouvernance, et ce, pour plusieurs raisons. La première est que le droit est normalement tourné vers le passé, mais que nous l'appliquons à l'avenir. C'est pourquoi nous élaborons souvent des lois en fonction de ce qui vient de se passer. C'est certainement le cas de la Loi sur les mesures d'urgence, qui a été conçue en tenant compte des abus de la Loi sur les mesures de guerre commis lors de la crise d'Octobre, mais aussi des abus de la Loi sur les mesures de guerre commis lors de la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, de nombreux intervenants ayant participé à l'élaboration de cette loi étaient des personnes qui avaient été personnellement touchées par ces récents incidents. Nous regardons donc en arrière lorsque nous élaborons des lois, mais nous voulons les appliquer à l'avenir. Par ailleurs, étant donné que les situations d'urgence sont quelque peu imprévisibles, cela peut constituer un défi de taille en matière de gouvernance. En outre, même lorsque nous disposons de ces cadres juridiques qui répondent souvent à la dernière crise, et non à la prochaine, le fait que les situations d'urgence soient urgentes signifie qu'il n'y a souvent pas assez de temps pour envisager pleinement les mesures législatives d'urgence qu'un gouvernement pourrait vouloir prendre. Ce qui aggrave encore ce problème de gouvernance, c'est qu'il arrive souvent, et c'est toujours le cas lorsque nous élaborons une politique, que nous ne disposions pas de suffisamment de renseignements, nous n'avons jamais assez d'information pour avoir la certitude que nous faisons ce qu'il faut. Il arrive souvent que la nouveauté des situations d'urgence se traduise par une absence de faits, de sorte que le gouvernement peut être amené à agir avant que la situation ne soit vraiment claire. Nous l'avons vu avec la COVID et la confusion initiale autour de la question de savoir s'il fallait exiger ou non le port du masque, comment le virus se déplaçait, etc. Il arrive donc souvent que nous ne disposions pas des renseignements nécessaires pour faire les bons choix quant aux mesures à prendre sur le moment. Les contraintes de temps signifient donc que certains des contrôles que nous aurions normalement sur l'élaboration des politiques, notamment les discussions approfondies au Parlement et entre les décideurs politiques, sont réduits, de même que le temps consacré à la consultation entre les administrations. Il s'agit là de quelques-uns des grands défis de gouvernance auxquels sont confrontés les gouvernements en situation d'urgence. La question se pose alors de savoir comment nous les abordons. Diapositive, s'il vous plaît.

Alors, comment surmonter les divisions dans une situation d'urgence? Les pouvoirs d'urgence sont synonymes d'unité au-delà des clivages. La raison pour laquelle nous les avons est donc de créer l'unité au moyen des freins et contrepoids dans les différentes branches du gouvernement. Il y a donc une division des pouvoirs entre les différentes branches du gouvernement, une division du gouvernement entre les différentes administrations, et il faut créer des rapprochements pour y remédier. Il y a aussi la nécessité de combler les différences de pouvoir créées par le besoin occasionnel de secret qui se manifeste lorsque nous agissons dans des conditions d'urgence. Dans nos régimes législatifs d'urgence, nous disposons donc de certains mécanismes conçus pour établir des liens dans ces conditions de gouvernance difficiles. Par exemple, l'une des caractéristiques de la Loi sur les mesures d'urgence qui en fait un texte législatif relativement bon est qu'elle vise non seulement à concentrer tous les pouvoirs au pouvoir exécutif tout en excluant les autres branches du gouvernement, mais aussi à inverser la temporalité de la prise de décision, de l'exécution et de l'élaboration des lois, ou le rôle, ou la séquence temporelle du rôle du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, si on peut le dire ainsi. Normalement, le pouvoir législatif mène des débats, examine et élabore des lois qui sont ensuite exécutées.

Dans le cas de la Loi sur les mesures d'urgence, le pouvoir exécutif prend des mesures, mais invite presque immédiatement après le pouvoir législatif à examiner ce qui a été fait, et le pouvoir législatif a la capacité de mettre fin à une situation d'urgence. Il s'agit donc d'un exemple de conciliation de ces difficultés, de ces défis, et de la gouvernance d'urgence. Par ailleurs, en ce qui concerne le secret, comment combler les différences de pouvoir créées par le besoin occasionnel de secret? La disposition de la Loi sur les mesures d'urgence établit le Comité d'examen parlementaire, un comité mixte qui est composé de membres de tous les partis représentés au Parlement. Cela concerne aussi bien le Sénat que la Chambre. En outre, cela est en partie conçu pour permettre l'examen de documents secrets ou de raisonnements secrets derrière les mesures qui pourraient être prises en cas d'urgence. Il est plus délicat d'établir des liens entre les pouvoirs des différentes administrations. Revenons donc à la question du fédéralisme. La loi prévoit donc une obligation de consulter. La manière dont cela se passe est une question difficile que nous aborderons plus en détail au cours de ce webinaire. Au Canada, nous avons donc tendance à nous concentrer sur la collaboration et la consultation. Toutefois, d'autres administrations ont adopté une approche plus prudente; les administrations fédérales ont adopté une approche plus prudente, en anticipant le fait que parfois, en cas de crise, les gens ne peuvent tout simplement pas se mettre d'accord, et le gouvernement peut avoir besoin d'aller de l'avant malgré tout. Diapositive, s'il vous plaît.

D'accord. Il convient donc de noter que d'autres grandes administrations fédérales, notamment l'Allemagne et l'Inde, sont dotées de dispositions particulières pour traiter la question des conflits entre administrations. En Allemagne, par exemple, la gestion des urgences relève de la compétence de l'État. Toutefois, l'article 35 de la Loi fondamentale de l'Allemagne autorise le gouvernement fédéral à déployer des membres du personnel fédéral et national, y compris des policiers, pour aider à gérer des catastrophes. L'article 91 envisageait expressément une menace pour la démocratie dans une administration, c'est-à-dire une situation dans laquelle un parti antidémocratique prendrait le contrôle de l'un des Länder (ou États) allemands. La formulation de l'article anticipe donc les menaces qui pèsent sur le système de gouvernement, et permet une aide pangouvernementale dans cette situation, notamment en autorisant le gouvernement fédéral, lorsqu'un État se trouve dans cette situation et que cette formulation ne lui permet pas ou ne lui donne pas les capacités de lutter contre le danger, à prendre le contrôle de toute force de police allemande ou à la déployer dans un État. Cela vient probablement de l'histoire allemande, mais il est intéressant de constater que la plupart des administrations fédérales ont des dispositions qui vont dans ce sens. Bien entendu, ces dispositions pourraient faire l'objet d'abus.

En Inde, par exemple, l'article 355 de la Constitution oblige le gouvernement central à protéger les États contre les troubles internes, y compris les menaces pour la démocratie. Et l'article 356 permet au président de gouverner un État voyou par décret direct. Le président peut donc prendre le contrôle du gouvernement d'un État. Cette disposition a été utilisée 90 fois, notamment 39 fois par Indira Gandhi entre le moment où l'Inde a obtenu son indépendance et l'arrêt historique de la Cour suprême de l'Inde de 1994, Bommai v. Union of India. La décision prise dans cette affaire a limité l'utilisation de cette disposition à des fins politiques. Cependant, elle est encore utilisée, notamment dans un cas récent au Jammu-et-Cachemire, avec une loi spéciale qui permet à l'Inde de déployer des troupes spéciales, de déployer l'armée pour faire appliquer des décrets présidentiels dans un État. Il est donc évident que ce type de pouvoirs, s'il anticipe certains risques que le Canada n'a poliment pas anticipés, est associé à un risque énorme. Par contre, il est intéressant de constater que le Canada, en tant que fédération, n'envisage même pas ce genre de situation. Diapositive, s'il vous plaît.

Dans une démocratie constitutionnelle, les gouvernements ont donc le devoir moral, pourrait-on dire, de prévenir et d'atténuer les situations d'urgence, et de rétablir rapidement la capacité des gouvernements à soigner leurs citoyens et à protéger leurs droits. La gestion efficace d'un danger public exceptionnel peut cependant entrer en conflit avec d'autres impératifs moraux. Il est donc difficile de trouver un équilibre entre le travail à accomplir et le respect des droits. Dans un état d'urgence, les biens peuvent donc être réquisitionnés, les rassemblements peuvent être interdits, la liberté d'expression peut être limitée, et l'application régulière de la loi peut être restreinte. Tous ces éléments sont plus ou moins des éléments standard des pouvoirs d'urgence dans le monde entier. En outre, le pouvoir peut être concentré entre des mains moins nombreuses ou différentes, les décisions peuvent être moins surveillées, du moins au départ, et les fonctionnaires aux échelons inférieurs peuvent acquérir un pouvoir discrétionnaire considérable sur les vies et les biens, parfois dans des situations où il y a peu de temps pour exercer un recours, et en bénéficiant de l'indemnité. Le fédéralisme coopératif a donc un rôle à jouer lorsqu'il s'agit d'affronter efficacement des situations d'urgence tout en protégeant les personnes et leurs droits, mais son succès dépend fondamentalement de la confiance entre gouvernements. En retour, cela dépend de la mise en place de l'architecture nécessaire pour soutenir ces relations et cette confiance, y compris la coopération au sein du gouvernement, entre les ministères et entre les administrations.

Tout au long de ce webinaire, nous allons donc discuter des différentes façons dont le gouvernement canadien s'acquitte de cette tâche et de ce qui pourrait être mieux fait. Pourtant, quoi que nous fassions et quelles que soient les incitatifs ou les lois que nous créons, la capacité d'une fédération à prospérer et à demeurer résiliente en situation d'urgence dépendra de notre engagement collectif à l'égard de la fédération, et de ce que David Dyzenhaus a appelé le « projet de l'État de droit ». Nous devons donc tous vouloir que cela fonctionne. Nous devons nous engager à fond pour naviguer dans les eaux extrêmement dangereuses dans lesquelles nous nous trouvons en ce qui concerne les états d'urgence et les pouvoirs d'urgence. Sur ce, je passe la parole à ma collègue, Mme Stacey.

Maître François Daigle : Merci, Nomi. Jocelyn, je vous laisse la parole.

Jocelyn Stacey : Merci beaucoup, François, et merci beaucoup de m'avoir donné l'occasion de m'entretenir avec vous deux aujourd'hui sur ces questions très importantes. Je me joins à vous depuis le territoire ancestral traditionnel non cédé du peuple Musqueam à Vancouver, et je suis très reconnaissante aux Musqueam pour la gouvernance et la gestion de cette terre depuis des temps immémoriaux, tout en reconnaissant que je suis une invitée non sollicitée sur ce territoire. Je vais donc reprendre là où Nomi s'est arrêtée, et parler un peu de l'architecture constitutionnelle au Canada, et de ce qu'elle représente par rapport aux situations d'urgence et à la gestion des urgences. Nous pouvons donc passer à la première diapositive. Merci.

Si vous ne retenez qu'une seule chose de cette présentation, j'espère que vous en retiendrez l'idée que la préparation aux situations d'urgence relève de la responsabilité de chacun. Il s'agit donc d'une sorte de vérité absolue dans la gestion des urgences. Les gouvernements proposent souvent aux citoyens, aux collectivités, d'assumer une sorte de rôle de préparation individuelle. Par contre, cela vaut également pour les gouvernements d'une fédération issue du colonialisme. J'aimerais donc, au cours des 10 prochaines minutes, vous expliquer brièvement comment et pourquoi il est vrai que la préparation aux situations d'urgence relève de la responsabilité de chacun au Canada. Vous pouvez donc passer à la diapositive suivante.

Afin de comprendre pourquoi chaque ordre de gouvernement a une responsabilité en matière de préparation aux situations d'urgence, je vais reprendre certains des éléments évoqués par Nomi pour vous donner une idée de ce qui constitue une situation d'urgence, ou de l'objectif de la gestion des urgences dans la pratique. Ainsi, comme l'a mentionné Nomi, le concept d'urgence ou de danger public exceptionnel est généralement associé à un outil de gouvernance précis. C'est l'état d'urgence, n'est-ce pas? C'est ce qui permet en quelque sorte d'utiliser ces mesures spéciales ou exceptionnelles pour affronter à un ensemble particulier de circonstances urgentes. Et vous pouvez voir, sur cette diapositive, que nous avons une certaine expérience au Canada, une expérience récente aux échelons fédéral, provincial et territorial avec ce type d'outil, les états d'urgence. Vous pouvez donc voir les conditions météorologiques extrêmes, n'est-ce pas, avec la COVID, l'état d'urgence. Outre ce type de vue d'ensemble aux échelons fédéral, provincial et territorial, des centaines d'états d'urgence locaux sont décrétés chaque année par des municipalités partout au pays. L'état d'urgence est donc un élément clé de la manière dont les urgences sont gouvernées au Canada, dans tous les ordres de gouvernement. Toutefois, dans la pratique, la gestion des urgences et la gouvernance d'urgence vont bien au-delà de ces événements précis. Et ce que je veux que vous reteniez de tout cela, c'est que la gestion des urgences touche pratiquement à toutes les sphères des activités du gouvernement. Il y a donc quelques concepts qui mettent cela en évidence.

L'un d'entre eux est l'idée d'une approche « tous risques ». Tous les gouvernements du Canada adoptent ce que l'on appelle une approche « tous risques » de la gestion des urgences. Cela signifie que les activités de préparation portent sur un large éventail de menaces, de dangers ou d'événements potentiels. Ainsi, les tremblements de terre, les cyberattaques, les accidents de fusion du cœur d'un réacteur nucléaire, les pertes massives, et toutes les circonstances susceptibles d'entraîner la nécessité d'invoquer l'état d'urgence sont pris en considération dans une approche « tous risques ». Nous essayons de ne pas établir de distinctions entre les catastrophes naturelles et la sécurité nationale, n'est pas, et d'envisager toutes les possibilités. Même si vous y réfléchissez à la liste des circonstances qui pourraient conduire à une situation d'urgence, vous pouvez commencer à comprendre pourquoi cela touche toutes les sphères des activités du gouvernement, et pourquoi la préparation aux situations d'urgence relève de la responsabilité de chacun. Pourtant, nous pouvons aller plus loin que la simple énumération de ces dangers, de ces événements et de ces menaces, car les normes internationales vont désormais plus loin. Les normes internationales portent principalement sur ce que l'on appelle la réduction des risques de catastrophes. C'est ce que prévoit le Cadre d'action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe, un cadre international dont le Canada est signataire. Je me contenterai de souligner trois manières dont cette idée, ce concept de réduction des risques de catastrophe, modifie notre perspective sur les urgences, ou modifie notre perspective sur les catastrophes et les activités de gouvernance qui entourent ce type d'événements.

L'un des changements les plus importants consiste à passer de la préparation à la prévention, n'est-ce pas? Alors, plutôt que de se concentrer sur la préparation à l'invocation inévitable de l'état d'urgence, il s'agit de reconnaître que ce niveau de préparation, bien qu'il soit important, est insuffisant. La responsabilité des gouvernements doit plutôt être orientée vers la réduction des risques de catastrophes et la création d'une résilience, n'est-ce pas, afin de ne jamais avoir à déclarer une situation d'urgence et à s'appuyer sur ces interventions exceptionnelles. Un deuxième changement important consiste à ne plus considérer les dangers, les menaces ou ces événements comme des choses extérieures qui nous arrivent, n'est-ce pas? Elles viennent de l'extérieur, et elles nous arrivent. Il s'agit plutôt de se concentrer sur ce qui, dans la société, nous rend vulnérables ou résilients par rapport à certains types d'événements. En effet, comme l'a souligné Nomi avec cette idée de danger public exceptionnel, ce qui crée ce type d'urgence ou ce qui crée la catastrophe, le préjudice, le préjudice extrême qui peut en découler, c'est lorsque la capacité de la société est dépassée. Il s'agit donc de se concentrer sur les caractéristiques de la société qui conduisent à ce dépassement. Et c'est important, car les menaces et les dangers dont je vous ai donné quelques exemples ne restent pas nécessairement à leur place, n'est-ce pas? Différents dangers peuvent se combiner pour créer des situations d'urgence en cascade ou aggravées. Le troisième changement qui se produit dans un cadre de la réduction des risques de catastrophe et sur lequel je souhaite attirer votre attention est le passage d'une intervention d'urgence centralisée, où une entité intervient et prend le relais, à une approche pangouvernementale ou pansociétale, ou à ce que l'on appelle parfois une approche horizontale, n'est-ce pas? Comment faire participer tous les acteurs aux activités de réduction des risques de catastrophes?

Il y a un expert australien de la gestion des urgences qui parle, dans le contexte de la réduction des risques de catastrophe, d'une idée très intéressante. Selon lui, « la gestion des urgences consiste à affronter les problèmes créés par d'autres secteurs d'intervention » [traduction]. C'est ainsi que l'on arrive à cette sorte de dépassement, n'est-ce pas? L'incapacité de la société à réagir à un certain type de déclencheur. Grâce à la réduction des risques de catastrophe, on tente donc de s'attaquer à ce problème de front, en amenant ces autres secteurs d'intervention à prendre des mesures pour atténuer les risques qu'ils créent. La réduction des risques de catastrophe consiste donc également à réduire ces risques en s'attaquant à leurs causes sous-jacentes. Il peut donc s'agir des changements climatiques, des politiques, de l'urbanisation rapide, ou du développement, n'est-ce pas? Tout un tas de choses. Donc, lorsque nous commençons à réfléchir à la gouvernance des urgences, dans un sens pratique, en utilisant ces concepts qui sont déjà utilisés au Canada, et à l'échelle internationale, l'approche « tous risques », la réduction des risques de catastrophe, nous pouvons voir que nous avons ce véritable réseau de responsabilités pour les types de risques, les échelles, les types de problèmes sociaux qui génèrent des vulnérabilités, et à différentes périodes. La préparation, n'est-ce pas, l'intervention, cette intervention exceptionnelle, et ensuite la réflexion sur la façon dont nous nous remettons des événements, et dont nous prévenons les prochains. J'espère donc que j'insiste assez sur le fait que la préparation aux situations d'urgence relève de la responsabilité de chacun.

Nous allons voir quelques fondements du droit constitutionnel, qui se trouvent à la diapositive suivante, parce que je veux maintenant parler de la façon dont ces caractéristiques du gouvernement d'urgence sont liées au fédéralisme canadien, parce que le fédéralisme canadien a une incidence importante sur la gouvernance d'urgence au Canada. J'évoquerai donc la répartition des pouvoirs, simplement sur le plan de certains des éléments de base et des paramètres du droit constitutionnel. Alors, la Loi constitutionnelle de 1867 répartit les pouvoirs entre le Parlement fédéral et les provinces. Certains de ces pouvoirs énumérés aux articles 91 et 92 de la Loi constitutionnelle sont directement et manifestement pertinents pour les situations d'urgence. Le gouvernement fédéral est donc responsable de l'armée, de la marine, de la défense et, comme nous le savons tous très bien, il est responsable des pouvoirs de quarantaine, qui sont demeurés dans l'ombre pendant un certain temps. Par contre, nous y sommes maintenant plus attentifs en raison de la pandémie de COVID. Le Parlement fédéral dispose d'un pouvoir résiduel dans ce que l'on appelle la disposition concernant la POBG énoncée à l'article 91. Les tribunaux ont estimé que la disposition concernant la POBG contenait un aspect « situation d'urgence », ce qui signifie que le Parlement peut valablement adopter une législation qui relèverait normalement de la compétence provinciale sous certaines conditions. L'une de ces conditions est qu'il existe un fondement rationnel pour une urgence nationale, et la seconde est que les lois ou les mesures fédérales sont temporaires. La disposition permet donc une intrusion temporaire de la compétence fédérale dans la sphère provinciale. En 1976, la Cour suprême du Canada a donc confirmé les mesures législatives anti-inflationnistes du gouvernement fédéral en vertu de l'aspect « situation d'urgence » de la disposition concernant la POBG (la paix et l'ordre ainsi que le bon gouvernement). Depuis lors, à ma connaissance, aucune loi contestée n'a été défendue par le gouvernement ou confirmée au titre du volet d'urgence.

Voilà donc pour ce qui est du gouvernement fédéral. Certains pouvoirs spécifiques sont donc énumérés, et il y a ensuite cette sorte de possibilité résiduelle d'utiliser l'aspect « situation d'urgence » de façon temporaire. Comme Nomi l'a mentionné précédemment, dans notre cadre constitutionnel, les activités de gestion des urgences incombent, à bien des égards, aux provinces. En vertu de la répartition des pouvoirs, les provinces sont compétentes en matière de propriété et de droits civils (la plupart des terres publiques au Canada, comme vous le savez certainement, sont des terres publiques provinciales) ainsi que d'autres ressources. Par conséquent, si nous pensons à des événements particuliers tels que les feux de forêt, les forêts relèvent de la responsabilité des provinces. Les provinces ont donc un rôle important à jouer dans la gestion des urgences dans ces domaines. Les municipalités relèvent également de la compétence provinciale, puis ce que l'on appelle toutes les aspects, généralement de nature locale. La responsabilité première incombe donc, à bien des égards, aux provinces. Cependant, pour de nombreuses questions sociales complexes comme les soins de santé ou la réglementation environnementale, les situations d'urgence donnent lieu à des chevauchements entre les lois, les politiques et les règlements fédéraux et provinciaux. Les provinces et le gouvernement fédéral ont donc la possibilité de gouverner simultanément et valablement. D'ailleurs, ils l'ont fait, en partie, en adoptant des mesures législatives d'urgence centrales. Chaque gouvernement fédéral, provincial et territorial au Canada dispose donc d'une loi centrale sur les situations d'urgence, souvent appelée Loi sur la gestion des urgences, qui définit certaines exigences de base pour que cet ordre de gouvernement se prépare et planifie les situations d'urgence, définit aussi la procédure de déclaration de l'état d'urgence et de publication des mesures d'urgence.

À l'échelon fédéral, les mesures législatives centrales sont un peu différentes. Il existe deux lois. Elles sont réparties entre deux lois. La première est la Loi sur les mesures d'urgence, et l'autre la Loi sur la gestion des urgences. Alors que la Loi sur les mesures d'urgence ne traite que de l'intervention, de cette étape de l'intervention dans une situation d'urgence et des mesures spéciales qui peuvent être prises, la Loi sur la gestion des urgences traite des aspects de la gestion des urgences qui relèvent davantage de programmes. À droite, sur la diapositive, vous pouvez voir qu'il s'agit d'une représentation de ce que l'on appelle souvent le cycle de gestion des urgences. Il s'agit donc d'essayer de comprendre que les activités de gouvernance ne se limitent pas à une période, à une intervention en cas de crise. En fait, nous sommes toujours, ou devrions être à une étape de la gestion des urgences, de sorte qu'il y ait de la prévention, n'est-ce pas? Prévenir l'apparition de ces risques, se préparer à une situation d'urgence, intervenir en cas d'événement extrême, et se rétablir à la suite de cet événement. L'une des raisons pour lesquelles la législation canadienne est en retard par rapport aux normes internationales et aux pratiques exemplaires est que la plupart de nos lois ne traitent pas du cycle complet des activités d'urgence. En particulier, le rétablissement et la prévention ne disposent pas d'un cadre législatif solide pour les étayer.

Si nous pensons aux situations d'urgence dans la pratique, n'est-ce pas, pour revenir à la norme de réduction des risques de catastrophe, notre législation sur la gestion des urgences pourrait donc, aux échelons fédéral, provincial et territorial, traiter de certaines de ces activités, mais nous devrions également garder à l'esprit qu'il existe d'autres lois, à tous les ordres de gouvernement, qui traitent d'autres aspects de la réduction des risques de catastrophe. Les lois sur la sécurité nationale peuvent être considérées comme faisant partie de la législation d'urgence, car elles permettent de recueillir des renseignements importants pour la prévention et la préparation aux menaces pour la sécurité. Les codes du bâtiment font partie de la législation d'urgence parce qu'ils créent ou améliorent la vulnérabilité aux catastrophes telles que les tremblements de terre. Les lois liées au zonage et à la planification sont un type de législation d'urgence parce qu'elles définissent les processus et les pouvoirs d'approbation des opérations de rétablissement après un événement extrême. La législation d'urgence est donc omniprésente. Quels sont donc les défis à relever dans le cadre d'un système fédéral? Donc, passons à la diapositive suivante.

Nous pourrions penser que si la législation d'urgence est présente partout, et que tous les ordres de gouvernement ont un rôle à jouer, c'est une excellente chose. Cela signifie qu'il y a davantage de ressources qui peuvent intervenir, davantage d'occasions de collaboration et de coopération, ce qui est une possibilité, mais malheureusement, ce n'est pas toujours comme ça que les choses se passent. Nous avons donc été confrontés à un certain nombre de défis liés aux situations d'urgence qui découlent du fédéralisme canadien. Je pense qu'en fait, ici, je vais aller de bas en haut, si vous suivez les points de la diapositive du PowerPoint. L'un des enjeux architecturaux de notre architecture constitutionnelle, pour reprendre les termes de Nomi, est que la gestion des urgences au Canada est en quelque sorte orientée par l'hypothèse d'une administration à plusieurs niveaux, dans laquelle les ordres de gouvernement supérieurs sont appelés à intervenir lorsque la capacité d'un ordre de gouvernement inférieur est dépassée. J'utilise les termes « supérieur » et « inférieur » par rapport à l'échelle géographique et non à un rang ou à une autre valeur que ces termes pourraient sous-entendre. Cela signifie que les municipalités sont en quelque sorte les premières responsables des situations d'urgence. Ce sont les gouvernements locaux qui sont sur le terrain, aux premières lignes. Et lorsque cette capacité locale est dépassée, les municipalités peuvent demander à la province ou au territoire d'intervenir et de les aider. Cela est logique d'un point de vue constitutionnel, comme je viens de l'expliquer, n'est-ce pas? Les municipalités relèvent de la responsabilité constitutionnelle des provinces. Et si la capacité de la province ou du territoire est dépassée, le gouvernement fédéral peut être appelé en renfort. Encore une fois, cela a du sens dans cette architecture constitutionnelle, surtout si l'on pense à la responsabilité résiduelle du gouvernement fédéral en matière de POBG.

En revanche, ce type d'hypothèse de responsabilités hiérarchisées pose toute une série de problèmes. Par exemple, cette hypothèse suppose une progression linéaire d'une urgence ou d'un événement extrême, ou suppose qu'un événement va commencer à petite échelle, puis se développer sur une certaine période qui permet d'augmenter le niveau d'intervention. Et ce n'est pas toujours le cas. Deuxièmement, cette architecture place en quelque sorte les municipalités qui sont aux premières lignes des situations d'urgence en quelque sorte au bas de la chaîne de commandement, ce qui signifie qu'elles dépendent des gouvernements provinciaux et territoriaux pour faire valoir leurs intérêts dans les discussions multilatérales, en particulier celles menées avec le gouvernement fédéral. Cela peut donc aussi créer des difficultés. Cette architecture favorise des querelles de compétence concernant la question des seuils de capacité, c'est-à-dire déterminer quand exactement la capacité est dépassée, n'est-ce pas? On peut donc penser à des exemples de ce type, à savoir si un autre ordre de gouvernement estime qu'il est approprié d'intervenir ou non. Cela nous amène en quelque sorte à nous concentrer sur cette question particulière, celle du seuil. Et le dernier défi que je vois, c'est que l'architecture constitutionnelle est entièrement réactive. Elle se concentre donc uniquement sur l'étape d'intervention de la gestion des urgences.

Tous ces défis se manifestent déjà dans les répercussions des changements climatiques. Des événements extrêmes, ou le fait que la capacité d'intervention est dépassée très rapidement et régulièrement. Au cours de la dernière année, j'ai remarqué que les dirigeants actuels et passés des Forces armées canadiennes (FAC) ont remis en question la fréquence à laquelle les provinces et les territoires ont fait appel aux FAC lors de catastrophes. Nous voyons donc cette dynamique se mettre en place, et je pense qu'elle nous montre vraiment les limites de ce type d'approche à plusieurs niveaux fondée sur cette architecture constitutionnelle. Je pense qu'il est possible, si je peux donner un aperçu de l'orientation de notre conversation, d'imaginer un autre type de conversation sur le fédéralisme, une conversation dans laquelle tous les ordres de gouvernement évaluent leurs capacités et leurs forces respectives, et déterminent comment les mettre à profit à toutes les étapes de la gestion des urgences. Donc, pour reprendre le dernier point de la diapositive, si nous considérons et comprenons les situations d'urgence comme une sorte de quintessence du problème de politique qui nécessite une coordination, qui nécessite ce rapprochement des pouvoirs dont Nomi a parlé, qui nécessite une coopération, l'un des défis de notre architecture constitutionnelle se trouve dans le fait qu'il n'y a rien, dans notre ordre constitutionnel, qui exige que les gouvernements provinciaux, territoriaux et fédéraux coopèrent réellement.

Nous avons donc un concept de fédéralisme coopératif développé par la Cour suprême, qui semble très prometteur, et qui l'est peut-être en effet; peut-être qu'il y a plus à dire à ce sujet. Toutefois, dans notre jurisprudence, le fédéralisme coopératif est actuellement considéré comme une sorte de métaphore ou d'outil d'interprétation de la constitution qui permet le chevauchement des pouvoirs entre les ordres provincial et fédéral, n'est-ce pas? Les provinces et le Parlement peuvent donc légiférer en matière d'urgences, d'eau ou d'évaluation environnementale. Par contre, le fait de travailler ensemble, de coopérer n'est pas une obligation constitutionnelle. Il s'agit simplement de signaler que plusieurs ordres de gouvernement peuvent se trouver dans le même espace politique en même temps. D'accord. Ma dernière diapositive, s'il vous plaît. Merci.

D'accord, alors mon dernier point est que toute conversation sur la gouvernance entre administrations au Canada doit inclure la compétence autochtone. La compétence autochtone s'inscrit donc dans le cadre du fédéralisme canadien, dans un contexte où nous sommes tous en train de composer avec les appels à l'action de la Commission de vérité et réconciliation, et que nous cherchons à mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Il y a beaucoup de choses dont je pourrais parler ici, mais je voudrais simplement souligner deux points fondamentaux et importants. L'un d'entre eux est que les peuples autochtones ont leurs propres lois et leurs propres pratiques pour affronter les menaces et les types de circonstances que le droit canadien considère comme des situations d'urgence, et que les corps dirigeants autochtones ont exercé leur compétence inhérente lorsqu'ils ont mis en œuvre ces lois et ces pratiques en relation avec les situations d'urgence. Et cette compétence inhérente est illustrée dans la Déclaration des Nations Unies, dans le concept du droit à l'autodétermination. Deuxièmement, le fédéralisme canadien a souvent pour effet d'enfermer les peuples autochtones dans des obstacles liés aux administrations qui les empêchent de mettre en œuvre leurs propres lois. Je vais donc vous donner un court exemple de ces deux points. L'année 2017 a été la première de plusieurs années consécutives où nous avons connu des feux de forêt catastrophiques et records ici, en Colombie-Britannique, et ces feux de 2017 ont traversé le territoire des Tŝilhqot'in. La province a émis des ordres d'évacuation de plus en plus étendus, qui concernaient le lac Williams et d'autres régions de l'intérieur de la Colombie-Britannique, y compris le territoire des Tŝilhqot'in.

La Gendarmerie royale du Canada (GRC) s'est rendue dans l'une des collectivités des Tŝilhqot'in et a ordonné aux habitants d'évacuer les lieux. Et le chef a dit non, vous n'avez pas d'autorité ici. La GRC lui a demandé d'approuver cet ordre d'évacuation, ce que le chef a refusé de faire. La GRC a riposté en menaçant d'appréhender les enfants de la collectivité si la loi provinciale n'était pas respectée. Le conflit a donc été évité, mais ce que la GRC n'avait pas envisagé dans ces circonstances, et ce qui s'est produit à maintes reprises au cours de l'intervention contre les feux de forêt, c'est que les premiers intervenants qui se rendaient sur place supposaient que les Tŝilhqot'in n'avaient pas de lois, de mesures ou de pratiques en place, ce qui n'était pas le cas. En effet, cette collectivité avait déjà mis en place son intervention d'urgence; elle avait déjà retiré les membres vulnérables de la collectivité, et tous les autres allaient rester sur place pour lutter contre le feu et pour protéger leurs infrastructures. Deuxièmement, cette vulnérabilité particulière créée par le fédéralisme canadien, pour vous donner un exemple similaire à ce qu'ont vécu les Tŝilhqot'in… et je suis sûre, par d'autres Premières Nations et collectivités autochtones, mais précisément pour les collectivités dans les réserves de la plupart des provinces, se trouve dans le fait que les services de gestion des urgences sont fournis par les provinces, même si les réserves relèvent de la compétence fédérale.

Et cela est dû aux négociations qui ont eu lieu entre le gouvernement fédéral et les provinces, selon lesquelles le gouvernement fédéral financera ces services aussi longtemps que la province les fournira. Ces ententes de financement bilatérales ont donc été négociées sans la participation ni le consentement des Autochtones. Il est logique que, sur le plan pratique, la province soit déjà présente géographiquement, n'est-ce pas, pour fournir ces services d'urgence. En revanche, dans la pratique, cela signifie que les gouvernements autochtones doivent souvent passer par un double processus d'autorisation. Ils doivent donc traiter à la fois avec la province et avec le gouvernement fédéral afin de soutenir l'intervention d'urgence qui est orientée par leurs propres lois. L'une des recommandations, fondée sur des appels que les Tŝilhqot'in ont lancés après les feux de 2017, était d'étendre le principe de Jordan, qui a été reconnu et mis en œuvre dans le contexte des enfants vulnérables des Premières Nations, n'est-ce pas, à savoir que les querelles de compétence doivent attendre et que la prestation de ces services de soutien et de ces services médicaux aux enfants doit avoir lieu au premier point de contact. Et il y a une justification pour que cela s'applique aussi dans le contexte d'une situation d'urgence.

Je me contenterai donc de dire que la question est de savoir comment aller de l'avant dans la mise en œuvre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones qui est, à mon avis, l'une des plus importantes occasions que nous ayons actuellement de travailler sur des questions de collaboration et de coordination à la fois très importantes, et très difficiles. Cela est d'autant plus vrai que le Canada a fait part de son intention de mettre en œuvre la Déclaration des Nations Unies au moyen d'une nouvelle loi fédérale. Alors, merci beaucoup, et j'attends avec impatience la discussion.

Maître François Daigle : D'accord. Merci à toutes les deux. C'était très intéressant. Beaucoup d'enjeux, beaucoup de questions dans l'esprit des gens. Je pense que je vais peut-être commencer par reprendre le dernier point sur la compétence autochtone. Je ne sais pas si vous pouvez en parler, Jocelyn, mais y a-t-il actuellement des travaux en cours avec les gouvernements autochtones de partout au pays pour régler cette question, de sorte que nous ne soyons pas coincés à essayer d'appliquer le principe de Jordan au milieu d'une situation d'urgence, mais que nous nous en occupions plutôt dans une perspective de prévention? Je suis également préoccupé par le fait que toutes les collectivités autochtones n'ont pas nécessairement la même capacité à mettre en place un processus ou à appliquer leurs propres lois et coutumes. Certaines d'entre elles dépendent des gouvernements provinciaux, d'autres s'adressent d'abord à Services aux Autochtones Canada pour dire qu'il y a un feu et pour demander ce qu'il faut faire. J'essaie donc de me faire une idée de l'état d'avancement des efforts déployés dans le pays pour intégrer les administrations autochtones dans notre type d'architecture d'urgence?

Jocelyn Stacey : C'est une excellente question. Merci beaucoup, François. Mon expérience se situe principalement ici, en Colombie-Britannique, et je peux donc vous donner quelques exemples. À une échelle plus large cependant, après avoir travaillé avec les Tŝilhqot'in pendant la période des feux de forêt puis pendant la pandémie de COVID, je veux dire que mon impression est qu'il y a eu des développements positifs pendant la pandémie. Il y a donc eu un certain nombre de financements, de sources de financement qui ont été mises à disposition par Services aux Autochtones Canada et qui étaient beaucoup plus ouvertes, n'est-ce pas? Par exemple, nous allons vous financer, vous utilisez ces fonds pour gérer vos priorités, n'est-ce pas? L'une des difficultés rencontrées dans le cadre de ces ententes bilatérales est que, lorsque l'argent est acheminé par la province dans le cadre d'une entente, la province veut l'intégrer, c'est-à-dire intégrer toutes les dépenses admissibles dans le cadre qu'elle comprend, n'est-ce pas? Il se peut donc que les priorités de la province et sa façon d'envisager les interventions d'urgence ne correspondent pas aux priorités des collectivités des Premières Nations. Je pense donc que des leçons positives ont été tirées de l'expérience de la COVID pour s'assurer que l'argent soit bien acheminé aux collectivités sur le terrain. Et j'espère que cela va continuer.

Je peux parler un peu de la nouvelle loi de la Colombie-Britannique, car l'un des grands défis est absolument le fait que les collectivités autochtones auront des capacités, des priorités ou des intérêts différents pour assumer des niveaux de leadership et de responsabilité en ce qui concerne les urgences. Les collectivités autochtones sont à différentes étapes de la revitalisation de leurs propres lois et processus de gouvernance après les pensionnats, et après toute une série de répercussions du colonialisme. Je suis heureuse que vous ayez soulevé cette question en premier, car je pense qu'il est important de souligner que les collectivités autochtones sont parmi les plus vulnérables aux situations d'urgence, précisément en raison des conséquences passées et présentes du colonialisme, n'est-ce pas? C'est donc un endroit où l'on peut vraiment voir une sorte d'origine sociale de ces vulnérabilités, par opposition à un événement extérieur. Ce qui a donc été important dans les conversations qui ont eu lieu ici en Colombie-Britannique, c'est qu'il existe différents moyens, ou différents mécanismes qui sont sur la table, pour ainsi dire, auxquels les corps dirigeants autochtones peuvent choisir de participer, à mesure qu'ils atteignent différentes étapes ou qu'ils reflètent leurs propres priorités en ce qui concerne la gestion des urgences. Certains de ces outils, qui existent désormais dans la loi provinciale, concernent des ententes potentiellement très larges, qui peuvent être conclues entre un corps dirigeant autochtone et la province en vue d'exercer des pouvoirs conjointement, pour participer conjointement à des mesures d'atténuation.

Il s'agit donc d'ententes sur la prise de décision conjointe ou d'ententes partagées. Il y a d'autres ententes qui peuvent être conclues et qui ne concernent que l'intervention et le rétablissement à la suite d'une situation d'urgence. Elles visent à définir la manière dont la province exercera son autorité afin de permettre l'application des lois et du leadership autochtones, n'est-ce pas? Grâce à ces ententes, la province peut donc, en principe, convenir que dans cette région, nous veillerons à ne pas envoyer d'équipes de lutte contre les feux de forêt parce qu'il s'agit d'un site d'importance culturelle pour vous, nous le reconnaissons, et nous coordonnons notre intervention avec vous en reconnaissant qu'il y a des lois et des pratiques qui régissent cet espace. C'est donc un processus qui se poursuit. Par ailleurs, il s'agit d'une étape très préliminaire en Colombie Britannique, mais on peut penser, en quelque sorte, que l'une des interventions a été de mettre en place différents types de mécanismes qui peuvent être utilisés en fonction des priorités des collectivités autochtones. En ce qui concerne la prévention et l'atténuation, je pense qu'il est très important de s'assurer que les collectivités autochtones participent à ces discussions, n'est-ce pas? La Déclaration des Nations Unies mentionne à plusieurs reprises, à juste titre, la nécessité de consulter les peuples autochtones et de coopérer avec eux sur les questions qui touchent à leurs intérêts. Il est donc très important, n'est-ce pas, de les intégrer aux activités de prévention et d'atténuation, ainsi qu'à toutes les pratiques de gouvernance préalables à la situation d'urgence.

Nomi Claire Lazar : Si je pouvais juste… si je pouvais juste intervenir très rapidement?

Maître François Daigle : Allez-y.

Nomi Claire Lazar : Ce que Jocelyn vient de dire à propos de la consultation en tant que pratique préalable à la situation d'urgence, je pense que les gens réagissent parfois à cette notion d'obligation de consulter pendant la situation d'urgence en disant : « Eh bien, vous savez, c'est une urgence. Il n'y a pas de temps pour ça. » Cette notion d'urgence n'est toutefois pas simplement quelque chose… les choses sont en quelque sorte normales, et puis quelque chose se produit, nous nous retrouvons dans une situation extrême, elle se résout, et nous revenons à la normale. Ce n'est pas de cette manière que fonctionnent les situations d'urgence. Comme l'a décrit Jocelyn, l'urgence est donc, en quelque sorte, une chose constante que nous essayons de prévenir, à laquelle nous nous préparons. Il peut y avoir une phase aiguë, puis nous passons à une réflexion sur ce qui s'est passé, puis au rétablissement. Une fois que nous comprenons que la temporalité de l'urgence est continue, il ne s'agit plus d'une question de consultation. La pression de la consultation pendant ce moment d'urgence grave est donc allégée, en quelque sorte, parce que ces conversations ont déjà eu lieu, parce que ces relations ont déjà été développées pendant les étapes moins graves de l'urgence, et cela permet une prise de décision au moment, au moment où les choses sont graves, et qui sera davantage axée sur la consultation et sur la collaboration, etc.

Maître François Daigle : Peut-être que nous pouvons continuer à parler un peu de préparation et de prévention, mais je me demande, et peut-être que vous avez une certaine expérience, une certaine connaissance de ce sujet, mais avons nous nécessairement besoin d'un seul modèle? Parce que nous avons parlé de l'architecture de la préparation et de l'intervention en matière d'urgences partout au pays, mais en faisant participer les municipalités et les gouvernements autochtones, allons nous finir par devoir gérer, du point de vue du gouvernement fédéral, mais peut-être 40 ou 50 types de modèles différents pour l'intervention plutôt que un, ou deux ou trois? Est-ce que cela devient un défi en soi, ou est-ce que c'est quelque chose que l'on peut facilement résoudre?

Nomi Claire Lazar : Je pense que dans les conversations, et je vais passer la parole à Jocelyn dans une seconde, elle voudra peut-être faire le suivi de cette question, mais dans les conversations que nous avons eues, ce que nous aimerions voir, c'est le contraire. Nous voyons donc toutes sortes d'espaces dans lesquels les choses fonctionnent plutôt bien, et certains de ces espaces se situent plutôt dans le domaine des catastrophes naturelles, où des mécanismes sont en place, tandis que dans d'autres domaines, il ne semble pas y avoir de prise de conscience de la continuité. Il ne semble donc pas y avoir d'approche « tous risques ». Je vais maintenant laisser la parole à Jocelyn, car elle a, je pense, une façon concise de décrire cela.

Jocelyn Stacey : Eh bien. Aujourd'hui, je ne sais même plus ce qu'est cette description concise. Si elle ne me vient pas, vous devrez intervenir et me sauver, Nomi. Je veux dire, je suppose que j'y réfléchis du point de vue de la subsidiarité, qui est le principe selon lequel nous voulons que le gouvernement qui est le plus proche et le plus responsable des citoyens, traite des problèmes de politiques qui sont en quelque sorte dans le domaine de la capacité à s'occuper de ces problèmes, n'est-ce pas? Je pense donc que c'est vrai dans le contexte de l'urgence. Nous voulons vraiment réfléchir à la manière de donner aux collectivités locales les moyens de réduire les risques de catastrophes, de travailler avec les gens sur le terrain, de réduire les sources de vulnérabilité sociale. Je peux donc comprendre, d'un point de vue fédéral, que l'idée d'un grand nombre de modèles puisse sembler difficile à gérer, mais je pense que c'est ce que nous voulons faire. Nous voulons en quelque sorte avoir un pays florissant, avec de nombreux modèles différents. Et c'est censé être l'une des forces du fédéralisme, n'est-ce pas, que d'avoir ces sortes de laboratoires locaux qui peuvent s'adapter à leur contexte local, n'est-ce pas? Ensuite, nous pourrons apprendre les uns des autres, et déterminer comment chacun peut être plus résilient face aux changements climatiques, aux catastrophes ou à d'autres problèmes. Je pense donc qu'il est très important d'essayer de trouver des mécanismes d'apprentissage, de mise en commun et de coordination, car je pense qu'en fin de compte, nous voulons que les collectivités locales soient habilitées. Il n'y avait rien de concis là-dedans, alors allez-y, Nomi.

Nomi Claire Lazar : Je veux juste souligner qu'au fur et à mesure que nous menons ces expériences, cela devient moins compliqué si nous trouvons ces modèles de collaboration et de communication qui peuvent être proposés en matière de communication entre les administrations, etc. Excusez-moi, François, je crois que vous alliez intervenir?

Maître François Daigle : Non, c'est bon. Merci. C'est beaucoup plus positif que je ne le pensais. Bien. Alors, peut-être quelque chose d'un peu plus proche de chez nous. Dans son rapport, le commissaire Rouleau a qualifié l'intervention fédérale par rapport au Convoi de la liberté d'échec du fédéralisme. Et peut-être, pour tous ceux qui nous regardent, vous le savez probablement, mais le commissaire Rouleau, Paul Rouleau de la Cour de l'Ontario, a dit en substance que le gouvernement était raisonnable. Il était raisonnable pour le gouvernement de déclarer une urgence nationale après avoir entendu un certain nombre de témoins en 2023. La semaine dernière, la Cour fédérale a rendu une décision dans un procès intenté par quatre parties impliquées dans le Convoi et a estimé que le gouvernement n'avait pas été raisonnable en déclarant l'état d'urgence parce qu'il n'y avait pas d'urgence nationale, et qu'il ne voyait pas qu'il s'agissait d'un événement qui se déroulait à Ottawa. Le gouvernement a déjà annoncé qu'il allait faire appel de cette décision auprès de la Cour fédérale. Par contre, je ne veux pas débattre de la question de savoir si M. Rouleau ou si le juge Mosley avait raison. Nous verrons ce que la Cour d'appel fédérale en fera. Toutefois, en ce qui concerne l'échec du fédéralisme, je ne sais pas si vous avez un avis sur la question; si c'est le cas, qu'est-ce que cela signifie pour la gestion de situations d'urgence plus complexes, par exemple pour les problèmes liés aux changements climatiques, qui pourraient facilement traverser les frontières provinciales?

Jocelyn Stacey : Oui. Je vais répondre en premier à cette question, pourquoi pas? En ce qui concerne l'échec du fédéralisme, je pense qu'il est juste de dire que personne n'est sorti, qu'aucun gouvernement n'est sorti du Convoi de la liberté en faisant bonne figure, n'est-ce pas? Il y a beaucoup de choses qui auraient pu être faites différemment, et j'espère qu'il y a beaucoup d'apprentissages en cours. Le commissaire Rouleau a utilisé cette expression, échec du fédéralisme, qui lui avait été, je crois, proposée par la spécialiste en sécurité nationale Leah West, et il a utilisé cette expression pour décrire le manque de collaboration gouvernementale qui a caractérisé, au moins au début, l'intervention en réponse à la présence du Convoi à Ottawa. Il parlait donc de l'absence du premier ministre Doug Ford dans les discussions politiques, les discussions sur le leadership qui auraient dû être des discussions trilatérales, n'est-ce pas? Donc, fédéral, provincial et municipal. Cela illustre donc l'approche par paliers et les défis qui peuvent en découler, que j'ai mentionnés plus tôt. Nous avions donc une municipalité, la ville d'Ottawa, qui essayait d'affronter un ensemble de circonstances, et la municipalité relève de la compétence provinciale, et n'avait pas, en quelque sorte, cet ordre de gouvernement mobilisé dans ces hautes sphères, au niveau du leadership politique. Le commissaire Rouleau a donc dit à quel point il était regrettable que le premier ministre Ford ne se soit manifesté que tardivement, lorsque le pont Ambassador est devenu un enjeu. Je pense donc que cela reflète un échec du fédéralisme, n'est-ce pas?

Nous avons un ensemble de questions qui relèvent clairement de la responsabilité provinciale, et qui suscitent des discussions sur l'utilisation des pouvoirs d'urgence spéciaux, et sur l'absence de leadership à tous les niveaux d'administration, à tous les ordres de gouvernement, qui sont responsables de cela. Le fait qu'ils ne soient pas tous mobilisés et qu'ils ne travaillent pas ensemble montre, je pense, l'échec du fédéralisme. Et puis, je pense que l'autre chose qui ressort de cette partie du raisonnement du commissaire Rouleau, c'est que cet échec du fédéralisme a été en quelque sorte aggravé sous ses propres yeux, n'est-ce pas? En effet, il avait reçu un mandat du gouvernement fédéral, en vertu des lois fédérales, mais il s'agissait manifestement d'un événement qui touchait plusieurs administrations, et le premier ministre et la solliciteure générale de l'époque ne se sont pas présentés devant la Commission, et n'ont pas témoigné. Je pense donc que le commissaire Rouleau a également exprimé sa frustration, car même dans son rôle visant à tenter de regarder vers l'arrière, comme l'a dit Nomi, afin de regarder vers l'avant et de comprendre comment nous pouvons faire mieux la prochaine fois, il a été empêché de faire son propre travail parce qu'il ne disposait pas de tous les renseignements qu'il aurait pu avoir. Je pense que l'un des défis que nous avons vus émerger est que cela s'est traduit par une sorte d'échec du fédéralisme, mais si nous examinons la Loi sur les mesures d'urgence elle-même, elle est clairement fondée sur l'hypothèse d'un fédéralisme fonctionnel, n'est-ce pas?

Elle ne repose donc pas sur l'hypothèse que le gouvernement fédéral va s'arroger des pouvoirs qui relèvent normalement de la compétence des provinces. Au contraire, le gouvernement fédéral ne peut entreprendre une intervention d'urgence ou invoquer des mesures d'intervention d'urgence que dans sa sphère de compétence, donc en cas de guerre ou d'urgence internationale, ou il peut ajouter des mesures d'urgence pour compléter une intervention provinciale existante, sous certaines conditions. L'une de ces conditions est donc que les circonstances aient dépassé la capacité ou l'autorité d'une province pour y faire face. La loi semble donc supposer que la province a fait tout ce qu'elle pouvait pour remédier à la situation, et que cela n'est toujours pas suffisant. Par conséquent, le gouvernement fédéral va intervenir et apporter son aide dans le cadre d'une intervention d'urgence au titre de la Loi sur les mesures d'urgence. Il s'agit donc, une fois de plus, d'une intervention échelonnée d'une sorte de fédéralisme fonctionnel, et nous n'avons pas vu cela se produire de manière aussi nette et ordonnée avec le Convoi de la liberté. Nomi, voulez-vous nous parler de ce que cela laisse présager pour des situations plus complexes?

Nomi Claire Lazar : Oui. Je pense donc qu'il est évident que les dirigeants de différentes administrations auront des intérêts politiques différents, et que chaque fois que des dirigeants, qu'il s'agisse de chefs d'État au niveau international, de chefs de province ou de chefs d'État au niveau fédéral, ils auront toujours des publics multiples. Un premier ministre a donc son électorat comme public, ainsi que le public du gouvernement fédéral. L'hypothèse selon laquelle tout le monde va jouer le jeu suppose donc que la politique n'entre pas en ligne de compte. Et parfois, c'est le cas. Les gens ont donc tendance à se rassembler lorsqu'une situation d'urgence vient de survenir, surtout s'il s'agit d'une catastrophe naturelle.

Les gens ont donc tendance à devenir très coopératifs, du moins temporairement. En revanche, la situation du convoi a montré que la structure, l'architecture, dépend en quelque sorte de ce type d'approche coopérative. Nous devons toutefois anticiper, sur le plan du climat, que les situations d'urgence vont devenir beaucoup plus complexes. Il est donc déjà vrai que les urgences n'ont pas tendance à rester à leur place. Même si nous pensons à la COVID, nous avons une situation de santé publique, qui crée une situation économique, qui crée une situation politique. Et à l'ère des changements climatiques, nous pouvons nous attendre à ce que ce phénomène soit exacerbé. Si nous pensons aux catastrophes naturelles, elles peuvent également créer de terribles problèmes sur le plan de l'économie, même pour des choses aussi simples que la possibilité, pour les gens, d'accéder à leur argent conservé à la banque. Les catastrophes naturelles peuvent aussi provoquer des épidémies. Nous pouvons parler de tout cela en générant également des troubles politiques. Nous avons donc vu, par exemple l'été dernier, comment une simple demande pour reloger des personnes peut devenir extrêmement politisée et donner lieu à des réactions défavorables sur le plan politique.

Par ailleurs, à l'ère des changements climatiques, nous ne pouvons même plus supposer qu'une catastrophe naturelle sera apolitique et qu'elle entraînera le niveau de coopération entre les administrations que nous voudrions… que nous voudrions voir. Il s'agit donc d'un véritable problème, car nous disposons d'une structure qui repose en quelque sorte sur l'hypothèse d'une collaboration, d'une coopération et d'une bonne entente. Et le Canada n'a pas vraiment de mécanismes pour affronter cela. Une chose qui m'est venue à l'esprit, c'est qu'il s'agit d'un bon rôle pour les fonctionnaires. Je veux dire, ce n'est pas suffisant, mais c'est déjà ça. Lorsque nous avons cette stabilité de la fonction publique entre les administrations, qui peut créer des voies de communication et de mobilisation, cela peut aider à atténuer les tensions entre les administrations, si ces tensions deviennent vraiment extrêmes à un moment donné dans l'avenir. Il s'agit pourtant, sans aucun doute, d'une faiblesse du cadre d'urgence canadien.

Maître François Daigle : Et peut-être pour compliquer encore un peu plus le problème, que se passe-t-il si les provinces et le gouvernement fédéral, une administration ou une autre, ne sont pas d'accord sur la question de savoir s'il s'agit ou non d'une situation d'urgence? Ou pire encore, si le gouvernement fédéral estime que les mesures d'une province ou d'une administration constituent une situation d'urgence?

Nomi Claire Lazar : Exactement.

Maître François Daigle : Comment le fédéralisme est-il mobilisé, et comment composons-nous avec cette situation? Comment composons-nous avec ces conflits?

Nomi Claire Lazar : Eh bien, le fait que le Canada, que presque tous les autres grands gouvernements fédéraux ont anticipé cette question et que nous ne l'avons pas fait, je pense que c'est une chose à laquelle nous devrions réfléchir. L'une des conséquences de notre fédéralisme poli, de notre hypothèse d'un fédéralisme coopératif, du moins en théorie, est qu'il n'est peut-être même pas possible de soulever la question.

Maître François Daigle : C'est toutefois une valeur canadienne fondamentale, la politesse. Nous sommes toujours polis, donc… mais si nous pouvons mettre cela de côté, comment gérons-nous le conflit?

Nomi Claire Lazar : Jocelyn, j'espère que vous saviez comment résoudre ce problème, parce que moi, je ne le sais pas.

Jocelyn Stacey : Oui, je pense que c'est très difficile, c'est une question très difficile. Je veux dire par là que mon instinct me pousse à ne plus penser à la situation d'urgence comme à un événement isolé et temporaire, et à me demander comment nous allons faire lorsque tout ira mal, mais plutôt à revenir en arrière et à envisager tout le travail qui peut être fait avant l'inévitable événement extrême pour atténuer les risques, n'est-ce pas? Et donc, c'est vrai. Je pense que les propos de Nomi sont justes. Je pense que l'ère des changements climatiques, au lieu de rendre les choses moins politiques parce que nous sommes tous dans le même bateau, risque des les rendre hyperpolitiques. Donc, si nous pouvons essayer de mettre de la distance avec ces événements extrêmes et d'essayer d'établir une collaboration en atténuant les risques d'une manière qui n'entre pas dans ces tensions politiques, nous nous en porterons tous mieux, n'est-ce pas?

Par contre, je pense qu'il est important d'anticiper les conflits. Je pense qu'il existe un espace constitutionnel, en théorie, pour que le gouvernement fédéral joue un rôle plus affirmé. La question de savoir si cela reflète le cadre de notre politique constitutionnelle ou si cela est possible dans ce cadre est une autre question. Je vais simplement dire que ces dynamiques se manifestent entre l'État canadien et les peuples autochtones où nous avons ces conflits extrêmes. Cela fait des décennies et des décennies que les collectivités des Premières Nations sont confrontées à une crise de l'eau potable et qu'elles déclarent des situations d'urgence, n'est-ce pas? Autre exemple : les crises de suicide chez les jeunes qui ont été déclarées comme des urgences, et qui ne sont pas traitées comme telles par les partenaires provinciaux, territoriaux et fédéraux. Il ne s'agit donc pas d'une question purement théorique, n'est-ce pas? Ces dynamiques sont déjà à l'œuvre, et je ne sais pas si nous les gérons très bien.

Nomi Claire Lazar : J'ajouterai quelques bonnes nouvelles.

Maître François Daigle : Allez-y.

Nomi Claire Lazar : Si elles sont bonnes, juste pour rendre la situation un peu moins déprimante. J'ai mentionné dans ma présentation qu'il y a aussi tout ce qui est non officiel, tous ces aspects non officiels de l'architecture. Je me souviens que lorsque j'ai commencé à étudier les états d'urgence, je me suis rendu compte qu'il y avait tout le temps des états d'urgence au Canada. Je discutais avec l'ancienne mairesse de Winnipeg, qui avait géré la ville lors de l'une des grandes inondations, et je lui ai dit qu'il était en quelque sorte choquant de voir tout ce pouvoir, oui, qui était à votre disposition, sans presque aucune obligation de rendre des comptes. Et je lui ai dit que cela peut sembler une question stupide, mais ce n'est pas le cas. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? Qu'est-ce qui a fait que vous n'avez pas abusé de ces pouvoirs, que vous avez travaillé en collaboration? Elle a ri et m'a dit que cela ne lui avait jamais traversé l'esprit, d'enfermer ses adversaires ou quoi que ce soit d'autre. Et il s'agit de culture politique, n'est-ce pas? Il s'agit d'une partie de cette architecture qui n'est pas officielle. Il s'agit de cet engagement collectif en faveur du « projet de l'État de droit », qui doit être cultivé non seulement au moyen de lois ou de la modification du cadre juridique noir sur blanc dans lequel nous fonctionnons, mais aussi par la façon dont nous concevons le leadership, dont nous l'enseignons à nos enfants, et dont nous choisissons nos dirigeants.

Je dis à mes étudiants que l'une des choses auxquelles ils doivent penser lorsqu'ils élisent quelqu'un est de savoir si c'est une personne en qui ils auraient confiance pour les gérer pendant une situation de crise. En centralisant ces valeurs, et lorsque les gens viennent à la table, en se concentrant sur ces valeurs, cela ne nous permet pas de faire tout le chemin à coup sûr, mais peut-être d'en faire une partie. Je pense donc que la leçon à retenir est la suivante : oui, nous devons nous concentrer sur ce qui manque dans l'architecture officielle, mais nous ne devons pas perdre de vue ces aspects non officiels de l'architecture et le rôle essentiel qu'ils jouent, en particulier dans les crises où les situations ne sont pas ordonnées, et où des problèmes complexes peuvent surgir alors qu'ils étaient restés sous la surface auparavant.

Maître François Daigle : Vous pourriez donc nous dire où se situent, selon vous, les lacunes de nos cadres législatifs, non seulement à l'échelon fédéral, mais aussi aux échelons provincial, municipal et autochtone, dans la mesure où ils ont été définis. Nous avons parlé d'une évidence, à savoir que notre loi fédérale ne nous permet pas de le faire, même si je pense qu'il y a la possibilité constitutionnelle de prendre en charge certains domaines provinciaux. Nous devrions travailler en dehors de la Loi sur les mesures d'urgence et, je pense, élaborer une nouvelle loi pour ce faire. Au-delà de l'aspect législatif, au-delà de l'aspect normatif, juste sur le plan de l'espace de travail, de l'espace politique pour cela… et je pense que Jocelyn, votre réflexe d'aller du côté de la prévention est le bon, parce que c'est là que ces conversations doivent avoir lieu. Cependant, je ne sais pas si vous avez d'autres réflexions sur certaines des lacunes qui devraient nous préoccuper, et sur ce que nous pouvons faire pour y remédier.

Nomi Claire Lazar : Voulez-vous que je le fasse?

Jocelyn Stacey : Oui.

Nomi Claire Lazar : Voulez-vous prendre le provincial et… d'accord.

Jocelyn Stacey : Bien sûr, oui. Je pense donc que vous avez déjà abordé certaines de ces grandes lacunes, François. Je pense donc que l'une des plus grandes lacunes est que la plupart de nos mesures législatives d'urgence sont réactives et non proactives. Nous ne disposons donc pas de cadres législatifs solides qui nous permettraient de mettre en œuvre le Cadre d'action de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe. La Colombie-Britannique est la seule administration au Canada, du moins la seule administration régie par la common law, je ne connais pas aussi bien le Québec, qui a tenté de mettre en œuvre Sendai, mais il s'agit encore d'une première étape. Ce que cela signifie, ce à quoi cela ressemble dans la loi, c'est qu'un aspect important de la loi consiste à définir les relations entre les différentes parties, entre les différents gouvernements, entre les différents acteurs qui sont essentiels dans le contexte d'une situation d'urgence. Je pense donc qu'il est très utile d'examiner la nouvelle loi de la Colombie-Britannique comme un moyen d'orienter la conversation vers une approche plus proactive et moins réactive. L'obligation de rendre compte est un autre élément essentiel qui manque dans toutes les lois provinciales et territoriales. Aucune loi provinciale ou territoriale ne comporte tous les niveaux de responsabilité que nous voyons dans la Loi sur les mesures d'urgence fédérale. Lorsque nous nous concentrons sur l'utilisation de ces pouvoirs spéciaux, il s'agit donc d'une pièce manquante importante aux échelons provincial et territorial. Je pense que cela a des répercussions importantes pour le fédéralisme, car cela signifie essentiellement que le gouvernement fédéral applique des règles différentes de celles des provinces et des territoires, n'est-ce pas? Ces mécanismes de responsabilité sont vraiment importants pour inciter les gouvernements provinciaux et territoriaux à faire mieux la prochaine fois. Je pense donc que la mise en place d'un plus grand nombre de ces mécanismes de responsabilité aurait une incidence positive sur le plan du fédéralisme. Nomi?

Maître François Daigle : D'accord. Nomi, peut-être très rapidement, parce que nous sommes en train de conclure.

Nomi Claire Lazar : Oui. Et comme ces textes législatifs provinciaux ne comportent pas ces aspects de reddition de comptes, nous devrions prévoir qu'il pourrait y avoir un moment où, lorsque nous disons qu'une mesure provinciale est une urgence, il y a tellement de possibilités de débordements potentiels, et c'est une bonne chose que des contraintes non officielles aient permis de contrôler cela jusqu'à présent. Par contre, nous ne savons pas ce qui se passera dans 10 ans. À l'échelon fédéral, la Loi sur les mesures d'urgence exige déjà de rendre beaucoup de comptes, mais nous avons déterminé quelques domaines dans lesquels elle pourrait être renforcée, et nous avons publié une édition spéciale du journal que je me contenterai d'évoquer ici. Dans le numéro 46 du Manitoba Law Journal, nous avons proposé, avec un certain nombre de constitutionnalistes et d'autres spécialistes du Canada, une série de solutions rapides dans certains cas, plus substantielles dans d'autres, qui renforcent la Loi sur les mesures d'urgence pour l'avenir et traitent également de certaines questions liées au fédéralisme. Je m'en tiendrai donc là.

Maître François Daigle : Très bien. D'accord. Je vous remercie beaucoup, toutes les deux. Cela a été une excellente vue d'ensemble de certaines des questions délicates liées à la préparation et à l'intervention d'urgence, notamment le fait que nous ne faisons pas assez de prévention, et que nous laissons le rétablissement pour la fin. Je vous remercie donc toutes les deux pour cela. J'espère que tout le monde a aimé notre discussion d'aujourd'hui. Je pense qu'il y a encore un événement dans notre série sur le fédéralisme, qui sera consacré aux fédérations dans le monde, et qui aura lieu le 22 avril 2024. J'invite donc les personnes intéressées à visiter le site Web de l'École pour s'y inscrire. Encore une fois, merci à vous deux, merci à tous d'avoir participé, et bonne journée.

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