Transcription
Transcription : Une réponse aux questions de Rex Murphy sur le racisme au Canada de la part du sous-ministre Daniel Quan-Watson
Dans une récente chronique, Rex Murphy pose d'importantes questions au sujet du racisme au Canada. Entre autres, il demande « Dans quelle mesure le racisme et la discrimination font-ils réellement partie de la réalité canadienne? Sont-ils extrêmement présents? Sont-ils un élément central de la vie canadienne? Il semblerait qu'il s'agisse des questions rhétoriques auxquelles la réponse est « Non ».
Il conclut que « Pour toute personne de bonne foi, le Canada est un pays mûr, accueillant, ouvert d'esprit et généreux » et qu'il « a fait de son mieux pour être tolérant et accueillant ».
L'expérience de vie de M. Murphy semble l'avoir amené à conclure, après avoir eu une occasion remarquable de connaître et de voir le Canada et les Canadiens d'un océan à l'autre, que le racisme n'est qu'un phénomène individuel et exceptionnel dans ce pays. Je suis vraiment heureux qu'il ne se soit jamais senti victime de racisme dans sa vie. Personne ne devrait jamais ressentir cela.
Cependant, je prendrai ses questions au pied de la lettre, parce que l'essence même de la compréhension du racisme (ou du sexisme, ou d'autres préjugés) est de comprendre si les personnes d'autres origines vivent ou non une expérience différente. Les points de vue que je présente aujourd'hui découlent de mon expérience directe et personnelle sur une période de plus de 50 ans. Je ne parle pas au nom d'autres personnes et certainement pas au nom de tout le pays. Le mieux que je peux faire est de raconter une partie de mon histoire.
Pour commencer, je suis né au Canada, j'ai seulement vécu ici et ne vivrai qu'ici. J'ai vécu dans cinq provinces et un territoire. J'ai visité chaque province et territoire du pays, de la pointe nord de l'île d'Ellesmere jusqu'à la pointe Pelée et de la frontière entre le Yukon et l'Alaska jusqu'au cap Spear. Vous auriez du mal à dire si le français ou l'anglais est ma langue maternelle. Je suis sous-ministre au sein du gouvernement du Canada depuis plus d'une décennie, ce qui signifie que j'ai bénéficié de l'une des plus grandes possibilités qu'un Canadien puisse avoir pour aider à façonner la vie et l'avenir de ce pays. J'ai eu le privilège de diriger des institutions nationales qui nous sont chères, de rédiger des lois qui façonneront notre pays pendant des générations et de contribuer à résoudre des problèmes qui nous touchent tous.
Très peu de Canadiens ont reçu plus d'appui, de possibilités, d'encouragement et d'acceptation de la part du Canada et des Canadiens que moi. J'ai accès aux plus hautes fonctions du pays au sein du gouvernement, de l'industrie, du milieu universitaire et du secteur sans but lucratif. J'ai plus de privilèges que tous les autres Canadiens, sauf un très petit nombre, peu importe leur race. Par conséquent, pendant une grande partie de ma vie, j'ai eu plus de marge de manoeuvre et d'accès au pouvoir pour répondre aux problèmes que la plupart des Canadiens, sauf un petit nombre.
Cependant, ce n'est pas toute mon histoire.
Je suis d'origine chinoise canadienne d'un côté de ma famille biologique et de l'autre, Polonaise et Irlandaise. Il est généralement évident pour la plupart des gens qui me rencontrent pour la première fois que je suis de descendance asiatique. J'ai été adopté et élevé avec amour par les descendants d'immigrants écossais et anglais dont les ancêtres sont arrivés au Canada il y a plus d'un siècle.
En ce qui concerne la prévalence du racisme, il convient de souligner que même la victime qui prend soigneusement la peine de noter tous les cas de racisme qui lui sont arrivés (je n'en ai jamais rencontré une) ne saura jamais vraiment combien de fois elle a été touchée.
Beaucoup de gens ont tendance à penser que le racisme est une manifestation évidente et spectaculaire, comme le fait de brûler une croix ou de crier une insulte fondée sur la race. Le racisme, cependant, est comme un iceberg pour un navire voyageant la nuit. Vous ne le voyez peut-être pas lorsque vous voyagez, mais si vous le voyez, la partie visible n'est que le plus petit pourcentage du danger auquel vous faites face. Pour cette raison, il arrive que vous ne le remarquiez pas à ce moment-là. Vous vous rendez compte plus tard qu'une entaille s'est produite sous la ligne de flottaison que vous devez gérer. Les cas faciles à repérer sont ceux où vous remarquez le racisme de plein fouet et c'est spectaculaire et tout le monde peut le voir. Par conséquent, il n'y aura jamais un décompte parfait des cas de racisme. La liste suivante n'est qu'un petit échantillon de choses qui me sont arrivées et qui, je crois, étaient fondées sur la race. Pour vous donner un ordre de grandeur, je dirais qu'à la mi-cinquantaine, j'aurai fait face à quelque chose comme 10 000 injures, insultes, décisions ou gestes fondés sur la race au cours de ma vie. Il se pourrait que je me trompe peut-être de quelques milliers dans les deux sens, mais pas beaucoup. De nombreuses fois dans ma jeunesse, lorsque les jeunes n'avaient pas encore appris que le fait d'être ouvertement raciste pouvait leur causer des ennuis, 10, 20 incidents ou plus n'auraient pas été inhabituels. Si vous ne pouvez pas sortir de votre propre vestiaire au hockey mineur sans faire face à de multiples insultes, et en plus lorsque l'autre équipe intervient, le nombre augmente rapidement. Un groupe d'enfants intimidateurs peut accomplir beaucoup lorsqu'ils se liguent contre un autre. L'école secondaire, l'université, la carrière et la vie quotidienne ont vu ces tendances continuer. Certains des incidents énumérés ci-dessous sont très, très récents.
Si vous avez l'impression que cela ne peut pas être la vérité ou qu'il y a une certaine exagération, je vous suggère de demander à une personne de couleur que vous connaissez et en qui vous avez confiance d'être honnête avec vous si cette liste leur rappelle leur expérience. Si ce n'est pas le cas, très bien, cela signifie que je suis peut-être le seul. Si cela a un effet, cela signifie que nous avons probablement du travail à faire. Cela dit aussi quelque chose de très important, s'il n'y a pas de personne de couleur dans votre vie avec qui vous vous sentiriez à l'aise de poser cette question. Surtout si vous êtes sceptique ou si vous avez déjà conclu que je dois me tromper.
Je n'ai pas passé ma vie à dresser une liste de blessures. Jusqu'à ce que je lise cette question, je n'avais même jamais pensé à essayer de leur donner un nombre. Ce n'est pas exactement quelque chose dont j'ai envie de me souvenir, encore moins de discuter ou de partager. Il s'agit en fait des moments les plus douloureux de ma vie. Cependant, si la question porte sur la prévalence et la centralité de ces expériences dans la vie des Canadiens, je les pose ici. Peut-être que de cette façon, ces blessures auront un meilleur but que je n'aurais jamais imaginé et un but infiniment meilleur que ce que leurs auteurs auraient voulu ou prévu.
En guise d'introduction, voici un échantillon d'événements que j'ai vécus :
- On m'a appelé Chintoke plusieurs milliers de fois. À l'école primaire, c'était plusieurs fois par jour. Non seulement par des étudiants, mais parfois par des adultes. Les plaintes adressées aux enseignants n'étaient pas les bienvenues et se sont simplement soldées par une nouvelle agression à la sortie de l'école.
- J'ai dû me battre pour rentrer chez moi, à partir de l'âge de 6 ou 7 ans, après quoi j'ai été suivi par des enfants plus âgés (habituellement des étrangers et parfois des adolescents) qui m'ont suivi, qui m'ont appelé Chintoke, et qui ont essayé de me battre ou qui l'ont fait. La fréquence a chuté au fil des ans, mais ça s'est passé de temps en temps à l'école secondaire et même une fois à l'université. Ce serait au moins des centaines de fois.
- Quand j'avais 10 ans, deux employés d'une entreprise de livraison ont intimidé un troisième employé adulte, mais plus jeune, pour me suivre dans la ruelle et m'agresser, tous les trois criant des insultes raciales et se moquant de mes yeux. Je me souviens du nom de cette entreprise et je refuse de faire affaire avec elle jusqu'à ce jour. Je ne me suis pas donné la peine de le signaler à quiconque quand j'avais 10 ans parce que j'avais appris bien avant que rien ne serait fait.
- À l'école primaire, j'ai essayé de comprendre avec mon jeune frère qui est d'ascendance Anishinabe pourquoi tout le monde se moquait de lui lorsque son enseignant suppléant a dit à la classe : « Vous êtes tous d'excellents élèves blancs canadiens, et bien (en regardant mon frère) la plupart d'entre vous. » Ce que nous comprenions pas du tout, mon frère et moi, était pourquoi personne ne pensait que c'était un problème.
- Lorsque j'étais adolescent et que j'avais une petite amie blanche, un homme d'âge moyen que moi et ma petite amie ne connaissions pas est venu nous voir dans la file d'attente à un match de hockey et s'est adressé à elle avec un ton coléreux en disant ceci : « Qui pensez-vous qui va vous protéger si vous sortez avec l'un d'eux? »
- Un professeur d'université m'a ridiculisé bruyamment, en public et devant plusieurs autres étudiants en disant : « Tu dois être le premier Asiatique à ne jamais étudier autre chose que les maths ou les sciences! »
- On m'a dit, en parlant la langue officielle du Canada qui n'est pas l'anglais, « speak white (parlez blanc), vous êtes au Canada maintenant ». Cela m'est arrivé plus de 100 fois dans ma vie, parfois quand je parle à mes enfants que ma femme et moi avons élevés de façon bilingue. Quand je leur ai répondu que s'ils connaissaient très bien le Canada, ils sauraient que je parlais l'une de nos langues officielles, il était clair que leur hypothèse linguistique était très différente.
- Un homme qui s'est opposé à quelque chose qu'il pensait que j'avais fait sur la route a laissé sa voiture à un feu de circulation au centre-ville de Victoria pour venir à ma fenêtre et crier : « Chintoke, chintoke, chintoke! » tout en voulant m'engager dans un combat. J'étais un sous-ministre au gouvernement fédéral à ce point-là.
- Un employé d'une agence privée de recrutement m'a dit qu'il ne pouvait me recommander pour travailler avec le public « parce que les Canadiens ne se sentiraient pas à l'aise à s'entretenir avec quelqu'un comme toi ».
- Cette même personne, quand je lui ai dit plus tôt dans cette conversation que j'étais bilingue, a dit que parler la langue chinoise n'était pas utile. Bien sûr que je parlais de la langue française, mais elle a toute de suite assumée qu'il s'agissait de la langue chinoise.
- À de nombreuses reprises, on m'a dit que la seule raison pour laquelle j'ai eu des emplois différents, c'est parce que je suis une minorité visible. Parfois, c'est très direct et d'autres fois ils écartent entièrement mes réalisations par rapport à la situation de l'autre personne – « Ils n'allaient pas abaisser les normes pour quiconque comme moi » est le commentaire le plus fréquent.
- Un agent de l'Agence des services frontaliers du Canada m'a dit que je ne pouvais pas utiliser la ligne dans laquelle je me trouvais parce que c'était pour les Canadiens seulement. En fait, je voyageais avec un passeport diplomatique canadien ayant représenté le Canada à l'étranger. Il n'avait même pas vu mon passeport avant de faire ce commentaire.
- Un employé d'une compagnie aérienne canadienne m'a dit que je ne pouvais pas monter à bord d'un vol de New York à destination du Canada parce que je n'avais pas de visa d'entrée dans mon passeport. L'employé tenait en fait mon passeport canadien en main en disant ceci, un document qui n'exige JAMAIS un visa pour un Canadien d'entrer dans son propre pays.
- J'ai été personnellement appelé mulâtre lors d'une séance publique et officielle alors que je représentais le Canada à une importante réunion des Nations Unies (ironiquement sur la discrimination raciale). En toute franchise, cela a été fait par un délégué d'un autre pays.
- Dans une dizaine d'occasions différentes, des clients d'hôtel ont soit déposé leurs bagages à mes pieds ou pointé du doigt leurs bagages pour que je les amène dans leur chambre, en supposant qu'une personne de couleur dans un hôtel doit nécessairement être un membre du personnel.
- Les commis d'hôtels, à plus d'une occasion, ont levé la main pour me faire signe de revenir quand mon tour est venu pour être servi et ont dit : « Vous devrez attendre un commis pour vous servir dans la langue japonaise » et ont sommairement appelé le prochain client en ligne. S'ils avaient eu raison, comment aurais-je compris?
- Lors de ma lune de miel, une femme m'a crié dans le hall de l'hôtel en disant : « Chauffeur, chauffeur! » et elle était plus en colère lorsque je l'ai ignorée. Compte tenu de la nature de notre échange ultérieur, je soupçonne qu'elle aurait souhaité, rétrospectivement, qu'elle me permette de continuer à l'ignorer.
- Très récemment, à l'aéroport international d'Edmonton, une femme est venue me voir et m'a demandé si j'attendais quelqu'un. Comme je me tenais dans la salle d'attente, la réponse me semblait évidente, alors j'ai dit oui. Elle m'a dit avec un ton coléreux que j'étais à la mauvaise porte et que j'étais censée la rencontrer à la porte 1. Elle avait supposé que j'étais son chauffeur de taxi.
- Pendant que j'échangeais avec elle sur le fait que je n'étais pas son chauffeur, ma soeur était retenue à l'inspection secondaire à la suite de son vol international parce que l'agente ne pouvait pas comprendre quel était son statut au Canada, malgré le fait qu'elle détenait un passeport canadien. Au cas où vous seriez tenté de penser que c'était autre chose, la question a été posée à plusieurs reprises : « Mais quel est votre STATUT au Canada? » Comme c'est écrit sur le passeport, citoyen...
- Je me souviens d'avoir réconforté ma soeur déconcertée et inconsolable de la Première Nation, quand elle avait 7 ou 8 ans, quand un groupe de garçons plus âgés l'appelait régulièrement « N###sse ».
- J'ai passé des décennies de ma vie dans des églises où l'accent commun sur les missions et la sensibilisation étaient que la version chrétienne des « misérables », qui ressemblait rarement à n'importe qui dans la congrégation, serait sauvée (spirituellement et temporellement) par ceux qui connaissaient mieux.
- Une agente immobilière que je rencontrais pour la toute première fois debout devant la porte de sa maison m'a salué en disant ces premiers mots : « Je vous regarde et je vois un Indien... ». C'est devenu pire quand je lui ai dit que j'étais canadien d'origine chinoise. Elle m'a accusé de mentir à ce sujet parce qu'elle avait vu que j'avais travaillé à ce qui était alors connu sous le nom du ministère des Affaires indiennes et du Nord.
- Mon père adoptif était un pasteur de l'Église qui voyageait de temps à autre pour être conférencier invité dans d'autres églises. Lui et ma mère s'assoyaient généralement à l'avant dans leurs rôles. J'avais tendance à traîner seul près de l'arrière de l'église comme tous les bons baptistes essaient de le faire. Lorsque j'étais seul, je recevais régulièrement des questions précises sur ce que je faisais dans l'édifice. C'était avec une joie impie que je regardais leur réaction quand je leur disais la raison de ma présence à l'église. Ils m'acceptaient peut-être parce que j'étais là avec mes parents, mais il était clair que je ne devais pas m'attendre à revenir tout seul. Cela s'est souvent produit juste sous la peinture d'un Jésus européen très septentrional.
- Une fois que je traversais la route, une voiture de police a avancé rapidement et s'est arrêtée devant moi brusquement. C'est à ce moment-là qu'un agent de police a baissé sa fenêtre et commencé par une longue série de jurons demandant « Tab & % $! Qu'est-ce que tu penses que tu fais? » Je suis convaincu qu'il pensait que j'étais autochtone. Je n'ai pas cédé à ses insultes et je pense qu'il a réalisé qu'il y avait des proies plus faciles à intimider. Après avoir lancé un autre tas de jurons à mon égard il est parti. À cette époque, j'étais sous-ministre adjoint au gouvernement fédéral et j'allais prendre un café pendant ma pause.
- Lors des missions canadiennes à l'étranger, on m'a dit que je ne pouvais pas utiliser certaines parties des installations parce que seuls les Canadiens avaient accès à ces parties particulières. Nous n'avions pas encore eu de conversation sur ma citoyenneté et j'étais en fait un très haut fonctionnaire du gouvernement fédéral.
- Une femme que je connaissais à peine m'a demandé ce que je faisais dans la vie. Je lui ai dit que je travaillais pour le gouvernement fédéral. Sa réponse spontanée et incrédule était : « Mais vous n'êtes même pas un vrai Canadien! »
- La question de mon origine raciale et les commentaires sur ce que les gens pensent du mélange des races sont des expériences qui me sont arrivées probablement près de mille fois avec des inconnus, avec le même ton et la même délicatesse qu'ils discuteraient d'un animal dans un zoo. Les gens disent souvent librement ce que mon origine raciale signifie par rapport à mes capacités et de mes défauts. Si je leur avais demandé combien d'argent ils gagnaient, ils seraient sans doute offensés.
- On m'a dit, à de nombreuses reprises, que ce n'était tout simplement pas correct que j'aie des copines blanches.
- J'ai été délibérément heurté sur le trottoir par un homme à vélo qui criait « Hors du chemin, Chinois! »
- Quand j'étais célibataire, des gens ont spontanément suggéré que je devais sortir avec la seule personne asiatique qu'ils connaissaient. Entre des Japonaise, Philippines, Coréennes, Kazakhs ou Chinoises, nous avions apparemment beaucoup en commun. Apparemment pas avec quelqu'un qui leur ressemble plus, selon ceux qui faisaient ces recommandations.
- J'ai peut-être eu une centaine de conversations au cours des années où le sujet était les relations interraciales et les enfants (je n'ai jamais commencé ces conversations). Une question qu'on m'a posée assez souvent est « Mais qu'est-ce que vos enfants seront réellement si vous venez de différentes races? » Une deuxième ligne d'interrogation pas trop lointaine est « Est-ce qu'ils ne finiront pas par être « handicapés mentalement » ou déformés? Plus d'une fois, on m'a demandé : « Pourquoi voudrais-tu des enfants bâtards? »
- J'ai dû réconforter mes propres enfants en larmes après tant d'attaques racistes. J'ai dû observer leur frustration et savoir qu'il y a très peu de choses que je puisse faire pour les arrêter efficacement la plupart du temps. Les prédateurs sont très doués pour faire des choses juste en dehors de la lumière et devant juste assez de témoins pour optimiser la honte de la victime. Cela les rend très difficiles à attraper, même si le système en question le veut. Le résultat, c'est que j'ai dû consoler mes enfants parfois en larmes et déconcertés quand ils étaient plus jeunes, simplement en étant assez forts pour endurer ces situations.
- J'ai dû aider mes enfants à faire face à la réalité que beaucoup de gens et de systèmes sont particulièrement impitoyables de ceux qui rendent indéniable l'existence de problèmes inconfortables pour lesquels ils ont des responsabilités. J'ai été témoin de critiques cinglantes, dans ma vie et dans celle de mes enfants, des affirmations et des contre-arguments non pertinents faits pour déformer les attaques racistes et l'intimidation en disant ceci : « Vous voyez, il y a deux côtés ici, donc vous deux devez juste faire mieux. Je suis maintenant exonéré de toute responsabilité ». « Il y a de bonnes personnes sur les deux côtés » faisait partie de ma vie et de celle de mes enfants, longtemps, avant qu'elle ne devienne partie du lexique général. Sauf que les victimes n'étaient généralement pas perçues comme étant aussi bonnes que les auteurs de ces conversations.
- J'ai dû expliquer à ma femme blanche ce qui attendait nos enfants quand ils ont commencé l'école. C'était difficile. Ce qui était infiniment plus difficile, c'était de la voir se rendre compte que les choses apparemment incroyables que je lui avais dites étaient en fait vraies.
- J'ai enduré au moins un millier de conversations ou de monologues où le protagoniste a décidé de m'accorder le statut « d'un des rares bons » tout en faisant valoir simultanément que personne qui me ressemble n'a d'affaires au Canada parce que je ne pourrais jamais m'adapter, n'apprendrais jamais la langue, amènerais des religions non chrétiennes dans le pays, voudrais mélanger des races, etc., etc., etc. Cela se produit avec des personnes assises côte à côte dans un avion en classe d'affaires et d'économie, avec des professeurs, des enseignants, des professionnels de la santé, avec des gens qui ont juré de servir tous les Canadiens ou les résidents provinciaux ou municipaux, avec des chauffeurs de taxi, avec des gens dans des restaurants chers et bon marché, avec des gens que je pensais être mes amis, de temps en temps avec des collègues, à l'église et partout ailleurs où je vais à un moment ou un autre. Très souvent, la conversation se termine par un « Eh bien, je ne parle pas de vous », après que je leur fais remarquer que je suis carrément ce qu'ils ont décrit. Ce qui est très clair, cependant, c'est que je suis pleinement à l'intérieur de leur définition.
- On m'a demandé plusieurs, plusieurs centaines de fois « Quand êtes-vous venu au Canada? et ajouté : « Je suis étonné de la qualité de votre anglais (ou français)! »
- J'ai passé une grande partie, mais certainement pas la totalité, de ma carrière dans des salles avec très, très peu de gens qui me ressemblent ou qui ont compris les types d'histoires que je raconte ici. Ma réalité a souvent été ou a été perçue comme suspecte dans ces circonstances. Mon récit de ces aspects de mon expérience de vie fait régulièrement l'objet d'expressions de doute ou de déni significatives et ouvertes.
- J'ai dû enseigner à mon fils que, aussi injustes, vicieuses, soutenues, blessantes que ce soient ces attaques racistes pour sa soeur, les conséquences de sa recherche de la résolution qu'il voulait désespérément pourraient très bien finir par endommager ou détruire les rêves qu'il poursuivait. J'ai dû le regarder dans les yeux et lui donner une réponse complètement insatisfaisante quand il m'a demandé « Eh bien, qu'est-ce que tu vas faire à ce sujet? Tu vas juste laisser cela continuer, n'est-ce pas? » Lui et moi savions tous les deux qu'il avait raison. Et ma fille aussi.
- Il n'y a pas un seul élément sur cette liste où quelqu'un ne m'a pas dit, à un moment donné, que le problème en question n'était pas vraiment la race. Les contorsions utilisées pour expliquer comment c'était quelque chose bénigne sont souvent stupéfiantes, mais toujours blessantes.
- Il n'y a pas un seul élément sur cette liste où on ne m'a pas demandé, à un moment donné, si les choses « se sont vraiment passées de cette façon » ou peut-être si j'exagérais. Croyez-moi, si j'inventais des histoires sur moi-même, elles seraient héroïques et non pas dégradantes.
- J'ai entendu en réponse à presque tous les éléments de cette liste, à un moment donné, que la personne avec qui je parle a eu des moments difficiles aussi, généralement suivi d'une anecdote sur quelque chose qui s'est passé une ou plusieurs fois, mais ce n'était pas une attaque contre leur existence et celle de leur famille passée et future au Canada. Je souligne que beaucoup de choses étranges, malheureuses et difficiles me sont aussi arrivées, mais c'est une longue liste de choses différentes, une liste qui n'implique pas la race.
- Parmi tous ces événements mentionnés ci-dessus, aucune des personnes concernées n'a présenté des excuses sincères. La reconnaissance est généralement l'attente la plus fugace, mais la meilleure possible. Ni les gens qui m'ont appelé chauffeur, les gens qui ont laissé leurs bagages à mes pieds, l'agent de transport aérien, l'agence de placement, le professeur d'université, la personne chargée du contrôle des passeports, ni aucun des autres. En fait, certains étaient très indignés quand je ne prenais pas leurs bagages ou que je n'étais pas leur chauffeur.
Il s'agit qu'un petit échantillon de ma vie. À quelle fréquence dois-je faire face au racisme et à quelle mesure est-il présent? C'est quand la prochaine fois que cela va se reproduire? Aujourd'hui peut-être quand je serais à la station d'essence. Peut-être quand je rencontre un nouveau voisin. Peut-être quand j'assiste à une réunion. Peut-être que quand mon enfant m'appelle à la fin de la journée pour me dire comment ça s'est passé. Ou peut-être pas aujourd'hui ni demain. Une chose est certaine, cependant, cela se reproduira à un moment surprenant. La même chose est vraie pour mes enfants.
Donc, pour revenir à la question de Rex Murphy sur la mesure dans laquelle le racisme et la discrimination font partie de la réalité canadienne, je parlerai de ma propre réalité canadienne et dirai que c'est comme de l'hypertension artérielle. Elle est toujours présente. Je ne sais pas quand je vais la remarquer, comment ou quand elle va arriver. Même quand c'est le cas, je ne peux pas toujours voir les conséquences tout de suite, mais elles sont certainement présentes et pas bonnes. Ma vie continue, et je m'en réjouis pleinement. Toutes les personnes qui me connaissent ne m'ont jamais décrit comme un plaignard. Je choisis de ne pas le laisser me définir. Par contre, tout comme avec l'hypertension artérielle, j'aurais à la fois tort et serais stupide de prétendre qu'elle n'est pas là, que ce n'est pas quelque chose qui a des répercussions négatives, et que ça disparaîtra tout simplement.
Il y a beaucoup de gens qui n'ont pas d'hypertension et qui n'en auront jamais. C'est fantastique. Cependant, ce n'est pas parce qu'ils ne l'ont pas, et parce que j'ai trouvé des façons de m'en occuper et de refuser de le laisser me définir que cela n'existe pas ou que cela n'a pas de répercussions.
J'ai entendu dire que chacune de ces choses était toute dans ma tête, que je suis la personne à blâmer, et que j'aurais dû m'asseoir et parler avec les personnes en question pour les faire comprendre. J'ai été carrément mis en doute et accusé d'avoir inventé l'histoire pour quelque avantage que j'obtiendrais (je n'ai jamais compris cela, mais je reste curieux).
Le vrai problème n'est pas avec les choses qui me sont arrivées. C'est avec ce que ces personnes sont prêtes à faire d'autre dans leur sphère d'influence, et avec d'autres qui pensent et ressentent la même chose, mais qui n'iraient pas jusqu'à dire ou à faire de telles choses ouvertement. Si vous êtes prêt à faire et à dire des choses comme celles que j'ai décrites, quelles décisions et mesures prenez-vous lorsque personne ne peut voir ce que vous faites? Qui embauchez-vous? Qui n'embauchez-vous jamais? Comment accueillez-vous vos nouveaux voisins qui me ressemblent? Comment traitez-vous mon enfant lorsque vous êtes leur entraîneur ou leur enseignant? Dans quelle mesure les gens comme moi sont-ils les bienvenus dans votre église ou votre club? Sous quel angle verrez-vous mon potentiel quand vous examinerez ma demande d'école, d'emploi ou de promotion? À quel point prenez-vous au sérieux les histoires de vie que nous racontons? Quelle sera votre réaction lorsque nous serons considérés pour des postes et des rôles qui contribueront à façonner notre avenir commun?
Les répercussions possibles sur un groupe de personnes sans que vous n'ayez jamais à dire quoi que ce soit d'ouvertement haineux ou de violent sont infiniment plus grandes que lors d'un moment plus spectaculaire, comme lorsque vous m'appelez-moi ou quelqu'un d'autre un Chintoke devant une foule. Nous avons tendance à ne pas donner de pouvoir à ceux qui font ce genre de choses ouvertement. Pourtant, que se passe-t-il lorsque la personne qui prend des décisions qui changent ma vie et qui me touchent ne peut pas comprendre que quelqu'un comme moi soit un vrai Canadien, qui se demande comment j'ai pu parler aussi bien l'anglais ou quand je suis arrivé au Canada, quelqu'un dont la logique est que je suis un nouvel arrivant moins méritant? Que se passe-t-il lorsque la personne qui prend les décisions pense que la certaines, la plupart ou la totalité des histoires de discrimination dont les gens de couleur « ne cessent jamais de se plaindre » sont inventées ou exagérées?
Il n'y a que cinq réactions possibles à mon histoire et à d'autres similaires, si vous ne tenez pas compte de l'option parfois attrayante de simplement l'ignorer complètement. L'une d'elles doit être vraie :
- J'ai tout inventé ou délibérément exagéré, ce qui signifie qu'aucune réponse n'est justifiée;
- Cela m'est arrivé, mais c'était juste une malchance de ma part parce que ça n'est arrivé à personne d'autre ou c'est arrivé à si peu de gens que seules des réponses individuelles et exceptionnelles sont requises;
- Ces choses se sont produites, mais j'ai mal interprété des actions innocentes ou bénignes et je n'aurais pas dû les comprendre comme étant malveillantes ou nuisibles. Par conséquent, c'est moi qui a besoin de changer;
- Ces choses se sont produites, mais les gens comme moi doivent comprendre que ce n'est que le prix que vous devez payer si vous voulez profiter des avantages que notre pays a à offrir;
- Mon histoire n'est pas seulement vraie, elle est représentative de celles de nombreux autres Canadiens. Dans ce scénario, mon histoire et celles de tous ceux qui ont vécu une expérience semblable méritent d'être écoutées, crues et des mesures doivent être prises conformément aux valeurs canadiennes dont nous sommes si fiers.
Je ne m'oppose absolument pas à l'affirmation selon laquelle le Canada est un « pays mûr, accueillant, ouvert d'esprit et généreux ». En fait, je parie mon tout sur ce fait. Ma question, Rex Murphy, est la suivante : pouvons-nous être mûrs, accueillants, ouverts d'esprit et assez généreux pour reconnaître que je n'ai pas inventé ce que j'ai dit et les répercussions que j'ai ressenties et qu'au moins l'essence de mon expérience pourrait bien être partagée par des millions de Canadiens?
Je pense que la réponse est oui. En fait, j'ai une très grande confiance que la réponse est oui. S'il y a un pays sur la planète qui peut le faire, c'est bien le Canada. Nous avons plus de 153 ans d'expérience dans la résolution de questions très difficiles et nous en ressortons mieux chaque fois. Nous avons les valeurs et les capacités pour aborder celle-ci aussi et pour le faire mieux que quiconque de ce que j'ai vu partout dans le monde.
Toutefois, si votre question est « Ne sommes-nous pas déjà assez bons pour que nous abandonnions ce sujet? Alors ma réponse est un simple « Non ».
On a posé une question sur mon expérience et celle d'autres Canadiens de couleur. J'ai donné ma réponse parce qu'on me l'a demandée de bonne foi. Si ma situation est unique ou presque unique, donc la conclusion de M. Murphy devrait être maintenue. Si mon expérience rejoint celle de 100 000 autres Canadiens ou de 1 000 000 ou plus, il vient un moment où cette conclusion ne peut plus tenir. Si ce n'est pas possible, nous sommes devant une autre question très difficile et déterminante : « Alors, qu'allons-nous faire maintenant? »