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Le monde : Une introduction (LPL1-V20)

Description

Cet enregistrement d'événement présente une discussion entre Aiesha Zafar, membre du corps professoral de l'École de la fonction publique du Canada, et Richard Haass, président du conseil des relations étrangères des États-Unis, au sujet de l'état du monde actuel à l'ère de l'après-guerre froide, notamment de changements climatiques, de géopolitique et d'enjeux nationaux au Canada.

(Consultez la transcription pour le contenu en français.)

Durée : 00:54:30
Publié : 3 février 2023
Type : Vidéo


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Le monde : Une introduction

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Transcription : Le monde : Une introduction

[Aiesha Zafar apparaît sur l'affichage du vidéoclavardage.]

Aiesha Zafar : Bonjour à toutes et à tous. Je m'appelle Aiesha Zafar et je suis enseignante à l'École de la fonction publique du Canada. Bienvenue à ce qui promet être une discussion fascinante et importante sur le monde. Depuis un certain temps, l'École de la fonction publique du Canada se consacre davantage à vous permettre d'obtenir des renseignements, d'acquérir des connaissances et de faire des apprentissages clés sur des sujets tels que la géopolitique, les changements climatiques, la sécurité nationale et d'autres grandes questions qui ont une incidence sur notre travail en tant que fonctionnaires. Nous sommes souvent si concentrés par notre dossier, notre portefeuille ou notre ministère qu'il peut arriver que nous ne soyons pas au courant des événements qui surviennent dans d'autres secteurs ou d'autres régions du monde, lesquels peuvent avoir des répercussions sur nos propres dossiers, les politiques que nous créons, les changements que nous recommandons et, au final, les Canadiennes et les Canadiens que nous servons. J'ai le plaisir et l'honneur aujourd'hui de pouvoir discuter avec M. Richard Haass, président du Council on Foreign Relations des États-Unis. M. Haass est un diplomate aguerri qui possède une vaste expérience et une grande expertise en matière de politique étrangère et de relations internationales aux États-Unis. Ayant servi sous diverses administrations américaines, il est également l'auteur et le rédacteur en chef de 15 livres et, depuis les 19 dernières années, le président du Council on Foreign Relations, une organisation apolitique indépendante et un centre d'études et de recherches dont le mandat est d'aider les gens à mieux comprendre le monde qui nous entoure et les choix que nous faisons en matière de politique étrangère. Bienvenue M. Haass. Je vous remercie d'être présent parmi nous aujourd'hui.

[M. Richard Haass apparaît dans un affichage distinct du vidéoclavardage.]

Richard Haass : Merci, Aiesha. C'est un plaisir d'être parmi vous toutes et tous. Je me réjouis à l'idée de discuter avec vous d'à peu près n'importe quel sujet d'actualité, sauf du bois d'œuvre résineux. Lorsque je travaillais pour le compte du Bureau des affaires de l'Europe, le sujet du bois d'œuvre résineux revenait presque tous les jours à l'ordre du jour de nos réunions du personnel après que l'organisation a changé son nom pour le Bureau des affaires européennes et canadiennes. Et malgré cela, je ne parvenais pas à bien comprendre le dossier, alors que j'étais censé le maîtriser. J'espère donc que vous ne vous attendez pas à ce que je m'étende sur le sujet aujourd'hui.

Aiesha Zafar : Accordez-moi alors quelques minutes pour biffer toutes mes notes...

Richard Haass : Je ne doute pas que c'était le sujet qui allait être placé en tête de liste... Oui.

Aiesha Zafar : Oui, tout à fait. Il y a tant de choses dont nous pourrions discuter et par lesquelles nous pourrions commencer... Pour bon nombre d'entre nous qui œuvrons au sein de la fonction publique, nous pensons souvent à notre monde d'aujourd'hui, en cette période de l'après-Guerre froide d'où les États-Unis sont ressortis comme étant une superpuissance mondiale. La démocratie est un concept qui a été accepté dans de nombreuses régions du monde. Un climat de paix relatif s'est instauré et l'avenir est quelque peu prévisible. Des tensions anticipées subsistent dans certaines parties du monde, mais, dans l'ensemble, tout se déroule assez bien. Toutefois, le fait est que le monde tend récemment à changer assez rapidement, comme vous le savez. Et il continue d'évoluer. Pourriez-vous nous parler un peu de la situation actuelle et de ce qui fait que nous en sommes arrivés là?

Richard Haass : Certainement.  Avec plaisir. Oui. Je crois que ce que vous venez de mentionner aurait été tout aussi pertinent si nous avions tenu cette rencontre il y a 25 ou 30 ans. Nous avions le sentiment que nous pouvions tous nous détendre et prendre ça un peu plus relaxe lorsque la Guerre froide s'est terminée. Des livres et des articles tels que The End of History ont été publiés. Un véritable vent d'optimisme à l'égard des technologies et des possibilités qu'elles offraient s'était installé, et de réels espoirs avaient été placés dans le multilatéralisme.

Les gens l'oublient, mais la grande crise internationale que nous avons connue après la fin de la Guerre froide fut l'invasion de l'Iraq au Koweït. Et la collaboration internationale s'est avérée extraordinaire à ce moment-là. Le Conseil des Nations Unies n'avait jamais été aussi mis à contribution d'autant de façons. L'optimisme était donc à son paroxysme. Ce n'est plus tellement le cas 30 ans plus tard. Nous pourrions discuter longuement de ce qui nous a conduits là, mais permettez-moi seulement de m'attarder à notre situation actuelle, car je crois qu'il y a trois aspects de cette question qui s'avéreront importants pour vous toutes et tous. Et, selon moi, le fait est que vous n'avez pas le luxe de simplement vous concentrer sur ce que vous appelez votre dossier ou ce qui vous parvient dans votre boîte de réception. Vous devez prendre un pas de recul et penser au monde dans lequel votre boîte de réception existe.

Un des aspects à considérer est le retour de la géopolitique, ce qui, si vous le voulez bien, est propre à l'histoire. On le voit encore plus aujourd'hui avec la Russie et ce qui se passe en Europe. Et, évidemment, on est à même d'en constater les conséquences directes si on vit en Europe. Nous pouvons en voir les effets même ici en Amérique du Nord avec les coûts de carburant qui s'ajoutent aux pressions inflationnistes.  Nous pouvons le constater avec l'afflux des réfugiés et les problèmes que nous connaissons au niveau des chaînes d'approvisionnement.

Nous devons même vivre avec l'éventuelle menace d'une guerre nucléaire. J'ai grandi à une époque où le grand événement d'envergure internationale qui teintait le début des années 1960 était la crise des missiles de Cuba. La situation présente est en quelque sorte plus effrayante, car, sous les Soviétiques de cette époque, Nikita Krouchtchev, le secrétaire général du Parti communiste, œuvrait sous la direction d'un certain niveau de leadership collectif. Ce n'est essentiellement pas le cas de Vladimir Poutine.  Il a désinstitutionnalisé son pays.

Là où je veux en venir, c'est que nous avons tout simplement des préoccupations, lesquelles sont très habituelles à bien des égards, face à de grandes puissances qui, encore une fois dans ce cas-ci, agissent mal. Il y a également l'essor de la Chine et tous les défis auxquels nous devons tous faire face à cet égard.

Je suis heureux d'avoir l'occasion de vous en parler. Nous vivons également à une époque où les puissances moyennes peuvent faire une grosse différence en Corée du Nord et en Iran. Un pays comme la Corée du Nord dispose d'armes nucléaires, de missiles et d'importantes forces militaires classiques. L'Iran remplit pour sa part de nombreuses conditions préalables à l'obtention d'armes nucléaires, et soutient également des groupes terroristes, divers acteurs non étatiques, comme le Hezbollah, et serait susceptible de faire usage de sa force bien au-delà de ses frontières. Il a également accès, évidemment, aux cyberoutils.

À l'heure actuelle, aucun d'entre nous ne peut exploiter ses activités tout en jouissant d'un certain luxe. Outre les conséquences directes de la géopolitique, l'un des aspects sur lesquels nous nous penchons tous est la façon dont la sécurité constitue une condition pour tout le reste. Si l'on examine la question du développement du monde ou de pays en Afrique ou au Moyen‑Orient... nous avons appris à nos dépens que rien ne peut être entrepris sans sécurité et stabilité.

On ne peut établir une bonne gouvernance. On a tendance à ne pas pouvoir jouir d'une croissance économique ou de quoi que ce soit d'autre. Il s'agit là de l'un des aspects. Des pays tels que le Canada doivent pendre ce facteur en considération.

Viennent ensuite, et de façon beaucoup plus importante, les enjeux mondiaux. L'une des choses qui, selon moi, distinguent le plus cette période de l'histoire des autres est la prévalence importante des enjeux mondiaux. L'un des problèmes auxquels nous sommes encore confrontés, de toute évidence, est les effets d'une pandémie. Peu importe ce qui s'est passé à Wuhan, le virus n'est pas resté là et s'est propagé dans le monde entier. L'une des choses à savoir est qu'il ne s'agit pas simplement de devoir encore faire face à des variants de la COVID‑19, mais que le jour viendra où nous devrons gérer la COVID-24, 26 ou 33 ou un autre virus que celui de la COVID. Nous sommes à même de constater que notre époque est marquée par la mondialisation, les défis sanitaires et les changements climatiques.

Les changements climatiques constituent un enjeu quelque peu différent. Il s'agit d'une crise lente, ce qui, assez paradoxalement, fait en sorte qu'elle est plus difficile à gérer. Elle ne paraît pas urgente. Elle ne semble tout simplement pas l'être, mais c'est la raison pour laquelle elle est plus corrosive en réalité. Notre capacité à impulser la mise en œuvre d'une réponse nationale ou internationale est bien moindre que ce qu'il faudrait ou devrait l'être.

Le problème est qu'il sera trop tard et que la plupart des options convenables qui s'offrent à nous aujourd'hui ne seront plus envisageables lorsque nous nous réveillerons — une situation qui semble sur le point d'arriver. C'est ce dont nous devons faire face avant la fin du présent siècle. Il est bien possible que ces enjeux mondiaux dont je viens de vous parler, et la santé et le climat au deuxième rang, la prolifération au troisième, le terrorisme  au quatrième, l'utilisation du cyberespace au cinquième, et ainsi de suite, constituent des facteurs plus importants dans la détermination de la qualité de notre vie que tout ce qui a rapport avec la géopolitique. Cependant, la géopolitique pourrait entraver notre capacité dans le monde entier à collaborer sur ces questions.

Si les États-Unis et l'OTAN et la Russie ou l'Occident et la Chine ne s'entendent pas sur le dossier de l'Ukraine ou de Taïwan, il sera d'autant plus difficile de faire face à l'un ou l'autre de ces défis mondiaux, même s'il était dans notre intérêt de le faire. L'histoire est marquée par des exemples de pays qui ne font pas réellement ce qui est dans leur intérêt. Et la réalité est que le Canada, pas plus que tout autre pays, ne sera en mesure de s'isoler à cet égard. Je crois que nous avons appris avec le temps que les frontières sont perméables, qu'il s'agisse de virus informatiques ou physiques ou de gens bien ou mal intentionnés.

Le tourisme, le commerce, les échanges de biens et de services et la circulation d'idées constituent aujourd'hui bon nombre des points positifs qui peuvent ressortir de la mondialisation. Le défi consiste à savoir comment il faudrait réglementer la mondialisation afin de pouvoir tirer profit de ce qui est bon et écarter ce qui est mauvais. Le problème est qu'il y a un fossé entre les mécanismes en place et le défi à relever dans pratiquement tous les aspects des relations internationales. Dans de nombreux cas, le fossé est grand et ne fait que s'agrandir.

Comme si ce n'était pas assez (d'ailleurs, vous avez posé cette question à quelqu'un qui ne passe pas son temps à répandre la bonne humeur, et je m'en excuse à l'avance), nous sommes confrontés à l'échelle nationale à toutes sortes de défis. Dans mon propre pays également, et ce que vous pouvez constater de votre point de vue. Nous sommes aux prises avec l'inflation, la violence armée, les décès liés aux opioïdes, la criminalité dans nos villes, les questions frontalières et la polarisation, ce qui entrave le bon fonctionnement de notre régime politique.

Les défis nationaux aux États-Unis sont considérables. Vous êtes confrontés à votre propre lot de défis nationaux. Vous n'avez pas besoin que je vous les énumère. Je vous dirais simplement qu'il est plus difficile de gouverner à bien des égards en raison de certains facteurs, tels que les réseaux sociaux, et tout le reste. Vous avez non seulement votre propre lot de divisions politiques et de défis liés aux réfugiés et aux autres personnes qui se mobilisent, mais vous devez également faire face notamment à des pressions inflationnistes et à des problèmes environnementaux. Les temps sont difficiles pour bon nombre de nos démocraties. La situation paraît plutôt favorable si l'on considère le monde dans son ensemble et la mesure à laquelle la démocratie s'est implantée au cours des 75 dernières années. Le portrait n'est vraiment pas aussi beau si l'on considère seulement les 15 ou 20 dernières années. On observe un certain recul démocratique dans un certain nombre de démocraties, ainsi qu'une détérioration dans la qualité de la démocratie mise en place. Il devient souvent plus difficile de répondre aux défis géopolitiques et mondiaux que nous devons relever si l'on y ajoute tous ces facteurs et les événements qui se déroulent dans des pays comme le Canada et les États-Unis.

C'est ce qui, selon moi, fait que cette période de l'histoire est si difficile. Ce qui nous attend est assez considérable et notre capacité à préparer des réponses nationales ou internationales pour y faire face n'est pas au niveau qu'elle devrait être. C'est ce qui fait qu'un chapitre de l'histoire est plutôt difficile, et c'est ce que nous vivons actuellement, je le crains.

La bonne nouvelle est que rien n'est inévitable. Rien, ou presque rien, n'est coulé dans le béton. Nous avons amplement la possibilité de riposter et de faire les choses correctement. La mauvaise nouvelle, c'est que le fait d'en avoir l'occasion ne signifie pas nécessairement que nous allons la saisir et que les problèmes nationaux ou internationaux nous empêcheront de concevoir et de mettre en œuvre les genres d'interventions que nous devons mettre en place.

Je crois qu'il s'agit d'une période difficile que nous allons tous, en tant que pays, traverser. Et vous qui œuvrez dans le secteur de l'administration publique êtes les personnes au sein du gouvernement qui sont appelées à gérer les questions de politique publique. Vous serez donc confrontés aux défis normaux associés à ces enjeux. Ce ne sera rien de nouveau pour vous, mais le contexte pourrait s'avérer plus difficile, et il serait peu probable que nous puissions gérer de façon ciblée ces enjeux, tout en disposant des ressources que nous souhaiterions avoir. Je crois donc que nous aurons à traverser une période difficile.

Aiesha Zafar : Donc, voilà beaucoup de sujets à approfondir et sur lesquels se pencher. Mais comment tout cela est-il arrivé? En quoi manquons-nous de vigilance? Les puissances occidentales que nous sommes en quelque sorte ont-elles raté quelque chose qui a réellement changé le cours des 15 ou 20 dernières années en matière de relations internationales? Vous avez évoqué le fait que de grandes puissances agissaient mal. La Chine prend de l'expansion et s'impose de plus en plus. Nous avons survolé le sujet de la Russie. Qu'est-il arrivé? Qu'avons-nous loupé?

Richard Haass : Bonne question. Je ne pense pas que c'était inévitable. Si vous songez à l'optimisme qui a teinté la fin de la Guerre froide il y a trente ans et, disons-le, le manque d'optimisme qui reflète ce que vous venez d'évoquer... Comment en sommes-nous arrivés là? Je pense que c'est une très bonne question. Je crois que les historiennes et les historiens qui écriront plus tard des publications sur cette période se montreront exceptionnellement critiques de mon pays, les États-Unis. Le mot que j'emploie constamment et que je n'aime pas est « gaspillage ». J'ai vraiment le sentiment que nous avons gaspillé une belle occasion qui nous était offerte.  Encore une fois, si rien n'est inévitable, il était également inévitable que nous en arrivions où nous en sommes aujourd'hui. Donc, pourquoi les relations avec la Russie sont-elles devenues aussi mauvaises? Et qu'en est-il de la Chine? Pourquoi la situation s'est-elle aussi envenimée? Nous pourrions débattre des raisons. Je crois que l'un des aspects à considérer est la technologie. Il est devenu plus difficile de gouverner avec l'avènement entre autres des médias sociaux. Je ne sais pas ce qu'il en est pour le Canada, mais, dans mon pays, nous avons des manques au niveau de l'enseignement du civisme dans nos écoles.   Je crois donc que la compréhension de la démocratie et le respect à cet égard se sont effrités. La technologie a proliféré. Nous sommes passés d'une époque de radiodiffusion à celle d'une diffusion ciblée par câble, sur les médias sociaux, la radio, et ainsi de suite. De nombreux pays ont plus de difficultés à parvenir à un consensus national.

Nous faisons face à ce nouveau lot d'enjeux, tels que les changements climatiques et autres, mais ne disposons pas des institutions nécessaires pour y faire face. Les institutions qui sont le résultat de la Guerre froide sont, dans de nombreux cas, l'héritage de la Deuxième Guerre mondiale. Ces institutions trahissent plutôt leur âge et bon nombre d'entre elles ne sont pas adaptées à cette fin, ou du moins à ces fins. Les États-Unis sont allés trop loin dans certaines régions du monde, comme l'Iraq et l'Afghanistan. J'utilise parfois l'expression « gâché cette occasion »  pour en parler. Il se peut qu'ils n'en aient pas assez fait à d'autres moments dans d'autres parties du monde. Donc, je crois que nous avons commis des erreurs dans certains cas. Encore une fois, comment nous en sommes arrivés là constitue une vaste question à répondre. Nous en sommes là où nous en sommes. Et nous ne pouvons changer le passé, peu importe ce qui nous a conduits jusqu'ici. Donc, je laisserais pratiquement le soin à des historiennes et des historiens de répondre à cette question que vous me posez et avec laquelle je jongle moi-même de temps à autre. Je crois que la vraie question que nous devrions nous poser à l'avenir est la suivante : comment changer le dynamisme dans les industries? Comment renforcer les mécanismes mondiaux? Comment améliorer la gouvernance des différentes démocraties? Comment tenter de réduire les frictions qui subsistent dans les relations entre les principales puissances? Je crois qu'il s'agit-là des défis qui nous attendent.

Aiesha Zafar : Vous avez mentionné que rien n'est inévitable... Il serait légitime de se sentir parfois un peu découragé lorsqu'on entend les nouvelles et que l'on considère tout ce qui est arrivé au cours des 10 à 20 dernières années, n'est-ce pas? Le monde a changé d'une manière qui nous rend vraiment mal à l'aise. Les États-Unis constituaient la superpuissance mondiale. Leur pouvoir relatif est en déclin. Et le Canada a toujours été très proche de son ami et allié, les États-Unis, sur qui il a toujours compté pour de nombreuses choses. Lorsque nous examinons les mesures ou les décisions qui ont été prises, ou même le discours des États-Unis et leur impact sur les différentes parties du monde, nous constatons qu'ils ont vraiment des répercussions sur nous. Bien que le Canada ne soit pas une superpuissance dans cette nouvelle période de l'histoire où il nous faut remodeler le monde, doit-il prendre en considération tous ces mêmes types de facteurs que doivent tenir compte les États-Unis? Doit-on jouer un rôle différent que celui que nous avons assumé par le passé afin de refaçonner le monde ou de rétablir un climat qui nous apparaît plus démocratique, paisible et stable?

Richard Haass : Le Canada se situe quelque part entre un petit et moyen pays et une puissance. Par conséquent, le pays est confronté à certaines réalités qui découlent de cette situation. Nous vivons dans un monde globalisé. Cela ne changerait rien si le Canada était une superpuissance. Il ne pourrait tout de même pas résoudre certains problèmes de par lui-même. Les États-Unis eux, le peuvent. L'unilatéralisme est rarement une stratégie viable. Donc, je crois qu'il y a deux conséquences à cette situation pour le Canada. La première est que vous souhaitez maintenir la collaboration étroite que vous entretenez avec les États-Unis en raison notamment de votre situation géographique et de l'histoire qui nous unit. Cependant, vous ne pouvez pas mettre tous vos œufs dans le même panier. L'autre chose est que nous sommes moins sûrs que nous l'étions auparavant. Et, dans d'autres cas également, il se peut qu'il y ait certains désaccords avec les États-Unis. Je crois donc que le Canada souhaitera faire tout en son pouvoir pour entretenir une relation constructive et étroite avec les États-Unis, tout en établissant des liens avec d'autres partenaires. Ces partenaires pourraient se trouver en Europe ou dans l'Union européenne. Il pourrait s'agir de pays comme l'Australie et d'autres puissances moyennes dans le reste du monde qui ont certaines motivations similaires, et qui ne peuvent accomplir des choses par eux-mêmes. Des pays qui sont démocratiques. Des pays qui s'inquiètent de l'ascension de Chine, des agressions perpétrées par les Russes, des changements climatiques et des infections mondiales. Tout en tentant de joindre leurs forces aux leurs, le Canada pourrait donc chercher à collaborer avec d'autres pays d'optique commune qui sont confrontés à des difficultés semblables et qui n'ont pas l'option d'agir de façon unilatérale ou d'ignorer le reste du monde.

De telles collaborations pourraient évoluer d'un enjeu à l'autre. On ne parle pas ici d'alliances. On ne parle même pas nécessairement d'institutions. On pourrait simplement parler d'accords. Telles seraient mes réflexions si j'étais Canadien. Je souhaiterais faire tout en mon pouvoir pour maintenir une relation avec les États-Unis, mais je désirerais également établir une politique étrangère qui me permettrait de faire équipe avec des partenaires que je considérerais comme une couverture contre les États-Unis ou un complément parmi d'autres pays d'optique commune. On pourrait penser à certains pays en Amérique latine et à des pays de chaque partie du monde, dont certainement en Europe et Asie. Les partenariats différeraient d'un enjeu à l'autre. Je crois que le Canada a besoin de ce type de politique étrangère dynamique et créatif.

Aiesha Zafar : Est-ce que cela signifie que les alliances classiques qui se sont formées après la Guerre mondiale, ou même durant celle-ci, ne sont plus efficaces, nécessaires ou pertinentes? Dans votre plus récent livre intitulé The World: A Brief Introduction, vous parlez des Nations Unies et de la façon dont sa composition aurait été différente aujourd'hui n'eût été la présence des puissances relatives dont nous avons discuté. Vous y abordez également la façon dont l'OTAN a été mise sur pied dans un but précis et vous mentionnez que la Finlande et la Suède souhaitent s'y joindre. Quelles sont les alliances actuelles dans le monde? Sont-elles toujours pertinentes et efficaces? Devrions-nous, dans une certaine mesure, y apporter des changements?

Richard Haass : Les alliances jouissent d'une certaine renaissance. La Russie nous a rappelé les raisons pour lesquelles l'existence de l'OTAN était indispensable. Les agressions qu'elle a perpétrées contre la Géorgie et l'Ukraine, qui ne sont pas membres de l'OTAN, ont permis à celle-ci et de nombreux pays de comprendre pourquoi l'alliance était utile. Les débats ne sont pas les mêmes qu'il y a 30 ans après la fin de la Guerre froide.

À défaut d'autre chose, M. Poutine a rappelé au monde l'importance, et même le caractère essentiel, de l'OTAN. Nous sommes également à même de constater la formation de plus grands regroupements aux allures d'alliances qui se positionnent contre la Chine, notamment le Quad et l'AUKUS. Je crois encore une fois que la question est de savoir à qui le Canada se joindra. Le Canada est un pays pacifique. Selon moi, il souhaitera réfléchir à son implication d'une façon ou d'une autre dans ces types de regroupement. Je crois que les alliances ont toujours leur place. Je ne suis pas grand adepte de ce que j'appellerais les institutions multilatérales universelles, telles que l'Assemblée générale des Nations Unies, qui, selon moi, est une trop grande organisation pour être d'une quelconque utilité. Souvent paralysé par les droits de veto utilisés, le Conseil de sécurité est inutile. Dans la situation actuelle, des organismes, tels que l'Organisation mondiale du commerce, ont perdu le rôle central qu'ils occupaient.

Nous constatons qu'il devient de plus en plus possible que d'autres formes de multilatéralisme soient établies sur une base régionale et fonctionnelle. On pourrait être communément très sceptique quant à la possibilité que l'Organisation mondiale de la Santé ou  la COP27 qui se déroulera en Égypte en décembre prochain atteignent leurs objectifs. Nous pourrions nous retrouver avec des regroupements plus sélectifs. Même si les pays qui forment ce que l'on appelle des coalitions de volontaires pertinentes aux vues similaires pourraient ne pas représenter la totalité du monde, mieux vaut compter sur 75 % du monde pour accomplir quelque chose que sur 100 % du monde qui reste à ne rien faire. Je ne crois donc pas que nous devrons nous tourner vers l'unilatéralisme. Nous devrons songer au multilatéralisme et à l'action collective.

Je ne crois toutefois pas que le modèle puisse être universel. Nous devrons constituer des formations ou des coalitions de moindre envergure. Et encore une fois, elles varieront probablement d'un sujet à l'autre. Peut-être que nous pourrions, sur certains points, soit intégrer ces nouveaux regroupements à des institutions existantes, soit les institutionnaliser. Je crois qu'il est primordial avant toute chose d'obtenir la coopération dont nous avons besoin.

Aiesha Zafar : Donc, en ce qui concerne la nécessité d'obtenir de la collaboration et d'établir possiblement différentes alliances sur, comme vous l'avez mentionné, certains enjeux, plutôt que d'adopter une approche « tout ou rien », ainsi que la façon dont il ne sera vraiment pas gagnant d'adopter l'approche de l'unilatéralisme dans cette nouvelle ère... Je songe aux dernières années qui ont été le théâtre de la montée du nationalisme dans plusieurs régions du monde. Nous avons pu observer cette tendance aux États-Unis en 2016, ainsi qu'en Espagne, en Turquie, en Inde et en Allemagne. Des pays de tous genres dans le monde semblent plus nationalistes. Je fais ici davantage référence à la souveraineté d'un État qu'à l'État en soi. Une certaine forme d'autoritarisme est en ascension, un mouvement qui menace la démocratie. Est-ce réel? Est-ce que c'est vraiment ce qui est en train de se produire? Et quelles répercussions cette situation aura-t-elle sur les futures relations que nous devons établir à cause de la mondialisation?

Richard Haass : Eh bien, c'est ce que nous constatons partout. Nous observons un nationalisme plus fort, tant dans les pays démocratiques que les pays non démocratiques. L'opinion publique est très puissante. Je crois également que de nombreux citoyens dans le monde se sentent quelque peu menacés par certains aspects de la mondialisation. En Europe, par exemple, nous avons pu constater des réactions très vives face à l'immigration à grande échelle en provenance du Moyen-Orient. Nous le voyons ici dans le pays, aux États-Unis, sur certains enjeux. Encore une fois, je crois que les médias sociaux ressemblent de plus en plus à des chambres d'écho qui commencent à s'alimenter les unes les autres partout dans le monde.

Je fais référence au nationalisme en Chine et ici. M. Poutine s'adonne très clairement à du nationalisme russe. L'idée même que la Russie soit une victime, entre guillemets, démontre bien la personnalité de ce président et ce qu'il est en train de faire.

L'une des raisons pour lesquelles le maintien d'une démocratie peut s'avérer difficile est la possibilité que le nationalisme devienne un concept antilibéral, intolérant et interne, ce que nous sommes à même de constater dans de nombreux pays. Et cela complique également davantage la collaboration multilatérale. La volonté de faire des compromis est plus difficile à obtenir.

Dans certains cas, on pourrait dire que le nationalisme est justifié par les chaînes d'approvisionnement ou quelque autre raison. Nous souhaitons avoir un peu plus la capacité de nous protéger, entre autres choses, contre certaines perturbations. Et je crois que c'est là l'une des leçons que nous avons apprises à la dure au cours de la pandémie de COVID-19. Plusieurs options s'offrent à nous en ce qui concerne la production nationale et la constitution des réserves. Dans le cas de l'Amérique du Nord, un des aspects que nous devrions examiner à l'égard de nos accords nord-américains est le fait que les États-Unis, le Mexique et le Canada n'ont pas besoin d'être entièrement autosuffisants dans tous les secteurs. Nous pourrions vouloir partager certaines ententes de mise en commun qui nous permettraient d'établir des arrangements nord-américains pour certains minéraux ou produits importants dans le domaine des soins de santé. C'est ce qui, selon moi, constituerait un programme utile pour ce que nous appelons l'ACEUM. J'arrive maintenant à me rappeler l'ordre des lettres de l'acronyme. Tout le monde l'épelle différemment.

Aiesha Zafar : L'ordre diffère selon le pays qui en fait mention. Oui.

Richard Haass : Oui. Ce qui n'est probablement pas un bon signe... De prime abord, cela indiquerait un certain nationalisme si les trois participants utilisent leur propre ordre pour nommer les pays dans l'acronyme.

Aiesha Zafar : Oui, tout à fait. D'accord. Prenons maintenant quelques minutes pour parler de la Russie, car vous avez évoqué ce pays à quelques reprises. La menace posée aujourd'hui par la Russie est différente de ce qu'elle était au cours de la Guerre froide. J'entends par là que cette menace nucléaire demeurera tant et aussi longtemps que ce pays constituera une puissance nucléaire. Il existe également d'autres types de conduites de guerre. Les Russes prétendront qu'ils sont la cible de diverses formes d'espionnage humain, ainsi que de cyberattaques.

S'agit-il réellement encore une fois d'un signe de l'avancée du communisme? Voilà ce qui nous préoccupe. Vous avez mentionné précédemment que Vladimir Poutine avait en quelque sorte désinstitutionnalisé son gouvernement. Le but ultime est d'établir la façon dont cela aura une incidence non seulement sur les relations étrangères, mais également sur la place que nous occupons dans le monde. C'est ce qu'il faut absolument déterminer au sujet de la Russie.

Richard Haass : Je crois qu'il subsiste certaines différences importantes. La Russie ne tente plus de promouvoir un concept universel, ce à quoi le communisme était destiné par ceux qui y croyaient. M. Poutine ne tente pas de promouvoir le « poutinisme » partout dans le monde.

À cet égard, il n'est pas un leader de style très soviétique. Il est davantage un dirigeant russe. Et si vous vous attardez à ce qu'il affirme, et à ce qu'il a écrit l'été dernier concernant notamment la nation slave, il semble être encore plus un dirigeant présoviétique. Je constate que, sur le plan idéologique, il n'est pas le type de dirigeant ou même, à l'échelle mondiale, opposant que l'Union soviétique était. Le danger réside dans le fait qu'il se montre davantage disposé à faire usage de la force militaire, du cyberespace et des outils énergétiques. Il est un dirigeant plus assertif et agressif à cet égard. Et encore une fois, il n'est pas freiné par un leadership collectif de la même façon que les leaders soviétiques l'étaient.

Donc, lorsqu'on examine les quatre décennies de la Guerre froide, on observe une certaine chorégraphie dans les relations qui subsistaient entre l'Occident et l'Orient et, si vous le voulez, le camp soviétique et les États-Unis ou le camp occidental. Il y avait des règles de conduite plus officielles et importantes, mais la plupart d'entre elles sont disparues. Je crois en réalité que la Russie ne représente pas une solution de rechange économique, contrairement au communisme. Elle ne représente pas une idéologie. Ce qu'elle représente se trouve particulièrement à proximité en soi, ce que nous avions l'habitude d'appeler son « proche voisinage ». Elle démontre une réelle volonté d'agir de façon agressive. Son invasion en Ukraine il y a à peine trois mois ne s'est de plus pas avérée très fructueuse. Il est vrai qu'elle tient bon pour l'instant, particulièrement dans le sud et l'est du pays, encore une fois, avec une volonté d'agir à l'encontre des normes.

Ce qui est plus inquiétant n'est pas que d'autres pays monde se réveillent en affirmant qu'ils souhaitent être comme elle, mais plutôt que les nombreux pays voisins la craignent et que bon nombre d'autres pays ne souhaitent pas l'offenser ou se l'aliéner. Et c'est ce qui, selon moi, caractérise M. Poutine. Il s'agit donc d'un autre genre de défi que celui auquel nous étions confrontés à l'époque de l'Union soviétique. Mais c'en est véritablement un dans certains domaines, ce qui est plus dangereux en raison, encore une fois, d'une plus grande volonté d'utiliser la voie de la force et d'enfreindre les normes internationales. L'Union soviétique était plus prudente. Je n'aurais jamais pensé dire cela un jour, mais je pense réellement que ceux qui étaient au pouvoir soviétique étaient plus prudents que les dirigeants russes.

Aiesha Zafar : Oui, c'est un portrait plutôt sombre que vous venez de brosser. Vous n'êtes pas celui qui a l'habitude de propager les bonnes nouvelles... Je crois qu'il est difficile pour l'individu moyen qui regarde ce qui se passe dans le monde aujourd'hui de bien comprendre à quel point cette menace est inquiétante, puisque, comme vous l'avez mentionné, le président Poutine n'est pas tenu d'appliquer aucune règle, quelle qu'elle soit. Son plan d'action semble davantage être exempt de contraintes. Et cela a vraiment une incidence et une influence sur la façon dont le reste d'entre nous réagit aux politiques que nous mettons en place, et même probablement aux propos que nous tenons sur la scène internationale. Selon vous, quelle intervention devrait être menée? Nous souhaitons parvenir à un stade où la menace aura quelque peu été atténuée, mais en même temps, nous ne pouvons refaire ce que nous avons fait par le passé.

Richard Haass : Il y a plusieurs aspects à la question. C'est ce à quoi nous devons tous faire face en ce moment.  Une des choses est l'importance, comme nous en avons discuté un peu plus tôt, des partenaires et des alliés. Si quiconque avait des doutes quant à l'importance de l'existence d'organisations telles que l'OTAN, le moment est propice pour les écarter et prouver que nos forces et nos actions collectives sont réelles. Tout d'abord, la façon dont nous gérons cette crise est plutôt intéressante.

Nous avons agi prudemment en n'envoyant aucun soldat de l'OTAN sur le front en Ukraine. Nous n'avons pas délimité de zone d'exclusion aérienne, ce qui aurait requis l'établissement d'un chapeau d'air non seulement au-dessus de l'Ukraine, mais également sur plus d'une centaine de kilomètres au-dessus du territoire russe. Nous avons donc évité de nous impliquer directement. Nous nous y sommes pris en prenant certaines mesures indirectement pour aider l'Ukraine, notamment sur le plan des entraînements, des renseignements et de l'approvisionnement en armes et en munitions. Nous avons donc le sentiment de faire avancer les choses, mais sans toutefois dépasser certaines limites. Lorsqu'on gère des situations qui impliquent des pays comme la Russie et l'Ukraine, il faut comprendre qu'il y a des limites à ce que l'on peut faire pour tenter de changer leur véritable nature.

Je ne crois pas qu'un changement de régime soit un objectif particulièrement utile en matière de politique étrangère. Ce serait hors de notre atteinte de le faire et, même si nous y parvenions, nous ne serions pas en mesure de garantir que nous en tirerions quelque chose de positif. La tendance est à la compréhension ou à l'appréciation de limites en matière de pouvoir. Il s'agit donc d'une combinaison de forces et de reculs, mais également d'acceptation de certaines limites. Tout est dans les détails. La situation de la Russie sous le régime de Poutine est difficile, car il s'agit d'un défi très différent de celui du dossier de la Chine. La Russie n'est intégrée qu'à une portion restreinte de l'économie et de l'énergie mondiales, et nous ne sommes pas certains qu'ils accepteront qu'on leur impose certaines limites. Il y a donc un risque que ce pays n'agisse pas prudemment. Je crois qu'on ne se l'est pas rendu facile, notamment en ce qui concerne  l'énergie comme je viens de l'évoquer, en nous permettant de devenir dépendants envers la Russie dans certains domaines ciblés. Et cela a donné à M. Poutine énormément de pouvoir, ainsi qu'un accès incommensurable à des niveaux très élevés de ressources. C'est ce qui, selon moi, a mené à l'établissement d'une relation très compliquée.

Aiesha Zafar : Si l'on compare la situation actuelle à celle de la Chine, où l'intégration économique et la position de la Chine dans le monde sont de plus en plus affirmées, la Chine est maintenant le deuxièm e pays en importance sur le plan du PIB. En quoi la menace est-elle différente et quels sont les nouveaux défis que nous devons réellement prendre en considération lorsque nous créons des politiques qui régissent les relations que nous entretenons avec la Chine?

Richard Haass : La relation que nous entretenons avec ce pays est très différente de celle que nous avons avec la Russie. Je crois que la Chine est beaucoup plus intégrée sur le plan économique dans le monde entier. Il s'agit, comme vous le dites, de la deuxième plus grande économie mondiale, et sa population est neuf fois plus importante que celle de la Russie. Ce type de pays est donc très différent. Son histoire n'est pas la même, en ce sens qu'elle n'a pas récemment eu recours à la force militaire. Je crois que la Chine s'est intégrée elle-même à l'économie mondiale. Nous lui avons ouvert la porte, et elle sélectionne maintenant soigneusement les aspects de son intégration qui, selon elle, contribueront à son développement économique et militaire. La Chine est devenue plus répressive sur son territoire au cours des dernières années. Elle est devenue plus affirmée à l'étranger. Et je crois que nous commençons à organiser un certain recul par rapport à elle. J'ai évoqué un peu plus tôt la formation de certains regroupements militaires politiques régionaux dans la région indopacifique. Il devrait donc y avoir un certain recul. La Chine participe beaucoup plus activement à l'économie mondiale. Il est également essentiel de gérer certains enjeux, tels que la Corée du Nord, les changements climatiques et la santé mondiale.

Donc, le défi auquel nous sommes confrontés en ce qui concerne la Chine est qu'il s'agit d'un pays qui est plus difficile à isoler que la Russie. Il nous faudra déterminer comment établir une relation avec elle au sein de laquelle nous pouvons exprimer nos désaccords sans entraver la collaboration que nous recherchons dans certains domaines. Et c'est ce que nous devons exprimer clairement. C'est toutefois beaucoup plus facile à dire qu'à faire dans la pratique. Je crois que cela bonifiera réellement nos compétences en matière de politique étrangère à l'extérieur de l'Occident et nous permettra de voir si nous avons la capacité de faire face à tout cela. Il est beaucoup plus facile dans le domaine de la politique étrangère d'avoir ce que j'appellerais une personnalité unique ou d'établir des relations à dimension unique en vertu desquelles nous sommes soit des alliés ou des adversaires.

En ce qui concerne la Chine, nous devrons parvenir à établir non pas comment être un allié, mais comment être concurrentiel, même dans les domaines de confrontation, et ce, tout en devant collaborer. Il est encore notre intérêt de le faire, que ce soit en gérant la situation de la Corée du Nord ou les changements climatiques ou la santé mondiale. Il sera difficile de réaliser cela à l'échelle nationale. Cette relation est compliquée à expliquer. Nous devons également espérer que la Chine en vienne à comprendre de la même manière que nous la définition du succès, ou l'amener à adopter cette position.  Je ne crois pas du tout qu'elle en est là. Ce sera un vrai test qui comprendra de véritables ramifications si nous y parvenons. Je crois que cela offrira de nouvelles possibilités. Le 21e siècle sera toutefois beaucoup plus sombre si nous échouons. Si nous ne pouvons compter sur un pays de l'envergure de la Chine pour gérer et tenter de relever les défis régionaux et mondiaux auxquels nous sommes confrontés, ce siècle sera beaucoup plus sombre. Le fait est que nous ne sommes même pas près d'atteindre le stade que nous visons.

Aiesha Zafar : Donc, selon vous, la Chine serait-elle davantage une rivale qu'une menace? Ou les deux? Qu'est-ce qui est différent avec la Chine? Avons-nous les mêmes objectifs? C'est bon de savoir qu'il y a encore des possibilités de collaboration avec la Chine, mais dans quels domaines souhaitons-nous coopérer?

Richard Haass : Je ne crois pas qu'elle cherche à obtenir exactement les mêmes choses que nous.  La Chine, particulièrement le pouvoir qui est en place, souhaite ardemment que le Parti communiste garde le contrôle. Elle ne s'intéresse pas vraiment aux libertés politiques ou économiques individuelles. Elle est préoccupée par la situation avec la Taïwan et n'a pas exclu de faire usage à la force militaire pour l'unifier avec le continent.

Nous sommes donc en désaccord sur plusieurs sujets. En même temps, la Chine a intérêt à ce qu'il n'y ait pas de guerres qui entravent les échanges commerciaux et les investissements. De façon plus générale, elle a certaines préoccupations concernant, notamment, la prolifération des armes nucléaires. Donc, ma réponse est qu'il y a d'éventuels points de convergence, ainsi que de véritables points de divergence. Je reviens alors à la question de savoir si nous pouvons trouver notre chemin à travers cela et si nous pouvons limiter les désaccords, le cas échéant, tout en trouvant des possibilités au niveau de ce que l'on pourrait appeler la coopération restreinte ou sélective. Cela semble optimiste, mais nous espérons réellement y parvenir, car si nous n'obtenons pas l'aide de la Chine pour faire face à certains enjeux, tels que les changements climatiques, le dossier de la Corée du Nord ou la santé mondiale, non seulement nous en payerons le prix, mais la Chine aussi. La raison pour laquelle je n'ai pas perdu espoir d'une certaine façon est que j'espère que la Chine comprenne qu'il est également dans son propre intérêt de ne pas faire cavalier seul dans certains domaines. J'espère que la Chine ne définit pas sa réussite en matière de politique étrangère par simplement des reculs des États‑Unis et de l'Occident, et qu'elle viendra à la considérer comme étant la mise en œuvre d'interventions régionales et mondiales qui serviront ses intérêts.

La Chine doit également comprendre qu'elle a impulsé une réaction à son encontre depuis quelques années. Ces regroupements qui se sont formés constituent pour moi un signe que la Chine a impulsé ou, peu importe, stimulé des réactions militaires et politiques. Examinez la façon dont le Japon, l'Australie, l'Inde dans une certaine mesure, le Vietnam ou la Corée du Sud, ont modifié leurs comportements en matière de politique étrangère et de sécurité nationale. La Chine se plaint parfois de se sentir encerclée... Ma réaction face à cette crainte est qu'elle n'a qu'elle seule à blâmer. Elle a suscité une réaction en ayant les propos et les actions qu'elle a eus. Je crois que la Chine [inaudible] doit examiner la façon dont elle en viendra à utiliser sa puissance grandissante et à définir sa propre réussite en matière de politique de sécurité nationale. Je crois que cela reste à déterminer.

Aiesha Zafar : Changeons maintenant un peu de sujet et parlons des changements climatiques et du fait que la Chine joue ici encore un rôle important à cet égard. Nous avons commencé à en faire beaucoup plus au sein de la fonction publique canadienne et de la fonction publique fédérale pour éduquer nos cadres ainsi que nos fonctionnaires sur les raisons pour lesquelles ce dossier est important pour tout le monde. Nous avons toutefois encore un long chemin à parcourir pour que l'individu moyen comprenne l'enjeu qui est en cause. Pourquoi devrions-nous nous préoccuper des changements climatiques? Si je travaille au sein de Transports Canada ou de notre agence du revenu, pourquoi les changements climatiques ont-ils une incidence sur moi, mon portefeuille ou les politiques que j'élaborerai à l'avenir?

Richard Haass : Il s'agit d'une bonne question. Il y a quelques aspects à tenir compte. Le premier étant que nous en constatons déjà les effets. Bon nombre d'entre nous avons tendance à penser que les changements climatiques sont un problème de demain. Et la réponse est qu'il s'agit non seulement d'un problème de demain, mais également d'aujourd'hui. Nous le constatons avec la hausse des températures, les feux de forêt, la fréquence et la gravité des phénomènes météorologiques, ainsi que les inondations. Je ne suis pas un spécialiste du Canada, mais je suis conscient de ce qui se passe dans mon propre pays. Des portions importantes de ce pays deviendront inhabitables en raison de la chaleur, des incendies, des pénuries d'eau ou des trop grandes précipitations.

Voilà ce que nous pouvons évoquer. Nous pourrions également parler de certaines tendances et des coûts économiques qui sont liés à ces phénomènes, mais aussi des possibilités qui s'offrent à nous. Nous pouvons également expliquer la mesure à laquelle les investissements dans les sources d'énergie seraient susceptibles de profiter grandement à l'économie. Je ne pense pas que tout soit mauvais. Nous devons parler du climat. Oui, il s'agit d'un véritable problème. Non pas d'un problème qui surviendra demain, mais qui est en train de se former et qui existe déjà. Un problème qui ne fera que s'empirer. Les changements climatiques ne s'atténueront pas. Ils ne feront que s'aggraver au fil du temps et l'éventail de choix que nous avons deviendra de plus en plus restreint et pire.

Au final, nous devons avoir le dernier mot en convainquant les gens que nous n'avons pas à choisir entre la croissance économique et la gestion du climat. Nous devons pouvoir dire que ces deux aspects sont des éléments importants dans l'établissement d'une bonne politique climatique. Il s'agit en fait d'une très bonne politique économique, qu'il s'agisse d'une nouvelle génération de centrales nucléaires, de remplacement de combustible ou d'énergies renouvelables. L'argument invoqué est puissant. Au fait, ma réponse ne répond pas exactement à la question que vous m'avez posée dans le cadre de la conversation actuelle. Je m'en excuse. Nous devons recadrer certains débats sur la sécurité énergétique et le climat. Je pense que nous avons retenu la leçon selon laquelle nous ne pouvons penser que nous vivons dans un monde de l'après combustibles fossiles. Ce n'est pas la situation actuelle et ce ne le sera certainement pas, le cas échéant, avant des décennies.

Je crois toutefois qu'il y a tant de points négatifs qui sont actuellement associés aux changements climatiques que nous pourrions commencer à convaincre le public. Bien que les preuves scientifiques soient écrasantes, nous devons tracer un chemin, une voie qui sera également positive. Nous devrons probablement réaliser des investissements pour favoriser la création d'emplois et la croissance économique. Nous devons affirmer qu'il faudra investir éventuellement dans de nouvelles technologies et dans des domaines tels que le captage de carbone ou la réflexion solaire. Je vais être honnête avec vous. Je ne suis pas du tout optimiste quant à notre réussite à faire ce qu'il faut faire sur le plan climatique. Et je crois que la situation ne fera que s'aggraver. Nous devrons nous préparer, non seulement à dépenser une fortune sur l'adaptation de la vie urbaine et le climat, mais également à adopter une approche plus dramatique.

Il nous faut avoir une conversation franche à ce sujet avec le public afin d'expliquer où nous en sommes et où nous en serons dans un, trois, cinq, dix ou vingt ans. Nous devons expliquer ce qu'il adviendra si nous faisons certaines choses maintenant et ce qui se passera si on ne fait rien. Nous devons être francs avec notre population. Nous devons lui dire que ce ne sera pas facile. Lorsque je regarde ce qui s'est passé dans mon propre pays avec les vaccins et les masques, je me rends compte qu'il est difficile de parler ouvertement de la science. Il y a encore des tas de gens qui nient les changements climatiques. Mais n'avons pas d'autre choix. Encore une fois... la situation ne fera qu'empirer si on ne fait rien. C'est un problème tellement invasif. La tendance et le temps ne sont pas nos amis dans ce cas-ci.

Aiesha Zafar : Oui. Nous sommes certainement à même de constater des régimes climatiques inhabituels et plus graves ici au Canada. Je crois que les gens sont plus nombreux à en parler et à en voir les effets. Et la question à se poser est la suivante : est-il trop tard? Ce que nous accomplissons maintenant ne parviendra pas nécessairement à renverser quoi que ce soit. Est-ce que cela ralentira suffisamment les changements climatiques ou vaudrait-il mieux de commencer à élaborer des politiques d'adaptation, comme vous l'avez mentionné, afin que nous puissions nous adapter aux changements qui seront inévitables?

Richard Haass : J'ai tendance à croire qu'il existe trois aspects à la question : l'atténuation, l'adaptation et le renversement. Selon moi, il faut suivre la voie de l'atténuation. Nous devrions continuer de travailler en sens. Les énergies renouvelables, l'amélioration des batteries ou le remplacement du carburant par les combustibles fossiles sont tous de bonnes choses à faire. Le nucléaire également... Je ne suis simplement pas très optimiste. Lorsque je regarde ce qui se passe en Chine, en Inde et le reste du monde, je ne suis tout simplement pas incroyablement optimiste que le monde parviendra à avoir une longueur d'avance. De façon générale, les interventions nationales et internationales sont plutôt timides. Il s'agit essentiellement de niveaux d'efforts nationaux qui sont déployés sur une base volontaire. C'est la seule façon d'inciter les pays à embarquer. La bonne nouvelle est que les pays ont signé un accord. La mauvaise nouvelle est qu'aucune entente ambitieuse et contraignante n'a été conclue. Voilà pourquoi je ne suis pas très optimiste. La COP26 vient tout juste de se terminer. Il y aura la COP27. La COP26 s'est avérée un fiasco. Désolé. Je dirais même que la COP27 sera pire si l'on considère que nous perdons du terrain cette année et que nous regardons ce qui se passe avec la Russie et le secteur de l'énergie. Je ne suis donc pas très optimiste par rapport au domaine de l'atténuation, sauf en ce qui concerne les technologies. Peut-être y aura-t-il quelques percées technologiques qui pourraient faire une réelle différence.

Les technologies liées à l'hydrogène, aux batteries et aux énergies renouvelables s'améliorent constamment. Je réaliserais ainsi d'importants investissements en ce sens. Je ne crois pas que l'on peut se fier à l'atténuation comme solution. L'adaptation est un aspect important. Cela pourrait être aussi simple que de placer la machinerie des ascenseurs sur le toit plutôt que dans le sous-sol. Il pourrait s'agir de délimiter les zones où l'on inciterait les gens à vivre. Les compagnies d'assurance pourraient devoir jouer un rôle plus important. Si les compagnies d'assurance et de réassurance disent aux gens qu'ils peuvent habiter à un endroit, mais qu'ils ne seront pas couverts par leurs assurances, ces derniers y penseront deux fois avant de s'y établir. Les gouvernements devront y réfléchir à deux fois avant d'évacuer les personnes qui choisissent quand même de le faire. Nous devrons tous penser à la façon dont nous pouvons nous adapter. Pour utiliser un mot qui est populaire dans le domaine des sciences politiques américaines, nous devons trouver les moyens de donner un « coup de pouce » et d'inciter l'adaptation de certains comportements grâce à des incitatifs fiscaux et réglementaires. C'est ce que nous pouvons et devrions certainement faire. De très bonnes choses peuvent être considérées en ce qui concerne le renversement, notamment le captage de carbone et la réflexion solaire et l'idée de mettre des particules dans l'atmosphère qui pourraient réfléchir les rayons du soleil afin de refroidir la terre. Il y a deux dimensions à cet égard qui doivent être travaillées. L'une est l'aspect scientifique. Comment y parvenir et comment être sûrs que cela améliorera la situation et qu'il n'y aura pas de conséquences inattendues? Puis, il y a la dimension de la gouvernance. Comment établir un cadre de gouvernance mondiale en vertu duquel les pays peuvent collaborer et ne pas agir de façon irresponsable? Vous m'avez d'ailleurs posé cette question un peu plus tôt, à savoir ce qu'un pays de taille moyenne comme le Canada pouvait faire...

C'est dans ce domaine que le Canada devrait prendre les devants. Le Canada ne pourrait examiner la question de la gouvernance mondiale pour ce qui est notamment du captage du carbone ou de la réflexion solaire. Je crois que ce serait tout naturel de procéder ainsi pour un pays comme le vôtre.

Aiesha Zafar : Il s'agit certainement d'un domaine dans lequel nous œuvrons, mais nos organes réglementaires, l'industrie, le citoyen moyen et tout le monde ont réellement besoin de s'y atteler afin d'avoir un réel impact et de faire une différence.

Richard Haass : Permettez-moi de vous interrompre un instant. Je crois que la bonne nouvelle... Je ne sais pas pour le Canada... J'en suis désolé encore une fois. J'avais l'habitude de me rendre souvent dans votre pays auparavant, mais je n'y suis pas retourné depuis le début de la pandémie. Il me tarde d'y retourner. J'avais l'habitude autrefois, soit il y a deux ans et demi, de fréquenter des campus collégiaux. J'étais à même de constater que le climat y constituait l'enjeu le plus important et j'estime que c'est un bon signe. Les jeunes gens, c'est-à-dire les vingtenaires ou les trentenaires, s'y intéressent. Leur vie se déroulera parallèlement au 21e siècle. Il est dans leur propre intérêt de faire quelque chose à ce sujet. J'ai l'impression qu'il y a une certaine réceptivité à cet égard. Je crois que les plus jeunes générations en particulier comprennent que cet enjeu constituera un facteur très, très important dans la qualité de leur vie. Je vois beaucoup d'espoir à cet égard.

Aiesha Zafar : Je sais que notre rencontre tire à sa fin, mais l'un de mes sujets favoris est la sécurité nationale. J'ai travaillé pendant de nombreuses années au sein de cette industrie et je crois que, depuis les événements du 11 septembre, le mot qui vient souvent à notre esprit pour bon nombre d'entre nous lorsque l'on songe à la sécurité nationale ou que l'on se remémore des souvenirs qui s'y rattachent est « terrorisme ». Aujourd'hui, lorsque nous portons des réflexions sur la cybersécurité, il nous semble souvent qu'il s'agit d'un sujet qui relève davantage des organismes de renseignements et de défense.  Je dirais que c'est étroitement lié à la sécurité économique et à l'intégrité de nos institutions démocratiques. Il faut vraiment intégrer la sécurité nationale dans tout ce que nous entreprenons au sein de la fonction publique. Quelles sont vos réflexions à ce sujet, et comment pouvons-nous faire réellement en sorte que la sécurité nationale soit moins déroutante ou complexe, tout en laissant savoir à tout le monde qu'il a un rôle à jouer? Seriez-vous d'accord?

Richard Haass : En principe, je suis d'accord avec vous. De toute évidence, tout est dans les détails, mais je crois également qu'il y a deux côtés à la médaille en ce qui concerne la sécurité nationale. D'un côté, il y a l'aspect conventionnel des renseignements liés aux politiques étrangères et de la défense. Il nous faut réfléchir à la sécurité nationale conventionnelle. De l'autre côté de la médaille, il y a l'aspect national. Il s'agit du fonctionnement d'une société, et non simplement des menaces qui pèsent sur elle, mais de son bon déroulement. Que ce soit les infrastructures ou l'éducation, je vis dans un pays qui a été fondé sur une idée, et non sur un groupe ethnique ou quoique ce soit d'autre. Nous devons toutefois nous assurer que l'idée et cette possibilité sont réelles. En l'absence d'une acceptation et d'une cohésion nationales, nous ne serons pas en mesure de faire face aux menaces qui pèsent sur la sécurité nationale conventionnelle. Et me voici aujourd'hui. Lorsque vous m'avez présenté, vous avez dit que j'en étais à ma 19e année de service en tant que président du Council on Foreign Relations. Je suis donc appelé souvent à gérer les deux côtés de la médaille.

Lorsque je fais des déclarations publiques, les gens me demandent toujours qu'elle est la plus grosse menace qui pèse sur les États-Unis. Ils énumèrent tous les points que vous venez de mentionner, soit les changements climatiques, le terrorisme, le cyberespace, la Chine et la Russie. Je leur réponds qu'il est vrai que ce sont d'importantes menaces. J'en suis conscient. Cependant, la plus grande menace qui pèse actuellement sur notre sécurité nationale est nous-même. Il s'agit de notre manque d'unité nationale. Je pense à l'éventualité d'une violence à grande échelle dans ce pays. Et même si cette réalité ne se concrétisait pas, je pense à l'incapacité de s'unir pour gérer les défis nationaux ou internationaux auxquels nous sommes confrontés.

Le fonctionnement de nos politiques et de notre société est maintenant intimement lié à notre sécurité nationale.  Je crois qu'il est utile de réfléchir à ces aspects. Oui, la sécurité nationale relève entre autres des experts et des gens en uniforme. J'en suis conscient. Mais je crois que les dirigeants doivent aborder certains sujets, tels que la qualité de vie au quotidien. Je crois que les programmes d'apprentissage dans les écoles secondaires, les collèges et les universités doivent refléter cela.  Je ne peux parler pour le Canada. Je vais parler pour mon propre pays. Je ne crois pas que nous nous rendons service lorsque nous n'exigeons pas que ces cours soient donnés et que les étudiants les suivent pour obtenir un diplôme d'études secondaires ou collégiales. Je crois que les sociétés ont besoin des deux côtés de la médaille, soit la dimension internationale et ce que l'on pourrait appeler la dimension civique. Je ne sais pas ce qu'il en est pour le Canada, mais je sais que nous ne sommes pas en voie de réaliser ce défi.

Aiesha Zafar : Ce fut un honneur pour moi, M. Haass, de passer cette fascinante heure avec vous. Je pourrais rester là et discuter avec vous pendant des jours. Je suis certaine que vous en avez beaucoup encore à partager avec toute l'expérience que vous avez.

Richard Haass : Seulement si vous êtes un puits sans fond pour la dépression. Il serait probablement plus judicieux que nous limitions la durée de cet entretien à une heure.

Aiesha Zafar : D'accord, nous nous en limiterons à une heure. Nous savons que votre temps est très précieux. Nous étions si heureux lorsque nous avons appris que vous vous joindriez à nous. Au nom des quelque 300 000 fonctionnaires au Canada, je tiens à vous dire que vos propos nous ont fait réfléchir et qu'ils ont été instructifs. Ils nous ont certainement donné matière à réflexion pour nous accompagner dans la prise de mesures visant à créer des politiques et des programmes qui ont une incidence sur les Canadiennes et les Canadiens. Je suis sûre que, grâce à cette conversation, vous avez piqué la curiosité de bon nombre de notre personnel et qu'il prêtera davantage attention à ce qui se passe à l'extérieur de leur portefeuille et de nos frontières. Tout cela dans le but d'assurer non seulement la stabilité de nos propres institutions et pays, mais du monde qui nous entoure. Merci beaucoup de nous avoir accordé de votre temps. Ce fut un plaisir.

Richard Haass : Merci Aiesha. Merci pour tout ce que vous accomplissez. Je suis un ancien fonctionnaire. J'ai aussi enseigné à la Kennedy School. Je crois donc fermement à la cause.  Donc, merci à vous toutes et tous d'avoir fait ce choix de carrière. Vous m'en voyez ravi si cette rencontre vous a été d'une quelconque aide.

Aiesha Zafar : Merci.

Richard Haass : Prenez soin de vous.

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